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"Une papauté romancée"

Les attentes sont énormes, dit Andrea Gagliarducci, parce que le Pontificat que les médias nous présentent est une fiction (4/11/2014)

François = Obama?

Andrea Gagliarducci commence son article par une référence à la tribune de Scalfari dans la Repubblica du 28 octobre que, par une coïncidence, j'avais publié le matin même (Conversations avec Scalfari).
Le titre "accroche" bien, et l’auteur se pose de vraies bonnes questions, auxquelles il cherche à apporter des réponses, tout en avouant sa perplexité. La deuxième partie est à cet égard la meilleure.

Mais je ne partage pas vraiment son analyse.
D'abord , au sujet de Scalfari, Andrea Gagliarducci néglige un fait très significatif: la parution récente aux éditions vaticanes de ses conversations avec le Pape, sous la double signature François/Bergoglio (cf. Les interviews du Pape à Scalfari): un fait qui réduit à néant le soupçon de manipulations du journaliste, plus ou moins à l'insu du Pape.

Ensuite, concernant le déroulement du récent synode, il y aurait certainement d’autres choses à dire sur le rôle de François, tenant compte par exemple, des observations de Marco Tosatti, notamment les dernières en date (cf. Un synode franc, libre et transparent, vraiment?).

Enfin et surtout, parce l'hypothèse que toute la "faute" d'une soi-disant perception "erronée" du Pontificat reviendrait aux médias, ne résiste décidément plus à l'analyse, surtout à celle d'un observateur aussi méticuleux qu'Andrea Gagliarducci.

En réalité, avec François, on est dans une situation très comparable à celle d'Obama il y a six ans. Un matraquage médiatique planétaire insensé, créant une "présidence romancée" (il vaudrait mieux dire "scénarisée"), et au bout du compte, on crie à la déception, car là aussi, les attentes étaient énormes (et surtout totalement irréalistes, ce que ceux qui les avaient suscitées ne pouvaient ignorer à l'époque!), mais malgré tout, les médias grand public persistent à en faire leur héros, car il a été le supplétif idéal du "nouvel ordre mondial".
Le but était de créer une icône planétaire. Mission accomplie, si l'on en juge par la grotesque "obamania", pilotée par les médias, qui s'était emparée des français (85% d'opinions favorables!!), qui ne connaissaient RIEN de lui, ni de sa personne, ni de son background, ni de son programme.
La même chose, donc, s'est répétée l'année dernière avec François, que PERSONNE ne connaissait hors d'un très petit cercle d'initiés, et qui a été l'objet d'un engouement massif et immédiat.
Le premier Pape venant du "Sud", après le premier président "noir". Deux mots-clés du politiquement correct.
Loin de lui faire subir la pression d'attentes disproportionnées, les médias l'ont secondé (et le secondent encore) bien plus qu'ils ne l'ont desservi: ils ne lui ont fait jusqu'à présent aucun tort, au contraire, et de son côté il a su les utiliser habilement, sans se compromettre.
Cela va-t-il durer, et surtout, comment l'Eglise va-t-elle en sortir, au moins sur le court terme: c'est ce qui reste à vérifier.

     

FRANÇOIS, UNE PAPAUTÉ "ROMANCÉE"?
Andrea Gagliarducci
3 novembre 2014
www.mondayvatican.com
(ma traduction)
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De nouvelles déclarations présumées de François au journaliste italien Eugenio Scalfari (qui ne les avaient pas présentées comme une interview) et l'interprétation des paroles du Pape sur l'évolution ont une fois de plus tiré la sonnette d'alarme sur l'idéalisation du pontificat de François. Comme si, à travers les mots de François, les médias laïcs essayaient d'adapter l'Eglise au monde.

En réalité, François est très orthodoxe. On ne peut pas comprendre son pontificat si on ne comprend pas qu'il est profondément jésuite. Et être un jésuite implique un côté mystique, presque sévère (ndt: mais justement, dans l'entretien cité, Scalfari prête au Pape l'aveu qu'il n'est pas mystique). François a parlé à plusieurs reprises de l'existence du diable, il a mis en garde contre les dangers d'une confession "do-it-yourself", et il a souligné que l'Eglise est une hiérarchie.

Comment tout cela correspond à certaines des décisions caractérisant son pontificat, cela reste à comprendre. Une explication possible est que le Pape sépare strictement la doctrine du gouvernement, ne les considérant pas comme une seule et même chose. Il semble que sa vision est que le gouvernement doit être réformé, et peut-être démantelé, pour être remplacé par une approche plus véritablement pastorale. Et cela ne peut être réalisé que par une discussion ouverte, plus riche en questions qu'en réponses.

Cette approche a été perceptible au cours du récent synode des évêques. François a mis de côté le débat entre une minorité d'évêques qui se focalisaient sur la casuistique du cas très particuliers des homosexuels et des divorcés remariés, et la grande majorité des évêques qui considéraient la pastorale sous la lumière de la doctrine. Le pape n'a pas pris position, il n'a pas non plus fait son possible pour que le synode arrive à un consensus. Il a tout simplement décidé de publier l'ensemble du rapport final du Synode, et de rendre publics les votes que chaque paragraphe avait attirés, donnant ainsi l'impression d'une discussion ouverte, presque parlementaire, avec une majorité et une opposition. Peu importe que la majorité soit atteinte, aussi parce qu'il y a des membres qui votent «oui» dans le seul but d'éviter de nouvelles discussions.

Ce style informel de gouvernement se reflète dans les activités quotidiennes du pape, dans les rencontres non planifiées à la Domus Sanctae Marthæ, dans la collecte quotidienne d'avis de ses conseillers de confiance et d'autres, qu'il tient en haute estime. Parmi ces derniers, le journaliste italien Eugenio Scalfari.

Se proclamant lui-même athée, Scalfari a fondé le journal de gauche "La Repubblica", qui n'a jamais manqué une occasion de pointer un doigt contre l'Eglise, la décrivant comme dépassée et détachée des besoins du monde. François et Scalfari se rencontrent souvent. En deux occasions, Scalfari a publié les paroles du Pape, [les présentant] comme une conversation. Scalfari lui-même a admis que les conversations n'ont pas été enregistrées , et qu'il avait attribué au Pape des mots qu'il n'avait pas réellement dits. Les déclarations du Bureau de Presse du Saint pour mettre les pendules à l'heure ont été inutiles: tout le monde pense que François a vraiment parlé de la façon décrite par Scalfari .

La semaine dernière, Scalfari a publié des extraits d'une de ses conversations avec le Pape sur le caractère missionaire de l'Église, la vérité, et les identités jésuites et franciscaines. Les extraits faisaient partie d'une tribune dans la page "opinions", donc n'ont pas beaucoup retenu l'attention des médias. C'était pourtant une opération rusée (ndt: de la part de qui?): à partir des mots que François lui aurait dits, Scalfari arrange - comme le père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, l'a souligné - son «récit personnel», au point d'affirmer que le pape soutient implicitement l'idée que la vérité est relative, et qu'à la fin, même les Evangiles sont une belle invention pour répondre au besoin qu'a l'homme de se dire sa propre vérité.

Il ne fait aucun doute (?) que François n'a pas exprimé son point de vue de cette façon, mais le fait que ses mots, sa façon d'engager le dialogue, soient interprétés comme s'il l'avait fait, explique pourquoi il y a tant d'attentes sur son pontificat. Un pontificat que tout le monde semble prêt à interpréter comme une rupture, un changement de rythme dans la doctrine de l'Eglise catholique.

La preuve flagrante en est venue la semaine dernière, après les remarques du pape, lors de la session plénière de l'Académie pontificale des sciences. Le thème de la plénière était la loi naturelle. Le Pape était présent pour inaugurer un buste en bronze de Benoît XVI, exposé à l'entrée de la Casina Pio IV, le siège de l'Académie pontificale au cœur du Vatican.

Le discours de François était divisé en deux parties: la première faisait l'éloge de son prédécesseur, la seconde présentait les thèmes de la séance plénière, y compris le sujet de l'évolution. François dit que «Dieu n'est pas un magicien, mais créateur qui a amené chaque chose à la vie» et que «la notion d'évolution n'est pas incompatible avec la notion de Dieu.»

Beaucoup ont souligné que l'Eglise catholique, et les papes, avaient fait valoir cela depuis des années. En fait, pour leur rendre justice et reconnaître leurs contributions, il faudrait citer les noms de grands savants catholiques, illustrant des exemples tels que celui de Gregor Mendel, le moine augustin, pionnier de l'étude de la génétique. Mais les médias laïcs ont salué les paroles de François comme si elles signalaient l'avènement d'une nouvelle ère et que le pape inaugurait une ouverture à la science après des années d'obscurantisme.

Bien sûr, cela n'a aucun sens. Mais cette frénésie médiatique prouve les attentes extraordinaires autour du pontificat de François (ndt: de la part des médias, il ne s'agit pas d'attentes, mais d'une stratégie calculée... avec l'assentiment évident du Pape). Il avait conquis tout le monde avec sa manière informelle d'agir, et apporté ce style particulier au pontificat. Il a sa propre vision - pas un programme, il a souligné qu'il n'en a pas (dans l'interview au Corriere de juillet dernier) - qui semble être de ramener la pastorale au centre de la vie de l'Église, même au détriment de la notion de vérité. Cette vision peut être résumée par l'image de la maison éclairée et de la torche, présentée au synode des évêques par le jésuite Antonio Spadaro (cf. www.cyberteologia.it/2014/10/famiglia/), rédacteur en chef du magazine jésuite italien "La Civiltà Cattolica", et inséré dans tous les documents synodaux.

Le Père Spadaro lui-même a publié sur La Civiltà Cattolica un journal du synode, laissant entendre que les tensions sur les points cruciaux actuels incluaient l'appel pour une ouverture encore plus pastorale aux divorcé remarié et aux homosexuels. C'est vrai, mais les évêques qui ont lancé cet appel constituent une minorité. Très probablement, la plupart des évêques qui ont reconnu avoir reçu «avec consternation» le rapport à mi-parcours de synode ne s'identifient pas avec ceux qui appellent à de tels changements.

Même ce synode des évêques a été soumis à la pression de la nécessité perçue de raconter l'histoire d'une Eglise débarrassée de ses freins historiques et qui va de l'avant vers le progrès. Mais ce «progrès», en fin de compte, ressemble à une capitulation devant l'esprit du monde. Au nom du progrès, l'Église doit se laisser dicter ce qu'elle doit faire et ce qu'elle doit s'abstenir de faire. Et, au nom du progrès, le discours interne lui-même de l'Eglise est complètement "romancé".

Pour présenter ce qui est vraiment le centre du discours de l'Eglise, les médias devraient écrire - et les pères synodaux, ainsi que tout prêtre, devraient discuter - sur la Vérité, la formation des prêtres, et même de la confession. Ils devraient couvrir la manière dont l'Église entend façonner le monde et l'orienter vers le bien commun. Ils devraient comprendre que l'Eglise n'est pas seulement sur le point de mettre en place des hôpitaux de campagne, parce qu'elle travaille aussi en premier lieu pour traiter les circonstances qui font que les gens ont besoin de ces hôpitaux.

Ce sont les défis de la vocation et de la mission de la famille, qui seront discutés lors du prochain synode des évêques. L'idée que nous assistons à la deuxième phase du pontificat de François a été largement mentionnée, soulignant que la lune de miel François avec l'opinion publique a pris fin (cf. John Allen: La phase 2 du Pontificat de François). Mais cette notion - si toutefois, il était clair qu'elle concernait le monde occidental - se concentre sur les solutions possibles à des controverses présumées du synode, laissant de côté les défis les plus importants, qui en fait ne présentent pas d'intérêt pour les médias.

Et c'est ainsi que le pontificat de François risque finalement d'être totalement romancé et mal interprété, et utilisé comme un cheval de Troie pour rendre l'Eglise plus mondaine, plus proche de la mentalité laïque.

Les critiques qualifient souvent de "peur de la nouveauté" cette ligne de raisonnement, en tirant parti, comme contre-argument, de l'homélie de François prononcée le 19 octobre, lors de la messe de béatification de Paul VI (et messe de conclusion du synode). A cette occasion, François a déclaré que «Dieu n'a pas peur de la nouveauté.»

Le Pape Paul VI n'a pas non plus craint la nouveauté. Il a ouvert l'Eglise au monde moderne. Mais il l'a toujours fait dans le but d'évangéliser le monde - deux des collaborateurs de Paul VI, les cardinaux Etchegaray et Poupard l'ont récemment souligné. Et il a eu aussi le courage d'écrire Humanae Vitae , l'encyclique la plus culturellement à contre-courant jamais enregistrée dans l'histoire.

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