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Les vrais ennemis de François

Selon l'analyse d'Andrea Gagliarducci dans son dernier billet hebdomadaire du lundi, ce sont les carrièristes des deux bords

>>> Ci-contre: Le Pape et Mgr Paglia, Président en stand-by du Conseil pontifical pour la famille et postulateur de la cause de béatification de Mgr Romero, après avoir laissé son précédent diocèse de Terni en état de banqueroute (cf. www.lanuovabq.it/it/articoli-riforma-della-curia-ci-pensano-i-giudici-di-terni)

Une fois mis à part le malaise que suscite la répétition de l'affirmation que le pape François "n'est pas celui que l'on croit" (voir ce que j"écrivais pour le billet précédent, traduit ici: Les enjeux de l'élection à Caritas internationalis), l'article est cette fois encore très intéressant et très bien informé.

Le vrai Pape François et ses vrais ennemis

Andrea Gagliarducci
25 mai 2015
www.mondayvatican.com
Ma traduction
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Le discours d'ouverture de François à l'assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne (cf. Zenit) a montré l'esprit du vrai Pape François (!!!). Le Pape a condensé ses vues sur l'Eglise en deux pages de texte qu'il a écrites personnellement. Ses vues sont celles d'une Eglise non-cléricale, capable d'éduquer les laïcs, avec des prêtres et des évêques qui agissent comme des pasteurs, pas des gestionnaires. Il dit toujours les mêmes choses, mais il est significatif qu'il ait déclaré cela devant les évêques italiens, censés être une de ses cibles particulières. Et la façon dont l'assemblée s'est poursuivie après [son départ] révèle peut-être qui sont les vrais ennemis du Pape François. En fin de compte, il n'a qu'un seul ennemi: le carriérisme ecclésiastique.

Pour être clair, le carriérisme n'est pas un problème exclusif au pontificat de François. Benoît XVI a abordé la question lors d'une de ses premières ordinations de prêtres en tant que Pape, en 2006 (w2.vatican.va) et il y est revenu à plusieurs reprises. En 2009, il a parlé de carriérisme dans l'homélie de la messe de consécration de cinq nouveaux évêques, parmi eux l'actuel secrétaire d'Etat, le cardinal Pietro Parolin (cf. w2.vatican.va). Même Jean-Paul II a dû faire face aux tendances carriéristes, comme l'avait fait Paul VI, et comme Jean-Paul 1er l'aurait fait s'il avait vécu assez longtemps.

Néanmoins, il est remarquable que le carriérisme de deux groupes différents fleurisse sous le nez du Pape François, qui dès le début a affirmé qu'il voulait que l'Eglise aille au-delà - comme ses deux consistoires pour la création de cardinaux le montrent.
Un groupe consiste en ces prélats qui ont eu une influence avant le pontificat de Benoît XVI, mais qui se sont ensuite sentis marginalisés par lui. Le second se trouve parmi ceux qui se sont directement liés au nouveau cours de François, mais qui sont incapables de voir que son cours a quelque peu changé au cours des deux dernières années (???).

Il est à noter que ces deux groupes de carriéristes ont quelques liens entre eux. Le Pape qui venait "du bout du monde" ne faisait pas particulièrement confiance à la Curie romaine, et était informé à ce sujet par certains de ses plus proches collaborateurs - des hommes comme Mgr Fabian Pedacchio, qui sert à la fois à la Congrégation pour les évêques et comme secrétaire particulier du Pape - et dans les journaux (ndt: donc La Repubblica!puisque c'est le seul quotidien que lit le pape). Il a également fait confiance à certaines vieilles mains de la Curie (cf. www.mondayvatican.com) , dont un grand nombre, en tant que diplomates du Vatican, avaient été marginalisés sous Benoît XVI, car son pontificat était fondé sur les notions de vérité et de communion. C'est la raison pour laquelle, au début du pontificat de François, les diplomates ont eu une influence énorme (cf.www.mondayvatican.com). La vieille Curie de Jean Paul II, dirigée par le puissant cardinal Angelo Sodano, est redevenue influente, un fait signalé par la nomination de Beniamino Stella, un ancien nonce, comme Préfet de la Congrégation pour le Clergé; l'ascension très rapide du cardinal Lorenzo Baldisseri, un autre ancien nonce, qui était censé terminer sa carrière comme Secrétaire de la Congrégation des évêques, mais qui soudainement a été nommé Secrétaire Général du Synode des Évêques; et le diplomate de la vieille école Pietro Parolin, qui a été choisi comme secrétaire d'État.

En fin de compte, de nombreux électeurs du Pape François avaient aussi servi comme diplomates.
Mais au-delà de ces "vieilles mains curiales", il y avait le nouveau monde, des prélats qui, sous le Pape François ont connu une montée inattendue de leur étoile. Deux exemples: le cardinal Oscar Andrés Rodriguez Maradiaga, marginalisé sous le Pape Benoît XVI après l’épisode malheureux de Caritas Internationalis, est revenu au centre de la scène; et le cardinal Walter Kasper, qui tenait une ligne théologique passée de mode, fait un retour réussi en promouvant ses idées sur la miséricorde. Au-delà de ces deux exemples, beaucoup ont pris en marche le train de la "révolution papale", essayant de prouver que le Pape non seulement approuvait les changements promus par d'autres, mais qu'il en était responsable.

Il y a eu des moments où la papauté médiatique et la papauté réelle ont semblé coïncider. Mais cela n'a jamais été vraiment le cas (???). En fin de compte, le véritable esprit de François peut se résumer en une phrase qu'il aime à répéter: "hacer lío", faire du bruit.
Il a fait du bruit en établissant un Conseil des cardinaux et une sorte de Curie parallèle (cf. www.mondayvatican.com) , et en embauchant une série de consultants externes coûteux. Il a ensuite fait encore plus de bruit en mettant au centre de la scène, lors du Synode, le cardinal Kasper, qui 30 ans plus tôt avait fait de la possibilité pour les divorcés remariés civilement de recevoir la communion l'un de ses thèmes théologiques préférés.

On a généralement pensé que si le Pape avait appelé le cardinal Kasper pour s'adresser au Consistoire extraordinaire des cardinaux sur la famille, puis l'avait nommé délégué pontifical pour le Synode ultérieur d'Octobre dernier, c'est qu'il soutenait la ligne du cardinal Kasper. Mais (???) le véritable esprit de cette invitation peut être reconduit à l'une des réflexions que le Pape a offertes aux évêques italiens - des réflexions générales. Abordant la question d'un manque de collégialité, le Pape a déclaré que "ce qui manque, c'est l'habitude de vérifier la réception des programmes et la façon dont les projets sont mis en œuvre. Par exemple, on organise des congrès et des événements avec toujours les voix habituelles sur le devant de la scène, des voix qui anesthésient la communauté, homogénéisant ainsi les choix, les opinions et les gens, au lieu de nous transporter vers les horizons où l'Esprit nous demande de tendre la main".

Ces mots sont probablement le prisme correct pour interpréter certains des choix les plus controversés de François. Il veut aller au-delà des voix habituelles - comme il les appelle - et mettre en place une nouvelle discussion autour d'une table. Cela ne signifie pas que le Pape changera nécessairement (?) la doctrine de l'Eglise. Cela signifie qu'il veut une approche différente, qu'il veut favoriser une discussion. Une grande partie de la narration de ce pontificat est basée sur la déclaration du Pape François, "hacer lío".

Après son discours aux évêques italiens, le Pape les a rencontrés dans une séance de questions-réponses à huis clos. Il n'y a pas eu de déclarations officielles concernant ce qui a été dit, mais plusieurs évêques ont raconté certains moments. Lors de la rencontre, un évêque aurait dit à François qu'il appréciait vraiment son langage, car il était plein de nouvelles ouvertures, même sur des questions controversées comme la communion pour les divorcés remariés, mais qu'il trouvait difficile d'expliquer aux gens ce que le Pape disait vraiment, ainsi qu'aux prêtres qui sont "dans les tranchées" et doivent enseigner la doctrine de l'Eglise. Le Pape a répondu: "Dites à votre fidèle que le Pape est dans les tranchées comme eux". Il a ensuite insisté sur le fait qu'il n'a vraiment pas l'intention de changer la doctrine, qu'il veut juste changer l'approche.

Un changement dans l'approche, cependant, doit impliquer la révolution du cœur que le Pape François mentionne souvent. Pour ce genre de révolution, une certaine vision est nécessaire, et cette vision est absente. L'adhésion à la volonté papale est souvent juste une façon pour certaines personnes de parler afin d'obtenir quelque avantage. Un des évêques a remarqué que dans la discussion entre les évêques italiens et le Pape, "le souhait de certains évêques de marquer une discontinuité [avec la Tradition] était clair, alors que l'Eglise cherche toujours la continuité; elle adapte son langage, mais sans ruptures. Mais quand certains évêques parlent au Pape, ils veulent souligner que tout est différent maintenant afin de pousser leur propre 'agenda', probablement un 'agenda' saint et légitime, mais un 'agenda' quand même".

Ce langage est l'un des résultats du carriérisme ecclésiastique, l'ennemi numéro un de François. Tous font l'éloge du Pape, mais la quasi-totalité d'entre eux ont leur propre agenda. Il y avait un agenda derrière l'élection de François. Ensuite, puisque le Pape François a adopté un style de gouvernement qui semblait improvisé - principalement basé sur les gestes, plutôt que sur une vision politique - beaucoup ont cherché à pousser leurs idées. Le manque d'intérêt initial du Pape pour les institutions officielles de l'Église a donné à chaque dicastère du Vatican et à chaque évêque résidentiel l'occasion d'essayer d'obtenir quelque chose.

Le dernier exemple en date est la nomination du P. Timothy Radcliffe, OP, comme consultant auprès du Conseil pontifical Justice et Paix. Penseur controversé pour ses idées sur l'homosexualité, le P. Radcliffe a été pressenti pour être nommé numéro 2 officiel de ce Conseil Pontifical (le poste de secrétaire est actuellement vacant) après qu'il ait rédigé la première ébauche complète de l'encyclique écologique. Mais la réforme curiale en cours - le "Conseil pontifical justice et paix" sera vraisemblablement absorbé dans une super-Congrégation appelée "Charité, justice et paix" - met une halte à toutes les nominations, y compris, éventuellement, celle du Père Radcliffe. Ainsi, "Justice et Paix" a suggéré au Pape François de nommer le P. Radcliffe en tant que consultant, l'ajoutant aux 9 nouveaux consultants, sur 13 nommés par Benoît XVI en 2012.
La manœuvre (l'opération) de Justice et Paix est juste un autre des nombreux accords stratégiques notables survenus dans le sillage de la conscience croissante du Pape François de l'importance des institutions de la Curie, bien qu'elle contredise son plan initial de rendre l'Église moins cléricale.

La bataille interne dans l'Eglise a maintenant la configuration précise de deux équipes adverses. La bataille n'est pas "membres de la Curie vs. évêques résidentiels", ou "centre vs. périphérie". La lutte est entre ceux qui veulent défendre l'institution, sa doctrine, son existence, peu importe qui est le Pape, tout en continuant selon une vision qui peut être réformée, mais sans rupture; et, de l'autre côté, ceux qui poursuivent des intérêts personnels, dont l'agenda tire souvent avantage de la rupture signifiée par le pontificat de François. Ces derniers se protègent avec une volonté papale présumée afin d'occuper de petits espaces de pouvoir. En un mot, la bataille est entre les «institutionnalistes» (cf. le Vatican Caché) et les «personnalistes» (les auto-promoteurs)

La lutte pour le prochain pontificat a déjà commencé. Jusqu'à présent, les "institutionnalistes" ne semblent pas avoir trouvé leur candidat. Le gang (sic!) des personnalistes, de l'autre côté, est déjà divisée entre deux noms: Luis Antonio Tagle Cardinal, récemment élu président de Caritas Internationalis, et le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d'Etat. Les deux représentent, respectivement, la périphérie et le centre, avec des nuances différentes, mais probablement avec le même programme.

Il y a aussi un outsider, soutenu par certains médias, en la personne du cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements; le Cardinal Sarah a encore le courage de proclamer haut et fort la vérité. Parlant le 20 mai à l'Institut pontifical Jean-Paul II, il a clairement mis en évidence les problèmes du débat en cours, qui touchent souvent la discussion au sujet du Synode des Évêques.

«Aujourd'hui - a dit Cardinal Sarah - on a l'impression que les gens parlent comme le vent souffle. Nous devons suivre le Christ, son Évangile. Nous devrions tous suivre le Christ, l'atmosphère générale d'aujourd'hui étant si hasardeuse, avec chacun qui suit sa propre opinion". Toutefois, la discussion en cours est biaisée parce que "très souvent, les journalistes placent le Pape en opposition à la Curie, ce qui est faux. Mais les gens pensent que la Curie est opposée au Pape, et que le Saint-Père a dit qu'il soutient l'accès à la communion pour les divorcés, bien que ce soit seulement une interprétation des propos du Pape".

C'est l'une des interprétations qui ont contribué à la création de la papauté de médias. Et c'est cette papauté que le Pape François doit maintenant rejeter.

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