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Un ghost writer inédit pour François

Surprise: c'est Martin Schulz, le président (socialiste) du Parlement Européen (25/11/2014, matin)

Le Pape François se rend aujourd'hui à Strasbourg, ou plus exactement au Parlement Européen, pour une visite-éclair de moins de 4 heures, y compris les trajets entre le Parlement et l'aéroport d'Entzheim. Son choix de ne pas s'arrêter, fût-ce une minute sur le sol alsacien, pas même pour une courte prière à la cathédrale, fait un peu jaser dans le landerneau, et susciterait même une certaine bronca. Mais d'après les "micro-trottoirs" capturés par les informations régionales, l'homme de la rue (au moins celui que l'on a pu entendre) persiste à n'être qu'indulgence pour ce pape "si simple, si proche des gens". Je n'ose imaginer ce qu'on aurait entendu si Benoît XVI avait été à la place de François!!
Le Pape doit prononcer deux discours, l'un devant le parlement européen, l'autre au Conseil de l'Europe.
C'est Harlem Désir, actuel secrétaire d'état aux affaires européennes, qui devait l'accueillir à sa descente d'avion, mais je vois sur le "direct" de France 3 que Ségolène Royal (ministre de l'écologie: à quel titre est-elle là?) lui a subtilisé le premier rôle et éclipse complètement son collègue.

Marie-Christine me signale cet article du Figaro, sous la plume de Jean-Marie Guénois, où l'on peut lire:
"Il faut s'attendre à des éléments forts, concrets et sociaux dans les deux discours de François qu'il a préparés directement - fait exceptionnel - avec le président social-démocrate du Parlement européen, Martin Schulz, venu spécialement à Rome il y a quinze jours".

* * *

Décidément, Martin Schulz a le vent en poupe, au moins dans les "Sacri Palazzi"!
Yves Daoudal relevait hier (après avoir rappelé que Benoît XVI, lui aussi en son temps invité à Strasbourg, mais ensuite déclaré persona non grata par la gauche, n'avait pas pu s'exprimer à la tribune du Parlement européen, où il n'aurait eu besoin de personne pour écrire son discours!):

Mais ça c’était avant. Avec François tout est changé. C’est le demi-président de gauche du Parlement européen, Martin Schulz (du temps de Benoît XVI, il était président du groupe socialiste) qui a invité François. Et c’est l’enthousiasme général (en dehors de quelques râleurs professionnels très minoritaires). L’enthousiasme est tel que l’Osservatore Romano a demandé à Martin Schulz d’écrire l’éditorial du journal, la veille de la visite du pape aux institutions européennes.
Voici donc en une du journal du Vatican un texte reflétant la position du Saint-Siège (c’est cela, un éditorial), signé par un politicien qui ne croit en rien, sinon à un système européen qui lui permet de vivre comme un pacha.
(yvesdaoudal.hautetfort.com)

Ceci dit, le Pape étant réputé imprévisible, et n'en faisant, dit-on, qu'à sa tête, je ne m'aventurerais pas à prévoir ses propos, comme le font ce matin la plupart des médias, qui n'utilisent même plus le conditionnel, pour annoncer les discours, mais carrément le futur: "le pape dira...", "Le pape s'exprimera sur...".
On le sait "la prévision est un art difficile... sutout quand elle concerne l'avenir"!
D'autant plus que dans son billet d'hier, Sandro Magister rapportait le discours (inédit à ce jour, et semble-t-il improvisé) que François avait prononcé le 3 octobre dernier, recevant en audience à Rome les participants à l’assemblée plénière du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE) qui avait pour thème : “Famille et avenir de l’Europe”.
Un bon discours, ma foi, digne du Successeur de Pierre, et dont Sandro Magister dit "Un discours qu’il faut lire en entier et dont il faudra se rappeler chaque mot, demain, à Strasbourg".

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A titre d'information, voici l'éditorial de Martin Schulz dans le journal du pape: signe troublant de l'alliance objective entre l'Eglise et l'Empire, et confirmation de ce que disait Francesco Colafemmina dans l'interview que je viens de traduire: "je pense que le pape Bergoglio coïncide avec un projet très clair: introduire l'Eglise dans la réalité de ce que l'on nomme le nouvel ordre mondial".

Le sens d’une Union
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Vingt-six ans se sont écoulés depuis le discours de Jean-Paul II au Parlement européen. C’était le 11 octobre 1988. La visite du Pape fut un prélude à l’annus mirabilis de l’Europe: 1989. Jean-Paul II et toute l’Eglise eurent un rôle fondamental dans le processus qui mit un terme au joug soviétique, en soutenant la demande de liberté, d’émancipation et d’indépendance de millions de citoyens de l’Europe centrale et orientale.
En 1988, Jean-Paul II parlait à des députés de douze pays, élus pour représenter 330 millions de citoyens. Le Pape François parlera à des députés européens provenant de vingt-huit pays, qui représentent plus d’un demi-milliard de personnes. L’espérance que Jean-Paul II a contribué à réaliser est aujourd’hui achevée. L’Eglise a toujours soutenu l’Europe dans sa croissance, mais elle a également contribué de manière cruciale à sa réunification.
Mais quelle mission doit accompagner l’Europe dans son avenir? La visite du Pape François aidera à répondre à cette question, à pousser tous les Européens à s’interroger sur le sens le plus profond de notre union. Voulons-nous une Europe qui ne soit qu’un marché uni pour la libre circulation des biens et des capitaux? Ou voulons-nous une Europe qui renouvelle les valeurs de solidarité, tolérance, respect de la personne et égalité, qui ont inspiré ses pères fondateurs?

La visite du Pape François n’est pas une atteinte à la laïcité des institutions européennes (*). La laïcité ne veut pas dire manque de dialogue. La laïcité ne veut pas dire nier le pluralisme sur lequel l’Europe est fondée. La laïcité signifie autonomie, impartialité, garantie et liberté, non pas introspection.
Les objectifs et les valeurs qui nous unissent sont beaucoup plus forts que les éléments de division. Souvent, nous l’oublions. En tant que maire, en apportant de l’aide aux sans-abris et en accueillant les immigrés, j’ai toujours pu compter sur l’aide de mon diocèse. En tant que président du Parlement européen, je ne peux que reconnaître le rôle de premier plan de l’Eglise en vue de limiter les dégâts, matériels et immatériels, de la crise économique.
La présence à Strasbourg du Pape François, le Pape qui est venu « du bout du monde », peut servir à secouer l’Union du sentiment d’égarement préoccupant qui, au cours des dernières années, a conduit les Européens à chercher des coupables plutôt qu’à identifier des solutions. Nous avons un programme à partager et une voie commune à parcourir. Cette voie doit conduire l’Europe vers ses périphéries, matérielles et immatérielles, géographiques et spirituelles.
L’un des premiers actes publics du Pape François a été sa visite à Lampedusa, à la périphérie de l’Europe, où la solidarité, des Européens et entre les Européens, est fortement mise à l’épreuve. Non seulement les paroles, mais l’histoire même du Pape François devraient nous rappeler que, de même qu’aujourd’hui, l’Europe est un lieu d’immigration, elle a été longtemps un continent d’émigration. Que la solution pour l’avenir est, d’un côté, créer un système d’immigration légale et, de l’autre, accroître les efforts afin que l’accueil des demandeurs d’asile soit une responsabilité partagée.
Mais les paroles du Pape nous rappellent aussi les autres « périphéries » de notre temps: les jeunes exclus du monde du travail et de la perspective d’un avenir digne, les personnes âgées qui sont laissées seules et considérées comme un poids pour les familles et la société (**), les chômeurs qui à long terme, sont inexorablement éloignés du monde du travail, les familles qui sont repoussées aux marges des villes et n’ont pas accès aux services sociaux. Nos périphéries sont complexes, isolées et peu accueillantes. Pour les transformer, nous avons besoin d’énergie, de temps, d’imagination et d’unité.

Nous avons embrassé la mondialisation, non pas pour nous laisser emporter par elle, mais pour la rendre humaine, sociale et durable. Nous avons embrassé l’Europe, non pas pour défendre nos conquêtes derrière un mur, mais afin que toujours plus de personnes puissent jouir des mêmes droits que nous.
Je remercie le Pape François pour sa visite au Parlement européen et au Conseil de l’Europe, je suis certain qu’il contribuera à réveiller la vieille Europe de sa torpeur et à la reconduire au milieu de ses populations et ses périphéries.

Martin Schulz, Président du Parlement européen

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NDR:
(*) Ah bon? Mais pourtant, avant, ça l'était!
(**) L'UE y pourvoira, on sait comment!