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Les ennemis de l'intérieur

Amer Sabaileh

Une analyse intéressante et équilibrée d'un expert en terrorisme jordanien, sur la Nuova Bussola (10/1/2015)

En finir avec l'angélisme et le discours sur "l'islam modéré".

Voir aussi:
¤ Union sacrée autour de Charlie Hebdo
¤ Nous ne somme pas des Charlie Hebdo
¤ Io non sono Charlie
¤ Benoît XVI avait tout prévu...

     

Les discours des politiques qui demain vont défiler à Paris la main sur le coeur et la larme à l'oeil ne sont pas crédibles!!
En témoigne cette information: Il y a cinq ans, le suspect de la tuerie de Montrouge et de la prise d'otages de Vincennes avait été reçu par Nicolas Sarkozy dans le cadre d'une conférence sur l'emploi.

Des dorures de l'Élysée aux récents événements tragiques. Amedy Coulibaly, auteur présumé de l'attaque à Montrouge et de la prise d'otages à la Porte de Vincennes est déjà passé par la présidence de la République. D'après un article du Parisien de l'époque, c'était un 15 juillet 2009. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy avait invité plusieurs centaines de jeunes à l'Elysée pour une conférence sur le thème de l'emploi. Amedy Coulibaly était dans la salle.
Dans les colonnes du quotidien régional, c'est un tout autre Amedy Coulibaly qui apparaît, bien loin du portrait d'un délinquant multirécidiviste qui ressurgit aujourd'hui. Le Parisien raconte qu'il travaille alors en contrat de professionnalisation à l'usine Coca-Cola de Grigny, dans l'Essonne. Avec d'autres jeunes, il se prépare à se rendre au palais de l'Elysée. «Cela me fait plaisir. Je ne sais pas ce que je vais lui dire. (à Nicolas Sarkozy, NDLR)», glisse-t-il. «Déjà, je vais commencer par ‘Bonjour!'», plaisante encore Amedy Coulibaly. «À la limite, si le président peut aider à me faire embaucher…».
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Comment le jeune homme, déjà condamné pour de multiples braquages, a-t-il pu être invité par la présidence?«Nous ne sommes pas dans un état policier où on met tout le monde sur fichier. C'est un malheureux concours de circonstance», explique un conseiller de Nicolas Sarkozy au Parisien.

(www.lefigaro.fr)

     

«L'EUROPE NE DOIT PAS FERMER LES YEUX SUR SES ENNEMIS DE L'INTÉRIEUR»
Stefano Magni
http://www.lanuovabq.it
Ma traduction
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Après deux jours et demi de poursuite, trois suspects djihadistes tués et au moins quatre otages morts, deux assauts simultanées à Paris (Porte de Vincennes) et Dammartin-en-Goële, le cauchemar commencé avec le massacre à la rédaction de Charlie Hebdo, à Paris, semble fini (???). La France et tous les pays européens se demandent à quel genre de «monstre» ils sont confrontés.

La Nuova Bussola en a parlé avec Amer Sabaileh, analyste stratégique et expert en terrorisme à Amman (Jordanie).

« Il s'agit organisations qui ont déjà un plan prêt depuis un certain temps - explique-t-il - le journal qui a été frappé avait publié les caricatures de Mahomet il y a trois ans. Les tueurs ont agi avec un plan précis, après avoir recueilli des informations du Renseignement (intelligence). Ils connaissaient par leur nom tous les journalistes qu'ils devaient tuer et savait le moment de la journée où ils se trouveraient réunis dans la salle de rédaction. Sur les photos, on peut voir comment ils ont agi, tirant avec sang-froid. Il suffit de voir la tranquillité avec laquelle l'un des deux frères Kouachi a tiré une balle dans la tête d'un policier français (qui se trouvait être un musulman, nommé Ahmed Merabet). Il s'agit de professionnels: ils n'ont pas improvisé, ils n'ont pas simplement être formés, ils ont aussi une expérience de guerre réelle derrière eux».

- Jusqu'à présent, la peur de la France était pour l'action de «loups solitaires», mais ceux-ci ne semblent pas l'être, vu leur organisation. A quel genre de menace sommes-nous confrontés?

Les frères Kouachi pourraient très bien être les loups solitaires organisés. Le problème est que l'Isis a donné un tournant au terrorisme. Quand il a proclamé le califat en Syrie et en Irak, en fait, il a ouvert la porte à tous les adeptes du radicalisme islamique, même des groupes qui jusqu'à récemment étaient affiliés à Al-Qaïda. Le califat est un drapeau, un point de réfèrence, mais il permet à des individus et à des groupes d'agir en pleine autonomie. La déclaration de guerre du Califat est une invitation à tous ces groupes pour commencer à agir. L'attentat à Paris pourrait également être l'action décisive et planifiée en toute autonomie d'une cellule terroriste, composée d'un nombre limité (et encore inconnu) de personnes. La signature de l'action est dans le style de l'Isis, une attaque réduite et moins synchronisée à d'autres. Ici, nous ne parlons pas d'Al-Qaïda, avec ses attaques planifiées à partir d'un unique centre d'opérations: le danger, pour l'Europe, c'est que tous ces groupes et individus sont libres de décider où, quand et comment opérer de façon autonome. À ce point, le risque sera toujours élevé, que l'attaque contre Charlie Hebdo ne soit pas la dernière, nous aurons beaucoup plus de ces attaques, dans de nombreuses villes d'Europe. L'Isis a déclaré une sorte de guerre finale.

- À ce stade, comment pourrait évoluer une menace si imprévisible?

On peut même déjouer beaucoup d'attentats, mais quand un seul est perpétré, il devient un problème grave pour la sécurité. C'est le vrai problème: tous les pays européens peuvent investir fortement dans la sécurité, mais une seule erreur, comme celle qui a été commise en France, est mortelle. Je sais bien que les Français ont un solide appareil anti-terrorisme, ils suivent les terroristes présumés, ils savent où les chercher. Mais, tant la France que d'autres pays européens, ont sous-estimé le danger de cellules «auto-immunes», qui s'activent toutes seules et se meuvent de façon autonome, formées par des citoyens français et sur le territoire français. Un des deux frères Kouachi, Cherif, avait déjà été condamné pour avoir recruter des gens pour les envoyer en Irak. Il s'agissait donc de personnes déjà connues, interceptés et surveillées. Malgré cela, ils ont réussi à faire un massacre. Cela signifie qu'il a été organisé de manière trop «simple» pour sauter dans les yeux d'un service secret sophistiqué: sans communication à intercepter, sans mouvements étranges à suivre. Le risque, donc, continuera à être très élevé. Non seulement pour la France, mais aussi l'Espagne, l'Angleterre, la Belgique, la Hollande, le Danemark, la Suède, la Norvège. Et aussi l'Italie. Vous n'êtes pas du tout à l'abri du danger. Mais où est l'erreur fondamentale qui est commise? C'est que vous savez que vous avez des terroristes, qui déclarent leur intention de mener des actes terroristes et malgré tout jouissent encore de tous les droits civils et sociaux garantis par l'Etat. Je pense, par exemple, à ces combattants Danois en Syrie qui continuent de recevoir l'aide du gouvernement. Et c'est seulement le début. Parce que, comme le démontre le cas de la France, les terroristes qui ont agi n'étaient pas du tout «nouveaux», ils étaient connus, suivis, interceptés. Dans un proche avenir va commencer, toutefois, le terrorisme de la nouvelle génération. Ce sera un autre type de terrorisme, composée de personnes qui ne fréquentent pas les mosquées radicales, de femmes, l'Isis forme même des enfants. Cela, c'est le scénario qui nous attend.

- Comment pourrait-il être possible de défendre nos pays, l'Italie en particulier?

L'Italie devrait, tout d'abord, cesser de fermer les yeux sur certains mouvements déjà existants sur le sol italien, qui, tout en portant le masque des modérés, sont affiliés à de vastes réseaux de groupes qui, à la fin, apportent de l'eau au moulin des terroristes. Les autorités italiennes devraient être plus inflexibles pour affronter ces organisations. Vous devriez appliquer la loi, que vous avez déjà, de manière beaucoup plus ferme, parce que chaque fois que je voyage en Italie, je vois, dans vos ville, des situations d'illégalité flagrante tolérées (ndt: cela vaut évidemment pour la France). Mais aussi de nombreux touristes à Rome peuvent le voir et le dire: il y a une illégalité qui se respire dans l'air. L'Etat ne projette pas de lui-même une image de force, ni de certitude dans l'application de la loi, qui est quelque chose de très différent de la garantie des droits de liberté de la personne. Les organisations terroristes se vautrent dans une telle situation, ils se déplacent sur le territoire sans problème. Pourtant, vous devriez penser que vous êtes aussi des cibles potentielles. En redonnant un sens à l'état, on rend l'attentat plus difficile. Cela c'est ce qu'il faut faire dès maintenant. Mais nous ne devons pas oublier que cette guerre n'est pas une guerre locale, mais mondiale. Ces jours-ci, c'est tombé sur la France, demain, cela pourrait tomber aussi sur vous, ou n'importe qui d'autre en Europe. Et c'est surtout une menace pour les pays arabes, en plus de ceux européens. La réponse, par conséquent, doit être internationale. Évitant les instrumentalisations de toutes sortes (tels que l'exclusion de la Russie, l'Iran ou d'autres pays qui ont un intérêt commun dans la lutte contre ce terrorisme), en admettant qu'il s'agit d'une menace commune à tous, les Renseignements des différents pays exposé au même risque doivent coopérer.

- Les partis d'extrême-droite, en France ainsi qu'en Italie, pointent du doigt l'immigration. Cela a-t-il sens?

Le terrorisme n'est pas nécessairement liée à l'immigration, car il peut également être conduit par l'autochtone, l'immigrant de troisième ou quatrième génération. Le problème est clair: nous avons des gens dans notre propre maison, qui sont une menace pour l'humanité. Non pas pour un pays en particulier, mais pour l'humanité. Parce que ce sont des gens qui refusent de s'intégrer, qui voient l'avenir à travers un passé imaginaire, qui vivent dans la culture de la haine. Si l'immigration n'est pas nécessairement un phénomène lié au terrorisme, il faut dire, cependant, que l'Italie a un problème d'immigration. Parce qu'elle ne fait pas comme le Canada ou l'Australie, pays qui sélectionnent les immigrants en fonction de leur valeur ajoutée, mais elle complique infiniment la vie aux immigrants légaux, tout en fermant les yeux sur les clandestins. C'est le vrai problème: la faible qualité de l'immigration, l'absence de contrôle. C'est une erreur fondamentale, car ici nous parlons de groupes qui se déplacent beaucoup d'un pays à l'autre, sans trop de limites de frontières.

- On ne fait que parler de la distinction entre l'islam modéré et l'islam radical. Vous vivez en Jordanie, qui est considérée comme le symbole de l'Islam modéré. Que pensez-vous de cette distinction: elle existe, ou c'est juste notre invention?

Je ne parviens pas à comprendre, à ce jour, ce qu'est l'Islam modéré. Je ne pense pas qu'en parler soit une façon sérieuse de traiter la question du terrorisme. Penser combattre les terroristes en s'appuyant seulement sur l'Islam modéré est une erreur. Aujourd'hui, pour affronter ces mouvements, il faudrait au contraire promouvoir le pluralisme dans les sociétés musulmanes. Les islamistes radicaux, en effet, ont tendance à imposer leur culture à tous. La Jordanie s'est énormément transformée, dans un sens radical, dans les quarante dernières années. Aujourd'hui, elle est presque méconnaissable par rapport à celle des années 60 et 70. Le problème doit par conséquent être abordé en donnant de l'espace et de la force aux mouvements laïques. Il faut sortir des limites étroites de la religion et penser en termes d'humanité, de respect du prochain, de droits humains: tout cela vient d'une culture qui accepte le pluralisme, la liberté de toutes les religions, et pas d'une vision religieuse «modérée» d'une société mono-confessionnelle. Parce que même le musulman modéré est convaincu de sa supériorité sur l'autre, il sait être fidèle tandis que l'autre ne est pas, il sait qu'il ira au paradis tandis que l'autre n'ira pas. Pour sortir de cette logique, il faut donc aller au-delà de la religion, trouvant une solution politique, acceptant un véritable pluralisme. Parce que jusqu'à présent, les sociétés arabes musulmanes n'ont pas réussi leur développement humain, la religion subvient à cet échec, la politique officielle, même des laïcs, a exploité ces mouvements (pour diverses raisons, de la guerre froide à aujourd'hui) et aujourd'hui c'est devenu un cancer avec des métastases partout.

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