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Annonciation: le "oui" de Marie

En ce jour de l'Annonciation, relisons le splendide chapitre " L'Annonce à Marie " dans le livre de Benoît XVI "L'Enfance de Jésus" [(*)]

(...) Dieu cherche une nouvelle entrée dans le monde. Il frappe à la porte de Marie. Il a besoin de la liberté humaine. Il ne peut racheter l'homme, créé libre, sans un libre « oui » à sa volonté. En créant la liberté, Dieu, d'une certaine manière, s'est rendu dépendant de l'homme. Son pouvoir est lié au « oui » non forcé d'une personne humaine.
(...) C'est là le moment décisif où de ses lèvres, de son cœur, vient la réponse : « Qu'il m'advienne selon ta parole. » C'est le moment de l'obéissance libre, humble et en même temps magnanime, où se réalise la décision la plus haute de la liberté humaine.

L'Annonciation.
A gauche: Edward Burne Jones, 1862
Au centre: Léonard de Vinci (1473-75), Galerie ses Offices, Florence
A droite: Willian Bougereau, 1888 (cf. www.artbible.net)

L'annonce à Marie

L'ENFANCE DE JESUS,
Flammarion, 2012, pages 45 et suivantes

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« Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie » (Lc 1, 26 sq.).
L'annonce de la naissance de Jésus est liée à l'histoire de Jean-Baptiste avant tout chronologiquement, par l'indication du temps écoulé après le message de l'archange Gabriel à Zacharie, c'est-à-dire « le sixième mois » de la grossesse d'Élisabeth. Toutefois, dans ce passage, les deux événements et les deux missions sont aussi liés par l'information selon laquelle Marie et Élisabeth - et donc aussi leurs enfants - sont parentes.
(…)

La réponse de Marie (..) se développe en trois temps.

La première réaction au salut de l'ange est faite de trouble et de réflexion. Sa réaction est différente de celle de Zacharie. De lui, on rapporte qu'il se troubla et que « la crainte fondit sur lui » (Lc 1, 12). Dans le cas de Marie, au début la même parole est utilisée (elle fut troublée), toutefois ensuite il n'y a pas de crainte, mais une réflexion intérieure sur la salutation de l'ange. Marie réfléchit (entre en dialogue avec elle-même) sur ce que signifie le salut du messager de Dieu. Déjà ici émerge ainsi un trait caractéristique de l'image de la Mère de Jésus, un trait que nous rencontrons dans 1'Évangile à deux autres reprises dans des situations analogues : l'intérieur se confronte à la parole (cf. Lc 2, 19, 51).
Elle ne s'arrête pas au premier trouble devant la proximité de Dieu par son ange, mais elle cherche à comprendre. Marie apparait donc comme une femme courageuse qui, même face à l'inouï, maintient sa maitrise d'elle-même. En même temps, elle est présentée comme une femme de grande intériorité, qui tient ensemble le cœur et la raison et cherche à comprendre le contexte, l'ensemble du message de Dieu. De cette façon, elle devient image de l'Église qui réfléchit sur la parole de Dieu, qui cherche à la comprendre dans son ensemble et en conserve le don dans sa mémoire.

La deuxième réaction de Marie est énigmatique pour nous. À la suite de l'incertitude songeuse avec laquelle elle avait accueilli le salut du messager de Dieu, l'ange lui avait en effet communiqué son élection à devenir la Mère du Messie. Alors Marie pose une question brève et incisive : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? » (Lc 1, 34).
Considérons de nouveau la différence par rapport à la réponse de Zacharie, qui avait réagi par un doute en ce qui concernait la possibilité de la tâche qui lui était confiée. Comme Élisabeth, il était d'un âge avancé ; il ne pouvait plus espérer avoir un fils. En revanche, Marie ne doute pas. Elle ne pose pas de question sur le « quoi », mais sur le «comment » peut se réaliser la promesse, cela n'étant pas concevable pour elle : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? » Cette question paraît incompréhensible, parce que Marie était fiancée et, selon le droit judaïque, elle était considérée désormais comme assimilée à une épouse, même si elle n'habitait pas encore avec son mari et que la communion matrimoniale n'était pas encore commencée.
À partir d'Augustin, la question a été expliquée dans le sens que Marie aurait fait un vœu de virginité et aurait mis en application les fiançailles seulement pour avoir un protecteur de sa virginité. Mais cette reconstitution sort totalement du monde du judaïsme du temps de Jésus et semble impensable dans ce contexte.
Que signifie alors cette parole ? Aucune réponse convaincante n'a été trouvée par l'exégèse moderne. On dit que Marie, qui n'était pas encore introduite à la maison, n'aurait pas encore eu de contact à ce moment avec un homme et aurait considéré la tâche comme immédiatement urgente. Cependant, cela ne convainc pas, parce que le temps de la cohabitation ne pouvait plus être très lointain. D'autres exégètes tendent à considérer la phrase comme une construction purement littéraire, pour développer le dialogue entre Marie et l'ange. Cependant cela n'est pas une véritable explication de la phrase. On pourrait aussi rappeler que, selon l'usage judaïque, les fiançailles étaient exprimées unilatéralement par l'homme, et on ne demandait pas son consentement à la femme. Mais cette indication ne résout pas non plus le problème.
Subsiste donc l'énigme - ou disons peut-être mieux : le mystère de cette phrase. Marie, pour des motifs qui ne nous sont pas accessibles, ne voit aucun chemin qui lui permette de devenir mère du Messie selon le mode du rapport conjugal. L'ange lui confirme qu'elle ne sera pas mère par la manière normale après avoir été accueillie dans la maison de Joseph, mais par « l'ombre de la puissance du Très-Haut », grâce à l'arrivée de l'Esprit Saint, et il atteste avec force : « Rien n'est impossible à Dieu » (Lc 1, 37).

À cela succède la troisième réaction, la réponse essentielle de Marie : son simple «oui ». Elle se déclare servante du Seigneur. « Qu'il m'advienne selon ta parole » (Lc 1, 38).
Bernard de Clairvaux, dans une homélie de l'Avent, a illustre de façon dramatique l'aspect émouvant de ce moment.
Après l'échec des ancêtres, le monde entier est assombri, sous la domination de la mort. Maintenant Dieu cherche une nouvelle entrée dans le monde. Il frappe à la porte de Marie. Il a besoin de la liberté humaine. Il ne peut racheter l'homme, créé libre, sans un libre « oui » à sa volonté. En créant la liberté, Dieu, d'une certaine manière, s'est rendu dépendant de l'homme. Son pouvoir est lié au « oui » non forcé d'une personne humaine. Ainsi Bernard montre comment, au moment de la demande à Marie, le ciel et la terre, pour ainsi dire, retiennent leur souffle. Dira-t-elle «oui » ? Elle tergiverse... Peut-être son humilité lui sera-t-elle un obstacle ? Pour cette unique occasion - lui dit Bernard - ne sois pas humble, mais magnanime ! Donne-nous ton «oui » ! C'est là le moment décisif où de ses lèvres, de son cœur, vient la réponse : « Qu'il m'advienne selon ta parole. » C'est le moment de l'obéissance libre, humble et en même temps magnanime, où se réalise la décision la plus haute de la liberté humaine.
Marie devient mère par son « oui ». Les Pères de l'Église ont parfois exprimé tout cela en disant que Marie aurait conçu par l'oreille - c'est-à-dire : par son écoute. À travers son obéissance, la Parole est entrée en elle et, en elle, elle est devenue féconde. Dans ce contexte, les Pères ont développé l'idée de la naissance de Dieu en nous à travers la foi et le Baptême, par lesquels le Logos vient toujours à nous de nouveau, en nous rendant enfants de Dieu. Pensons, par exemple, aux paroles de saint Irénée : «Comment l'homme ira-t-il à Dieu, si Dieu n'est pas venu à l'homme ? Comment les hommes déposeront-ils la naissance de mort, s'ils ne sont pas régénérés, par le moyen de la foi, dans la naissance nouvelle qui fut donnée de façon merveilleuse et inattendue par Dieu en signe de salut, celle qui eut lieu du sein de la Vierge ».
Je pense qu'il est important d'écouter également la dernière phrase du récit lucanien de l'Annonciation : « Et l'ange la quitta » (Lc 1, 38). La grande heure de la rencontre avec le messager de Dieu, dans laquelle toute la vie change, passe, et Marie reste seule avec la tâche qui, en vérité, dépasse toute capacité humaine. Il n'y a pas d'anges autour d'elle. Elle doit continuer le chemin qui passera à travers de nombreuses obscurités - à commencer par le désarroi de Joseph face à sa grossesse jusqu'au moment où Jésus sera déclaré « hors de sens » (Mc 3, 21 ; cf. Jn 10, 20), et même, jusqu'à la nuit de la Croix.
De nombreuses fois dans ces situations, Marie se sera intérieurement reportée au moment où l'ange de Dieu lui avait parlé, elle aura entendu de nouveau et médité le salut, « Réjouis-toi, comblée de grâce ! », et la parole de réconfort : « Sois sans crainte ! » L'ange s'en va, la mission demeure et avec elle mûrit la proximité intérieure avec Dieu, la vision intime et la perception de sa proximité.

Note

(*) On relira ici le beau commentaire de Maria Clara Bingemer, professeur de théologie à l'Université catholique de Rio de Janeiro (benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/une-femme-raconte-lenfance-de-jesus)

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