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Io non sono Charlie

Tous pour un

La une significative du 8 janvier (clic!)

Pas facile d'écrire un billet pertinent quand on parle d'un pays étranger, donc qu'on ne connaît pas de l'intérieur. Luigi Santambrogio y parvient, dans la Nuova Bussola. Et il nous prouve que la sidération mentale a largement franchi les Alpes - en fait, elle est planétaire (9/1/2015)

>>> Voir aussi:
¤ Union sacrée autour de Charlie Hebdo
¤ Nous ne somme pas des Charlie Hebdo
¤ Io non sono Charlie

     

Dessin du caricaturiste Vauro

Un clone transalpin des "C.H."

NON AU TERRORISME ET AU DJIHAD. MAIS MOI, «JE NE SUIS PAS CHARLIE»
Luigi Santambrogio
09.01.2015
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-no-al-terrorismoe-al-jihad-ma-ionon-sono-charlie-11443.htm
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Je suis Charlie? Allez, répétons-le en chœur, ce dernier hommage à la liberté assassinée, crions dans les rues le mantra innocent et inoffensif qui devrait chasser le diable islamiste et les fantômes de la dictature coranique. Répétons-le aussi parce que maintenant on peut, il est licite d'affirmer que ces tueurs qui ont fait sauter toute la rédaction de l'hebdomadaire satirique, étaient des islamistes authentiques, avec Allah Akbar écrit sur leur tenue noires de soldats du califat.
Redisons-le en chœur maintenant que la gauche a décidé qu'offenser Mahomet n'est plus un péché, que conjuguer terrorisme avec islam n'implique plus le crime d'islamophobie, et caricaturer le Prophète gay ou sur les vierges nues d'Allah est un signe de liberté suprême et de satire magistrale. Saisissons cette occasion, cette fenêtre ouverte sur la liberté de critique religieuse que la gauche médiatique, intellectuelle et culturelle nous permet, parce qu'on peut parier que cela ne durera pas longtemps.

Il a fallu douze journalistes morts, tués à coups de kalachnikov, un assaut d'une puissance géométrique, un massacre dans le style de l'Irak ou de la Syrie dans le Paris des Lumières, libertaire, et rivegauchiste, pour que même dans la presse la plus tolérante et éclairée (illuminista), le miracle se produise. Macabre et tragique, mais malgré tout un miracle, autrement dit le fait extraordinaire, et inexplicable avec les lois normales de la politique et de l'idéologie. Après le massacre de Paris, condamner le jihad, la guerre sainte islamique comme barbarie inspirée par la religion islamique est possible. Donc: "Tout le monde est Charlie" (en français dans le texte).

Oui, nous sommes tous ces journalistes tués, nous sommes tous français, comme nous étions, après le 11 Septembre tous américains, et avant encore tous juifs, et après espagnols, britanniques, russes, tibétains, chinois, palestiniens, ukrainiens, et il faudrait consulter la mappemonde pour nous rappeler ce que nous n'avons pas été. Mais aujourd'hui, le cœur est avec Georges Wolinski, Charb, Cabu et ces célèbres caricaturistes «à la vie irrévérencieuse passée à célébrer l'amour et à mettre à nu le pouvoir, ses rituels et ses pièges. Et la puissance du fanatisme, bien sûr, celui que Salman Rushdie appelle le "totalitarisme religieux"», comme l'écrit Ezio Mauro, directeur de la Repubblica, mais comme le répètent plus ou moins avec les mêmes mots, les directeurs et les meilleures signatures de tous les journaux, du Corriere au Manifesto, le dernier des quotidiens communistes resté dans le monde. Peut-être, écrit-il, parce que «l'irrévérencieux Charlie Hebdo est né à la gauche de la gauche» Comme eux, en fait. Jusqu'à Michele Serra (humoriste... de gauche! voirici) qui nous appelle à la «révolte des crayons de couleur»: «Mettez un crayon dans votre poche, les jours prochains, pour vous sentir plus proche de Charlie, même si vous ne l'avez jamais lu, même si vous aimez la satire couci-couça, même si vous la jugez excessive ou grossière ou provocatrice». Tout bien, tout beau, tout sacro-saint, même la rhétorique à la louche est aujourd'hui supportable, parce que l'enjeu n'est pas seulement la satire, mais la liberté même de l'Occident. Même cette vérité évidente (c'est-à-dire tout à fait banale) a été dite et écrite, et c'est tant mieux.

Pourtant, dans la marée de colère et de larmes générales et bipartites, quelque chose ne tourne pas rond, il y a quelque chose de faux et d'assourdissant, comme si ce 'Je suis Charlie' obsessionnellement reproposé ne semblait si attrayant et convaincant que parce qu'il ne nous concerne pas [nous, italiens]. Le massacre islamique s'est consommé à Paris, mais pourrait également se produire à Rome, Milan ou Florence ou Naples. Et alors ce 'Je suis' (en français) devrait être traduit par 'Io sono'.
Oui, «io sono», mais avec qui? Eh bien cela, les distingués directeurs et les grandes signatures ne l'ont pas écrit, et peut-être même pas pensé. Mais si vous voulez une suggestion, on pourrait dire: «Je suis avec Oriana Fallaci» ou «je suis avec Magdi Cristiano Allam», ou même (mais cela remonte à quelques années) «Je suis avec Theo Van Gogh» (le réalisateur hollandais assassiné par un terroriste islamique), et aussi «je suis avec Kurt Westergaard», le premier caricaturiste à avoir déclenché en 2005 la réaction du monde musulman. Et en nous déplaçant un peu au-delà des frontières de l'Europe, nous devrions tous être avec Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème, avec la Soudanaise Merian Ibrahim arrêtée pour apostasie, avec les Nazaréens Irakiens chassés de Ninive, les Yézidis, les chrétiens du Pakistan, les filles et garçons nigérians enlevés par la guérilla islamique de Boko Haram qui brûlent les écoles et les livres comme instruments diaboliques de l'Occident.

L'article évoque ensuite Oriana Fallaci, à laquelle son livre "La rage et l'orgueil" avait valu la condamnation unanime de la presse bien-pensante planétaire (NYT en tête), la même qui aujourd'hui se déchire les vêtements; et Magdi Allam, qui vit désormais sous protection policière, des groupes islamistes ayant lancé une fatwa sur lui, et qui a été l'objet de sanctions de la part de l'ordre des journalistes pour délit d'islamophobie. S'il lui était arrivé quelque chose de la main des islamistes en question, la même presse vertueuse qui aujourd'hui pleure des larmes (de crocodile) aurait sans doute insinué qu'après tout, il l'avait cherché.

En somme, ils auraient écrit ce qu'écrit aujourd'hui le prestigieux Financial Times , le journal de la City de Londres, c'est-à-dire que «les journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo se sont comportés stupidement». Parce qu'ils n'auraient pas dû attaquer l'islam de façon si offensante, et que «un peu de bon sens serait utile dans les publications qui prétendent soutenir la liberté quand en réalité, elles provoquent les musulmans». Donc douze dessinateurs sont morts par manque de bon sens: ils l'ont cherché.

D'accord, le Financial Times est la voix de la Bourse, c'est la Bible et même le Coran du capitalisme dans le monde entier: il est compréhensible qu'il raisonne ainsi quand la majorité des grands groupes économiques et financiers sont aux mains des Arabes.
Tout comme il est assez facile de comprendre pourquoi la gauche et ses journaux ont maintenant adopté le 'Je suis Charlie', malgré son degré élevé d'islamophobie. Michele Serra l'explique dans la Repubblica: «Le socle de Charlie et de son ancêtre Hara Kiri est celui, si solide en France, du radicalisme laïque et républicain. Avec une forte teinture 'sexomane', anarchiste et anti-cléricale qui a explosé avec l'esprit soixantehuitard (...) La marque de fabrique de ce milieu satirique, inchangée au cours des dernières décennies et à travers de nombreux journaux, est une sorte d'extrémisme libertaire et libertin qui irrite également la gauche bien-pensante et a toujours été haïe par la droite traditionnelle».

Tout était permis à Charle hebdo
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Mais oui, maintenant c'est un peu plus clair: à Charlie, les religions, toutes les religions, n'ont jamais été sympathiques. Il les considère comme l'origine de tous les maux, de toutes les violences: c'est pourquoi il attaquait Allah, mais aussi le Pape, les saints et l'Eglise catholique. Après avoir regardé quelques caricatures de l'hebdomadaire, difficile d'aller dans les rues avec de telles feuilles. Pas besoin d'être férocement anticlérical pour condamner les massacre et les meurtres des terroristes islamiques. Pas besoin de blasphémer Dieu, représentant le pape flirtant avec un gay ou la Madone les jambes écartées tandis qu'elle accouche de l'enfant Jésus etc.... Le blasphème et la diffamation ne sont pas des préambules obligés à la liberté de pensée et de satire. Et il n'est même pas nécessaire d'être catholique pour comprendre la différence entre une pratique authentiquement religieuse et le fanatisme de ceux qui tuent au nom de qui sait quel Dieu.

Mais Charlie ne faisait pas la distinction, il était certainement islamophobe, mais avec ces lettres de créance anti-catholiques, tout lui était permis. La gauche était avec lui dans la croisade contre le «totalitarisme religieux», comme le rappelle Mauro (Repubblica) citant Rushdie.
Pour Oriana et pour Allam: trop chrétiens, trop proches du Pape, ce Ratzinger qui à Ratisbonne a dit comment sont les choses avec l'islam.

Le caricaturiste Vauro, icône de la satire communiste et "no Vatican", a dédié à la mort des douze journalistes français une caricature où il promet: «Nous allons rire encore plus fort».
Et nous, nous attendons patiemment, même si nous savons déjà que nous serons morts de faim avant que le courageux Vauro fasse une caricature d'Allah.
Ok, donc espérons, comme Voltaire, que Charlie revive; mais c'est très clair: nous ne sommes pas Charlie .








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