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Le crash de l'Airbus, parabole pour aujourd'hui

Intéressante réflexion d'Antonio Socci, après la catastrophe aérienne en Haute Provence

>>>Sur un sujet voisin:
L'Eglise n'est plus une barque, mais un avion...

L'Europe a enfermé Dieu à l'extérieur de la cabine (et à présent, nous sommes en piqué)

www.antoniosocci.com/fuori-dalla-cabina-leuropa-ha-chiuso-dio-e-ora-siamo-in-picchiata
Ma traduction
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Les récits sur la tragédie de l'avion qui s'est écrasé en Haute Provence décrivent tout dans les moindres détails, mais il en manque toujours un. Essentiel.
Même dans les jours de la douleur de tant de familles, dans l'élaboration du deuil, quand on essaie d'endiguer l'océan de larmes qui monte du cœur avec la colère, la seule présence capable d'éclairer la nuit obscure du mal et de la mort est absente de la chronique: Dieu.
On a pu noter que les journaux parlent de sauveteurs, de volontaires, de psychologues, mais jamais de la présence de prêtres ...
Peut-être que dans la France de la «laïcité», la France qui légifère contre les signes religieux dans les espaces publics, Dieu continue à être comme le pilote qui a été enfermé à l'extérieur de la cabine: hors de l'arène publique, hors de l'histoire.

Du reste, c'est justement un poète français, Jacques Prévert, qui l'a chanté (ndt: dans "Paroles"): «Notre Père qui es aux cieux / Restez-y/ Et nous nous resterons sur la terrre».

Le comportement des Américains après le 11 Septembre 2001 et d'autres tragédies semblables est totalement différent.
Outre-Atlantique, la douleur de la communauté assume immédiatement un horizon religieux, elle s'exprime à travers la prière, avec des signes et des rites qui renvoient à la grande espérance qui vainc le mal et la mort.
Aux États-Unis, la religion chrétienne exprime la force morale qui éclaire la vie commune, la démocratie et la liberté personnelle (ce n'est pas un hasard si le serment du Président est fait sur la Bible).

Il a été dit, banalement, que la catastrophe de Haute Provence est la première tragédie aérienne européenne: vol parti d'Espagne, en direction de l'Allemagne, qui s'écrase en France avec des passagers de toutes nationalités.
Mais c'est une tragédie européenne aussi parce qu'elle montre l'égarement spirituel de notre Europe, incapable de donner un nom au mystère du mal et d'accepter le témoignage d'un Bien plus fort que la mort.

En fin de compte, nous pourrions dire que cette tragédie prend une valeur symbolique. Parce que la sombre folie individuelle du co-pilote, qui a provoqué le massacre, évoque nos folies collectives et leurs fleuves de sang.
C'est un peu la métaphore du XXe siècle européen, le temps des idéologies, des totalitarismes et des deux guerres mondiales.
Peut-être certains trouveront-ils ce parallèle excessif ou arbitraire. Mais l'image d'un homme seul, perdu dans les méandres de son esprit, qui empêche le vrai pilote de retourner dans la cabine, et - en se suicidant - conduit toute une humanité à s'écraser sur la roche, est une photographie impressionnante du XXe siècle en Europe.
Elle évoque le siècle dans lequel on a prétendu expulser Dieu de la cabine de l'histoire, et l'homme, seul, dans son désir de toute-puissance, sa mégalomanie, qui a accouché de tyrans sanguinaires, a produit l'enfer sur terre.

Et aujourd'hui? Aujourd'hui où en Europe, apparemment, ces idéologies et ces totalitarisme ont été balayés? Sommes-nous certains que leurs poisons ne continuent pas à circuler dans nos veines?
Sommes-nous certains que la technocratie européenne laïque, si politiquement correcte, nihiliste, gendarme farouche des paramètres économiques, ne nous mène pas en piqué contre la montagne?
Aujourd'hui que nous continuons de laisser le pilote à l'extérieur du cockpit de la vie sociale et de l'histoire, allons-nous vers un monde plus humain? Sommes-nous certains que cette fois l'expulsion de Dieu nous fait voler dans les cieux de la félicité et de la liberté?
La puissance scientique et technologique dont nous disposons, admirable comme le jet de la Lufthansa, semble entraînée par une idéologie technocratique faustienne qui est incapable de distinguer le bien du mal et refuse même d'envisager le problème du Bien et du Mal. En fin de compte, elle refuse les «limites» qui devraient être imposées au «co-pilote», c'est-à-dire l'homme.

Croyons-nous que les lendemains qui chantent (1) nous souriront vraiment un jour? De nombreux signes disent exactement le contraire.

EN PIQUÉ
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Il n'y a pas seulement la crise économique persistante qui semble condamner l'Europe à un déclin qui apportera pauvreté et crises sociales dévastatrices, tandis que nous sommes «achetés» par l'impérialisme économique de géants totalitaires comme la Chine ou de la finance pétrolifère islamique.
Mais il y a plus: il y a une guerre systématique contre la vie et contre la famille, le rétrécissement vertigineux des libertés individuelles et des droits des peuples, le mépris de toute référence morale et spirituelle, l'incapacité totale de faire face à la lourde menace islamiste, sinon à travers le persiflage satirique des religions et des choses sacrées.
Il y a déclin démographique, l'immigration massive, le nihilisme rampant qui fait de la vie spirituelle des jeunes générations un désert
Ce sont quelques-uns des signaux d'alarme qui nous disent: attention, l'«avion Europe» perd vertigineusement de l'altitude et s'en va en piqué contre une montagne. Et ensuite, comme toujours, l'Europe entraîne le monde avec elle.

LE CRASH?
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Un grand philosophe français contemporain, René Girard, analysant précisément ces signes dans un récent livre, écrivait: «l'impression est que l'humanité tout entière est sur le chemin d'une sorte de rendez-vous planétaire avec sa propre violence».
Girard, grand converti, considère que le destin de la civilisation se joue en prenant position face à Jésus-Christ, qui a coupé en deux l'histoire humaine et qui met chaque époque devant un croisement: soit Lui, soit la violence destructrice du Mal.
Du reste, c'est ce que l'Église a essayé de répéter durant toute la modernité. Le grand John Henri Newman écrivait: «L'excès d'iniquité est l'indice d'une mort prochaine. Si l'Eglise se retirait du monde, le monde arriverait en peu de temps à sa fin».
Benoît XVI lui aussi, qui est pour notre époque la voix du «pilote divin» rejeté par le monde, dans l'encyclique sur l'espérance a évoqué «l'issue perverse de toutes choses» comme conséquence de l'annulation définitive du christianisme.

Il l'a fait avec une citation de Kant très éloquente: «Si le christianisme devait cesser d'être aimable [...], on verrait nécessairement [...] l'aversion et la révolte soulever contre lui le cœur de la majorité des hommes; et l'antéchrist, que l'on considère de toute façon comme le précurseur du dernier jour, établirait son règne (fondé sans doute sur la peur et l'égoïsme), fût-ce pour peu de temps; et comme le christianisme, destiné à être la religion universelle, serait alors frustré de la faveur du destin, on assisterait à la fin (renversée) de toutes choses au point de vue moral» (2).

C'est une pensée dramatique, presque apocalyptique. Mais y a-t-il une contre-épreuve? Oui, et c'est l'histoire qui nous la fournit.

CONTRE-ÉPREUVE
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En effet l'Europe, qui était le continent le plus petit et le plus défavorisés, mis au tapis par les invasions barbares, a pu littéralement conquérir la planète entière à sa propre civilisation grâce à l'énergie intellectuelle et morale qui s'est dégagé des siècles chrétiens, qui ne sont pas seulement ceux du Moyen Age, mais aussi ceux de l'humanisme, de la Renaissance et de l'époque baroque post-tridentine.
Tout récemment, je relsais deux pensées d'un grand sociologue et historien des religions, Rodney Stark (non-catholique) (3) qui, parlant aux modernes européens, les exhortait en ces termes: «si le christianisme n'avait pas fait irruption dans l'histoire «la plupart d'entre vous n'aurait pas appris à lire et les autres liraient des rouleaux manuscrits».

Et encore:

«Sans une théologie confié à la raison, au progrès, à l'égalité morale, le monde entier en serait aujourd'hui plus ou moins où en étaient les sociétés non-européennes, disons, en 800: un monde plein d'astrologues et d'alchimistes, mais pas de scientifiques. Un monde de despotes, sans universités, banques, usines, lunettes, cheminées pianos. Un monde où la majorité des enfants n'atteignent pas cinq ans de la vie et beaucoup de femmes meurent en donnant naissance à un enfant. Un monde qui vit vraiment dans les "âges sombres"».

L'homme moderne, croyant ou non, doit tout au christianisme. Pourtant, il le méprise et en voulant exclure la foi, il risque de perdre la raison. Et de se suicider.

NDT

(1) Le magnifiche sorti e progressive - allusion à un poème de Giacomo Leopardi, "La ginestra"
Ce site propose cette traduction:
L'admirable destin, les progrès de l'Histoire

(2) Spe Salvi, §19 (cf. w2.vatican.va)

(3) Rodney Stark, Le triomphe de la raison. Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme

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