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Le Pape et l'accord USA-Cuba

Les médias créditent François d'un rôle central dans la "réouverture historique des rapports diplomariques entre les Etats-Unis et Cuba". Un rôle qu'il convient de redimensionner. Un article d'Angela Ambrogetti (18/12/2014)

Depuis 1984, trente ans ont passé. Années au cours desquelles la diplomatie vaticane a travaillé à voix basse mais avec décision pour changer la situation. Pour mettre fin à l'embargo d'un côté et défendre les droits humains violés de l'autre.
Le 17 Décembre 2014 vient la déclaration d'Obama et Raula Castro: les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba sont rouvertes. Le temps était désormais arrivé. Et tous deux reconnaissent le travail du Saint-Siège. François a mis en place la dernière pièce d'un puzzle qui remet l'histoire en place. Il a envoyé deux lettres à deux chefs d'Etat qui n'avaient besoin que d'une «excuse politique» pour faire ce qui était désormais inévitable. Et ils ont choisi l'anniversaire du Pape pour le faire. Un beau geste qui leur permet de ramener chez eux deux résultats: celui concret, surtout économique, et celui d'image. Pour le Saint-Siège, c'est la récompense d'années de travail en coulisses, pour le Pape François une manière insolite de célébrer son anniversaire.
     

Les médias (presque) unanimes, en même temps que les présidents Obama et Raul Castro, saluent, «le rôle de premier plan joué par le pape François dans le rapprochement historique entre leurs deux pays» (1). Comme si l'accord signé hier était un fait isolé, survenu ex nihilo grâce à l'intervention miraculeuse du Pape venu du bout du monde.

Sans entrer dans le débat politique, cette présentation des faits me paraît quelque peu forcée, contribuant à tailler à François une stature de leader mondial (et pas religieux) qui lui assurera peut-être en 2015 le Nobel de la paix qu'il a manqué en 2014.

Les choses ne sont sans doute pas aussi simples.
Saluons ici Angela Ambrogetti, qui rétablit la vérité des faits, et, c'est le cas de le dire «rend à César ce qui est à César» en retraçant l'histoire des relations complexes enre le Saint-Siège et l'île caraïbe, commencées il y a trois décennies, et marquées par les images fortes de la visite de Jean Paul II à Cuba en 1998 (qu'elle a couverte comme journaliste accrédité), puis celle de Benoît XVI en 2012 (idem; un voyage triomphal mais épuisant, et même dramatique, puisqu'on a dit que c'est là que le pape avait mûri sa décision de renoncement). Sans parler du travail en souterrain de la diplomatie vaticane, qui n'a certes pas commencé avec Parolin, et celui, peu médiatisé mais en profondeur, du cardinal Bertone pour le compte de Benoît XVI, en 2008.

>>> Rubrique spéciale de mon site, consacrées au voyage de Benoît XVI au Mexique et à Cuba en mars 2012 (avec de très nombreux articles sur Cuba, y compris avqnt le voyage, grâce au travail de carlota): benoit-et-moi.fr/2012-I

     

LE PAPE, CASTRO ET LES ÉTATS-UNIS
une histoire vieille de trois décennies
http://www.korazym.org
17 décembre 2014
Angela Ambrogetti

Quelle heure est-il? semble demander à Jean-Paul II, tout juste arrivé à l'aéroport de la Havane en 1998, à Fidel Castro.
C'est l'une des photos les plus significatives de ce voyage, historique et irremplaçable qui venait dix ans après un autre voyage, celui du cardinal Etchegaray au nom du pape.
Lors de ce voyage, il avait été décidé que le pape visiterait la «Perle des Caraïbes». Jean-Paul II lui-même l'avait définie ainsi en 1984, la saluant à distance depuis la côte de Porto Rico. En 1996, Castro était reçu au Vatican, et puis est venu le temps de prendre de nouvelles voies, le temps pour un peuple de reprendre le flux de l'histoire. Du 21 au 26 Janvier 1998, Jean-Paul II est à Cuba, invité par Fidel Castro en personne, il demande plus la liberté de religion, il parle du «vent de l'Esprit qui souffle où il veut», il célèbre la messe sur la Place de la Révolution et à côté de Jose Marti et Che Guevara, un million de Cubains voient une grande image du Christ. Le pape est allé avec la claire intention de demander une nouvelle ère pour l'Eglise à Cuba. Grâce à ce voyage, les frères franciscains et les religieuses de Santa Brigida viendront ouvrir de nouvelles maisons et des couvents, et pour la première fois, on célèbrera Noël. Et Wojtyla ne va pas seulement condamner le régime castriste. Il condamne le «néolibéralisme capitaliste qui subordonne la personne humaine et conditionne le développement des peuples aux forces aveugles du marché». Il condamne l'embargo américain, couronne la Virgen del Cobre, symbole de l'histoire d'un peuple qui doit «vaincre l'isolement et s'ouvrir au monde».

La visite est un événement si exceptionnel pour l'île que même le photographe de la révolution, du Che, Korda, photographie étape par étape tous les événements et recueille les images et les émotions dans un livre qui marque un tournant dans sa carrière. A Cuba, Jean-Paul II veut avant tout donner du courage à une Eglise persécutée pendant plus de trente ans, mais il sait que son projet, éminemment pastoral, a également des répercussions politiques; d'ailleurs, la politique peut être important pour aider (ou s'opposer à) une véritable promotion humaine.

En 2008, ce voyage est rappelé avec un autre voyage. Ce n'est pas le Pape qui s'y rend, mais son infatigable secrétaire d'Etat, Tarcisio Bertone. Quinze jours de visites et d'entretiens. Parmi lesquels ceux avec le successeur de Fidel.
Le numéro deux du Vatican est le premier représentant étranger à rencontrer le successeur de Fidel Castro, son frère Raul. «Il semble que l'on puisse ouvrir des portes, parce que Raul connaît bien les difficultés du peuple, les échecs, les aspirations», dit le cardinal Bertone avant la rencontre officielle. Le nouveau président et le cardinal scellent un accord tacite de coopération entre l'État et l'Église dans l'île des Caraïbes. Après une semaine de visites, messes, inaugurations et rencontres pour célébrer la visite de Jean-Paul II dix ans plus tôt, le Cardinal dédie un après-midi entier aux politiciens.

Dans une conférence de presse, le cardinal avait parlé de solidarité et de coopération entre l'Église et l'État après l'entretien avec le ministre des Affaires étrangères Felipe Perez Roque. Le Cubain parle de «la volonté du gouvernement de continuer à travailler et d'élargir également la communication fluide et cordiale entre l'Église et l'État cubain, pour créer les conditions nécessaires faire avancer le travail de l'Eglise». «Avec les autorités cubaines - dit aussi Bertone- nous avons également examiné des questions concrètes, nous avons eu une convergence de vues, sur les questions internationales, et parlé de la justice et aider les pauvres». Quelque demande de clémence pour les prisonniers? L'Eglise «ne demande pas d'amnistie mais des gestes de réconciliation» répond le cardinal. Aux diplomates accrédités à Cuba, le Secrétaire d'état du Vatican dit que «la liberté religieuse ne serait pas complète et authentique si elle ne comportait pas aussi une dimension publique».

Donc, un Etat qui veut respecter cette liberté doit créer les conditions qui permettent aux citoyens de remplir leurs obligations spirituelles. Certes la situation reste complexe à Cuba et peut-être Raul tentera-t-il de confier à l'Eglise catholique la tâche de détourner les aspirations de liberté vers la spiritualité.

Quatre années encore s'écoulent, et le second Pape visite Cuba. Benoît XVI rencontre le vieux Fidel Castro qui lui pose des questions sur la liturgie et sur les livres à lire. Le pape demande et obtient que le vendredi Saint, à Cuba, ne soit pas une journée de travail. Une Pâque différent pour l'île de la révolution marxiste qui reçoit un Pape pour la deuxième fois en 14 ans. Benoît XVI devant Notre-Dame de Charité du Cobre, prie pour les prisonniers, les paysans, demande le respect de la liberté religieuse, pas seulement de culte, et la fin de l'embargo qui épuise la population et enrichit les profiteurs.

En avion, on lui avait demandé ce qui a changé depuis la visite de Jean-Paul II. Une visite qui, dit Ratzinger, «a ouvert un chemin de collaboration et de dialogue constructif; une route qui est longue et requiert de la patience, mais qui avance. Aujourd'hui, il est évident que l'idéologie marxiste telle qu'elle était conçue, ne répond plus à la réalité; on ne peut plus répondre ainsi, ni construire une société; de nouveaux modèles doivent être trouvés avec patience et d'une manière constructive. Dans ce processus, qui exige de la patience, mais aussi de la décision, nous voulons aider dans un esprit de dialogue pour éviter les traumatismes et aider le chemin vers une société juste et fraternelle, comme nous la désir pour le monde entier, et nous voulons collaborer dans ce sens. Il est évident que l'Eglise est toujours du côté de la liberté: liberté de conscience, liberté de religion. De cette façon, nous contribuons à ce processus, comme y contribuent les simples fidèles».

Depuis 1984, trente ans ont passé. Années au cours desquelles la diplomatie vaticane a travaillé à voix basse mais avec décision pour changer la situation. Pour mettre fin à l'embargo d'un côté et défendre les droits humains violés de l'autre.
Le 17 Décembre 2014 vient la déclaration d'Obama et Raula Castro: les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba sont rouvertes. Le temps était désormais arrivé. Et tous deux reconnaissent le travail du Saint-Siège. François a mis en place la dernière pièce d'un puzzle qui remet l'histoire en place. Il a envoyé deux lettres à deux chefs d'Etat qui n'avaient besoin que d'une «excuse politique» pour faire ce qui était désormais inévitable. Et ils ont choisi l'anniversaire du Pape pour le faire. Un beau geste qui leur permet de ramener chez eux deux résultats: celui concret, surtout économique, et celui d'image. Pour le Saint-Siège, c'est la récompense d'années de travail en coulisses, pour le Pape François une manière insolite de célébrer son anniversaire.


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(1) www.lexpress.fr/actualite/monde/pourquoi-les-etats-unis-et-cuba-remercient-autant-le-pape-francois_1633685.html

Quand le temps du bilan sera venu, le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba devrait être considéré comme l'un des grands moments du pontificat du pape François. Barack Obama a remercié le souverain pontife pour son rôle dans le nouveau chapitre qui s'ouvre entre les deux pays voisins, après plus d'un demi-siècle de rupture, tandis que Raul Castro a "salué l'appui du Vatican". Dans la foulée, le Saint-Père a fait connaître "sa grande satisfaction pour [cette] décision historique".
Le premier pape américain de l'histoire, originaire d'Argentine, a au premier chef servi de facilitateur pour ce qui ne pouvait être que le point de départ d'un rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et La Havane: la libération de l'Américain Alan Gross par Cuba et celle de trois agents Cubains, Gerardo Hernandez, Ramon Labanino et Antonio Guerrero, par les Etats-Unis, tous détenus pour des accusations d'espionnage.
"Ces derniers mois, le Pape François a écrit au président de Cuba, Raul Castro, et au président des Etats-Unis, Barack Obama, et il les a invités à résoudre les questions humanitaires d'intérêt commun, parmi lesquelles la situation de certains détenus", précise ainsi le communiqué du Vatican. Le sénateur démocrate Richard Durbin, venu rendre visite à Alan Gross en 2012 pendant sa détention, a confié au Washington Post que le gouvernement d'Obama et le Vatican travaillaient ensemble depuis plus d'un an pour sa libération.
Les négociations entre Cuba et les Etats-Unis se seraient accélérées à l'automne, avec des échanges directs à Rome. "Le Saint-Siège a reçu des délégations des deux pays au Vatican en octobre dernier et offert ses bons offices pour favoriser un dialogue constructif sur les thèmes délicats", fait valoir le communiqué du Vatican.