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Une interviewe du cardinal Erdö

Le rapporteur général du Synode répond aux questions de Giuseppe Rusconi, du site Rosso Porpora. Traduction d’Anna (3/10/2014)
>>> Ci-contre Peter Erdö avec Benoît XVI en juin 2006
>>> Notice wikipedia du cardinal.

     

SYNODE/ INTERVIEW AVEC LE RAPPORTEUR GENERAL, LE CARD. PETER ERDOE
Giuseppe Rusconi,
www.rossoporpora.org,
2 octobre 2014
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Résumé par l’auteur :
Le rapporteur général du Synode met en évidence que le grand défi est de rendre attrayantes à l'humanité d'aujourd'hui les valeurs de la famille. L'indissolubilité du mariage catholique n'est pas en discussion. Les familles représentent un important facteur d'évangélisation. Pourquoi se marie-t-on ou pas? Lassitude vers les formes traditionnelles, et donc privatisation du mariage et des funérailles aussi, en plus des raisons économiques.

L'Eglise a confié à Peter Erdö, hongrois de 62 ans, des tâches importantes: archevêque de Esztergom-Budapest et primat de Hongrie depuis décembre 2002, cardinal depuis 2003; président des conférences épiscopales européennes depuis 2006, rapporteur général du Synode pour la Famille qui s'ouvre le 5 octobre. C'est dans ce dernier rôle très délicat que nous l'avons rencontré au siège de l'Institut ecclésiastique pontifical hongrois, sis dans la via Giulia, au deuxième étage du Palais Falconieri, joyau baroque œuvre en partie du Borromini.
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Eminence, vous avez été nommé rapporteur général du Synode du 5-18 octobre (nous rappelons que dans un an un autre Synode suivra, avec des résultats concrets) et vous aurez donc un rôle de modérateur et de collecteur des instances émergeant du débat. Votre tâche ne sera certes pas facile, car en lisant ce qui apparaît dans les media (qui porte souvent la signature de cardinaux) la discussion promet d'être houleuse. D'après ce qu'on a pu comprendre - pardonnez-nous la métaphore du football - on va assister à une sorte de match très dur entre un front dit conservateur (avec beaucoup de pourpres déployés en style "catenaccio" (verrou), en défense de la porte de la Doctrine) et un front dit progressiste, animé par un fantaisiste tel que le cardinal allemand Kasper et inspiré - comme le suspectent les conservateurs - par un souffleur (suggeritore) argentin de poids. Ce sera vraiment comme ça?

En réalité je ne crois pas qu'un affrontement s'annonce entre une doctrine plutôt abstraite et une pratique détachée de la foi, mais qu'il s'agira plutôt d'un débat bien plus réaliste autour des valeurs, les valeurs propres à la vie et sur la vie. Comme l'écrivit Paul VI dans sa grande exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, il faut œuvrer afin que l'Evangile entre dans notre propre vie, en faisant toutefois trésor de la tradition et de la foi de l'Eglise. Il faut donc dialoguer avec les hommes et les femmes d'aujourd'hui afin que les valeurs évangéliques soient non seulement acceptées, mais paraissent attrayantes, capables de rendre notre vie heureuse. Voilà le grand défi.
Tel est l'argument central du Synode, et ce n'est pas par hasard que déjà dans le titre il est appelé á discuter des « défis pastoraux sur la famille dans le contexte de la nouvelle évangélisation ». Ce « contexte de la nouvelle évangélisation » est toutefois souvent oublié dans la présentation des media.

Dans le front dit conservateur plane la crainte qu'en changeant la pratique, l'approche concrète quotidienne en matière de famille et du sens de la miséricorde, on ne finisse par affaiblir la perception de la doctrine de l'indissolubilité du mariage dans le monde catholique, sans formellement la toucher.

Dans ce contexte, connaissant les expériences des sociétés dans différentes parties du monde, il est possible qu'il y ait une différence d'accents selon le lieu du monde où l'on vit. Mon expérience me dit que l'inquiétude au sujet de la résistance de la famille est très répandue. Nombreux attendent un mot concret, qui puisse être mis en pratique dans la vie quotidienne. Il ne s'agit pas de faire de grands discours théologiques ou pastoraux, mais de parvenir à influencer positivement la vie de nomnbreuses familles. Nous devons rester fidèles à la méthode utilisée pendant le Concile œcuménique Vatican II avec ses grandes et profondes argumentations théologiques et ses résultats offerts à la vie de l'Eglise.

Vous ne craignez donc pas qu'à cause des décisions synodales, ne se réduise chez le peuple chrétien la perception de l'indissolubilité du mariage.

Sur la base des contenus de l'Instrumentum laboris, fruit des réponses au Questionnaire élaboré par la Secrétairerie du Synode (qui est notre document-base pour l'assemblée), nous pouvons déjà penser que la majorité des catholiques du monde sait que le mariage sacramentel ne peut pas être dissous par les parties contractantes. Il ne s'agit pas d'un rapport à durée limitée, il n'est pas soluble. Ce point est largement partagé, peut-être pas seulement  pour des raisons théologiques abstraites, mais aussi bien bibliques et de Catéchisme de l'Eglise.

Toutefois, partage ne signifie pas automatiquement concrétisation dans la vie de tous les jours…

Oui, je ferais une distinction entre conscience et acceptation de la valeur du mariage [d’une part], et comportement pratique [de l'autre]. La sociologie connaît bien la différence qu'il peut y avoir entre le partage d'une valeur et son application dans le quotidien. C'est le cas du mariage chrétien. Considérant le nombre des divorces, au moins en Europe, nous voyons qu'il est très haut. En Hongrie par exemple plus de la moitié des mariages se termine ainsi. Ceux qui se marient à l'Eglise s'engagent d'ailleurs pleinement et publiquement au maintien du lien, à prendre soin du conjoint en toute circonstance, heureuse ou triste. Dans notre liturgie hongroise il y a une formule d'origine médiévale très belle, utilisée aussi par les protestants, qui est un serment solennel engageant jusqu'à la mort.

On a parlé et on continue de parler de la proposition - qui a grandi dans le cadre du renforcement d'une attitude de miséricorde dans les relations entre Eglise et famille - de réadmettre à la communion les divorcés remariés civilement…

Le fait fondamental est que, examinant les réponses parvenues au travers du Questionnaire, à la question sur ce que les divorcés remariés demandent à l'Eglise, on constate que dans la majorité des Pays ces divorcés ne demandent rien. Dans nombre de Pays il est rarissime que les divorcés remariés veuillent revenir à la communion. Beaucoup de divorcés ont bien célébré leur mariage à l'église, mais ensuite ne se sont jamais préoccupés de la fréquenter. Pour eux, donc, la question de la réadmission aux sacrements n'est pas importante, ne représente pas un problème. Dans quelques régions les divorcés remariés ne savent même pas qu'ils ne peuvent pas se rapprocher de certains sacrements.

Oui, mais alors pourquoi parle-t-on tant de ce sujet? 

Parce que dans certains Pays la question est particulièrement sensible. Le thème apparaît ailleurs plutôt en des situations différentes. Je m'explique. A la quarantaine, des personnes commencent, peut-être par le biais d'amis, à connaître vraiment la foi. Ce sont des baptisés, qui ont célébré leur mariage à l'église et se sont arrêtés là dans leur vie du point de vue catholique. Elles n'ont jamais été vraiment pratiquantes. Divorcés et remariés, après un parcours de rapprochement à la foi, elles commencent à comprendre que leur situation matrimoniale n'est pas compatible avec la redécouverte de cette même foi.

D'après ce qu'on vient de dire, on peut déduire que la réadmission à la communion des divorcés remariés ne sera pas  au centre de l'attention du Synode…

Je ne sais pas, je ne peux pas prévoir quel sera le sujet au centre du débat synodal. Certes, du point de vue thématique il ne doit pas être le thème central. Nous allons parler du mariage dans le contexte de l'évangélisation, un sujet très important, attesté par la réalité des faits. En différents continents les familles deviennent le noyau actif des paroisses, font le travail caritatif et l'annonce parmi les non croyants.

Même en en Europe centrale et orientale, souvent psychologiquement affectée par les dégâts du communisme qui considérait avec suspicion tout rassemblement non autorisé par le parti?   

En Hongrie et dans les pays communistes en général, le fait de se regrouper régulièrement provoquait la méfiance des autorités de police et était vu négativement. Celui qui le faisait était de facto considéré un ennemi du régime et surveillé, parfois même persécuté. Dans les paroisses il n'y avait pas à cette époque des communautés de familles lisant la Bible, priant ensemble, s'occupant du catéchisme, s'entre-aidant.  Mon expérience actuelle montre au contraire que plus que 70 pour cent des paroisses du diocèse de Esztergom-Budapest voit aujourd'hui des familles pratiquantes en pleine activité, surtout jeunes. Ces communautés invitent des amis, d'autres non croyants, leur offrant la possibilité de s'approcher de la foi; j'ai pu constater que cela arrive avec de nombreuses mères jeunes. Ensuite, les communautés de familles non seulement participent à la préparation au mariage, mais accompagnent aussi les époux dans leur chemin, en les soutenant dans les moments de difficulté. Voici la réalité des familles qui évangélisent.

Dans la réalité du monde occidental les cohabitations sont en constante et forte augmentation…

Je suis persuadé que nous devons nous occuper de ce problème, qui est global et même statistiquement plus important que toute autre question. Les gens ne se marient plus. En Hongrie plus de 50 pour cent des couples, de tous les âges, cohabitent plus ou moins durablement, sans aucune forme institutionnelle, ni religieuse ni civile.

Il n'y a donc pas une grande différence  entre la Hongrie et tant de Pays de l'Europe occidentale…

On doit dire qu'à l'intérieur de l'aire de l'Europe centrale et orientale nous sommes confrontés à une mentalité sociale que j'appellerais post-soviétique. La Hongrie est proche de ce modèle. Dans ces Pays une profonde indifférence domine et le mariage lui aussi, en tant que forme institutionnelle de la cohabitation, perd beaucoup de sa valeur. En d'autres Pays de l'Europe centrale et orientale, comme la Pologne, la Slovaquie et la Croatie, une tradition chrétienne vivace persiste: les mariages religieux y sont encore numériquement la majorité et néanmoins la tendance est à la baisse.

Eminence, pourquoi se marie-t-on de moins en moins?

On fuit de plus en plus les institutions. Nous avons trouvé par exemple un lien entre le pourcentage de ceux qui cohabitent sans aucun mariage et le pourcentage de ceux qui ne demandent plus d’obsèques pour leurs parents…  ils ramènent les cendres à la maison dans un sachet en plastique, le gardent dans l'armoire, ou bien dispersent les cendres au vent…

Une véritable privatisation du mariage et des obsèques…

Oui, il s'agit d'une privatisation qui n'est pas en phase avec ce que par exemple est le mariage, la famille. Mariage et famille ne sont pas que des réalités spirituelles, mais ont un impact dans la société. Ils ont donc, qu'on le veuille ou non, un important rôle institutionnel. Ainsi en est-il pour la mort: notre corps a aussi une fonction fondamentale de communication entre nous et Dieu.  Même après la mort.  Il est important que dans la société les morts soient honorés dans les cimetières, que leur mémoire soit cultivée. Si au contraire les cendres sont dispersées, on pourrait en tirer l'impression que la vie de l'individu n'a au fond aucune valeur pour la communauté et son futur.

Il y a aussi des volets économiques qui contribuent à la diminution des mariages…

A tout ce qu'on a dit il faut ajouter aussi l'aspect économique: les mariages coûtent, les funérailles aussi, et les gens n'ont pas beaucoup d'argent. Et aussi: dans notre société les gens se sentent opprimés, suffoqués par la bureaucratie, par les institutions. Là où il y a donc la possibilité de s'évader de la stricte obligation d'un comportement, on recourt à cette possibilité. Comme vous voyez, le Synode devra approfondir tant d'aspects importants de la vie familiale d'aujourd'hui dans les diverses parties du monde: des aspects souvent très complexes et qui vont bien au-delà des problèmes particuliers. 

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