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Un évêque italien parle de Laudato Si'

Mgr Toso fut jusqu'en janvier dernier secrétaire de "Justice et paix". Il est longuement interviewé par Giuseppe Rusconi, sur son blog Rosso Porpora. Traduction de Anna.

>>> Dossier: L'Encyclique écologique

Mgr Mario Toso (né en 1950) est le nouvel évêque de Faenza, et par un hasard que je trouve étonnant, il a été question de lui tout récemment dans ces pages, pour avoir accompagné cette semaine des séminaristes de son diocèse chez Benoôt XVI (cf. Rencontre avec les séminaristes de Faenza).
A cette occasion, selon ce que rapporte Andrea Gagliarducci, le Pape émérite lui aurait dit: «Vous en avez fait du travail, à Justice et Paix».

Justement, il a participé comme secrétaire de ce dicastère (poste auquel il avait été nommé par Benoît XVI) à la première phase de l'élaboration de Laudato Si', avant d'être nommé, au début de cette année, à la tête d'un diocèse, l'écartant de fait de la Curie.
On lira donc avec un intérêt particulier ces propos en réponse à une question de Giuseppe Rusconi qui lui faisait observer que certains avaient pu voir dans l'Encyclique "un manifeste du parti écologiste universel... adressé davantage ad extra qu'ad entra":

(..) 'encyclique, telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui, a un aspect différent de celui de la première ébauche, qui prévoyait une longue introduction de caractère théologique, liturgie et sacramentel, spirituel… Si l'orientation initiale était restée, l'encyclique se serait adressée plus immédiatement au monde catholique. Le Pape François a préféré au contraire changer cette orientation, déplaçant au centre et à la fin la partie "théologique", ainsi que celle relative à la spiritualité et à l'éducation. De cette manière il a "restructuré" le matériel mis à sa disposition, l'exposant selon une méthode d'analyse et de discernement, impliquant la considération de la situation, sa propre évaluation et la préfiguration d'indications pratiques de lancement de la solution des problèmes. Il a ainsi voulu impliquer le plus grand nombre de lecteurs, même les non-croyants, dans un raisonnement largement partageable par tout le monde.

Saluons par aileurs la pugnacité de l'intervieweur, et ses questions percutantes qui traduisent bien ses propres réserves , et soulignent chez le prélat, malgré la réserve de rigueur, un malaise indéniable...

Laudato si':
Quelques considérations de Mgr Toso

Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
9 juin 2015

Longue interview à l'évêque salésien, secrétaire du Conseil Pontifical "Justice et Paix" jusqu'à il y a quelques mois - Développements et particularités d'une encyclique complexe dans son articulation et riche en nouveautés - L'objectif du Pape François? Être le promoteur d'un mouvement écologique global pour la sauvegarde universelle de la maison commune.

L'évêque assis à la table avec nous est un expert reconnu en doctrine sociale de l'Église. Mgr. Mario Toso, 65 ans, aujourd'hui pasteur de Faenza-Modigliana, a été de 2003 à 2009 recteur de l'Université Pontificale Salésienne, puis, jusqu'en janvier de cette année, secrétaire du Conseil Pontifical "Justice et Paix", le dicastère chargé de la première élaboration de "Laudato si''…

- Monseigneur Toso, vous êtes aujourd'hui évêque de Faenza-Modigliana, mais de 2003 à 2009 vous avez été recteur de l'Université Pontificale Salésienne et, de 2009 jusqu'à il y a quelques mois, secrétaire du Conseil Pontifical "Justice et Paix", le dicastère précisément qui a travaillé à l'élaboration de la première ébauche du document magistral. Vous êtes donc bien placé pour parler d'une encyclique qui est définie "écologique" par diverses parties….

« Oui, la définition doit toutefois être entendue dans le sens qu'elle situe la crise environnementale au centre de la question sociale, une crise complexe, qui ne se limite pas aux problèmes de l'environnement séparés d'autres problèmes importants concernant plus spécifiquement l'écologie humaine. Cette encyclique met essentiellement en évidence que la question sociale est caractérisée par la sauvegarde de l'environnement et souligne toutefois que la sauvegarde de l'humanité est urgente elle aussi. En d'autres termes, nous sommes en face d'une question écologique globale qui postule comme solution une écologie intégrale…

- Expliquez-nous comment se traduit concrètement cet "intégrale"…

« Comme je viens de le dire, la crise écologique que nous vivons aujourd'hui ne concerne pas uniquement les aspects strictement environnementaux, qui ont trait à la garde de la Création et des espèces, aux changements climatiques, aux ressources et aux énergies renouvelables, mais aussi les aspects culturels, anthropologiques, éthiques, religieux liés au développement de l'existence humaine. À cette crise il faut répondre par la promotion d'une écologie intégrale, qui ne s'étend et ne se concrétise pas uniquement sur le plan de la protection du milieu naturel, des espèces animales et végétales, de la lutte contre le réchauffement du climat, du refus de l'utilisation sans discrimination ni limite des ressources naturelles, mais aussi sur le plan de la conversion écologique, du changement des styles de vie, de la protection des milieux urbains, des rapports sociaux, de l'éducation.

- Si pour certains l'encyclique semble avoir dans certains de ses passages un souffle essentiellement "péroniste" (un air que François a respiré dans son jeune âge), elle apparait souvent, selon l'avis d'autres, comme un manifeste du parti écologiste universel (bien qu'avec des différences considérables en matière de droit à la vie, par exemple), adressée toutefois plus ad extra que ad intra

« En effet, l'encyclique, telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui, a un aspect différent de celui de la première ébauche, qui prévoyait une longue introduction de caractère théologique, liturgie et sacramentel, spirituel… Si l'orientation initiale était restée, l'encyclique se serait adressée plus immédiatement au monde catholique. Le Pape François a préféré au contraire changer cette orientation, déplaçant au centre et à la fin la partie "théologique", ainsi que celle relative à la spiritualité et à l'éducation. De cette manière il a "restructuré" le matériel mis à sa disposition, l'exposant selon une méthode d'analyse et de discernement, impliquant la considération de la situation, sa propre évaluation et la préfiguration d'indications pratiques de lancement de la solution des problèmes. Il a ainsi voulu impliquer le plus grand nombre de lecteurs, même les non-croyants, dans un raisonnement largement partageable par tout le monde.

- Pourquoi le Pape François a-t-il voulu cette modification, qui n'est pas négligeable?

« Comme il est évident dès le début de l'encyclique, l'objectif du Pape est d'être le promoteur d'un mouvement écologiste global pour la sauvegarde universelle de la maison commune…

- On ne peut pas le définir comme étant en soi un objectif compris parmi ceux de la Doctrine Sociale de l'Église…

« Le Pape François est inspiré par la méthodologie inaugurée en partie par l'encyclique Pacem in terris de Jean XXIII…

- Il y a une différence non négligeable: Jean XXIII s'adressait à "tous les hommes de bonne volonté", tandis que François étend le nombre des destinataires de l'encyclique à "toute personne qui habite sur cette planète"…

« Le Pape souhaite engager un processus de transformation des cultures de tous les peuples, de leurs institutions, un processus qui engage toutes les personnes, indépendamment de la couleur de leurs convictions. Dans la première partie de l'encyclique le Pontife privilégie une approche de type rationnel, sans toutefois exclure la lumière de la foi. Il est bien de le répéter: pour le pape François, la solution de la crise écologique dérive autant de l'apport des chrétiens que de l'apport des non-croyants, de la science et de la religion. Les solutions ne viennent pas d'une seule façon d'interpréter et transformer la réalité.

- Ne risque-t-on pas de cette manière de perdre quelque peu de vue le cadre théologique indispensable pour illuminer la voie à parcourir?

« Non, l'adoption de cette méthode n'exclut pas le regard théologique, qui reste présent à tout moment, tout en n'étant pas au premier plan, comme l'exigerait une encyclique éminemment théologique.

- On a par endroits l'impression, ancrée chez certains critiques surtout états-uniens, que le Pape veut enseigner aux scientifiques leur métier…

« Le Pape n'a pas voulu parler de la question environnementale uniquement dans les termes des grands principes théologiques et philosophiques, pour ne pas finir dans l'abstrait. Il a voulu enrichir sa réflexion utilisant aussi différents résultats d'études scientifiques sur les questions contemporaines de l'environnement. Il est évident qu'en se servant des résultats aujourd'hui les plus partagés il n'a pas voulu les canoniser et les imposer aux scientifiques. Il a plutôt voulu présenter une interprétation du point de vue anthropologique et éthique. Tout le monde sait que plusieurs résultats considérés aujourd'hui comme "scientifiques" ne sont pas irréfutables, indiscutables. L'enseignement des Pontifes engage leur propre autorité au plan moral, qui est le plan correspondant à leur compétence éthique et religieuse.

- Pourtant, des thèmes scientifiques concrets, avec autant de suggestions, il y en a beaucoup dans l'encyclique…il suffit de penser à l’un des plus retentissants et des plus controversés, celui lié au prétendu réchauffement de la planète…

« Je me permets d'insister: Ce que le Pape entend faire n'est pas tant de réaffirmer la prégnance scientifique des nombreux résultats des études et des débats contemporains qu'il assume, que de réfléchir plutôt aux questions anthropologiques et éthiques qu'ils impliquent. L'Église n'a pas de compétences au plan technique et scientifique, tandis que sur celui d'une dimension anthropologique et éthique de la phénoménologie scientifique, oui.

- On observe que, dans certains passages, l'encyclique semble avoir des accents vaguement panthéistes. Par exemple en des passages comme celui-ci: "la fin ultime des autres créatures ce n'est pas nous. Elles avancent d'ailleurs toutes, avec nous et par nous, jusqu‘au terme commun, qui est Dieu"… (n. 83)

« Mais il y en a d'autres, où le Pape François renoue pleinement avec les enseignements de Caritas in Veritate de Benoît XVI, empruntant l'interprétation donnée dans cette grande encyclique de la relation entre l'homme et la nature. Comme Benoît, le pape François arrive à préciser que l'homme ne peut pas être placé sur un plan d'égale dignité avec les autres créatures. L'homme a au sein de la Création une prééminence sur les autres êtres qui doit lui être reconnue. Prééminence ne veut toutefois pas dire domination despotique qui, comme notre époque le montre, se transforme ensuite en un dommage grave pour toute l'humanité.

- Six points du dernier chapitre sont dédiés à la "conversion écologique": en quoi consiste-t-elle?

« "Conversion écologique" est une expression utilisée dans un contexte d'approche globale à la question écologique. Certes, l'expression peut prêter à confusion mais il ne faut pas s'empêtrer trop dans chaque mot et chaque expression, en faisant abstraction du contexte…

- Cependant, la parole du Magistère d'un Pontife ne devrait pas se prêter à confusion…

« L'expression "Conversion écologique" ne doit pas être prise en soi (isolément). Elle présuppose toujours une précédente et précise conversion religieuse à l'égard de Dieu. C’est seulement après cette première conversion qu’émergent toutes les conséquences de la rencontre avec Jésus dans les relations avec le monde et on est en condition de parler de "conversion écologique".

- Dans l'encyclique de presque 200 pages il est question d’écologie intégrale, mais en réalité les lignes consacrées au droit à la vie, à la famille, à l'éducation sont très rares par rapport aux pages réservées aux autres thèmes anthropologiques. Celle que par exemple Benoît XVI, dans son discours à la Curie romaine de décembre 2012, définissait comme le plus grand menace pour l'Église, l'idéologie gender, n'est même pas citée par son nom et n'est mentionnée que très indirectement au milieu du n.155…

« Il est vrai que dans l'encyclique les thèmes que vous évoquez sont mentionnés de manière succincte. On aurait pu leur donner une attention plus large. Mais dans une encyclique déjà longue… De plusieurs passages il émerge toutefois très clairement que pour ce Pontife aussi, l'éthique environnementale est strictement liée à l'éthique sociale, de la vie, de la famille…

- Dans l'encyclique une place importante est donnée aux caractéristiques de la vie urbaine… une nouveauté…

« La considération d'une écologie intégrale ne pouvait pas manquer de mettre en évidence l'importance du lien entre les espaces urbains et ruraux et le comportement humain. Effectivement, il n'y a pas encore d'engagement suffisant dans la construction des villes nouvelles, dans la planification des édifices et des quartiers. Il ne suffit pas de rechercher la beauté en soi des projets, sans tenir compte de la qualité de la vie des personnes, de leur harmonie avec l'environnement, de la rencontre et de l'aide réciproque.

- Il y en a qui, après avoir lu l'encyclique, ont l'impression que son auteur est resté dans l'esprit et le cœur dans les "villas miserias" de Buenos Aires…

« Il est vrai que l'encyclique confirme l'attention prééminente de ce Pontife à l'égard des derniers et des plus pauvres. Il lance un cri d'alarme en partant des plus pauvres, car ils sont les premiers à souffrir, et de la façon la plus grave, si l'environnement continue de se dégrader. Cette attention particulière aux derniers de la Terre nous offre un nouveau point de perspective. Il nous stimule à examiner la question environnementale d'une manière différente de celle à laquelle nous sommes habitués: c'est-à-dire en ne pensant pas qu'aux aspects du genre techno-économique et scientifique, mais en premier à ceux concernant la dignité de la vie humaine et la qualité de son existence.

- Pour terminer: on retrouve dans l'encyclique de nombreuses affirmations et propositions qui feront beaucoup discuter. Nous citons pour toutes ce passage (numéro 193 de l'encyclique): "Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties."…

« Il s'agit là de considérations claires et courageuses en même temps. Dans ce cas aussi le Pontife n'est pas partisan de formes paupéristiques de vie ou de proposition de décroissance insensées, qui méprisent le progrès scientifique et le caractère indispensable du développement technique et économique. Il nous invite plutôt à viser une croissance qui ne soit pas réservée qu'à quelques-uns et aussi à équilibrer la croissance économique avec le progrès social de tous. Des perspectives qui sont largement compréhensibles à ceux qui croient au bien commun et à la destination universelle des biens, outre que dans une fraternité universelle. Afin qu'il y ait une liberté économique dont tous puissent bénéficier, il est parfois nécessaire,note le Pape François, que des limites soient posées à ceux qui détiennent le plus de ressources et le plus de pouvoir financier. Cela a été réalisé dans le passé par la réforme agraire (ndt: en Italie ? cf. www.persee.fr). On ne voit pas comment aujourd'hui il ne serait pas possible de réaliser quelque chose de semblable en ce qui concerne l'usage sans discrimination ni limite des ressources non renouvelables.

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