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Affaire Magister vue par John Allen

Violation d'un embargo ou pas? Les précisions techniques d'un professionnel de l'information, John Allen

>>> Dossier ici:
Soutien à Sandro Magister

John Allen justifie ici le fait que son site, <Crux>, se soit fait l'écho du contenu de l'Encyclique en se basant sur la version "piratée" de l'Espresso présentée par Sandro Magister (notons que l'article date du 16 juin, le lendemain de la "fuite" et deux jours avant la présentation officielle).
Il s'agit donc de sa part d'une auto-justification, sans doute motivée par les réactions des lecteurs (d'où le titre qu'il a choisi), mais en passant, et sans doute pas par pure charité chrétienne, mais plutôt pour se couvrir personnellement, il dédouane son confrère italien de l'accusation de violation d'un embargo.
Il nous donne aussi un aperçu purement technique du problème, qui ne manque pas d'intérêt, vue sa connaissance de la question par expérience directe.

Une précision importante concernant le problème qu'il soulève à la fin. La version pirate et la version finale présentent des différences infimes. C'est sans doute à cette critique d'Allen (entre autre) que Sandro Magister a pensé en ajoutant trois jours après, ce post-scriptum à son article du 15 juin sur "Settimo Cielo":

De la comparaison entre le texte officiel rendu public à midi le jeudi 18 Juin et le texte anticipé de l'Espresso, il ressort seulement trois toutes petites variations.
La première est au paragraphe 57, au sujet des dommages que les guerres causent à l'environnement, d'autant plus énormes «quand on pense à l'énergie nucléaire et aux armes biologiques». Cette dernière expression est devenue dans le texte définitif: «quand on pense aux armes nucléaires et à celles biologiques».
La seconde est au début de la première des deux prières finales, où l'invocation: «Seigneur Très-Haut» est devenue «Dieu Tout-Puissant».
Et le troisième est toujours dans la même prière, où l'invocation «Père des pauvres» est devenu «O Dieu des pauvres» (ndt: peut-être parce que "Père" et "Seigneur" renvoient plus spécifiquement au catholicisme)
Dans tout le reste les deux textes sont identiques, même dans la mise en page.

Pourquoi nous avons parlé de l'encyclique

John L. Allen Jr.
16 Juin 2015
www.cruxnow.com
(ma traduction, les commentaires entre [..] sont de John Allen)
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Pratiquement aucune personne dotée de quelque mémoire n'a pu être surprise qu'une copie "fuitée" de la lettre encyclique du pape François sur l'environnement soit apparue dans la presse italienne lundi. Le Vatican a très vite dénoncé l'acte comme "odieux", appelant les journalistes à respecter l'embargo officiel jusqu'à jeudi midi heure de Rome.
La fuite a provoqué la panique des journalistes, essayant de discerner quelles sont leurs obligations éthiques dans une telle situation [en passant, pour tous ceux qui voient le business des médias comme dépourvu de scrupules, le fait qu'on ait consacré autant de temps à démêler ce que les obligations de l'embargo signifie dans ce contexte devraient y repenser sérieusement] (ndt: les médias me semblent ici plus soucieux de retombées juridiques que de règles morales!!)

Ce n'est pas vraiment la première fois qu'un document majeur du Vatican fuite avant sa publication, et la dynamique est pratiquement toujours la même - des officiels de l'Eglise dénoncent la fuite et demandent que tout le monde se calme jusqu'à ce que la version officielle soit publiée.
Toutefois, ce qui a aggravé les choses cette fois-ci, c'est que le scoop est paru dans un news magazine italien très lu, "l'Espresso", sous la plume du vaticaniste chevronné (senior) Sandro Magister, que beaucoup considèrent comme une voix conservatrice hostile au pape François.
[Magister a déclaré à Associated Press que c'est son rédacteur en chef, pas lui, qui a obtenu le document et a décidé de le publier. Magister dit qu'il a juste écrit la brève introduction.]

Pour revenir au rapport de Magister, il semblait donc éthiquement problématique dans deux sens: d'abord, que signifie violer la confiance d'une source, dans ce cas, le Vatican? Deuxièmement, cela rend-il celui qui le fait complice de l'agenda politique de quelqu'un d'autre?

La première étape vers une réponse nécessite un bref examen de ce qu'un «embargo» signifie réellement.
En général, les embargos sont imposés par les institutions désireuses de donner aux journalistes un aperçu anticipé sur quelque chose - un discours, un document scientifique, le budget fédéral de cette année, etc. - en échange d'une promesse de ne pas publier ou diffuser son contenu jusqu'à ce qu'il soit officiellement publié. L'idée est de donner aux journalistes le temps de digérer et de comprendre un document de sorte que leur papier puisse être plus complet et prêt à sortir dès la publication, plutôt que différé le temps que les journalistes examinent le texte après.
La force d'un embargo n'est donc pas l'obligation globale de ne pas rapporter quelque chose avant le feu vert officiel; elle découle des circonstances dans lesquelles l'information est obtenue.
Si une source donne à un journaliste quelque chose à condition qu'il ou elle attende jusqu'à un certain moment avant de le révéler, on attend. Si une source n'impose pas une telle condition, alors on peut y aller
.
Dans le cas présent, Magister dit que sa copie de l'encyclique provient d'une source anonyme à la Curie romaine. Il peut seulement dire si cette source a imposé des conditions sur l'utilisation de l'information, mais en tout cas, il n'y a pas violation d'un embargo officiel si votre matériel ne vient pas par les canaux officiels.

[Ce n'est toutefois pas la façon dont le Vatican voit les choses. Mardi, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, a affiché dans le hall une copie d'une brève lettre à Magister, qualifiant la publication de l'encyclique de «source de forte gêne pour beaucoup de collègues journalistes et de graves perturbations pour le bon service de ce bureau de presse», et l'informant que son accréditation était suspendue.]

Pour tous les autres, la situation soulève différentes questions. Il n'y a aucune restriction sur quelque chose publié en ligne par un site d'informations, mais on doit se demander si le fait de reproduire la violation d'un embargo faite par quelqu'un d'autre vous rend coupable aussi.
Ce qui nous ramène à la question de la façon dont le texte a été obtenu, et compte tenu de la description de Magister, il semblerait qu'aucune défaillance éthique n'était impliquée. Le Vatican n'a pas encore distribué les copies officielles sous-embargo de l'encyclique (ndt: l'article date du 16 juin), ce qui n'interviendra pas avant le mercredi 17 à 18 heures , donc Magister a dû obtenir le document d'une autre manière.

En revanche, la considération qui importe dans ce cas, c'est le jugement sur l'information: dans quelle mesure sera prise au sérieux ce qui pourrait se révéler être une version antérieure de l'encyclique, en particulier une version qui ne saisirait pas pleinement ce que le pape dira jeudi, et qui pourrait avoir été publiée, au moins en partie, à la suite de machinations politiques obscures.

D'autre part, pour le meilleur ou pour le pire, la fuite fait maintenant partie de l'histoire de l'encyclique, et les gens ont un intérêt légitime à connaître au moins quelque chose de ce que la première version contient.

Les valeurs en cause semblaient imposer (aux autres journalistes?) un équilibre entre (d'une part) une reconnaissance de la fuite et la réaction du Vatican, tout en rapportant le contenu de la fuite, et d'autre part les précautions dûes que rien n'a autorité jusqu'à la présentation officielle.

Finalement, cela semble être la façon dont la plupart des médias ont couvert l'histoire, y compris Crux.

Une dernière observation: cette frénésie boostera probablement l'intérêt pour la présentation officielle de jeudi, ne serait-ce que pour voir s'il y a effectivement des changements substantiels entre la fuite et le vériatble texte.

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