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Ratisbonne, huit ans après

... et si nous découvrions que Ratzinger avait eu raison? C'est l'aveu, surprenant mais bien tardif d'un journaliste écrivant pour un titre aussi représentatif de la presse "alignée" que le Huffington Post (13/9/2014)

     

L'auteur, Piero Schiavezzi, est présenté sur internet comme "vaticaniste" (???). Il cite à l'appui de sa thèse un récent éditorial du directeur de... La Reppublica.
Qui l'eût cru? Dommage, seulement, que cette appréciation vienne si tard.
Découvrent-ils l'urgence de créer un front commun contre le péril islamiste, justifiant une attaque contre la Syrie, alors qu'il y a huit ans, il fallait flatter les musulmans?
Tout en continuant d'exalter François, regrettent-ils "Ratzinger"?
Veulent-ils lancer un avertissement au Pape, avant la double échéance de son voyage en Turquie et de sa visite au Parlement de Strasbourg?

En tout cas, nous n'avons pas eu besoin de tous ces savants analystes, il y a huit ans, pour réaliser que Benoît XVI avait prononcé avec courage un discours majeur, pour lequel les faits lui avaient immédiatement donné raison (même si, sur le moment, nous n'en avions peut-être pas saisi toute la profondeur!)
Je n'ai pas oublié ces donneurs de leçon d'alors, ces philosophes d'opérette qui se succédaient sur les plateaux de télévision, devant les micros des radios et dans les colonnes des journaux pour le crucifier.
Serait-ce trop demander qu'aujourd'hui (comme le fait un peu Piero Schiavezzi) ils fassent leur mea culpa public?

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RATISBONNE, IL Y A HUIT ANS, LE CONFLIT AVEC L'ISLAM: ET SI, AUJOURD'HUI, NOUS DÉCOUVRIONS QUE RATZINGER AVAIT RAISON?
Piero Schiavazzi
The Huffington Post (version italienne)
Ma traduction.
12/09/2014
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Bien que les chroniques l'aient catalogué et archivé comme l'accident de parcours classique, fruit d'une erreur et d'une gaffe constituant d'authentiques cas d'école, les manuels d'histoire pourraient au contraire réhabiliter Ratisbonne et lui attribuer un rôle d'épisode faisant date parmi les gestes et les discours célébres qui ont marqué le chemin de l'Occident. Au point que peut-être un jour, avec le 11, on se rappellera aussi le 12 Septembre. Dans un contexte similaire, et non moins dramatique.

Huit ans ont passé depuis ce mardi après-midi de 2006, quand Joseph Ratzinger, oubliant d'être pape et redevenant professeur devant son public, dans son grand amphi de Ratisbonne, levant à peine les yeux de son texte selon son habitude d'universitaire, déclencha la tempête parfaite, soulevant les places musulmanes dans un rayon de 12000 km allant du Maroc à l'Indonésie.

Il le fit en s'identifiant avec la personne - et avec les tourments - de l'empereur érudit Manuel II Paléologue, fier défenseur de Constantinople et d'une civilisation en déclin, en phase terminale de capitulation face à l'armée turque. En somme, une grande défaite historique, qui aujourd'hui, avec le recul du temps, après la renonciation et l'issue du pontificat de Benoît XVI, révèle une similitude biographique et de destin avec la parabole du pape émérite. Et étire son ombre géopolitique sur le voyage imminent de François à Istanbul à l'invitation de l'héritier des sultans, Tayyip Erdogan, dans la nation refondée - et réinventée - par Atatürk, abolissant le califat le 29 octobre 1923, comme le Saint-Siège a tenu récemment à le souligner.

Ratisbonne, dans ce scénario, constitue la tentative suprême de définir l'Europe par opposition: comme un antidote au jihad et aux dérives fondamentalistes, partant de la conception d'un Dieu qui pose une limite à lui-même et à sa propre toute-puissance, s'identifiant avec la raison créatrice, renonçant à l'option de l'arbitraire et s'offrant comme le modèle originel - et créateur - de ce que nous devions appeler plus tard monarchie constitutionnelle. «Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire à la nature de Dieu»: ce qui, pour l'Islam, devait apparaître comme une limitation inacceptable de l'absolu divin, représente pour l'Occident le principe originel et l'ADN dont proviennent toutes ses conquêtes: Lumières et laïcité, droits et démocratie. Qu'aujourd'hui comme à l'époque de l'empereur, il est appelé à défendre.

A huit ans de Ratisbonne, et à six cents ans du siège de Constantinople, les argumentations du souverain byzantin trouvent une correspondance singulière de ton et d'intention, dans le douloureux éditorial-manifeste, «L'Occident à défendre» (cf. www.repubblica.it), dans lequel il y a une semaine Ezio Mauro (ndt: le directeur de la Repubblica) se focalisait sur la question irrésolue de l'identité de l'Europe, dans la situation de conflit et d'appel aux armes «parce que la démocratie a le droit de se défendre, mais a le devoir de le faire tout en restant elle-même», écrivait-il.
Preuve du fait qu'en dépit de l'avènement d'un pape qui promeut la culture de la rencontre, les codes et le cadre du débat restent ceux de l'affrontement entre les cultures, jusque dans la réflexion d'un laïc et d'un libéral comme le directeur de la Repubblica, dans la peau d'un Manuel Paléologue d'aujourd'hui, et dans l'horizon idéal fixé par Benoît à Ratisbonne.

Un horizon que François ne pourra pas éluder, quand à Strasbourg le 25 Novembre, il retrouvera le dilemme identitaire que Ratzinger a porté à ses conséquences extrêmes dans la salle de Ratisbonne, en parvenant à la conclusion que, s'il n'y a pas d'Europe sans christianisme, la réciproque vaut également, selon laquelle il ne peut y avoir de christianisme sans Europe, c'est-à-dire sans les Lumières, sans la conjonction indissoluble de la foi et de la raison, d'Athènes et de Jérusalem. «A ce stade, dans la compréhension de Dieu et donc la pratique concrète de la religion, s'ouvre un dilemme qui aujourd'hui nous défie de manière très directe», interrogeait le pape allemand. «La conviction qu'agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, est-elle seulement une pensée grecque, ou est-elle toujours valable en soi?»

La question trouve un écho en version politique et profane, tout en conservant une tension religieuse, entre les lignes de Ezio Mauro: «Sommes-nous en mesure de défendre nos principes et de croire en leur universalité, au moins potentielle, ou sommes-nous prêts à admettre qu'au nom de la realpolitik, droits libertés doivent être proclamés universels dans cette partie du monde, mais peuvent être bannis comme relatifs ailleurs?».

«Ailleurs», c'est d'abord et avant l'Orient et le Califat, en présence d'un monde islamique qui, malgré les déclarations et les prises de position compactes de Mufti et de rais (i.e. dictateurs), n'a pas totalement dissous dans la conscience des masses et les arrières-pensées des dirigeants, l'ambiguïté de la relation entre la foi et la coercition, à l'époque pointée du doigt par Benoît dans son vibrant J'accuse, provoquant des réactions dévastatrices connues de tous.

C'est ce dont a semblé conscient, contrastant avec les enthousiasmes de cette première année de pontificat, un cardinal notoirement philo-arabe comme Jean-Louis Tauran, président du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, qui fut l'influent ministre des Affaires étrangères de Wojtyla et aujourd'hui l'écouté «conseiller à la sécurité intérieure» de Bergoglio.
Dans une déclaration inhabituelle, en plein mois d'août (cf. Chrétiens d'Irak: le Vatican réagit avec vigueur , 13/8), son dicastère a placé l'Islam devant un "aut-aut" ("ou-ou, i.e. une alternative) et demandé à ses leaders «une prise de position claire et courageuse» sauf à mettre en danger la poursuite des relations avec le Saint-Siège, telles qu'elles se sont développées au cours des trois dernières décennies, à la suite de la rencontre historique d'Assise en 1986: «Dans le cas contraire, quelle crédibilité auront les religions, leurs fidèles et leurs dirigeants? Quelle crédibilité peut encore avoir le dialogue interreligieux patiemment poursuivi au cours des dernières années?»

Avec une comparaison irrévérencieuse mais convaincante, nous dirions que comme la Ferrari de Montezemolo (le directeur de Ferrari sur le départ), l'Eglise de François l'emporte pour la popularité mais perd du terrain sur les circuits qui comptent, des terres d'Abraham à la terre de Jésus, avec le faux départ du sommet pour la paix dans jardins du Vatican, à la veille de la guerre de Gaza, et l'incapacité d'arrêter les coupeurs de gorge de l'État islamique, sans le parapluie aérien d'Obama, après le mirage de la sainte alliance avec Poutine, matérialisé sur le chemin de Damas, et immédiatement évanouie dans les brumes du Don.
(...)
Changeant de sport, mais continuant avec les métaphores audacieuses, on perçoit un manque de défense en milieu de terrain, mesurant les limites de cette «culture de la rencontre» module de prédilection du pape argentin, qui met l'accent sur la technique de jeu, les ouvertures en avant, privilégie les attaquants, mais laisse la défense à découvert. Face à un ennemi qui au contraire ne connaît ni ne respecte aucune règle.
(...)

En franchissant le seuil du parlement de Strasbourg, le 25 Novembre, avec le bagage de son immense popularité, Bergoglio portera avec lui l'écho du discours le plus impopulaire mais le plus prophétique, dans lequel Ratzinger, comme aucun autre, a saisi et expliqué le lien entre la conception du Dieu «constitutionnel», qui choisit de s'auto-limiter, et la conception de l'Europe, née dans un vagissement de liberté. Dans un continent qui n'existerait pas sans le christianisme. Et dans une chrétienté sans laquelle l'Europe ne serait pas celle que nous avons connue.

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