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Bonaventure et l'histoire du salut

Préface de Benoît XVI au second tome de ses oeuvres complètes en langue allemande, consacré à sa thèse sur Saint Bonaventure. Reprise (27/8/2014)

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Article relié: A propos de Bonaventure, le discours prononcé par le Pape à Bagnoregio le 11/9/2009: Espérer, c'est voler

     

Le dimanche 13 septembre 2009, à Castelgandolfo, l'éditeur Herder, et Mgr Gherard Müller, curateur de la publication, qui était alors encore évêque de Ratisbonne étaient venus présenter le volume à Benoît XVOI.
L'Osservatore Romano du 16 septembre reproduisait l'introduction, rédigée par le Saint-Père lui-même, et je l'avais traduite le jour même (*).

A côté de passages "techniques" proprement théologiques et difficiles d'accès, Benoît XVI nous raconte la genèse du projet de réédition, le cheminement de sa pensée et les difficultés de son travail à l'époque, compte tenu des moyens de l'édition et de la recherche, qui étaient très éloignés de ceux que nous connaissons actuellement, le travail de "correction" effectué par une équipe de spécialistes dirigée par un chercheur autrichien, Mme Marianne Schlosser. Et aussi son émotion - et sa satisfaction - de retouver un texte auquel il n'avait pas touché depuis un demi-siècle, et dont il convient avec sa modestie habituelle qu'il "date" sans doute, mais qu'il a encore des réponses à nous apporter aujourd'hui.

     

Bonaventure et l'histoire du salut

Texte (et images) dans l'OR du 16 septembre, reproduit sur le blog de Raffaella.
Ma traduction, d'après la traduction en italien du texte original en allemand par les soins de l'OR.

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Présentation du deuxième volume de l'Oeuvre complète ("Gesammelte Schriften") de Joseph Ratzinger, en édition allemande
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Il s'agit d'une véritable editio princeps - c'est-à-dire d'une édition originale - que ce deuxième volume des Oeuvres Complètes de Joseph Ratzinger, édité sous la direction de Gerhard Ludwig Müller, Evêque de Ratisbonne, et magnifiquement réalisé par Herder.
Après Theologie der Liturgie. Die sakramentale Begründung christlicher Existenz publié en 2008, le texte complet de la grande thèse d'habilitation à l'enseignement que le jeune Ratzinger consacra à la compréhension de la Révélation et à la théologie de l'histoire de Saint Bonaventure (Offenbarungsverständnis und Geschichtstheologie Bonaventuras) vient tout juste d'être publié pour la première fois.
Dédié avec "gratitude" à son frère, Mgr Georg Ratzinger, pour son 85ème anniversaire, le livre a été présenté le dimanche 13 septembre à Castel Gandolfo par Mgr Müller, la "curatrice" Marianne Schlosser et par les autres membres du Papst Benedikt XVI Institut, et lundi 14, à Regensburg, à Mgr Ratzinger.

Après la publication de mes écrits sur la liturgie, voici maintenant dans l'édition générale de mes oeuvres un livre étudiant la théologie du grand Franciscain et Docteur de l'Eglise Bonaventure Fidanza.
Dès le départ, il était évident que ce travail devrait contenir également mes études sur le concept de révélation chez le saint, menées parallèlement à l'interprétation de sa théologie de l'histoire, dans les années 1953-1955, mais jusqu'à présent inédites.
Pour compléter tout ce travail, le manuscrit devrait être revu et corrigé selon les techniques modernes de l'édition, ce que je ne me sentais pas en mesure de faire. Le Professeur Marianne Schlosser de Vienne, avec une connaissance approfondie de la théologie médiévale et en particulier des œuvres de saint Bonaventure, s'est offerte pour mener à bien ce travail nécessaire, et certainement pas facile.
De cela, je ne peux que la remercier de tout cœur.
Discutant du projet, nous avons immédiatement décidé de ne pas essayer de réviser le livre en termes de contenu ni de placer la recherche à l'état actuel (di portare la ricerca allo stato attuale). Plus d'un demi-siècle après la rédaction du texte, cela aurait signifié dans la pratique, la rédaction d'un nouveau livre. Je voulais aussi une édition qui soit «historique», qui offre tel quel un texte conçu dans un passé lointain, laissant à la recherche la possibilité d'en tirer profit, aujourd'hui encore.
C'est de ce choix éditorial que traite l'introduction du professeur Schlosser, qui avec son personnel, a investi beaucoup de temps et d'efforts consacrés à la mise en valeur (allestimento) d'un texte historique, espérant que théologiquement et historiquement, cela valait la peine de le rendre accessible à tous dans son intégralité.
Dans la seconde partie du livre, est à nouveau présentée La Théologie de l'histoire de Saint Bonaventure comme elle fut publiée en 1959.
Les essais qui suivent sont tirés, à quelques exceptions près, de l'étude sur l'interprétation de la Révélation et de la théologie de l'histoire.
Dans certains cas, ils ont été adaptés afin de constituer un texte complet en lui-même, les modifiant légèrement selon le contexte.

L'idée de mettre à jour le manuscrit et de le présenter comme livre au public, je dus l'abandonner temporairement en même temps que le projet d'une étude commenté de l'Hexaëmeron, parce que l'activité d'expert du Concile et les exigences de mon enseignement universitaire étaient si absorbantes qu'elles rendaient impensable la recherche médiéviste. Dans la période post-conciliaire, la situation théologique changée et la nouvelle situation de l'université allemande m'ont tellement absorbé que j'ai remis les travaux sur Bonaventure à la période après ma retraite.
Pendant ce temps, le Seigneur m'a conduit sur d'autres routes et le livre est publié aujourd'hui sous sa forme actuelle.
J'espère que d'autres pourront exécuter la tâche de commenter l'Hexaemeron.

Dans un premier temps, l'exposition du thème de l'œuvre pourrait paraître surprenante et de fait elle l'est.
Après ma thèse sur le concept d'Eglise de saint Augustin, mon professeur Gottlieb Söhngen m'a demandé de me consacrer au Moyen-Âge et surtout à la figure de saint Bonaventure, qui fut le représentant le plus significatif du mouvement augustinien dans la théologie médiévale.
En ce qui concerne le contenu, j'ai dû faire face à la seconde question majeure dont traite la théologie fondamentale, qui est le thème de la Révélation.

A cette époque, en raison notamment du fameux ouvrage d'Oscar Cullmann "Christus und die Zeit" (Zürich, 1946), le thème de l'histoire du salut, et notamment sa relation à la métaphysique, était devenu le point crucial de l'intérêt théologique. Si la Révélation, dans la théologie néo-scholastique, était conçue avant tout comme une transmission divine de mystères qui restent inaccessibles à l'intelligence humaine, aujourd'hui, la révélation est considérée comme une manifestation de lui, de la part de Dieu, par une action historique, et l'histoire du salut est perçue comme élément central de la Révélation. Ma tâche consistait à essayer de savoir comment Bonaventure avait entendu la révélation, et si pour lui il existait quelque chose comme une idée d' "l'histoire du salut".
C'était une tâche difficile. La théologie médiévale ne contient aucun traité de Révélation ( "sur la Révélation") comme c'est le cas dans la théologie moderne. En outre j'ai démontré tout de suite que la théologie médiévale ne connaît même pas de mot pour exprimer du point de vue du contenu notre concept moderne de Révélation.
Le mot revelatio, qui est commun à la néo-scholastique et à la théologie médiévale, ne signifie pas, comme cela a été démontré, la même chose dans la théologie médiévale et la théologie moderne. C'est pourquoi, dans ma façon d'aborder le problème, j'ai dû chercher les réponses dans d'autres formes de langage et de pensée, et même la modifier à partir de mon approche de l'œuvre de Bonaventure.
Avant tout, il fallait effectuer des recherches difficiles sur sa langue. J'ai dû mettre nos concepts de côté pour comprendre ce que Bonaventure entendait par Révélation. En tout cas, il s'est vérifié que le contenu conceptuel de la Révélation s'adaptait à un grand nombre de concepts: revelatio, manifestio, doctrina, fides, et ainsi de suite. Seule une vision d'ensemble de ces concepts et de leurs affirmations permet de comprendre l'idée de Révélation chez Bonaventure.

Le fait que dans la doctrine médiévale il n'existait aucun concept d' "l'histoire du salut" au sens actuel du terme, a été clair dès le départ. Toutefois, deux indices montrent que, chez Bonaventure le problème de la révélation comme chemin historique était présent. Avant tout, s'est présenté le double aspect de la Révélation, comme Ancien et Nouveau Testament, qui a posé la question de l'harmonie entre l'unité de la vérité et la diversité de la médiation historique, posée dès l'époque patristique et ensuite affrontée aussi par les théologiens médiévaux.
A cette forme classique de la présence du problème de la relation entre l'histoire et la vérité, que Bonaventure partage avec la théologie de son temps et qu'il traite à sa façon, s'ajoute aussi la nouveauté de son point de vue de l'histoire, où l'histoire, qui est le prolongement de la volonté divine, devient un défi dramatique.

Joachim de Flore (+ 1202) avait enseigné un rythme trinitaire de l'histoire.
À l'âge du Père (Ancien Testament) et l'âge du Fils (Église du Nouveau Testament) a fait suite un âge de l'Esprit Saint, où dans le respect du Sermon sur la montagne se seraient manifestés un esprit de pauvreté, la réconciliation entre les Grecs et les latins, la réconciliation entre les chrétiens et les juifs, et arriverait alors un moment de paix. Grâce à une combinaison de chiffres symboliques, le savant abbé avait prédit le début d'une ère nouvelle en 1260. Vers 1240 le mouvement franciscain tomba sur ces écrits, qui eurent sur beaucoup un effet électrisant: n'était-ce pas cette nouvelle ère qui commençait avec Saint François d'Assise? Pour cette raison, au sein de l'ordre, on vit se créer une tension dramatique entre les "réalistes" qui voulaient utiliser l'héritage de saint François, en fonction des possibilités pratiques de la vie de l'Ordre telles qu'elles avaient été transmises, et les «spirituels», qui au contraire pointaient vers la nouveauté radicale d'une nouvelle période historique.
Comme Ministre Général de l'Ordre, Bonaventure dut faire face à l'énorme défi de cette tension, qui pour lui n'était pas une question académique, mais un problème concret de sa charge en tant que septième successeur de saint François. Dans ce sens, l'histoire était tout à coup visible comme réalité et comme telle devait être traitée avec des mesures réelles et avec la réflexion théologique. Dans mon étude, j'ai essayé d'expliquer comment Bonaventure fit face à ce défi et mit en relation l'histoire du "salut" et la "révélation".

Depuis 1962, je n'avais pas repris le texte en main. Pour moi, ce fut donc enthousiasmant de le lire après autant de temps. Il est clair que l'approche du problème, ainsi que la langue de l'ouvrage, sont influencées par la réalité des années cinquante.

Outre cela, pour la recherche linguistique, il n'y avait pas de moyens techniques que nous avons maintenant. Pour cette raison, l'oeuvre a ses limites et elle est clairement influencée par la période historique dans laquelle elle a été conçue. Toutefois, en la relisant j'ai eu l'impression que ses réponses étaient fondées, bien que dépassées dans de nombreux détails, et ont toujours quelque chose à dire. Surtout, je me suis aperçu que la question de l'essence même de la révélation et le fait de la présenter à nouveau, qui sont le thème du livre, ont aujourd'hui encore, leur urgence, peut-être même plus qu'avant.

À la fin de cette préface, je tiens à ajouter au remerciement au professeur Schlosser également celui à l'évêque de Regensburg, Gerhard Ludwig Müller, qui, grâce à la fondation
Papst Benedikt XVI Institut a permis la publication de ces travaux et suivi par une participation active, le processus de publication de mes écrits. Je remercie également le personnel de l'Institut, le professeur Rudolf Voderholzer, le Dr Christian Schaller, M. Franz-Xaver Heibl et Gabriel Weiten.
Sans oublier l'éditeur Herder, qui s'est occupé de la publication de ce livre avec la précision qui le caractérise.

Je dédie l'œuvre à mon frère Georg pour son 85ème anniversaire, reconnaissant pour la communion de pensée et le parcours de toute une vie.

Rome, Solennité de l'Ascension du Christ 2009.

BENOÎT XVI

© Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana

(L'Osservatore Romano - 16 settembre 2009)

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(*) Faisant une recherche sur Internet, je m'aperçois que ce texte a également été publié en langue française sur le site de sandro Magister, le 19 septembre 2009... soit trois jours après moi. Je ne le dis pas par vanité, mais parce que je suis aujourd'hui encore heureuse d'avoir fait ce travail.

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