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L'espérance chrétienne et la foi en Europe

Une interview de Benoît XVI, en 2012, dans le film "Bells of Europe" (reprise) (7/11/2014)

On se souvient (mais cela semble aujourd'hui tellement loin!) que du 7 au 28 octobre 2012 s'était déroulé au Vatican un Synode des évêques, sur le thème: La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne.
C'était le coup d'envoi de l'"Année de la foi" décrétée par Benoît XVI.

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J'ouvre une parenthèse - qui n'est cependant pas sans rapport avec le sujet.
Le 28 octobre, lors de l'Angelus qui suivait la messe de conclusion, le Pape disait aux fidèles rassemblés sur la Place Saint-Pierre:
Pour ma part, j'ai écouté et recueilli beaucoup de matière à réflexion et beaucoup de propositions, qu'avec l'aide du Secrétariat du Synode et de mes collaborateurs, je vais essayer de trier et d'élaborer, pour offrir à toute l'Eglise une synthèse organique et des orientations cohérentes.

C'est un message qu'avec le recul, on peut trouver étrange: entre-temps, devait éclater le coup de tonnerre du 11 février 2013 (qui n'était peut-être pas prévu à ce moment); l'exhortation apostolique post-synodale serait effectivement publiée un peu plus d'un an plus tard, le 24 novembre 2013... mais sous le signature d'un autre pape, dont elle devait constituer le véritable "manifeste" du pontificat, et sans beaucoup de rapport avec les réflexions des Pères Synodaux.
Que s'est-il passé entre le moment de cette interview et la renonciation du 11 février?
Je referme la parenthèse sur cette question lancinante.

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Le 16 octobre, après la session de l'après-midi, était projeté devant les pères synodaux un film intitulé Bells of Europe ("les cloches de l'Europe"), traitant du lien entre l'Europe et le christianisme, la culture européenne et l'avenir du continent.
Le film, réalisé par le Centre de Télévision du Vatican, proposait des extraits d'interview des principaux leaders chrétiens, Benoît XVI, le Patriarche oecuménique de Constantinople, le Patriarche orthodoxe russe, l'Archevêque anglican de Canterbury, l'ancien Président de la Fédération évangélique d'Allemagne.
Le titre (et le fil conducteur du film) était donné par le son des cloches de différentes régions et la fusion d'une cloche dans la fonderie d'Agnone en Italie.
La bande-son reprenait des oeuvres du compositeur estonien Arvo Pärt, inspirées par le tintement des cloches.

La video ci-sessous est issu du site Cooperatores Veritatis.
Et à la suite, la traduction de l'interview de Benoît XVI:

L'interview de Benoît XVI

LES DEUX ÂMES DE L'EUROPE

Celle rationaliste, qui se veut une fin en soi. Et celle, chrétienne.
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- Sainteté, vous proposez dans vos encycliques une anthropologie forte, celle d'un homme habité par l'amour de Dieu, d'un homme dont l'expérience est élargie par la foi, d'un homme socialement engagé grâce à la charité reçue et donnée. Dans une dimension humaine où le message de l'Evangile offre tous les éléments de la dignité de la personne humaine...,vous avez dit à plusieurs reprises que la redécouverte des valeurs évangéliques, des racines profondes de l'Europe est une source de grande espérance pour le continent, et pas seulement. Pouvez-vous expliquer les raisons de votre espoir?

"La première raison de mon espérance est que le désir de Dieu, la recherche de Dieu, est profondément inscrite dans toute âme humaine et ne saurait disparaître. Bien sûr, pendant un certain temps, vous pouvez oublier Dieu, le mettre de côté, faire autre chose, mais Dieu ne disparaît jamais. C'est tout simplement vrai, ce qu'a dit saint Augustin, que nous les hommes, nous sommes inquiets tant que nous n'avons pas trouvé Dieu. Cette inquiètude existe encore aujourd'hui. C'est l'espoir de voir l'homme se mettre en chemin vers Dieu.
Ma deuxième raison d'espérer est que l'Evangile de Jésus-Christ, la foi dans le Christ, est tout simplement vrai. La vérité ne vieillit pas. Elle aussi, on peut l'oublier pendant un certain temps, on peut trouver d'autres choses, mais la vérité comme telle ne disparaît pas. Les idéologies ont compté un temps. Elles semblaient fortes, irrésistibles, mais après une certaine période, elles se sont consummées, elles n'avaient plus de force en elles, parce qu'elles n'étaient pas une vérité profonde. Ce sont des parcelles de vérité, et à la fin, elles se sont épuisées. A l'inverse, l'Evangile est vrai, et par conséquent il ne s'épuise jamais. A chaque période de l'histoire apparaissent ses nouvelles dimensions, apparaît toute sa nouveauté, sa réponse aux exigences du cœur et de la raison humaine, qui peut marcher dans cette vérité et s'y retrouver. C'est pourquoi je suis convaincu qu'il y aura un nouveau printemps du christianisme.
Une troisième raison, empirique, nous la voyons dans le fait que cette inquiètude travaille la jeunesse. Les jeunes ont vu tellement de choses - les offres des idéologies et de la consommation - mais ils saisissent le vide de tout cela, son insuffisance. L'homme est créé pour l'infini. Le fini est trop petit. Et c'est pourquoi l'on voit, justement parmi les nouvelles générations, combien cette inquiètude se réveille de nouveau, et ils se mettent en chemin, et ainsi , il y a de nouvelles découvertes de la beauté du christianisme: un christianisme qui n'est pas au rabais, pas réduit, mais dans sa radicalité et sa profondeur. Il me semble donc que l'anthropologie en tant que telle nous indique qu'il y aura toujours de nouveaux réveils du christianisme, et les faits le confirment en un mot: fondement profond.
C'est le christianisme. Il est VRAI, et la vérité a toujours un avenir".

- Sainteté, vous avez déclaré à plusieurs reprises que l'Europe, qui a eu et continue d'avoir une influence culturelle sur toute l'humanité, ne peut renoncer à sa responsabilité devant le monde. Est-il possible d'esquisser les contours du témoignage visible que les catholiques et les chrétiens orthodoxes et protestants de l'Atlantique à l'Oural, vivant les valeurs de l'Evangile, sont appelé à fournir pour contribuer à la construction d'un monde plus fidèle au Christ, plus accueillant et solidaire, non seulement de préserver le patrimoine culturel et spirituel qui les distingue, mais aussi pour trouver des réponses aux grands défis qui marquent la société post-moderne et multiculturelle?

"C'est la grande question. Il est évident que l'Europe a un poids important dans le monde d'aujourd'hui, économique, culturel et intellectuel. Et, en correspondance avec ce poids, elle a une grande responsabilité. Mais l'Europe doit encore, comme vous l'avez dit, trouver sa pleine identité pour être en mesure de parler et d'agir en conformité à cette responsabilité. Le problème, aujourd'hui, selon moi, ce ne sont plus les différences nationales. Grâce à Dieu, il s'agit maintenant de diversité et non plus de divisions. Les nations demeurent, avec leur diversité culturelle et ce trésor mis en commun donne naissance à une grande symphonie de cultures. Il s'agit fondamentalement d'une culture commune.
Le problème de l'Europe, de trouver son identité, me semble consister dans le fait qu'en Europe, aujourd'hui, nous avons deux âmes: une âme est une raison abstraite, anti-historique, qui pense tout dominer parce qu'elle se sent au-dessus de toutes les cultures. Elle pense être une fin en elle-même qui entend s'émanciper de toutes les traditions et valeurs culturelles en faveur d'une rationalité abstraite. La première sentence de Strasbourg sur le crucifix était un exemple de la volonté de la raison abstraite de se libérer de toutes les traditions, de l'histoire (ndt: sur cette affaire, voir benoit-et-moi.fr/2011-I/).
Mais ainsi on ne peut pas vivre. Et puis, même la raison pure est conditionnée par une situation historique spécifique, et seulement dans ce sens elle peut exister. L'autre âme est celle que nous pourrions appeler chrétienne, qui est ouverte à tout ce qui est raisonnable, qui a créé l'audace de la raison et la liberté de la raison critique, mais reste encore ancrée aux racines qui ont donné leur origine à cette Europe, qui l'ont construite dans ses grandes valeurs, ses grandes intuitions, dans la vision de la foi chrétienne.

Comme vous l'avez dit, c'est en particulier dans le dialogue œcuménique entre protestants, catholiques et orthodoxes que cette âme doit trouver une expression commune, et puis se rencontrer sur cette raison abstraite, c'est-à-dire accepter et conserver la liberté critique de la raison pure envers tout ce qu'elle peut faire et a fait, mais la pratiquer, la concrétiser dans le fondement, dans la cpohésion avec les grandes valeurs qui nous ont été données par le christianisme. Ce n'est que dans cette synthèse que l'Europe peut avoir un poids dans le dialogue interculturel de l'humanité d'aujourd'hui et de demain, parce qu'une raison qui se serait émancipée de toutes les cultures ne saurait prendre part au dialogue interculturel. Seule une raison qui a une identité historique et morale peut parler aux autres, chercher une interculturalité dans laquelle chacun puisse entrer et trouver une unité fondamentale des valeurs ouvrant la voie vers l'avenir, vers un nouvel humanisme qui doit être notre but. Et pour nous, cet humanisme croît justement de cette grande idée de l'homme créé à l'image et ressemblance de Dieu".