Parrhesia in Synodo

Remarquable et courageux texte de Father Hunwicke, qui explique avec des arguments théologiques et historiques érudits le vrai sens de la Parrhesia, si invoquée mais si mal appliquée par le Pape.

 

L’article est daté du 12 octobre, soit la veille de la «grande pagaille». Mais cela pourrait être une magnifique réponse anticipée aux cardinaux qui ont ôté après coup leur nom de la liste des 13 publiée par Magister….

Parrhesia in Synodo

Father Hunwicke
liturgicalnotes.blogspot.ch
12 octobre 2015
Traduction par Anna

En mai dernier le Pape a fait des observations que j'ai trouvées extrêmement difficiles:

"Un synode sans liberté n'est pas un synode. C'est une conférence. Le synode, au contraire, est un espace protégé où l'Esprit Saint peut travailler. Par conséquent les personnes doivent être libres. C'est pourquoi je ne permettrai pas que les choses que chacun dit soient publiées avec prénom et nom. Non, il ne faut pas que l'on sache qui les a dites. Je n'ai pas de problème à révéler ce qui a été dit, mais pas qui l'a dit, de sorte que chacun se sente libre di dire ce qu'il veut."


À l'occasion du briefing final sur les procédures synodales, vendredi de la semaine précédente, il fut heureusement précisé que chaque Père aurait le droit de communiquer avec les médias à sa propre discrétion et sous sa propre responsabilité. Je suis convaincu que cela signifie que chaque Père parlera avec parrhesia, non seulement de ses propres interventions, mais aussi, s'il le juge nécessaire, de ce que ses collègues ont dit. Il est du devoir d'un évêque non seulement de prêcher la vérité, mais aussi de réfuter et de réprimander l'erreur.

Afin d'expliquer, étape par étape, pourquoi je pense que c’est un point doctrinal d'importance très considérable, permettez-moi de :

1. vous rappeler une phrase essentielle dans les décrets du Premier Concile Vatican:

"Neque enim Petri successoribus Spiritus Sanctus promissus est, ut eo revelante novam doctrinam patefacerent, sed ut, eo assistente, traditam per Apostolos revelationem seu fidei depositum sancte custodirent et fideliter exponerent." [Le Saint Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre afin que par sa révélation, ils puissent divulguer un enseignement nouveau, mais afin que, par son assistance, ils puissent avec dévotion garder la révélation transmise par les Apôtres, le Dépôt de la Foi, et puissent l'énoncer fidèlement.]

2. Si de telles restrictions contraignent le Pape, elles s'appliquent certainement aussi aux évêques. Ayant pendant toute ma vie été un "papaliste" (partisan de la suprématie papale, ndt), je ne vois pas comment un évêque particulier (ou même un groupe d'entre eux) pourrait être considéré comme ayant plus de pouvoir que l'Évêque de Rome pour révéler un nouvel enseignement. Je ne pense pas que l'évêque von Bloggs (nom générique, allusion sans doute aux évêques allemands, ndt), pendant ce synode d'automne, puisse revendiquer la révélation, ou l'assistance, de l'Esprit Saint pour autre chose que la préservation et l’exposition fidèle et attentive de la Révélation donnée une fois pour toutes aux Apôtres et transmise à travers eux et à travers leurs successeurs. Le Pape ne peut pas, comment l'évêque von Bloggs revendiquerait-il un tel pouvoir? Pour qui se prend-il?

3. Les Évêques sont des hommes intelligents. Ils ont le droit d'être intelligents. Ils ont le droit de montrer leur intelligence à leurs amis personnels. Mais lorsqu'ils parlent qua évêques, ils n'ont pas le droit de faire autre chose que de préserver le Dépôt de la Foi. S'ils revendiquent la révélation ou l'assistance de l'Esprit Saint pour défendre ce qui est contraire aux traditam per Apostolos revelationem seu fidei depositum, ils blasphèment. Et contre l'Esprit Saint. La terrifiante injonction apostolique dokimazete ta pneumata (I Jean 4, 1) s'applique à eux aussi bien qu'à chacun d'entre nous: même plus peut-être.
L'Esprit Saint n'est pas présent au Synode comme une sorte d'osmose ou de miasme ou d'ectoplasme qui flotte autour et influence, de façon mystérieuse et imperceptible, les sentiments des évêques, mais bien dans le cœur et la bouche de l'évêque qui est capable de se lever et dire "Ceci n'est pas l'enseignement que j'ai reçu des Apôtres", et de l'évêque qui peut dire "L'Écriture et la Sainte Tradition enseignent ceci".

4. Pourquoi, pourrait-on demander, ne devraient-ils pas avoir le droit d'exprimer leurs opinions de façon privée et anonyme?
Parce qu'un évêque qui agit qua évêque n'est pas une personne privée. Son autorité n'est pas plus grande que la vôtre ou la mienne, à moins qu'il ne parle comme évêque. Et les membres du Synode sont allés à Rome, dépenses payées, non pas qua types intelligents, non pas qua individus, mais qua évêques. L'évêque enseigne en tant que Successeur des Apôtres; il enseigne qua évêque de son Siège. Ce qu'il dit, il devrait le dire en tant qu'héritier de l'enseignement apostolique transmis depuis la fondation de son Siège, dans son Église Particulière. Son enseignement devrait être publiquement reconnaissable par son propre clergé, son propre laïcat comme l'enseignement, non pas uniquement de von Bloggs, mais de la series épiscoporum de l'Église particulière qui est aussi bien la sienne que la leur. C'était le point crucial exprimé par Saint Irénée au deuxième siècle: la doctrine transmise dans les diocèses catholiques partout dans le monde est authentique parce qu’elle a été confirmée d'évêque en évêque à partir des Apôtres, ouvertement et publiquement.

5.
Le Saint Père a fréquemment recommandé la Parrhesia à ses vénérés frères dans l'Épiscopat, et ce même mot avait une place éminente dans le briefing du Cardinal Baldisseri vendredi dernier. Selon mon humble opinion fondée sur ma propre lecture, ce mot signifie parler ouvertement et avec courage, sans aucune crainte même du plus fort. Je n’ai jamais pensé qu'il pourrait signifier que quelqu’un exprime de façon anonyme, à huis clos, des opinions qu’en dehors de "l'espace protégé", il pourrait craindre qu’on sache qu’il les a prononcées.

Il est absolument scandaleux, si cela est avéré, qu'un Archevêque polonais ait été contraint, il y a un jour ou deux, d'ôter de son blog son compte-rendu de ce que d'autres Pères avaient dit. Scandaleux… Stalinien… cuiuscumque auctoritate hoc factum sit, in quacumque dignitate constituti.


CONCLUSION
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Un évêque n'est pas un individu distingué; il est episcopus in et cum Ecclesia sua. L'Épiscopat n'est pas un accessoire personnel de mode.
Je peux imaginer peu de choses aussi honteusement cléricalistes, aussi cléricalement corrompues, que des évêques qui se rencontrent de façon privée "dans un espace protégé" où ils se croient libres de "coudre" quelque chose qui pourrait ne pas être en accord avec les traditam per Apostolos revelationem seu fidei depositum; et de le faire sans aucun élément de la discipline et de la responsabilité qui vient du fait que ce que chacun d'eux a dit est publiquement connu. Leurs prêtres diocésains, diacres et laïques n'ont-ils aucun droit? l'Épiscopat est-il simplement une affaire de seigneurie sur le troupeau du Christ (1 Pierre 5, 3) sans être responsable devant la plebs sancta Dei?
Cela me rappelle ce qu'un poète Anglais dénommé Kipling avait dit un jour à un Baron de la Presse anglaise dénommé Beaverbrook: "Le Pouvoir sans responsabilité: la prérogative de la catin à toutes les époques".
Je prie afin qu'au moins les évêques Anglais au synode se comportent (j'emprunte ici une phrase utilisée par Newman à propos de son propre très aimé évêque Ullathorne) en "honnêtes Anglais", autant que comme évêques catholiques, et publient ouvertement en dehors de l'aula tout ce qu'ils ont dit en privé à l'intérieur; et qu'ils commentent librement tout ce que d'autres Pères on dit.

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NOTE FINALE
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Le 25 juin 1529, dans un exercice de ce que nous appellerions aujourd'hui collégialité, une génération plus ancienne d'évêques était rassemblée au tribunal, et un document fut lu, indiquant l'adhésion de chacun d'eux à la conviction assez nouvelle d’Henry Tudor que son mariage avec la Reine Catherine était nul et non advenu. Tout allait pour le mieux…mais le Primat, l’Archevêque Warham arriva au nom de l'Évêque de Rochester John Fischer et le lut à voix haute. La figure savante, sainte et austère de John Fisher se leva et témoigna "Ceci n'est pas ma main ni mon sceau".

On peut supposer que Warham avait falsifié l'adhésion de Fisher dans un geste de bienveillance censé lui permettre de se laver les mains sans faire trop de violence à sa conscience. Mais Collégialité ou pas Collégialité, Roi Henry ou pas Roi Henry, saint John Fisher connaissait son devoir qua évêque. "Ceci n'est pas ma main ni mon sceau". Il devait finalement mourir à cause de son témoignage ouvert et public de ce que les tradita per Apostolos revelatio seu fidei depositum enseignaient (et enseignent encore aujourd'hui) au sujet de l'indissolubilité du mariage.

Il était prêt, avec très grande parrhesia, à signer cette doctrine et à le faire publiquement.