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Des jours dramatiques pour l'Eglise

Antonio Socci, sur 'Libero': sur la communion pour les divorcés, le pape déchire l'Eglise. Et retour sur l'appel du Père Carlo Buzzi, le missionnaire de Sandro Magister qui en mai dernier prônait "la communion de désir" (24/9/2014)

     

Dans la cacophonie ecclésiale et médiatique qui nous submerge depuis plusieurs mois autour des prétendues "souffrances" des divorcés remariés empêchés d'accéder à la communion, une voix de sagesse et d'humilité (bien loin des savantes discussions théologiques dont au fond le fidèle lambda se moque, et auxquelles il ne comprend pas grand chose) s'était fait entendre en mai dernier. Cette voix, celle d'un prêtre de 71 ans, missionnaire au Bangladesh, le père Buzzi, avait trouvé une tribune médiatique grâce à son ami d'enfance Sandro Magister, qui a publié les deux lettres qu'il lui a adressées sur son site <Chiesa>
1. Accès des remariés à la communion: une lettre du Bangladesh, le 12 mai 2014
2. La communion aux divorcés remariés? Oui, la communion de désir, le 21 mai 2014

Dans la première lettre, tout est dit dans ces quelques lignes:

Ces divorcés remariés – qui, en fin de compte, ont quelque peu négligé le sens chrétien de la souffrance, du sacrifice, de la patience, de la pénitence, et qui ont oublié que Jésus a été crucifié et que la croix, lorsqu’elle se présente, est pour tout chrétien un moyen de se rapprocher du Rédempteur – se montrent quelque peu présomptueux quand ils font appel à la miséricorde de Dieu, alors qu’ils n’ont guère tenu compte de lui précédemment.
Au point de vue subjectif, je pense que, pour eux, il est beaucoup plus existentiel qu’ils se limitent au désir de la communion plutôt que de recevoir la communion elle-même.
Le fait d’accepter de bon gré cette abstinence fera beaucoup de bien à leur âme et à la sainteté de cette communauté chrétienne qu’est l’Église.

Dans la seconde, après avoir remarqué que "cette polémique a pris une importance excessive et elle ne mérite pas toute cette tension", il développe son point de vue de "communion de désir".
Je note ce passage:

Nous sommes en train de ramener l’Église au niveau d’une organisation comme l’ONU ou d’un parlement quelconque où la majorité l’emporte. C’est-à-dire justement ces institutions qui, de manière légale et démocratique, approuvent toutes sortes de choses, y compris des crimes comme l'avortement, le mariage entre homosexuels avec possibilité pour ceux-ci d’adopter des enfants, les expériences sur des embryons qui sont des êtres humains, l'euthanasie, et ainsi de suite.
C’est la première fois que la démocratie, avec ses méthodes, s’introduit dans l’Église catholique. Est-ce que le Saint-Esprit aura au moins droit à une voix, comme tout évêque, étant donné qu’il vient comme représentant de la Sainte Trinité ?
Jusqu’à maintenant l’Église catholique est restée debout parce qu’elle reposait sur la sainteté de ses membres et de ses martyrs, pas sur la démocratie.

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Dans un éditorial paru sur le journal "Libero" où il écrit habituellement, Antonio Socci revenait hier sur les arguments du Père Buzzi.

     

SUR LA COMMUNION POUR LES DIVORCÉS, LE PAPE DÉCHIRE L'EGLISE
Antonio Socci
Libero
22 septembre 2014
Texte en italien ici, ma traduction.
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Un important prince de l'Eglise a été jusqu'à affirmer, devant quelques personnes de confiance, que ce sont probablement les mois les plus dramatiques de toute l'histoire de l'Eglise. Qui pourtant, en deux mille ans, a passé d'énormes tempêtes. La gravité de la situation échappe à la plupart des gens. Même si les médias se passionnent pour la controverse enflammée annoncée au Synode, qui débutera le 5 Octobre, ils n'ont pas bien saisi les enjeux. Pour comprendre ce qui se passe dans l'Eglise, il faut sortir de la cour vaticane luxueuse et auto-référentielle de Santa Marta, peuplée de quelques vaticanistes, ecclésiastiques carriéristes, domestiques et courtisans. Il faut aller vers les vraies périphéries existentielles.

En effet, c'est de là - après le rapport explosif du cardinal Kasper au consistoire de Février (le rapport sur l'Eucharistie pour les divorcés remariés, souhaitée par Bergoglio) - que nous sont parvenues des paroles éclairantes. Elle sont d'un missionnaire du PIME (l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères), le Père Carlo Buzzi, 71 ans, milanais, depuius quarante ans au Bangladesh, l'un des pays les plus pauvres du monde.
Ses lettres ont été publiées par Sandro Magister dans son célèbre site <Chiesa>.
Le Père Buzzi est un homme de Dieu extraordinaire, il a consacré sa vie à apporter la Bonne Nouvelles aux plus pauvres, pour eux il a construit des écoles, des dispensaires, des chapelles, et il les a reconstruits quand on les leur a détruits. Souvent au péril de sa vie.
De cette périphérie, il a commenté ainsi le rapport de Kasper au Consistoire: «Si on continue sur la voie tracée par le cardinal Kasper, on fera des dégâts considérables: 1) On rendra l'Eglise superficielle et accomodante; 2) On devra nier l'infaillibilité de la Chaire de Pierre, car ce sera comme si tous les papes précédents s'étaient trompés; 3) On devra considérer comme stupides tous ceux qui ont donné leur vie en martyrs pour défendre ce sacrement»

Le Père Buzzi a ajouté quelques considérations concrètes: «Il y a des milliers de catholiques qui meurent chaque année, persécutés pour leur foi, et nous qui vivons paisiblement nous nous préoccupons obstinément de l’accès des divorcés remariés à la communion. Combien de personnes ont été martyrisées en Angleterre parce qu’elles voulaient conserver leur foi en l’intégrité du sacrement de mariage!». «Gare à l’Église catholique si elle se met à suivre le même chemin que l’Église anglicane» Ce serait dévastateur. Donc, dit le vieux missionnaire, «ne donnons pas lieu à un schisme à cause de quelque chose d'aussi secondaire».

Le Père Buzzi note que «si nous donnons la communion aux remariés, cela signifie qu'ils n'ont même plus besoin de se confesser». De là, en cascade tombent les sacrements et les commandements. Donc, l'Église elle-même: «De cette façon, tout saute. Ancien et du Nouveau Testament».
Le vieux missionnaire dit: «Je veux rester catholique. Je ne veux pas devenir anglican ou baptiste». Enfin sa conclusion fulgurante: «Nous voyons que les états et les grandes organisations sont tous soumis à une force mystérieuse qui tend vers le mal. La seule institution que l’on ne parvient pas à faire plier, qui tient tête et qui reste ferme sur les véritables valeurs de l’homme, c’est l’Église catholique. Tenons bon et ne troublons pas l’eau de notre fontaine. Un jour, lorsqu’ils seront fatigués et assoiffés, beaucoup d’hommes sauront où trouver un peu d’eau fraîche.»

Malheureusement, le pape Bergoglio au lieu d'écouter ces hommes de Dieu, parlant depuis les périphéries existentielles préfère converser avec un puissant gourou de salon bourgeois comme Scalfari ou - comme c'est arrivé ces jours-ci - avec la coqueluche des salons de la gauche européenne, Alexis Tsipras, le leader du parti de la gauche radicale grecque Syriza.
Hier, un important prince de l'Eglise, le cardinal Pell, a utilisé les mêmes arguments que le Père Buzzi.

Il a demandé pour le Synode , «la réaffirmation de la doctrine catholique» et a souligné que la question de la communion pour les divorcés remariés est - même statistiquement - une chose secondaire, mais est devenue un «symbole», c'est à dire un drapeau idéologique. C'est «un enjeu dans la confrontation entre ce qui reste du christianisme en Europe et un néo-paganisme agressif. Tous les adversaires du christianisme voudraient que l'Église capitule sur ce point».
Il est très important de le souligner, parce que ce qui semble vraiment tenir à coeur aux innovateurs, ce n'est pas tant la condition de souffrance de certains couples (dans ce cas, on parcourrait d'autres voies qui ont déjà été identifiées), mais le renversement de fait de la doctrine catholique à travers la soi-disant «pratique pastorale». La position de Pell, opposé à Kasper et à la «révolution» est partagée par les cardinaux les plus influents qui ont fait des déclarations publiques spectaculaires. En commençant par le préfet de l'ex-Saint-Office, Muller, lequel - en polémique avec Kasper - vient de publier un livre et a participé au fameux livre des «cinq cardinaux» (Caffara, Muller, Brandmuller, Burke et De Paolis). Qui a tellement indiposé Kasper et Bergoglio. D'autres déclarations faisant autorité en matière de défense de la doctrine catholique et contre le «basculement» sont venus des cardinaux Collins, Martin, Ouellet et Scola.

Que des noms importants. Et on ne parle que de déclarations publiques, parce qu'on a estimé qu'au Consistoire, 85% des cardinaux ont rejeté la thèse de Kasper. Lequel proteste pourtant qu'il représente Bergoglio: «J'ai parlé deux fois avec le Saint-Père. J'étais d'accord avec lui sur tout. Il était d'accord. Ils savent que je n'ai pas fait ces choses moi-même. Je me suis mis d'accord avec le Pape».
En effet, c'est Bergoglio qui l'a voulu orateur unique au Consistoire et c'est lui qui en a fait l'éloge enthousiaste alors que la grande majorité des cardinaux l'a rejeté.
Kasper a raison d'indiquer en Bergoglio le chef des «révolutionnaires». Du reste, cela n'a jamais été démenti. Bergoglio, déjà comme évêque de Buenos Aires, en désobéissance grave au Pape et à l'Eglise, autorisait à donner l'Eucharistie à tous. C'est le père Pepe Di Paola, le fameux "prêtre des rues" très proche de lui, qui l'a dit tranquillement, dans une interview à "Il Resto del Carlino" (cf. Tournant doctrinal en vue?... ), le 13 Mars 2014. Et ensuite, comme évêque de Rome, le 23 Avril 2014, Bergoglio a passé le fameux coup de téléphone à une dame argentine mariée civilement avec un divorcé, au cours duquel il lui a dit de «prendre tranquillement la communion parce qu'elle ne fait rien de mal» (ndt: cela n'a jamais été confirmé officiellement.... mais pas démenti non plus). Créant ainsi un cas sensationnel. Donc Bergoglio est longtemps sur sa propre route, différente de la doctrine et du magistère de l'Église.

C'est pourquoi la situation est explosive. Jamais dans l'histoire de l'Eglise il n'était arrivé que la plupart des cardinaux dûssent prendre des positions publiques contre une inversion du magistère et de la pratique de l'Église qui a été proposée par le cardinal Kasper, mais qui en réalité vient de Bergoglio lui-même. Il n'est jamais arrivé qu'un évêque de Rome se batte pour une thèse qui va à l'encontre de toute la tradition et le magistère de l'Eglise. Mais accomplir ce renversement - comme l'a dit le cardinal Pell - est tout simplement «impossible»(...).

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