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Le problème des homélies à Santa Marta

... ou les limites d'une prédication informelle et hors-contrôle. Riccardo Cascioli, qui s'est senti personnellement interpelé, revient sur un cas d'espèce: l'une des dernières homélies à Santa Marta, où le Pape a évoqué implicitement - et ironiquement - les apparitions de Medjugorje

Medjugorje, court-circuit communicatif

Riccardo Cascioli
11 juin.2015
www.lanuovabq.it
(ma traduction)
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«Superstition à Medjugorje - les voyants désavoués»; «La malédiction du pape contre les voyants»; «La Sainte Vierge n'envoie pas d'émissaires»; «Le pape: chercher les voyants n'est pas [digne] de chrétiens - La référence indirecte à Medjugorje: "Ne diluez pas la foi en une religion soft" ».

Ce sont quelques-uns des titres des journaux d'hier, rapportant les paroles prononcées par le pape François dans son homélie de la messe du matin célébrée mardi à Santa Marta. Apparemment, une condamnation sans appel de Medjugorje, trois jours seulement après avoir annoncé une décision à venir sur les présumées apparitions, limitée toutefois à quelques orientations pour les évêques. Du moins, c'est ainsi qu'elle a été présentée à la presse mondiale.

Mais est-ce le cas? En réalité, en lisant la synthèse de l'homélie telle que rapportée par Radio Vatican et l'Osservatore Romano (pour les homélies de Santa Marta, il n'y a pas de texte intégral) (1), les choses sont un peu différentes. Le Pape parlait de l'identité chrétienne et des attitudes des chrétiens qui la menacent. Parmi eux, le pape François faisait référence à «"ceux qui ont toujours besoin de nouveauté de l'identité chrétienne" et ont "oublié qu'ils ont été choisis, oints", qu'ils "ont la garantie de l'Esprit" et cherchent "mais où sont les voyants qui nous disent aujourd'hui la lettre que la Sainte Vierge va envoyer à 16 heures?" Par exemple, non? Et ils vivent de cela. Ce n'est pas de l'identité chrétienne. Le dernier mot de Dieu s'appelle "Jésus" et rien de plus». (ndt: no comment, du moins en ce qui concerne la forme!!) (2)

En d'autres termes, le Pape s'en prenait à ceux qui se soucient beaucoup des voyants, et pas de Celui qu'ils voient. Ce qui est plus que juste, et - l'auteur de ces lignes ayant été plusieurs fois à Medjugorje - je peux vous assurer que c'est aussi ce que rappellent constamment les voyants eux-mêmes.

Tout va bien, donc? Non. Parce que si le pape entend rappeler une attitude vraie envers le phénomène des apparitions présumées, et que tout le monde comprend qu'il «condamne» Medjugorje, il y a un petit problème, voire un gros problème. Et ce n'est pas la première fois qu'un «tremblement de terre», comme celui-là se produit. Toute la faute revient aux journalistes qui instrumentalisent le Pape, alors? Trop facile. Il y a certainement cet aspect, mais si nous sommes honnêtes, nous devons dire qu'il entre pour une part minime.

Alors d'où vient le court-circuit?

>Tout d'abord, le sujet de l'exemple, Medjugorje, est une affaire très délicate: il y a la singularité d'apparitions qui continueraient quotidiennement depuis 35 ans et qui ont désormais conduit à la petite ville d'Herzégovine des millions et des millions de pèlerins venus du monde entier. Pour la plupart, des fidèles, qui viennent et reviennent, attirés par l'atmosphère de prière qu'on y vit et les témoignages de foi qu'on y rencontre. Il y a des milliers et des milliers de conversions, qui laissent stupéfaits et émus. Pourtant, les deux évêques qui se sont succédés à la tête du diocèse au cours des dernières années, se sont fortement opposés à la reconnaissance du caractère surnaturel de l'événement et pensent qu'il s'agit d'une escroquerie. Un gros problème parce que normalement, celui qui décide de la véracité des apparitions devrait être l'évêque du lieu. Un «oui» créerait une situation délicate avec l'évêque local, un «non» semblerait incompréhensible pour des millions de fidèles. Le fait que le pape Benoît XVI ait mis en place une commission internationale dirigée par le cardinal Camillo Ruini, qui a travaillé pendant près de quatre ans, prélude à une suspension des pouvoirs juridictionnels de l'évêque sur la paroisse de Medjugorje, mais dans tous les cas, le développement de l'histoire ne sera pas indolore.

Quoi qu'il en soit, dans le monde entier, le résultat de l'enquête de la Commission internationale et la décision subséquente du pape sont très attendus, comme le montre aussi l'importance accordée aux quelques mots prononcés par le pape François de retour de Sarajevo, à propos d'une prochaine indication de sa part (3). Il est donc évident que chaque mot sur de lui sur le sujet sera disséqué pour comprendre l'orientation.

> Et ici se connecte le deuxième élément, les mots utilisés. Dans les homélies à Santa Marta, le Pape parle a braccio, il va en roue libre, et à présent nous savons qu'il aime à utiliser des expressions très familières ou des images évocatrices, qui certes ont le don de l'immédiateté mais qui se prêtent aussi à des interprétations erronées et à de faciles malentendus. Désormais, les accidents de ce genre ne se comptent plus, et peu importe si tout le monde devrait savoir que les conférences de presse et les homélies à Santa Marta ne constituent pas le magistère et ne peuvent pas être considérées comme des canaux pour annoncer des décisions officielles. Le fait est que certaines expressions «offrent» des manchettes aux journaux, qui ne manquent pas de remercier. Et pas seulement cela: parfois - comme dans ce cas - au-delà des intentions, elles semblent (!!) se moquer de ceux qui suivent certaines dévotions. En outre, sur Medjugorje, ce n'est pas la première fois que le pape François utilise des expressions fortes: le 14 Novembre 2013, mettant en garde contre l'esprit de curiosité, il a même dit que «la Madonna n'est pas un chef du bureau des postes, pour envoyer des messages tous les jours» (4). A l'époque, l'expression avait suscité de la surprise et été rapportée avec emphase par les médias, mais n'avait pas eu la force explosive de l'intervention mardi dernier.

> Le pourquoi réside dans un troisième élément, qui est le moment choisi. Comme mentionné précédemment, dans ce cas le pape François venait d'annoncer la publication prochaine d'un certain nombre de directives sur le sujet, ce qui avait créé un climat de fortes attentes. Dans cette situation, il est évident que chaque mot, chaque mimique, chaque regard pouvant faire allusion à Medjugorje allaient être analysés pour en tirer des indications. Imaginez les références à la Sainte Vierge servant de factrice! On peut ne pas aimer, ce n'est peut-être pas tout à fait correct, mais nous savons que tel est le monde des médias.

Il n'est pas étonnant alors que les paroles du Pape prononcées mardi aient fait l'effet d'une bombe dans les journaux télévisés et la presse du monde entier, et que de nombreux pèlerins à Medjugorje se soient sentis (injustement) frappés.

Mais ce qui laisse le plus perplexe, c'est le comportement de l'appareil de communication du Saint-Siège. Que les paroles du Pape rebondissent dans le monde entier avec un sens et une interprétation différents des intentions était tout de suite évident (ndt: ah bon?), mais,qu'il ne soit venu à l'esprit d'aucun des nombreux consultants et experts en communication qui se pressent et pèsent sur les caisses de la Cité du Vatican de courir réparer les dégats, de mettre en garde contre l'utilisation de ces mots hors de leur contexte et en tout cas de ne pas les interpréter comme une anticipation d'un jugement sur Medjugorje, répétant le sens de l'homélie. Non, on a laissé passer dans le monde entier le message d'un désaveu des apparitions et ds voyants de Medjugorje. Incapacité? Résultat voulu? Nous l'ignorons.

Le porte-parole du Vatican, le père Lombardi a déjà dit dans le passé qu'il ne commentrait jamais les homélies de Santa Marta, justement parce qu'elles ne représentent pas des positions officielles, ou le Magistère. Et pourtant, étant donné qu'elles créent l'opinion publique, ce serait l'occasion de reconsidérer la question: ou les homélies sont réservées uniquement aux participants aux messes de Santa Marta ou bien que des mesures soient prises quand passe un message qui ne correspond pas aux intentions du Pape. Il y déjà tellement de confusion, pourquoi en créer plus?

* * *

(1) La synthèse de Zenit en français (à peine compréhensible!) donne une idée de la difficulté de la tâche.
Elle fait une impasse pudique sur ces propos.
Version "officielle": w2.vatican.va

(2)«Su questa strada», ha proseguito Francesco, ci sono anche «quelli che sempre hanno bisogno di novità dell’identità cristiana: hanno dimenticato che sono stati scelti, unti, che hanno la garanzia dello Spirito, e cercano: “Ma dove sono i veggenti che ci dicono oggi la lettera che la Madonna ci manderà alle 4 del pomeriggio?”. Per esempio, no? E vivono di questo». Ma «questa non è identità cristiana. l’ultima parola di Dio si chiama “Gesù” e niente di più».

(3) Voici la réponse du Pape, selon le site du Vatican:
Sur le problème de Medjugorge le Pape Benoît XVI, en son temps, avait fait une commission présidée par le Cardinal Camillo Ruini ; il y avait aussi d’autres Cardinaux, théologiens, spécialistes. Ils ont réalisé une étude et le Cardinal Ruini est venu chez moi et il m’a remis l’étude, après de nombreuses années – je ne sais pas, 3-4 ans plus ou moins. Ils ont fait un beau travail, un beau travail. Le Cardinal Müller [Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi] m’a dit qu’il aurait fait une « feria quarta » [une réunion consacrée à la question] ces temps-ci ; je crois qu’elle a été faite le dernier mercredi du mois. Mais je ne suis pas sûr… [Note du P. Lombardi : en effet il n’y a pas encore eu une feria quarta consacrée à ce thème]. Nous sommes sur le point de prendre des décisions. Puis, on les communiquera. Pour le moment on donne seulement quelques orientations aux évêques, mais dans la lignes des décisions qu’on prendra. Merci !

(4) Curieusement introuvable sur le site du Saint-Siège (cf. la liste des homélies de 2013), mais accessible sur Zenit.

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