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Les prophéties rationnelles de J. Ratzinger

Juste avant Noël, Antonio Mastino mettait en ligne un article (signé d'un autre), rappelant ce que disait dès 1969 le futur Pape sur ce que serait l'Eglise de demain (26/12/2014)

[Image ci-dessous: Mosaïque de Benoît XVI, faisant partie d'un frise ornant la basilique de Saint-Paul-hors-les-murs: ce portrait est l'oeuvre du peintre Ulysee Santini, voir ici: beatriceweb.eu]


En sommes-nous proches?
Car malgré les foules (présumées) "océaniques" qui bonderaient la Place Saint-Pierre à chaque apparition de François, et son taux de popularité record qui frisent les 90% d'opinions favorables, il vient le soupçon que les "catholiques" qui, à la sortie de la messe de Noël, à Paris et à Lourdes, répondaient aux questions des journalistes, alimentant les commentaires exceptionnellement dithyrambiques des médias unanimes, ne sont en réalité rien de plus que des païens qui usurpent une appartenance, peut-être à leur insu. J'ai bien conscience d'être très mal placée pour distribuer des brevets de catholicité, mais au moins, je ne prétends faire la morale à personne, ni représenter quiconque sauf moi; et des gens qui osent se dire "tolérants" (selon le mantra médiatique), se déclarant favorables à l'avortement, l'euthanasie et le mariage homo, et se réjouissent bruyamment que ce Pape se décide enfin à faire entrer l'Eglise dans le XXIe siècle, et fustige durement les turpitudes de l'Eglise (comme le "catho-socialiste" Jacques Myard hier matin sur Europe), peuvent-ils encore se dire catholiques? Il conviendrait d'ailleurs de rappeler à ces "moutons de panel" que l'Eglise a su entrer dans TOUS les siècle depuis plus de deux mille ans, et qu'elle n'a pas attendu leurs loupiotes pour le faire!

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Ceux qui lisent l'italien pourront également parcourir les commentaires qui suivent ce texte. Parmi eux, un échange entre Maurizio Blondet et Antonio Mastino, à propos du pape et de Vatican II, le premier voyant en François l'accomplissement du modernisme triomphant, produit caricatural de l'"aggiornamento" voulu par le dernier Concile, et le second soutenant que le pape n'est ni conciliaire ni anti-conciliaire, qu'il se fiche du Concile et même de tous les conciles, et qu'il ne faut surtout pas tomber dans le piège de ses amis progressistes, qui tentent de l'identifier avec le Concile, car cela fait leur jeu.

Original ici: www.papalepapale.com/develop/verra-la-notte-poi-forse-di-nuovo-lalba-ragione-e-profezie-in-ratzinger/

     

VIENDRA LA NUIT, PUIS, PEUT-ETRE, A NOUVEAU, L'AUBE.
RAISON ET PROPHETIES CHEZ RATZINGER
22/12/2014

Pourtant, nous étions prévenus. Et cela n'a rien à voir avec les mystiques, cette fois. Les «prophéties rationnelles» du cardinal Joseph Ratzinger parlent haut et fort. Comment sera l'Église du futur? Différente, très différente de celle d'aujourd'hui.

Marco Sambrunade
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A part la pauvreté objective de la vie contemporaine dominée par la claustrophobie mentale, ce qui inquiète les croyants d'aujourd'hui est le sort de l'Eglise. Pas seulement de l'Église institutionnelle, mais aussi celle entendue comme communauté de croyants. L'impression est que la troisième révolution industrielle à l'origine de la modernité a fini de détruire ce que les deux premières avaient miné, autrement dit la vieille culture religieuse - paysanne, transversale à toutes les nations et les cultures.

Sur le plan existentiel être submergé par la modernité essentiellement athée ou dans le meilleur des cas agnostique, cela signifie être en proie à un étrange sentiment de désespoir. En vain, on se fatigue à saisir quelque résidu de l'antique manière d'être des hommes dans une société désormais dominée par le cynisme, le pragmatisme, où le sentiment religieux a été progressivement remplacé par le «sens du sacré», si cher à certains psychologues, puis par la «morale» philosophique, soit comme forme actualisée du stoïcisme soit comme «pensée faible», et enfin par «l'éthique laïque» si claironnée par les laïques militants qui parlent une curieuse langage «technique» emprunté au droit: un langage similaire à la manière de s'exprimer d'un petit fonctionnaire de police de province des années cinquante.

Au désespoir s'ajoute la méfiance et l'horrible sentiment d'être menacé par un danger imminent aux contours indéfinis.

Quelqu'un, cependant, l'avait déjà annoncé ...

Pourtant, on nous avait prévenus: des laïcs comme Pier Paolo Pasolini, Martin Heidegger, Sergio Quinzio (1927-1996, théologien et exégète de la bible italien), et même Marx nous avait prévenus, mais leur appel n'a pas été entendu. Ignorés, aussi, les avertissements des hommes d'Eglise: Grégoire XVI avec «Mirari vos» (texte en français ici), Pie IX avec le «Syllabus» (texte en français ici) et Pie X avec «Pascendi dominici gregis» (texte en français ici), avaient mis en garde contre les dangers du libéralisme bourgeois.
Il est connu que Pie XII avait à l'esprit de convoquer un Concile, mais il a changé d'avis quand il a réalisé que les idées de la 'Nouvelle Théologie' (en français dans le texte) de matrice libérale menaçait d'infecter les décisions conciliaires. Romano Guardini redoutait avec inquiétude la montée d'une sorte de dictature technico-bureaucratique, tandis que le cardinal Giuseppe Siri, archevêque de Gênes et à deux pas de l'élection comme pape en 1958, dénonçait avec force la dérive post-conciliaire. Même Paul VI était angoissé par le danger que dans les années post-conciliaire le catholicisme soit submergé par l'esprit «libéral-bourgeois», sans parler des positions très critiques envers l'optimisme oecuménique de Marcel Lefebvre et, plus récemment, ceux du défunt évêque de Côme Mgr Alessandro Maggiolini (1931-2008, je retiens qu'il s'agissait d'un prélat proche de la tradition, qui fut en butte à des persécutions judiciaires).

Il n'y a donc pas seulement les prophéties des mystiques et des voyants, mais aussi les precognitions rationnelles d'esprits éclairés, dont la raison limpide a saisi le danger qui se profile à l'horizon. A cet égard les «prophéties rationnelles» du cardinal Joseph Ratzinger ont été redécouvertes récemment: avant qu'il ne devienne pape, il était un théologien distingué.

Joseph Ratzinger: prémonition et prophétie
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[Légende de l'image: Un théologien? Le théologien).

Le futur pape dans une série de cinq conférences à la radio bavaroise (Bayerische Rundfunk) en 1969 a prononcé une série de déclarations qui, lues aujourd'hui, assument les contenus d'une véritable prophétie. Lui, en effet, était enclin à croire que l'Eglise s'approchait d'une sorte de Gethsémani, une ère de grave difficulté et de crise dont elle sortirait fortement redimensionnée.

Il dira:

De la crise actuelle va émerger une Église qui aura perdu beaucoup. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins des débuts. Elle ne sera plus en mesure de vivre dans les édifices qu'elle a construits en période de prospérité. Avec la diminution de ses fidèles, elle perdra également beaucoup de ses privilèges sociaux. Ce sera une Église plus spirituelle, qui ne s'arrogera pas de mandat politique flirtant tantôt avec la gauche et tantôt avec la droite. Elle sera pauvre et deviendra l'Église des indigents, ce sera un processus un long, mais quand toutes les difficultés seront passées, émergera un grand pouvoir d'une Église plus spirituelle et simplifiée. À ce moment, les hommes découvriront qu'ils habitent un monde de solitude indescriptible et ayant perdu de vue Dieu, ils connaîtront l'horreur de leur pauvreté.

En somme l'«apostasie silencieuse» qui devrait réduire le peuple des fidèles catholiques à quelques maigres petits groupes, préconisée par Jean-Paul II avait déjà été annoncée par le jeune théologien Joseph Ratzinger.

Le petit troupeau
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En 1997, le journaliste allemand Peter Seewald mène une longue interview avec le cardinal Ratzinger qui sera publiée dans le livre «Le Sel de la Terre. Le christianisme et l'Eglise catholique au seuil du IIIe millénaire». Dans le livre, Joseph Ratzinger réitère sa pensée avec encore plus d'évidence: l'Église catholique est destinée à arriver au seuil de l'extinction. Seul un petit troupeau survivra, ignoré tant par la politique que par la culture, jusqu'à ce que le monde, accablé par le sentiment de désespoir qui dérive d'une indicible solitude, se tourne à nouveau vers cette poignée de croyants pour chercher une réponse qui donne du sens et de la profondeur à la vie.

Comme nous l'avons déjà dit, l'Église assumera d'autres formes, elle sera moins similaire à une société de masse et sera de plus en plus une Eglise de minorité, elle vivra dans de petits groupes de personnes vraiment convaincues et croyantes, et agira en conséquence.

Une Église réduit à une petite minorité non seulement doit faire face à un petit nombre de fidèles, mais aussi à une diminution dramatique de prêtres consacrés. Joseph Ratzinger semble alors faire allusion à la possibilité d'une plus grande participation des fidèles à la vie sacramentelle contre une réduction du rôle du sacerdoce ministériel (i.e. des prêtres séculiers et des ordres religieux). En d'autres termes, les croyants laïcs, dans l'avenir, pourraient aussi administrer les sacrements.

Alors, j'avais prévu (en 1969), pour ainsi dire, que l'Eglise serait réduite en taille, qu'elle deviendrait un jour une Église de minorité.. À cet égard, j'avais aussi pensé qu'à côté des prêtres ordonnés dans leur jeune âge, on aurait aussi pu choisir les hommes avec une grande expérience, venant du monde du travail, et donc que ce ministère pourrait être exercé sous des formes différents. Je pense encore que l'Eglise devrait lentement s'adapter à une situation minoritaire, à une position différente dans la société.

Quel modèle de vie pour l'avenir de communautés chrétiennes dispersées Joseph Ratzinger imagine-t-il?
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Question: Quel sera le nouveau visage de l'Église alternative à l'Église du peuple, qui n'est aujourd'hui plus viable dans de vastes régions d'Europe? Quelle forme devraient avoir ces communautés actives? Devons-nous imaginer des kibboutz chrétiens en Allemagne?

Réponse: Pourquoi pas? On verra. Il serait faux, et même présomptueux de projeter aujourd'hui un modèle plus ou moins défini pour l'Église de demain, qui sera plus clairement qu'aujourd'hui, l'Eglise d'une minorité.

Et l'œcuménisme? Celui de Jean-Paul II ...
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Jean-Paul II croyait beaucoup en l'œcuménisme. Au dialogue avec nos frères séparés, il a consacré Ut unum sint ("qu'ils soien unis": en français ici).

Toutefois, il reste un doute: l'idée de catholicité réduite au minimum ne contredit-elle pas l'idée d'œcuménisme? Autrement dit, dans une perspective de dialogue interconfessionnel dirigé vers l'unité des chrétiens, la masse des fidèles devrait augmenter, et non diminuer. Pourtant, l'idée de grandes masses chrétiennes fruit du dialogue et de l'effondrement du mur de Berlin, avait fasciné Jean-Paul II.

Le même Pape voyait dans le nouvel ordre mondial une opportunité extraordinaire pour le christianisme, il était convaincu que le dialogue avec le monde produirait un nouveau printemps pour la chrétienté. En somme l'œcuménisme était une priorité dans l'agenda du Pontife polonais. On a insisté à plusieurs reprises, de la part de certains observateurs catholiques, qu'il y avait une parfaite continuité entre le pontificat de Jean-Paul II et celui de Benoît XVI. Pourtant, à lire les déclarations du cardinal Ratzinger, il semble qu'il ne posait que très peu ou pas d'espoir dans le dialogue œcuménique.

D'autre part, c'est le même Joseph Ratzinger qui soulignait l'importance de l'œcuménisme pour Jean-Paul II:

La mise en route de l'oecuménisme à Vatican II est déjà un signe qu'on s'approche d'une nouvelle unité. Pour cette raison, le Pape (Jean-Paul II) a bon espoir que les millénaires ont leur physionomie; que tous les effondrements de ce siècle et ses larmes, comme il dit, seront finalement récoltés et transformés en un nouveau début. L'unité de l'humanité, l'unité des religions et l'unité des chrétiens devrait encore être poursuivies, afin que puisse vraiment commencer une nouvelle ère plus positive. (...) Le zèle infatigable avec lequel le pape se déplace, découle justement de la force de cette grande perspective. Après cela, l'accomplissement (de l'unité) n'est pas dans nos mains, mais dans celles de Dieu. En ce moment je ne le vois encore se rapprocher.

... Et celui de Benoît XVI
Benoît XVI croit aussi en l'œcuménisme. Mais sans trop d'illusions.
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Telle est la pensée que le cardinal Ratzinger attribue à Jean-Paul II. Voyons ce qu'il pense lui, le futur Benoît XVI, de l'œcuménisme dirigé vers l'unité des chrétiens.

Je n'ose pas penser à une unité des chrétiens pleinement accomplie à l'intérieur de l'histoire.
Nous voyons même que, simultanément avec les efforts déployés pour parvenir à l'unité, se produisent en permanence de nouvelles fragmentations. Non seulement de nouvelles sectes continuent à se former, parmi lesquelles des sectes syncrétistes, y compris avec des composantes païennes et non-chrétiennes, mais on voit aussi s'accroître les divisions au sein même des Eglises: tant dans celles réformée (...), que dans l'orthodoxie. Même dans l'Eglise catholique, il y a des fractures profondes. Au point que parfois on a littéralement l'impression qu'en elle deux églises coexistent côte à côte.
Il faut voir les deux aspects, à la fois le rapprochement des chrétiens séparés, est la naissance simultanée de scissions internes. On devrait se méfier des espoirs utopiques. (...) Ce serait déjà un résultat s'il n'y avait pas d'autres fractures et si nous comprenions que, même dans la séparation nous sommes unis dans beaucoup de choses. Je ne pense pas que nous arriverons très rapidement à de grandes «unions confessionnelles».

En somme, Joseph Ratzinger semble dire, ne nous faisons pas trop d'illusions sur les fruits du dialogue œcuménique.

Par ailleurs, atteindre l'unité des chrétiens et même de toutes les religions serait facile pour l'Église catholique: il suffirait de supprimer la papauté pour s'unir aux orthodoxes, d'abolir la hiérarchie ecclésiastique pour s'unir aux protestants et peut-être de réduire l'Evangile à un épisode symbolique dont il faut donner une lecture allégorique pour obtenir même les applaudissements des soi-disant «catholiques adultes» ou «athées dévots».

Le théologien Ratzinger savait que le problème n'est pas l'œcuménisme en tant que tel, mais l'œcuménisme à partir de la non-négociabilité des fondements de la foi catholique.

Voilà le vrai problème.