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Eviction de Sandro Magister (I)

Excellent article de Giuseppe Nardi sur le site allemand <katholisches.info>, traduit par Isabelle.

>>> Dossier complet sur l'Encyclique Laudato si', et ses à-côtés: L'Encyclique écologique

Le plus influent critique du Pape François parmi les vaticanistes exclu par le saint Siège.

http://www.katholisches.info
16 juin 2015
Giuseppe Nardi

(Rome). Sandro Magister est, depuis 1974, le vaticaniste de l’hebdomadaire L’Espresso. Depuis 41 ans, il livre, sur le saint Siège et l’Eglise catholique, des informations de première main. Une activité qu’il a exercée sous cinq pontifes depuis Paul VI. Il a toujours travaillé avec une prudence remarquable, livrant aussi des informations de fond, parmi lesquelles plus d’une fois des révélations. Jamais, sous aucun pape, cela ne donna lieu à des sanctions. Avec le pape François toutefois, les choses ont changé. L’Espresso a divulgué une première mouture de l’encyclique écologique Laudato Si, imprimée voici quelques jours par l’imprimerie vaticane, puis destinée au pilon, en raison de dernières retouches à apporter. Des journaux italiens ont aussitôt soupçonné des « critiques conservateurs du pape » d’être à l’origine de ces fuites. Une allégation que l’on pouvait entendre aussi au Vatican, dans la bouche de certains proches du pape. Le service de presse du saint Siège imputa la divulgation à Magister et lui infligea la plus sévère des sanctions possibles: la suspension « pour une durée indéterminée » de son accréditation près le saint Siège. Depuis 41 ans, Magister, vétéran parmi les vaticanistes, allait et venait au service de presse du saint Siège. Il est un des vaticanistes aux plus longs états de service et surtout, un des plus expérimentés.
Voici exactement ce que l’on peut lire dans le communiqué du service de presse du Vatican :

« Avec tous mes regrets, votre Federico Lombardi »
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« Très estimé Dr. Magister,
La divulgation par vos soins d’un projet du texte de l’encyclique pontificale, pour lequel un embargo avait été déclaré, est une initiative manifestement incorrecte. Elle est source d’un profond malaise pour de très nombreux collègues journalistes et affecte sérieusement le bon fonctionnement de ce service de presse.
Je vous informe dès lors que votre accréditation auprès de notre service de presse est suspendue à dater de demain et pour une durée indéterminée.
Avec tous mes regrets, votre
Frédérico Lombardi SJ
NB : Cette sanction doit naturellement être communiquée aux collègues de la salle de presse.
Pour information à :
Dr. Luigi Vicinanza
Rédacteur en chef de L’Espresso ».

En disgrâce auprès du Pape depuis la révélation du passé homosexuel de Battista Ricca, un proche de François.
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Chacun sait que, parmi les vaticanistes de renom, Magister adopte une position particulièrement critique à l’égard du pontificat du pape François. Sa disgrâce auprès du pape argentin date de juin 2013 déjà: il avait alors critiqué la nomination de Mgr Battista Ricca, le directeur de la Maison Sainte-Marthe, comme prélat de la banque vaticane, l’IOR. Magister avait à cette occasion révélé le passé homosexuel de l’ancien diplomate du Vatican. Malgré cela, le pape François ne retira pas sa décision. Bien au contraire.
Les révélations de Magister amenèrent des journalistes à poser au pape François, dans l’avion qui le ramenait des JMJ de Rio de Janeiro, des questions sur le cas Ricca. Le pape François répondit avec une autre question, désormais tristement célèbre : « Qui suis-je pour juger ? ». Une phrase qui, depuis lors, a perdu toute référence au cas Ricca et s’est diffusée et généralisée comme la reconnaissance des mœurs homosexuelles et d’autres, qui contreviennent à la doctrine morale de l’Eglise.
Bien que cette phrase ait permis à des hommes politiques de justifier la légalisation du « mariage homo », le pape François n’a pas jugé bon, en bientôt deux ans, de corriger son expression.


Une bête noire pour « ceux là-dedans ».
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Pour Magister, cela a signifié depuis juin 2013 : être ostracisé par certains prélats du Vatican, en particulier la garde rapprochée du pape François. Sandro Magister était considéré par « ceux là-dedans » – la maison Sainte-Marthe – et l’entourage pontifical, comme une bête noire (ndt : en allemand « rotes Tuch », le chiffon rouge que l’on agite pour énerver le taureau). Ses excellentes informations et ses analyses perspicaces rendaient visibles à tous beaucoup de contradictions du pontificat actuel. C’est lui qui a dévoilé le rôle de régisseur joué par le pape lui-même dans les intrigues contestées du synode de 2014.
Il critiqua les interviews controversées du pape avec l'athée Eugenio Scalfari, là où d'autres vaticanistes ne faisaient que les applaudir sans critique ou ne cherchaient qu'à les «expliquer» avec des contorsions. Magister n'hésita pas à faire ces critiques, alors même que Scalfari avait été de 1963 à 1968 rédacteur en chef de l'Espresso. C'était bien sûr avant que Magister ne fût engagé au magazine, mais jusqu'à ce jour Scalfari est resté l'éminence grise dans le groupe de presse, auquel appartiennent l'hebdomadaire l'Espresso et le quotidien La Repubblica. Le journaliste engagé ne s'est d'ailleurs pas fait que des amis dans la maison même.
A l’inverse, son attitude objective, qui le préservait d’une fausse apologétique, valait à Magister de recevoir d’innombrables informations que lui transmettaient des prélats critiques envers le pape.
Il faudra voir les conséquences qu’aura cette sanction pour le travail de Magister et, tout d’abord, attendre la réaction de son employeur. A la rédaction, ou au niveau de l’éditeur ou du propriétaire du magazine, on pourrait penser qu’un vaticaniste sans accréditation est une contradiction. A L’Espresso, l’équivalent italien du Spiegel en Allemagne, une telle façon de voir les choses ne s’impose pas

Une faute bénigne : l’occasion bienvenue ?
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L’irritation des autres vaticanistes à l’égard du solo de Magister est considérable
. Malgré cela, certains sont d’avis que l’implication de Magister était une aubaine pour certains au Vatican. Le porte-parole Lombardi a justifié la sanction par l’assurance objective que Magister aurait enfreint l’embargo de publication. Or, c’est précisément ce que conteste Magister en s’adressant à Associated Press. C’est l’éditeur de L’Espresso qui, dit-il, a décidé la publication. Quant à lui-même, poursuit Magister, il a seulement rédigé une brève notice introductive qui lui paraissait nécessaire. Sur la décision même de publication, il n’aurait eu aucune influence.
Magister n’est pas le premier journaliste qui se voit retirer son accréditation. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une sanction rarissime ; ce qui renforce l’impression que cet incident a offert à quelqu’un le prétexte attendu pour sanctionner, au vu de tous, le critique le plus influent du pape François parmi les vaticanistes. On sait depuis longtemps que le pape François est rancunier.
Pour un vaticaniste, se voir retirer son accréditation à la salle de presse du saint Siège, c’est se voir retirer le fondement même de son travail. Une mesure qui, cela est certain, a surpris aussi Magister.

« Le nouveau despotisme au Vatican exige une nouvelle victime » : Chiesa e Post Concilio commentait ainsi l’exclusion de Magister, le décrivant comme un « catholique intègre et véritable ». « La nouvelle miséricorde en action confinerait au ridicule, dans ce cas encore, si cela n’était un sérieux motif d’inquiétude », affirme encore le site romain, lié aux milieux traditionnels.



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