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Conte de Noël: une messe dans le désert

Cela se passait en Lybie, à Noël 1943... (24/12/2014)

* * *

Ce magnifique conte est publié sur un très beau site anglophone découvert par Anna, <The Remnant>.
A la rubrique "Our history", un long article relate les débuts au XIXe siècle d'un journal catholique Der Wanderer par deux moines catholiques allemands et destiné aux immigrés allemands aux Etats-Unis (dans le Minnesota, dans le nord, plein de lacs et forêts).
En 1967, ils se sont divisés et <The Remnant> est né. L'actuel directeur Michel Matt est le fils du fondateur Walter Matt.

     

HISTOIRE DE NOËL D'UN SOLDAT,
Michael Matt,
remnantnewspaper.com
Traduction de Anna
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Note de l'éditeur: Ce qui suit avait été publié la première fois dans The Remnant il y a beaucoup d'années. Nous le publions à nouveau en mémoire de son fondateur, Walter L. Matt, parti vers son éternelle récompense en 2002. L'article a été écrit par l''éditeur actuel quand il était beaucoup plus jeune, et c'est le récit de la vraie historie que mon père racontait à ses neuf enfants de son expérience d'un soir de Noël pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Veuillez, s'il vous plaît, vous souvenir de lui dans vos prières. MJM

Introduction
L'histoire que je vais raconter est absolument vraie. Elle m'a été racontée par un vétéran de la Deuxième Guerre Mondiale, et il me confirme qu'elle n'est pas une invention. Ce vieux soldat est très sérieux, et bien que ce soit ma plume qui maintenant vous présente ses mots, c'est de sa voix qu'il me les a dites. Et ses paroles sont sincères. Je vous écris cette histoire exactement comme je l'ai entendu me la raconter, d'abord quand j'étais enfant, et encore une fois peu avant sa mort
Imaginez, si vous voulez, ce merveilleux gentleman de, disons, 80 ans, assis près du feu dans son grand fauteuil préféré, fumant sa vieille pipe. La fumée se lève gentiment de la boule noire calcinée et reste suspendue dans la lumière chaude de la lampe en des formes et volutes impressionnantes. Sa chevelure gris acier, encore au complet sur son front, est coiffée à l'arrière, et ses yeux commencent à briller en tirant une derrière bouffée, il se frotte songeur le menton, passe en revue son petit public de chéris, et commence à raconter l'histoire d'un Noël qui eut lieu plus d'un demi-siècle avant.

Doucement (quietly), son histoire commence…

* * *

C'était en Afrique du Nord, pas loi d'un endroit appelé Libye. Ce devait être 1943. C'était une époque extraordinaire à vivre. Me voilà, à un moment jeune écrivain plein de rêves et d'aspirations, et l'instant après j'étais embarqué dans un bateau avec deux mille autres GI's et envoyé combattre une autre guerre en Europe. J'étais avec le 323ème commandement du service aérien, et je me souviens d'avoir pensé que c'était étrange d'aller combattre des Allemands, dont certains pouvaient sans doute être des parents qui n'avaient pas pu sortir avant la fermeture des frontières de l'Allemagne par le brutal Troisième Reich.

J'avais des tantes et oncles et cousins et même des grands-parents pris au piège en Allemagne quand Hitler arriva au pouvoir. Hitler, quel fou! Ce faussaire de Munich était même arrivé à massacrer la langue allemande. Comme nous détestions sa façon barbare de crier la langue allemande.

Je crois que le moment où le port de New York disparut derrière nous dans le sillage de notre navire de troupes fut l'un des plus étranges que j'ai jamais vécus, je me sentais à peine réel, en effet.

La réalité nous a bientôt rattrapés. Ma carrière comme sergent de l'Armée dans le 323ème me fit traverser l'Afrique, l'Egypte, le Moyen Orient, l'Italie et finalement même Rome. Ah, ça c'était un autre grand moment. Quand nous marchions dans Rome en 1944, je n'ai jamais entendu autant de cloches d'églises sonner de ma vie. L'air était clair et frais, il crépitait véritablement d'excitation; les nazis s'étaient enfuis, Mussolini était fini, et là, au dessus de la piazza se tenait une blanche figure qui bénissait les Alliés pendant que nous marchions dans la Ville Eternelle: c'était le Pape Pie XII.

Comment me sentais-je en ce moment? Je pleurais de joie! L'image du Pape Pacelli se tenant debout au-dessus de nous et donnant sa bénédiction à une mer de GI's est quelque chose que je n'oublierai jamais. L'Eglise paraissait si forte alors. Nous ne le savions pas, mais Pie XII était le dernier de la Vieille Garde à siéger sur la chaire de Pierre. Une nouvelle race attendait dans les coulisses et la révolution était dans l'air.

Mais je m'égare.
Nous étions, comme je disais, dans un endroit près de la Libye, en Afrique du Nord. Le Général Rommel - le Renard du Désert, comme ils l'appelaient - avait donné du fil à retordre aux Alliés en Afrique et d'une façon ou d'une autre, même avec le Noël approchant, le 323ème se retrouva en Libye.

Quand j'y repense, il n'y avait vraiment pas un moment où le sable ne soufflât comme les flocons des tempêtes de neige de chez nous. Ça devenait une longue guerre pour nous. Nous en avions assez du sable, (nous en avions) marre de Wings et Cravens (cigarettes bon marché) et nous avions le mal du pays. Il n'y avait personne dans notre régiment qui n'eût pas voulu être ailleurs qu'en Libye ce décembre-là, et nous n'allions partir dans aucun autre endroit.

Je crois que la guerre peut faire ressortir d'un homme le mieux et le pire et pour le 323ème la guerre allait apporter le pire. Même la perspective de Noël ne pouvait pas grand-chose pour remonter le moral; en fait, elle semblait même l'empirer. Il faut se rappeler que nous étions partis depuis près de deux ans. La guerre faisait rage, la propagande roulait, la machine de guerre secouait tout autour, et tout ce que chacun voulait était de rentrer chez soi, voir sa famille, embrasser sa belle, serrer son bébé, et d'envoyer la guerre sur la lune. Au lieu de tout ça, nous n'avions que deux choses à quoi penser: les Nazis et le sable. Lequel était le pire?

Pour moi, Noël était le pire des moments pour être à la guerre. Je restais assis dans la tente à écouter le vent hurler et le sable mordant battre contre la toile. Parfois les notes faibles et grinçantes de White Christmas vous remontaient quelque peu le moral, bien que je n'aie jamais trop aimé "der Bingle", Bing Crosby.

Et pourtant, quand les haut-parleurs du camp diffusaient la mélodie familière, mes pensées volaient au-dessus de l'Europe et de l'Atlantique, je pensais à ma mère et à mon père, à mes sœurs et frères, tous assis autour d'un sapin de Noël de guerre, se demandant quand la guerre serait finie, si je serais revenu et si les nazis et les Japs allaient débarquer sur les côtes d'Amérique.

Inévitablement, ces ruminations étaient interrompues par un sinistre bourdonnement aux dessus des têtes. Il se faisait plus fort et les sirènes d'alarme le rendaient alors officiel: des bombardiers ennemis! Toute pensée du pays disparaissait dans le black-out qui s'ensuivait. Une étrange pluie de lumière tombait des cieux - des fusées éclairantes nazies descendaient éclairer le sol du désert et illuminer des cibles potentielles, nous. Parfois les bombes arrivaient sur la cible, parfois non. Dans mon cas, …eh bien, je pense que j'avais un bon ange gardien.

En tout cas, quand l'aube de la veille de Noël se leva, cette année-là, j'avais le cafard. Mes camarades de tente étaient maussades, mon C.O. (Commanding Officer) était bougon, et même les cuisiniers du mess n'avaient pas beaucoup de chère de Noël à gaspiller. En fin d'après-midi, j'étais carrément déprimé. Quel Noël, pensais-je, vraiment un Joyeux Noël!

Et puis une chose merveilleuse arriva. Certains d'entre nous se demandaient s'ils allaient nous accorder un permis en l'honneur du jour, comme nous l'avions demandé, mais jusqu'à ce moment nous n'avions pas eu de réponse. Un coursier arriva juste alors avec une note du bureau du Commandant qui disait seulement: "Permission accordé. Vingt-quatre heures."

Bon, ce n'était pas beaucoup, surtout au milieu du désert, mais c'était quelque chose.
Trois de mes compagnons de tente étaient catholiques et un brit (anglais) de la Croix Rouge nous avait parlé d'une Messe qui devait avoir lieu la veille de Noël à minuit. Il avait été un peu vague sur les directions, mais elle était supposée se tenir quelques milles à travers le sable, à l'est de notre camp dans une sorte de vieille ruine.

On nous avait donné la permission et c'était tout, pas de camion, pas de jeep, pas de camionnette non plus. Et quand nous étions prêts pour partir le soleil s'était déjà couché.

Je me souviens que je me sentais revigoré cette nuit au moment de partir. Le ciel de nuit était clair et une voûte étoilée se montrait à nous quatre comme j'en ai rarement vue.
La lumière d'un million d'étoiles du désert se reflétait sur le sable blanc sans fin pendant que nous marchions, et nous nous rendions compte peu à peu que nos esprits commençaient à se remonter pour la première fois depuis des mois.

Un peu plus tard, toutefois, un de nous dit une chose que les autres craignaient d'admettre: "Nous sommes perdus." Et nous l'étions. Non pas que nous ne pouvions trouver le chemin du retour, mais plutôt que nous ne voyions dans l'horizon sombre en face de nous rien qui fasse deviner qu'une Messe de Minuit y allait être célébrée. Le temps passait, jusqu'à un point où la seule chose raisonnable était de retourner au camp. Nous étions là, quatre GI's au milieu du désert, perdus et seuls la veille de Noël.
Ce fut mon vieux compagnon de tente Bob qui le premier s'aperçut du changement qui se produisait sur nous pendant que nous marchions. C'était comme si la lune s'était levée dans le ciel nocturne, mais il n'y avait pas de lune cette nuit. En marchant nous étions soudainement en train de piétiner dans l'ombre de celui qui marchait devant nous, jetée par une étrange lumière haute dans le ciel et vers l'est. C'était une étoile, la plus brillante et éblouissante qu'aucun de nous ait jamais vue. Nous nous arrêtions tous sur nos traces et regardions en haut. Personne ne prononça mot, jusqu'à ce que Bob dit en riant exactement ce que chacun de nous pensait: "C'est comme l'étoile de Bethlehem, n'est-ce pas les gars?"

Je ne vais pas dire que l'étoile se déplaçait vraiment devant nous. Mais elle était si basse sur l'horizon, et si inhabituellement lumineuse que nous continuions tous de marcher vers elle, sans vraiment savoir quoi penser.

Nous avons continué à marcher et nous comprenions vite que nous n'étions pas seuls. Des silhouettes sombres d'hommes, que nous avions d'abord pris pour des Bédouins, apparurent soudainement dans la nuit et se déplaçaient vers un lieu situé à présent directement devant nous, au-dessous de la brillante étoile blanche. Ils n'étaient pas des Bédouins, ni des fantômes; c'étaient d'autres GI's, Anglais, Australiens, Canadiens, Français et Ecossais, des soldats catholiques d'autres camps qui venaient comme une caravane de nuit trouver l'endroit où la Messe de Noël allait être offerte.

Notre pèlerinage suivait le plan incliné sur une ligne basse de dunes. De l'autre côté, nous les vîmes: un énorme rassemblement de milliers de soldats, beaucoup d'entre eux les plus endurcis combattants que vous ayez jamais vus; tous venaient trouver l'endroit où la Messe allait être dite, à minuit, la nuit de Noël, au milieu d'une guerre mondiale.

Pleins d’enthousiasme, nous avancions tous les quatre vers nos frères d'armes. Nous marchions à travers une véritable mer d'hommes catholiques qui attendaient sur le sable que la Messe commence. Il n'y avait rien des habituelles bagarres, jurons et beuveries. L'esprit de Noël semblait avoir transformé ces garçons dans les fils, frères, maris et pères qu'ils avaient été jusqu'à il y a pas très longtemps. Maintenant ils n'étaient que des types catholiques comme moi, à la recherche désespérée de quelque nourriture spirituelle.

"Hey, Chapelain (Chappy), je dois me confesser, dit quelqu'un. "Moi aussi!". Le prêtre catholique sourit. "D'accord, les gars, formez une ligne".

Il était habillé d'une veste "Eisenhower" avec une minuscule étole pourpre autour du cou. Un instant après, un GI s'agenouilla à son côté. D'instinct je me mis dans la file quelques pas derrière et attendis mon tour.

L'autre chose dont je me souviens, c’est d'être agenouillé dans un large rassemblement d'homme. Quelques cinquante pas en avant, je vois un camion avec le hayon arrière baissé, et un prêtre en habit liturgique se tenant à côté. Entouré d'une mer de visages sombres, de casques poussiéreux, des milliers de fusils Springfields, des yeux scintillants, je me vois à nouveau comme un soldat regarder arriver le moment sacré de cette nuit sainte. A travers des milliers d'ombres de têtes baissées et d'épaules massives j'entends une cloche et vois une Hostie blanche brillant levée au-dessus du "hayon-autel", afin que des milliers de soldats las de guerre l'adorent.

Juste pour un instant, à travers le mur des soldats j'ai une vue claire de l'Hostie et en ce moment la lumière de l'étoile semble l'envelopper. La cloche sonne à nouveau dans le silence du désert et l'Hostie est baissée à ma vue.

Je me suis agenouillé dans le sable, face à l'est, vers la ville de David. Au-delà du désert et sur les collines de Galilée était la petite ville de Bethlehem, l'endroit où la Victime Sacrée était née en ce monde, dans une étable il y a tant d'années. Et moi j'étais là, sous une autre étoile brillante, au milieu d'une autre guerre, rendant hommage au même petit Enfant. Ce fut un moment déterminant de ma vie de Catholique Romain. Je ne l'oublierai jamais.

* * *

Le gentleman s'arrête un moment, absorbé en de profondes réflexions. Il prend une bouffée de sa pipe et continue…

Puis la scène devant moi fut brouillée par les larmes, je ne sais pas si elles étaient de joie ou de tristesse ou les deux; mais j'avais retraversé l'Atlantique; la guerre était finie, et j'étais à la maison - pendant quelques instants j'étais à la maison. Le temps était suspendu. Alors j'entendis le murmure d'une chanson commencer à se lever de la grande assemblée de soldats. Une chanson qui m'était familière, c'était "Silent Night/Douce Nuit". Vous n'avez jamais entendu "Douce Nuit" si vous ne l'avez pas entendue six mille milles loin du pays dans le désert illuminé par les étoiles dans l'Afrique du Nord, chantée par des milliers de GI en mal du pays, après la Messe de Minuit, la nuit de Noël.

Je remplis mes poumons et chantais de toutes mes forces cette nuit-là: Tout est calme, tout est clair, autour de Toi Vierge Sainte et l'Enfant, Saint Enfant si tendre et doux. Dors dans la Paix du Ciel. Schlaf in Himlischer Ruh".

Car c'était bien une nuit de silence! Une nuit dans laquelle la sainte bénédiction et la grâce du Noël remplissaient de la paix du Ciel un désert déchiré par la guerre. Je n'étais sans doute pas le seul GI qui en cette nuit balayât une larme dans le sable du désert.

La guerre finalement arriva à sa fin miséricordieuse et je rentrais à la maison.
Mais de temps en temps, vous savez, je repense à cette nuit de Noël de 1943 et je me dis: "C'était la chose la plus proche du Ciel que j'aie jamais connu." Cette nuit de silence est tout ce dont il est question à Noël, et je sais que je ne l'oublierai jamais.

Alors, avec un sourire gentil et une autre bouffée de sa vieille pipe, son histoire se termine.