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L'Europe de Benoît XVI

Un très beau texte de Mario Mauro, après le discours de Benoît XVI à la Scala de Milan, en juin 2012, où Daniel Beremboïm venait de diriger devant lui la Neuvième symphonie de Beethoven, "L'Ode à la Joie" (2/2/2014)

Lors de la Rencontre des Familles en Juin 2012, à Milan, un concert avait été donné en l'honneur de Benoît XVI à la Scala. L'Ode à la joie, qui est aussi l'hymne officiel de l'UE, était dirigé par Daniel Baremboïm.
A l'issue de la représentation, Benoît XVI avait prononcé un splendide discours, nourri de références culturelles et politiques, et de son expérience personnelle... mais totalement ignoré.
L'euro-député Mario Mauro lui consacrait ce magnifique éditorial dans Il Sussidiario.
Il convient de rappeler que peu de temps auparavant, entre le 20 et le 29 mai, une série de séismes avaient ravagé l'Emilie-Romagne, entraînant des dizaines de victimes et de nombreux dégats matériels. Le 25 juin, le Saint-Père se rendait sur les lieux les plus touchés, écrivant une des plus belles pages de l'histoire d'humanité de son pontificat (benoit-et-moi.fr/2012(II))

     
Le discours du Saint-Père

(ma traduction d'alors)

Messieurs les Cardinaux,
Illustres Autorités,
Chers Frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
Chères délégations de la VIIe Rencontre mondiale des familles!

Dans ce lieu historique, je voudrais tout d'abord rappeler un événement: c'était le 11 mai 1946, et Arturo Toscanini (1867-1957) levait sa baguette pour diriger un concert mémorable à La Scala reconstruite après les horreurs de la guerre. On raconte que le grand Maestro, à peine arrivé ici, à Milan, se rendit immédiatement dans ce théâtre et au centre de la salle, commença à taper des mains pour tester si elle avait gardé intacte sa proverbiale acoustique, et entendant qu'elle était parfaite s'exclama: «C'est la Scala, c'est toujours ma Scala».
Dans ces mots, « C'est la Scala! », est contenu le sens de ce lieu, le temple de l'Opéra, point de référence musical et culturel, non seulement pour Milan et pour l'Italie, mais pour le monde entier. Et la Scala est liée à Milan d'une manière profonde, c'est l'une de ses gloires les plus grandes, et j'ai voulu rappeler ce mois de mai 1946 parce que la reconstruction de la Scala fut un signe d'espoir pour la reprise de la vie de la ville toute entière après les destructions de la guerre.
Pour moi, alors, c'est un honneur d'être ici avec vous tous et d'avoir vécu avec ce splendide concert, un moment d'élévation de l'âme. Je remercie le maire, l'avocat Giuliano Pisapia, le Surintendant, le Dr Stéphane Lissner, aussi pour avoir introduit cette soirée, mais surtout l'Orchestre et le Chœur du Théâtre de la Scala, les quatre solistes et le Maestro Daniel Barenboim pour l'interprétation intense et prenante de l'un des chefs-d'œuvre absolus de l'histoire de la musique. La gestation de la Neuvième symphonie de Ludwig van Beethoven a été longue et complexe, mais dès les célèbres seize premières mesures du premier mouvement, il se crée un climat d'attente de quelque chose de grandiose, et l'attente n'est pas déçue.

Beethoven, tout en suivant en substance les formes et le langage traditionnel de la Symphonie classique, fait percevoir quelque chose de nouveau déjà dans l'mpleur sans précédent de tous les mouvements de l'œuvre, qui se confirme avec la partie finale introduite par une terrible dissonance, dont se détache le récitatif avec les paroles célèbres: « O mes amis, pas ce ton-là, entonnons-en d'autres, plus attrayants et joyeux», des mots qui, dans un sens, «tournent la page» et introduisent le thème principal de l' «Ode à la joie». C'est une vision idéale d'humanité que Beethoven dessine avec sa musique: «la joie agissante dans la fraternité et l'amour mutuel, sous le regard paternel de Dieu» (Luigi Della Croce). Ce n'est pas une joie spécifiquement chrétienne, celle que chante Beethoven, c'est la joie, toutefois, de la coexistence fraternelle des peuples, de la victoire sur l'égoïsme, et c'est le désir que le chemin de l'humanité soit marqué par l'amour, presque une invitation qu'il adresse à tous, au-delà de toute barrière et de toute conviction.

Sur ce concert, qui devait être une fête joyeuse, à l'occasion de cette rencontre de personnes en provenance de presque toutes les nations du monde, il y a l'ombre du séisme, qui a apporté de grandes souffrances à de nombreux habitants de notre Pays. Les parole tirés de l'« Ode à la joie» de Schiller résonnent comme vides pour nous, et même, elles ne semblent pas vraies. Nous n'éprouvons pas du tout les étincelles divines de l'Elysée. Nous ne sommes pas ivres de feu, mais plutôt paralysés par la douleur, pour tant d'incompréhensibles destructions, qui ont coûté des vies humaines, qui ont emporté leur maison et leur demeure à beaucoup. Même l'hypothèse qu'au-dessus du ciel étoilé doit habiter un bon père, nous semble discutable. Le bon père est-il seulement au-dessus du ciel étoilé? Sa bonté ne descend-elle pas jusqu'à nous? Nous cherchons un Dieu qui se tient à distance, mais qui entre dans notre vie et nos souffrances.

En cette heure, les paroles de Beethoven, «Amis, non pas ces tons ...», nous voudrions presque les rapporter à celles de Schiller. Non, pas ces tons. Nous n'avons pas besoin d'un discours irréel d'un Dieu lointain, et d'une fraternité qui n'implique pas. Nous sommes à la recherche du Dieu proche. Nous cherchons une fraternité qui, au milieu de la souffrance, soutient l'autre et aide ainsi à nous faire avancer. Après ce concert, beaucoup se rendront à l'adoration eucharistique - au Dieu qui s'est mis dans nos souffrances et qui continue à le faire. Au Dieu qui souffre avec nous et pour nous, et a rendu les hommes et les femmes capables de partager la souffrance des autres et de la transformer en amour. C'est précisément à cela que nous nous sentons appelés par ce concert.

Merci, donc, une fois encore, l'Orchestre et le Chœur du Théâtre de la Scala, aux solistes et à ceux qui ont rendu cet événement possible. Merci au Maestro Daniel Barenboim aussi parce qu'avec le choix de la Neuvième Symphonie de Beethoven, il nous permet de lancer un message à travers la musique qui affirme la valeur fondamentale de la solidarité, de la fraternité et de la paix. Et il me semble que ce message est également précieux pour la famille, parce que c'est dans la famille qu'on expérimente pour la première fois comment la personne humaine n'est créée pour vivre repliée sur elle-même, mais en relation avec les autres; c'est dans la famille que l'on comprend comment la réalisation de soi n'est pas de se mettre au centre, guidés par l'égoïsme, mais de se donner; c'est en famille que commence à s'allumer dans les cœurs la lumière de la paix pour éclairer notre monde.
Et merci à vous tous pour le moment que nous avons vécu ensemble.
Merci de tout coeur!

     
L'Europe de Benoît XVI

L'Europe selon Benoît
Mario Mauro
8 Juin 2012
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Il y a tellement de suggestions et d'images qui restent gravées dans les cœurs et les esprits après la visite du Pape à Milan à l'occasion de la rencontre mondiale des familles.
Dans les discours que le pape Benoît XVI a prononcés à Milan, il y a plus d'une référence à la situation où se trouve l'Europe. Le grand rassemblement des familles est déjà en soi un événement créé aussi dans l'inquiètude que suscite la crise de la famille au sein de l'Union européenne.
Le Souverain Pontife, dans son discours à la Scala après le concert en son honneur, a offert à l'Union européenne une interprétation merveilleuse de son hymne officiel.
Ce n'était pas seulement un moment dans lequel il a donné une preuve de sa culture immense et de son amour pour la musique, mais aussi un message politique clair destiné à ceux qui gouvernent l'Europe et aux dirigeants de ses États membres.
Parlant de l'Hymne à la joie, le pape révèle l'importance de la présence de Dieu dans l'un des symboles choisis pour représenter le peuple européen dans le monde. Et ce n'est pas le seul, le drapeau européen aussi (fond bleu avec douze étoiles disposées en cercle), a en effet des origines religieuses: les étoiles sont celles du douzième chapitre de l'Apocalypse: «Dans le ciel apparut un signe grandiose: une femme revêtue de soleil avec la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles » (1).

Benoît XVI a ainsi décrit la joie de Beethoven: «C'est une vision idéale de l'humanité, celle que Beethoven dessine avec sa musique: "la joie agissante dans la fraternité et l'amour mutuel, sous le regard paternel de Dieu" (Luigi Della Croce). Ce n'est pas une joie spécifiquement chrétienne, celle que chante Beethoven, c'est la joie, cependant, de la coexistence fraternelle des peuples, de la victoire sur l'égoïsme, et c'est le désir que le chemin de l'humanité soit marqué par l'amour, presque une invitation qu'il invite à chacun, au-delà de toute barrière et conviction »...« Nous n'avons pas besoin d'un discours irréel d'un Dieu lointain et d'une fraternité qui n'engage pas. Nous sommes à la recherche d'un Dieu proche. Nous sommes à la recherche d'une fraternité qui, au milieu des souffrances, soutient l'autre et contribue ainsi à nous faire avancer».

Cette fraternité qui nous soutient dans les moments difficiles, comme celui que traversent les populations victimes du tremblement de terre (dans le Nord de l'Italie, ndt), est aussi la pierre angulaire sur laquelle a été construit ce projet appelé Europe unie.
C'est donc un appel clair du Saint-Père à la situation dans laquelle verse l'Union européenne, au chaos et aux divisions résultant de la crise. La question européenne ne sera résolue que si l'hymne à la joie devient vraiment une ode à la fraternité et à la coexistence civile. Et la joie sera la joie de partager les difficultés, de se mettre ensemble au nom d'un idéal de solidarité et d'amour pour le sort de ceux qui sont à côté de nous, à travers lequel on pourra surmonter les obstacles de toutes sortes.

L'égoïsme de certains Etats membres de l'UE et la myopie de ceux qui régissent les institutions communautaires, sont d'autre part un témoignage vivant de la façon dont on peut détruire une oeuvre grandiose comme celle qui a été créé après la Seconde Guerre mondiale.

«Merci au Maestro Daniel Barenboim, aussi parce que le choix de la Neuvième Symphonie de Beethoven nous permet de livrer un message à travers la musique, qui affirme la valeur fondamentale de solidarité, de fraternité et de paix» - poursuit le Pape - « et il me semble que ce message est également précieux pour la famille, parce que c'est dans la famille que l'on expérimente pour la première fois combien la personne humaine n'est pas créée pour vivre repliée sur elle-même, mais en relation avec les autres; c'est dans la famille, que nous comprenons comment l'auto-réalisation n'est pas de se mettre au centre, guidé par l'égoïsme, mais dans le don de soi».

Ceux qui gouvernent l'Europe ne peuvent pas ignorer les paroles du Saint-Père, et ne peuvent pas laisser échapper son message: si l'Union européenne et ses Etats membres étaient considérés aujourd'hui comme une grande famille, où l'on collabore et où l'on se donne les uns pour les autres, pour porter son propre plan de vie, peut-être serions-nous dans une situation totalement différente.

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(1) L'histoire du drapeau européen a été racontée ici par Vittorio Messori: benoit-et-moi.fr/2011-III/