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Irak: François rompt avec la tradition de l'Eglise

Antonio Socci avait exprimé avec vigueur sa désapprobation devant les "silences" du pape sur le massacre des chrétiens d'Irak par les islamises de l'ISIS. Les déclarations dans l'avion ne l'ont pas vraiment fait changer d'avis (20/8/2014)

     

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Dans les cas où il y a une agression injuste, je peux seulement dire qu'il est licite d'arrêter l'agresseur injuste.. Je souligne le mot: arrêter. Je ne dis pas bombarder ou faire la guerre. Je dis arrêter. Les moyens par lesquels on peut l'arrêter doivent être évalués. Arrêter l'agression injuste est licite. Mais nous devons avoir de la mémoire, aussi: combien de fois, sous cette excuse d'arrêter l'agresseur injuste, les puissances se sont-elles emparé de la population et ont fait une belle guerre de conquête? Une seule nation ne peut juger la façon dont on arrête cela, dont on arrête un agresseur injuste. Après la Seconde Guerre mondiale, on a créé les Nations Unies, c'est là qu'il faut décider: il y a un agresseur injuste, comment pouvons-nous nous l'arrêter? Seulement cela, et rien de plus.
Deuxièmement, les minorités. On parle des pauvres chrétiens qui souffrent; les martyrs, c'est vrai, il y a beaucoup de martyrs ... Mais ici, il y a des hommes et des femmes, des minorités religieuses, pas toutes chrétiennes et toutes sont égales devant Dieu. Arrêter l'agresseur injuste est un droit que l'humanité a. Mais c'est aussi un droit qu'a l'agresseur d'être arrêté, pour qu'il ne fasse pas de mal».

Pape François, 18/9/2014, w2.vatican.va

     

SUR L'IRAK ET LES CHRÉTIENS PERSÉCUTÉS AUSSI, BERGOGLIO ROMPT AVEC LA TRADITION
20 août 2014
www.antoniosocci.com
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(...)
A ceux qui continuent à dire ou penser que c'est de l'entêtement de ma part, presque le fruit d'un préjugé, je signale l'interview du philosophe Massimo Cacciari aujourd'hui dans la Repubblica.
Les gens qui réfléchissent saisissent la réalité.
Voici un passage de l'article de Cacciari:

«Il s'agit d'un tournant radical dans la théologie politique de l'Eglise ... François considère une intervention légitime dans la mesure où elle est décidée par l'ONU - nous sommes en présence d'une laïcisation de l'idée catholique de «guerre juste»... La position de François est très fragile. C'est une position que pourrait soutenir un Renzi ou Merkel. Si je puis me permettre, moi, du Pape, je m'attends à quelque chose de plus, à savoir qu'il me dise qu'il faut intervenir sur la base de valeurs considérées comme absolues».

* * *

«Hélas, en voilà assez, avec le silence! Criez en cent mille langues. Je vois qu'à cause du silence, le monde est corrompu, l'Epouse du Christ est blême». C'est avec ces mots que tonnait sainte Catherine de Sienne, écrivant à un haut prélat.
Le besoin se fait sentir encore aujourd'hui dans l'Eglise de femmes et d'hommes de foi ardente et de cœur libre qui - comme Catherine - s'adressent ainsi à un pape (Grégoire XI), rempli de craintes, qui ne faisait pas ce qu'il aurait dû: «Moi, si j'étais en vous, je craindrais que le jugement de Dieu vienne sur moi».
Mais notre époque est celle du cléricalisme, de la bigoterie et des adulateurs. Et de voix des grands saints (ou d'hommes libres), il n'y en a pas, ou on ne les entend pas.
Pourtant, il est difficile, et - pour un catholique - très douloureux de comprendre et d'accepter l'attitude du Vatican du pape Bergoglio face à la tragédie des chrétiens (et des autres minorités) en Irak, traqués et abattus par les islamistes sanguinaires du califat, en ces heures mêmes.

Tout d'abord, pendant des semaines, une réticence évidente, presque de la gêne, à en parler. Même l'initiative de prière de la CEI (évêques italiens), le 15 Août a été passé sous silence par le pape qui, manifestement, a de l'antipathie pour l'Eglise italienne.
Maintenant, enfin, après vingt jours de massacres d'hommes, de femmes et d'enfants, et après mille pressions (surtout de la part des évêques de ce pays et des diplomates du Vatican), le pape Bergoglio s'est décidé à prononcer les mots fatidiques, de façon plutôt feutrée: «Il est licite d'arrêter l'agresseur injuste».
Quel effort ... Il ne manquait plus qu'il dise qu'il était licite de laisser l'agresseur massacrer les personnes innocentes et sans défense, crucifier les «ennemis de l'Islam», enterrer les enfants vivants, violer les femmes et les vendre comme esclaves.

Avec une toute autre rapidité, une toute autre énergie, le Pape Jean-Paul II en 1993, avait tonné sur le devoir de défendre les innocents des massacres: «Si je vois mon voisin persécuté, je dois le défendre: c'est un acte de charité. Pour moi, c'est cela l'«ingérence humanitaire».
Mais Jean-Paul II n'est plus là, et malheureusement Benoît XVI non plus. Donc, après avoir dit, avec un retard incroyable, qu'«il est licite d'arrêter l'agresseur injuste», Bergoglio s'est empressé d'ajouter, toutefois que cela devrait être fait sans «bombarder», sans «faire la guerre».
Si bien qu'on en arrive à se demander avec amertume s'il veut sauver la face (la sienne) ou la vie de ces personnes innocentes. Quel est en effet le moyen d'«arrêter» une bande d'assassins cruels sans l'utilisation d'armes? Que propose le pape Bergoglio pour «arrêter» les bourreaux? Une partie de cartes? Un thé avec Mgr Galantino?
On dira que le pape ne peut pas exhorter à recourir à la force, même pour sauver des vies innocentes. C'est faux. Depuis des siècles, la doctrine catholique a consacré le droit à la légitime défense et le principe d'«usage de la force» en cas de légitime défense.
Ce sont justement les théologiens de l'école de Salamanque comme le dominicain Francisco de Vitoria, qui au XVIe siècle, fondèrent le droit international, sur la base de la loi naturelle
Benoît XVI l'avait rappelé aux Nations Unies, évoquant «le principe de la 'responsabilité de protéger' [qui] étaitconsidéré par l'antique ius gentium comme le fondement de toute action entreprise par les gouvernants envers les gouvernés».
Il avait ajouté que «le frère dominicain Francisco de Vitoria, considéré à juste titre comme un précurseur de l'idée des Nations Unies, avait décrit cette responsabilité comme un aspect de la raison naturelle partagée par toutes les nations, et comme le résultat d'un ordre international dont la tâche était de réglementer les relations entre les peuples» (1).

Dans ce cadre Jean-Paul II, dans Evangelium Vitae en 1995, déclarait: «la légitime défense peut être non seulement un droit mais un grave devoir pour celui qui est responsable de la vie d'autrui, du bien commun de la famille ou de la communauté civile. Malheureusement, il arrive que la nécessité de placer l'agresseur en position de ne plus nuire implique parfois son élimination. Dans ce cas, l'issue mortelle est attribuable à l'agresseur qui s'y est exposé par son action».
Mots significatifs, car Jean-Paul II s'est toujours caractérisé par la défense vigoureuse de la paix (par exemple en s'opposant à la guerre américaine en Irak), mais avec autant d'énergie, il a incité la communauté internationale à arrêter, même avec l'utilisation de la force, les bourreaux en action (et il convient de noter qu'à cette époque, la population menacée était musulmane).

Ce qu'éventuellement le pape François devrait demander - sur les traces de Jean-Paul II -, c'est que cette «utilisation de la force» par la communauté internationale soit proportionnée et ciblée pour désarmer les agresseurs et pour sauver la vie de ceux qui sont pourchassés.
Mais malheureusement, on n'a entendu aucune réflexion approfondie. On note seulement la préoccupation de François de ne pas sortir du stéréotype du pape «politiquement correct». En effet, il a ressenti le besoin de répéter que parmi les minorités menacées par l'ISIS, il y a aussi des non-chrétiens «et ils sont tous égaux devant Dieu». Une évidence qui ressemblait à une "excusatio non petita…” (excuse par anticipation).
Du reste, si nous lisons ensemble les diverses interventions du pape Bergoglio sur ce carnage, on ne trouvera jamais les mots 'islam', 'islamistes' ou 'musulmans'. Si quelqu'un ne disposait que les paroles du Pape, il ne comprendrait absolument pas à qui nous devons cette «tragédie humanitaire» et pour quel motif elle est perpétrée.
Une réticence grave, fille de l'idéologie 'cattoprogressista' (ndt: catho de gauche) qui interprète de façon erronée le dialogue avec les musulmans comme une reddition, même psychologique. Au point que certains commentateurs 'cattoprogressisti' en arrivent même à dire que les bourreaux du califat n'ont rien à voir avec l'islam.
Dommage que ces bourreaux imposent aux minorités conquises la conversion immédiate à l'islam comme alternative à la mort, comme cela s'est produit récemment à Kocho, un petit village du nord de l'Irak habité par des Yézidis, où les djihadistes ont tué quelque 80 hommes qui ont refusé de se convertir et enchaîné et déporté des centaines de femmes et d'enfants.
Naturellement, il est compréhensible que les autorités de l'Église ne cherchent pas la confrontation, la controverse ou le conflit religieux. C'est juste. Mais c'est aussi un devoir de dire la vérité et de donner aux fidèles un «jugement culturel» sérieux sur ce que le monde fait aux chrétiens aujourd'hui.
Surtout si l'on considére le caractère culturellement soumis de nombreux catholiques: il y en a même qui jugent honteux de parler de «chrétiens persécutés» (et pourtant ils sont le groupe le plus persécuté de personnes dans le plus grand nombre de pays).

Cela dit, je tiens à souligner que les déclarations du pape François avant-hier sont malgré tout un pas en avant, espérant - sans avoir à attendre trop longtemps, car la situation est dramatique - qu'arrivent au plus tôt des paroles claires et décisives.
C'est un pas en avant qui devrait éclaircir les idées à tous ceux qui, ces derniers jours rétorquaient avec colère aux gens qui réclamaient une parole claire, que demander d'arrêter les assassins signifiait vouloir la guerre et les croisades.
L'intervention du Pape clarifie aussi les idées à ceux qui affirmaient: «Si le pape se tait, c'est qu'il veut éviter les représailles plus graves» ou encore «s'il ne dit rien, cela signifie qu'il agit en secret»
C'étaient des bobards. En réalité, au Vatican, ils se sont illusionnés pendant des semaines sur la possibilité d'une voie diplomatique, alors que les bourreaux du califat - comme l'ont dénoncé les évêques du lieu - voulaient juste conquérir, convertir par la force et massacrer. Ils ne savent même pas ce que «dialogue» ou «diplomatie» veulent dire.

Une dernière remarque. Dans les discours prononcés lors du voyage en Corée, le pape Bergoglio a également invité à juste titre toute l'Eglise à réfléchir sur les martyrs d'hier et d'aujourd'hui, et à la prière. Devoir sacro-saint. Mais c'est une invitation très émoussée, sans la mobilisation de toute l'Eglise pour aider ces victimes, et sans cette conscience culturelle profonde qui savait nous donner Benoît XVI. Aujourd'hui, c'est le désarroi qui domine.

Note

(1) Benoît XVI, Discours à l'ONU, 18 avril 2008
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La reconnaissance de l’unité de la famille humaine et l’attention portée à la dignité innée de toute femme et de tout homme reçoivent aujourd’hui un nouvel élan dans le principe de la responsabilité de protéger. Il n’a été défini que récemment, mais il était déjà implicitement présent dès les origines des Nations unies et, actuellement, il caractérise toujours davantage son activité.
Tout État a le devoir primordial de protéger sa population contre les violations graves et répétées des droits de l’homme, de même que des conséquences de crises humanitaires liées à des causes naturelles ou provoquées par l’action de l’homme.
S’il arrive que les États ne soient pas en mesure d’assurer une telle protection, il revient à la communauté internationale d’intervenir avec les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations unies et par d’autres instruments internationaux. L’action de la communauté internationale et de ses institutions, dans la mesure où elle est respectueuse des principes qui fondent l’ordre international, ne devrait jamais être interprétée comme une coercition injustifiée ou comme une limitation de la souveraineté. À l’inverse, c’est l’indifférence ou la non-intervention qui causent de réels dommages. Il faut réaliser une étude approfondie des modalités pour prévenir et gérer les conflits, en utilisant tous les moyens dont dispose l’action diplomatique et en accordant attention et soutien même au plus léger signe de dialogue et de volonté de réconciliation.

Le principe de la « responsabilité de protéger » était considéré par l’antique ius gentium comme le fondement de toute action entreprise par l’autorité envers ceux qui sont gouvernés par elle : à l’époque où le concept d’État national souverain commençait à se développer, le religieux dominicain Francisco De Vitoria, considéré à juste titre comme un précurseur de l’idée des Nations unies, décrivait cette responsabilité comme un aspect de la raison naturelle partagé par toutes les nations, et le fruit d’un droit international dont la tâche était de réguler les relations entre les peuples.

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