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Les yeux grands fermés

Les faux chiffres de l'immigration. Une recension par Massimo Introvigne, en 2010, du livre de la sociologue Michèle Tribalat. Reprise.

L'effarante "Affaire Ménard" (bref résumé ici, à l'usage des lecteurs étrangers, mais il suffit de taper son nom dans le moteur de recherche) a mis en évidence une fois de plus la chape de plomb que le politiquement correct en général, et le gouvernement socialiste en particulier, font peser sur le débat d'idées dans notre pays.
On lira à ce sujet ces deux excellents billets sur le site Boulevard Voltaire aujourd'hui, l'un de Christian Vanneste (Robert Ménard face au peloton de la gauche et de l’UMP), et l'autre de Nicolas Bonnal (Le combat de Béziers et le djihad médiatique).

J'ai retrouvé dans mes archive un texte de Massimo Introvigne (celui d'avant le Pape François, que j'appréciais beaucoup...) datant de mai 2010.
Voici ma traduction d'alors. C'est un bon antidote.

Immigration: beaucoup de statistiques sont fausses

Par obsession anti-raciste, certains ont pris la liberté de mentir, falsifiant les données sur le nombre d'immigrés qui arrivent chaque année en France.
Massimo Introvigne
www.cesnur.org
30 mai 2010

Un des livres importants de l'année 2010 risque de n'être lu par personne. Publié par un éditeur qui imprime des livres pour le grand public et pas seulement pour les spécialistes, "Les Yeux Grands Fermés. L'immigration en France" (Denoël, Paris 2010) par Michèle Tribalat a été présenté par certaines critiques comme la version française de Reflections on the Revolution in Europe: Immigration, Islam and the West (La dernière révolution en Europe. Immigration, Islam et l'Occident) par Christopher Caldwell.

Mais c'est quelque chose de plus, et en même temps de moins. Tandis que Caldwell, brillant journaliste, se penche sur les données des autres, Tribalat - qui a été pendant un quart de siècle dans les hautes sphère de l'establishement statistique français (L'INED, ndt) - présente des recherches originales. Mais, contrairement à Caldwell, elle a écrit un livre difficile à lire pour ceux qui ne connaissent pas le jargon, ou ne sont pas habitués à manier les statistiques et la méthodologie, et donc fatalement destiné à avoir peu de lecteurs.

C'est dommage, parce que les données présentées par Tribalat sont tels qu'ils conduisent à repenser toute la question de l'immigration. Pour dire les choses avec des mots simples - qui ne sont pas ceux du livre - la spécialiste française dit que pendant au moins quinze ans, un grand nombre de données mises à la disposition du public français sur l'immigration sont fausses.

La falsification n'est pas le résultat d'erreurs: elle est volontaire - parfois même imposée par la loi - et a pour objectif d'empêcher que l'opinion publique française ne soit alarmée par le nombre trop élevé d'immigrés et ne devienne «raciste». L'obsession anti-raciste a fait en sorte que certains ont pris la liberté de mentir aux Français: un mensonge soi-disant pédagogique, qui devrait justement éviter la propagation du racisme et imposer "le dogme d'une vision nécessairement positive de l'immigration" (p . 17).

"L'anti-racisme idéologique structure la présentation scientifique et quotidienne de l'immigration. À une époque où on parle tellement de "briser les tabous" et où on valorise la transgression, sur cette question, le positionnement "moral" est paradoxalement dominant. Rester du côté du bien requiert une vigilance constante. L'immigration est sacralisée au point que la dissidence ne peut pas exister, ou ne peut devenir objet d'un débat raisonnable " (p. 10).

Le problème se situe à différents niveaux.
Le premier concerne la question la plus simple: combien d'immigrants arrivent chaque année en France?
Ici les statistiques ont d'abord été manipulées en privilégiant une définition très restrictive de l'immigrant, du moins jusqu'à une directive européenne qui en 2007 a obligé la France elle aussi à adopter les critères choisis par l'Organisation des Nations Unies depuis 1934, qui considèrent comme immigrés les étrangers recevant pour la première fois un titre de séjour d'au moins un an.

Auparavant, la France était le théâtre d'une «lutte sans fin» (p. 25), et chaque organisme statistique français avait adopté sa propre politique. Par exemple, les immigrants entrés en France en 1997 étaient recensés de six manières différentes par six organismes gouvernementaux différents, et les résultats allaient de 61.929 à 142.944 (voir p. 27), avec un taux de variation propre à supprimer toute confiance dans les statistiques.

Un indice que quelque chose cloche est donné par la manière dont le principal organisme français de statistiques (L'INSEE) pondère les données à l'aide de "variables d'ajustement", autrement dit de "personnes fictives" qui sont insérées dans les listings même si elles n'ont pas d'existence physique, mais sont utilisées simplement pour "équilibrer l'équation comptable" (p. 30) quand les résultats ne sont pas très convaincants à première vue. Aujourd'hui, tous ceux qui font des statistiques pondèrent les données dans une certaine mesure, mais la "méthode française" (ibid.) prévoit des variables d'ajustement vraiment très élevées, de 480.000 personnes fictives "négatives" (càd qui peuvent être soustraites, mais pas ajoutées) et 661.000 "positives" (qui peuvent seulement être ajoutées).

Deuxièmement, les agences de statistique françaises privilégient de manière absolue une seule donnée: "le solde migratoire", c'est à dire la différence entre les entrées et les sorties à titre "définitif" du territoire français de l'ensemble des étrangers et des Français. Le solde migratoire peut donc être beaucoup plus faible que le nombre d'entrées d'étrangers. C'est son grand attrait" (p. 28).
Michèle Tribalat objecte que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, le solde migratoire est très difficile à calculer avec des critères univoques, et il est aussi peu significatif. Il est altéré par un grand nombre de variables indépendantes relatives aux sorties, c'est pourquoi la seule manière sérieuse pour évaluer l'état de l'immigration est de se concentrer sur les entrées.

Si on le fait, d'une part les chiffres grimpent, de l'autre, on réalise le grand non-dit de l'immigration française au cours des dernières années. L'image même de l'immigré comme une personne qui vient chercher du travail en France n'est plus vraie. 63% des immigrés à partir de 2006, ne viennent pas en France pour travailler, mais pour regroupement familial (voir p. 42). Faudrait-il alors remplacer l'image du travailleur qui débarque avec une valise en carton par celle de sa femme ou de ses enfants qui après quelques années rejoignent l'immigrant venu effectivement chercher du travail? Ce n'est même plus le cas.

Un nombre difficile à définir, mais qui pour certains sous-groupes atteint les deux tiers du total, se compose de conjoints étrangers lesquels, après avoir épousé des personnes d'origine étrangère nées en France, réclament le regroupement. Le modèle typique est celui du citoyen ou du résident français d'origine algérienne né en France mais qui, arrivé à l'âge du mariage, va chercher sa femme en Algérie: la mariée - ce sont les fameux "mariages mixtes réussis" qui sont parfois vantés, mais ne sont "mixtes" que par façon de parler - ensuite réclame et obtient le regroupement familial. "On peut donc parler d'une auto-génération des flux de regroupement familial" (p. 45).

Tel est le principal secret européen sur le thème de l'immigration: et c'est un un secret bien protégé, par d'authentiques interdictions d'en parler et par de gigantesques manipulations statistiques. Là où on en parle, en effet, la politique finit par intervenir. Les Pays-Bas et le Danemark ont introduit des limites strictes au regroupement familial, allant d'examens sérieux de langue dans les pays d'origine, à des taxes payables à l'avance: 830 euros en Hollande, où les regroupements après cette réforme ont chuté de 40% (p. 54 ). Ces limites peuvent sembler cruelles, et certes, chacun a le droit d'épouser qui il veut. D'autre part, on peut se demander pourquoi - surtout en période de crise économique - le contribuable européen devrait assumer un conjoint qu'un immigré a décidé d'aller épouser dans son pays d'origine.

Comme Caldwell - mais avec des arguments partiellement différents - Michèle Tribalat démonte ensuite le lieu commun selon lequel l'immigration est nécessaire pour l'économie européenne, les immigrés résoudraient les problèmes de retraite causés par la dénatalité et "font des travaux que les européens ne veulent pas faire". La démographe français passe en revue un large éventail d'études et de rapports gouvernementaux peu connus, notamment britanniques, et analyse même des données françaises pour arriver à cette conclusion: trente ans de recherches montre qu'il n'existe pas de règles ou de théorèmes à portée générale sur l'impact économique de l'immigration en Europe.

Il y a des effets positifs et des effets négatifs. Aucune généralisation n'a été confirmée par des recherches à long terme. Le maximum qu'on puisse dire, c'est que l'immigration de travailleurs non qualifiés est préjudiciable à l'économie, parce que ces immigrants "font des travaux que personne ne veut faire," ... à ce prix-là: donc, ils altèrent le marché du travail - au détriment, en particulier, des citoyens les plus pauvres qui ne sont pas des immigrés - et paient des cotisations de retraite faibles.

L'immigration de main-d'oeuvre hautement qualifiés est au contraire, à certaines conditions, favorables à l'économie européenne. Elle est aussi dévastatrice pour les pays d'origine, ce qui est certes une autre question, mais montre bien l'ambiguïté à laquelle nous sommes confrontés si nous voulons affronter le problème de l'immigration sur le plan moral. Le problème, enfin, est maintenant en grande partie historique, s'il est vrai - c'est le thème principal du livre de Michèle Tribalat - que l'immigration de travail est devenue désormais minoritaire, remplacée par l'immigration pour regroupement familial, qui a de toute évidence des caractéristiques et des conséquences économiques très différentes.

Juste un coup d'œil à deux autres questions statistiques traitées par Michèle Tribalat.
La première est la concentration des immigrants en "banlieue" (en français dans le texte) ou dans des "ghettos", qui est très significative en France malgré les mesures prises pour l'éviter. La soi-disant "dé-ghettoïsation" n'entraîne généralement pas des quartiers où les immigrés ont pour voisins des français nés en France de parents français, mais les quartiers où les immigrés d'une certaine provenance voisinent avec des immigrés de différentes nationalités, ce qui comporte par rapport à un "ghetto" uniforme des avantages mais aussi des inconvénients.
La seconde concerne les enquêtes très coûteuses sur le racisme, reposant sur des questions-pièges ou provocatrices (du genre "Comment vous consirez-vous raciste? Très peu - peu - un peu..."). Elles devraient prouver qu'il existe en France une urgence raciste, mais servent seulement à justifier les sommes considérables versées à ces mêmes organisations anti-racistes qui les commissionnent et parfois les gèrent directement.

Plus intéressant est le thème sous-jacent évoqué par des expressions, comme celle qui se réfère aux français nés en France de parents français. Il y a une donnée qu'en France - et dans de nombreux autres pays européens - la loi interdit de mesurer, c'est l'origine ethnique ou raciale. Il y a certainement des raisons historiques à cette interdiction.

Toutefois, si la même règle existait aux États-Unis, les grandes enquêtes sur la discrimination des Afro-Américains dans certains milieux de travail auraient été impossible. Pour mener ces enquêtes avec sérieux, il ne suffit pas de poser quelques petites questions sur le racisme: on a besoin de savoir combien il y a d'afro-américains, et quelle est leur proportion respective dans la population totale des États-Unis et dans les sous-populations.

En France, en particulier, il est interdit de mesurer avec précision combien il y a sur le territoire de résidents «d'origine» maghrébine ou d'Afrique subsaharienne, parce qu'on soupçonne que, derrière ce décompte s'en dissimule un autre, par race, considéré comme une manifestation de racisme. On peut mesurer, non sans difficulté, combien de résidents et de citoyens français sont enfants de parents nés en Afrique, mais il n'est pas possible par exemple de distinguer les catholiques français qui ont vécu en Afrique du Nord pour des raisons économiques et sont revenus en France - ceux qu'on nomme pieds-noirs - des maghrébins arabes musulmans passés sur le territoire français.

Les problèmes ne sont certainement pas simples, mais le fait que certains de ses illustres confrères aient accusé MichèleTribalat d'être non seulement "possédée par une sorte de fanatisme démographique" mais effectivement, "malade" (p. 215) quand elle a proposé quelques prudentes hypothèses afin de mesurer la population totale qui découle directement ou indirectement du phénomène de l'immigration, soulève quelque perplexité.
S'il était vrai que dans certaines grandes villes françaises, cette population, qu'il est interdit de mesurer, dépasse un tiers de la population l'impact sur l'opinion publique serait certainement non négligeable. D'où l'intérêt politique de cacher ces données, le cas échéant par le biais d'interdictions légales.

Sans vouloir en aucune manière appliquer mécaniquement à l'Italie les réflexions de la Tribalat, qui ne mentionne presque jamais notre pays, il y en a assez pour importer chez nous un sain réalisme qui conduit à se méfier des statistiques, quand il s'agit de l'immigration, trop souvent révisées à la baisse ou édulcorées. Et pour réfléchir sur les nouvelles caractéristiques de l'immigrant, qui correspondent de moins en moins souvent à l'image de celui qui vient chercher du travail et de plus en plus à la figure de ceux qui arrivent pour un "regroupement familial" qui correspond à des processus "auto-générés" et à de simples redistributions de la population internationale, avec des conséquences sociale dévastatrices que les statistiques cachent au lieu de les révéler.

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