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Il est temps de regarder la réalité en face

Réflexions sans illusions, au deuxième jour du Synode, d'un intellectuel catholique italien, Massimo Viglione... (8/10/2014)

Massimo Viglione (né en 1964) est un essayiste catholique, professeur d'histoire moderne à l'Université européenne de Rome. Nous l'avons déjà croisé dans ces pages (ici).
Il anime un site Il giudizio Cattolico, dont cet article est issu.
Traduction de Anna.

     

IL EST TEMPS DE REGARDER LA RÉALITÉ EN FACE
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Rien que dans les deux derniers jours, je répète: rien que les deux dernier jours (pour faire court, c'est déjà plus que suffisant), le pape François a réitéré, en personne ou par le biais de ses plus proches collaborateurs, une série de déclarations qui méritent attention.

Il y a deux jours, à Sainte Marthe, il a affirmé que les pharisiens, classe dirigeante des juifs, en réduisant tout aux préceptes, fermaient la porte au peuple de Dieu qui voulait suivre Jésus, Puis il a ajouté: Mais le salut vient de Jésus, pas des dirigeants qui «ne croient pas en la miséricorde, au pardon: ils croient aux sacrifices». Evidemment, s'il ne s'était référé qu'aux pharisiens, il n'y aurait rien à dire. Mais il est clair, même évident, que la référence est au présent, au point qu'il n'est pas possible de ne pas remarquer qu'il donne pratiquement du pharisien a quiconque tente de maintenir l'enseignement traditionnel de l'Eglise (toute référence aux cinq cardinaux n'est pas une coïncidence), les accusant même de manque de charité.

Le cardinal secrétaire Baldisseri a de sa part affirmé que le Pape va ouvrir sur les familles, ajoutant: «non aux portes qui sont restées fermées jusqu'à aujourd'hui». Mais, surtout, il a ajouté: «Et puis, il y a aussi un développement théologique, tous les théologiens l'affirment. Tout n'est pas statique, nous marchons dans l'histoire, et la religion chrétienne est histoire, pas idéologie (...) si nous nions cela nous restons à il y a 2000 ans» (ndt: à ce sujet, on relira la téologie de Kasper expliquée par Roberto de Mattei).

Les propos de Baldisseri sont si hallucinants et contiennent une telle masse d'hérésies que (en dépit de notre vieille expérience d'ecclésiastiques disant de pareilles folies) on peine à croire qu'il ait pu vraiment dire cela: il me vient à penser que vraiment, il ne comprend pas ce qu'il dit.

En résumé, il a dit les hérésies suivantes et/ou foutaises suivantes:

1) tous les théologiens parlent de développement de la théologie: bien sûr, mais en parlent-ils dans le sens subversif et relativiste comme il l'entend lui-même, ou bien dans le sens de l'approfondissement continu des vérités immuables?
2) La religion chrétienne est histoire: notre homme a oublié de mettre «dans» l'histoire, aplatissant l'Eglise sur l'histoire (sorte de monisme [*] gnostique) et tombant ainsi dans l'historicisme et donc le relativisme;
3) il parle d'idéologie, comme si la doctrine du Magistère universel était une idéologie;
4) il a oublié que c'est justement lui et ses semblables qui se sont ouverts à l'idéologie de la modernité et donc au relativisme;
5) il n'a pas considéré qu'il est ainsi en train d'affirmer que tous les pontifes, pères et docteurs de l'Eglise de ces vingt siècles se sont trompés; qu'alors le Pape François peut lui-aussi se tromper et qu'en conséquence il devient légitime de désobéir;
6) mais, surtout, il ne comprend pas qu'il a dit que le premier qui s'est trompé est Jésus Christ, lequel évidemment s'adressait aux hommes de son temps, et pas aux hommes de toutes les générations des siècles futurs: conséquence logique de cette idiotie, Il fut un simple philosophe, pas très prévoyant en plus;
7) en outre, il n'a pas considéré que si le principe que le Christ parlait de façon relative passe, cela vaut pour tout autre enseignement de l'Evangile, à ce point totalement impliqué dans le «Panta Rei» (Τα Πάντα ῥεῖ, dans le sens de mouvement perpétuel) du devenir.

Il me semble que sans l'ombre d'un doute, on puisse définir cela comme l'idéologie du relativisme (ou dictature du relativisme, comme disait quelqu'un …qui à présent se tait).

Continuons. Parmi les choses que le Pape François a dites hier soir Place Saint Pierre (samedi, lors de la veillée), après avoir rappelé que l'Eglise doit suivre les sentiments, les douleurs et les joies des hommes d'aujourd'hui, nous lisons que le Synode «est une occasion providentielle pour renouveler l'Eglise et la société», une occasion pour ne pas se refermer face aux défis de «ce changement d'époque». Il parle ensuite de «froids clercs d'Etat», de «charité créative» et de «voies nouvelles et de possibilités insoupçonnées». Le cardinal Bagnasco (qui était l'organisateur de la veillée) a ajouté: «Nous ressentons que nous ne devons pas combattre une bataille d'arrière-garde» (des propos ambigus, à double résonance).

Tout cela rien que dans les derniers deux jours précédents le Synode (nos lecteurs savent que nous pourrions rappeler un tas de citations semblables depuis le printemps dernier. Cela résonne plus comme une déclaration de guerre à des ennemis internes que comme une prière inspirée par le Saint Esprit.

Il est évident qu'il ne s'agit pas d'un synode d'évêques comme les autres, mais qui sent de plus en plus le «Concile». Plus exactement peut-être l'Anté-Concile, la préparation d'un Concile. Ou bien, n'y aurait-il même plus besoin d'un Concile pour mettre en oeuvre la «charité créative», s'ouvrir aux «voies nouvelles et aux possibilités insoupçonnées», «pour renouveler l'Eglise et la société», «devenir histoire»? S'agit-il d'un nouveau raccourci afin de renverser l'enseignement de deux mille ans de l'Eglise, et en particulier des derniers pontifes de l'après-concile?

L'auteur de ces lignes a soutenu qu'en réalité ce synode ne changera pas grand chose, les «novateurs» savent qu'ils sont sous les feux des projecteurs, et que les bouleversements doctrinaux doivent se faire avec prudence et «en douce» (peut-être délègueront-ils les questions aux évêques, jouant de l'usuelle carte de la «pastoralité», obtenant ainsi concrètement ce qu'ils veulent tout en jouant le jeu des modérés).
Mais aujourd'hui, je commence à penser que nous pourrions voir de véritables surprises. Ma sensation est que les «novateurs» sont de plus en plus pressés, comme s'ils sentaient qu'il leur manquait le temps. Peut-être que dans quelques jours, nous saurons.

De toute façon, voici ce que je voulais dire: quoi que l'on pense au sujet de ce qui est en train de se passer, une chose est certaine.
S'il advient des changements directs et concrets au sujet de la doctrine traditionnelle en matière de la famille, ils se produiront par la pleine volonté du Pape François: inutile de se voiler la face et de jeter sa colère contre le cardinal Kasper, lequel n'est qu'un simple exécutant (comme tous les autres).
Si au contraire il y a une solution intermédiaire (pastorale, ou quelque autre bonne trouvaille, etc.), ce sera parce que les «novateurs» ont rencontré plus de résistance que prévu et ont dû céder sur leurs projets, renvoyant le tout aux mois futurs: cela se produirait de toute façon à l'encontre des desiderata du Pape François.
Au cas où, au contraire, tout se passerait selon les meilleurs voeux des fidèles de la Tradition et du Magistère de toujours, cela signifierait que ce synode a été un véritable concile, au sens que l'Esprit Saint est intervenu directement afin de freiner les plans de changement de l'actuel pontife et de ses hommes.

Voilà. Il me semble difficile de réfuter ce qui vient d'être dit, à moins de vouloir nier l'évidence. Après, encore une fois, chacun a sa propre idée là-dessus, mais les faits sont là.

Reste une dernière question: au cas où la première hypothèse (probable) se réaliserait, ou même la deuxième (possible), que feront-ils, comment vont-ils s'ajuster, quel escamotage vont-ils trouver afin de rester dans le plein accord doctrinal et spirituel avec l'actuel pontife, tous ces catholiques fidèles au Magistère Universel de l'Eglise, liés sentimentalement à Jean-Paul II et à Benoît XVI, qui pendant des années ont écrit, parlé, enseigné et témoigné, même avec grande charité et abnégation, justement tout ce les «novateurs» d'aujourd'hui veulent dissoudre dans le Panta Rei de l'histoire, d'une Eglise qui s'est faite histoire?

Evidemment, toute référence à des personnes réelles n'est pas du tout fortuite. Mais la mienne est une question rhétorique, nous en connaissons déjà la réponse. C'est la victoire du Panta Rei, pas pour des raisons idéologiques, cette fois-ci, mais beaucoup, beaucoup plus individualistes, et dans quelques cas mesquines.

Si ceux-là auront peu de difficultés à trahir toute une vie, eux-mêmes et leur foi, les mois prochains, les années peut-être, seront des temps difficiles pour tous ceux qui au contraire, de bonne foi, pâtissent et pâtiront des extrêmes conséquences de la crise de l'Eglise. Laquelle, comme tout mal, ne passe pas si on reste en silence ou faisant semblant de ne pas comprendre. Les jours des choix radicaux approchent et, par chance pour nous les laïcs, ce seront les ecclésiastiques qui devront les faire. Nous, nous les attendons au tournant, depuis des décennies. Et le tournant devient de jour en jour plus proche.

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[*] Le monisme, par opposition au dualisme, est une doctrine selon laquelle tout ce qui existe – l'univers, le cosmos, le monde – est essentiellement un tout unique, donc notamment constitué d'une seule substance.





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