Synode: ce qui s'est vraiment passé (I)
L'excellent compte-rendu d'Andrea Gagliarducci
Dans sa rubrique hebdomadaire en anglais "Monday Vatican", Andrea Gagliarducci revient de façon très détaillée sur les épisodes les plus marquants de ces trois semaines de débat.
On appréciera la neutralité du ton - ni hostilité, ni angélisme -, qui rend son témoignage d'autant plus précieux.
Ce n'est pas à proprement parler un récit. Ce n'est pas non plus une synthèse. C'est plutôt une série de notes sur les évènemens, petits et grands, qu'il faut retenir, en lien avec le précédent synode, et dans la perspective de l'"après".
Comme c'est très long, je fractionne la traduction.
La suite à venir dès que possible.
Synode, Semaine 3: Un rapport final
Andrea Gagliarducci
26 octobre 2015
www.mondayvatican.com
Ma traduction
Le Synode des Évêques a pris fin par un discours de François qui semblait être une sorte de "tampon", détaché des conclusions du Synode. Dans le discours, il a souligné qu'«au cours de ce Synode, les différentes opinions qui ont été exprimées librement - et parfois malheureusement de façon pas du tout bienveillantes - conduisent certainement à un dialogue riche et vivant. Elles ont offert une image vivante d'une Eglise qui ne se contente pas de "documents préparés à l'avance", mais puise aux sources de sa foi des eaux vives pour rafraîchir les cœurs desséchés».
Le Pape a ensuite ajouté que le Synode a rendu clair que «les vrais défenseurs de la doctrine ne sont pas ceux qui défendent sa lettre, mais son esprit; pas des idées, mais des gens; pas des formules, mais la gratuité de l'amour et du pardon de Dieu»
Il semble donc que le Pape ait voulu tracer une ligne entre ceux qui ont essayé de rester fidèle à la doctrine et ceux qui ont voulu l'adapter. Le discours a de nombreuses influences «jésuitiques», comme par exemple le thème de l'inculturation de la foi et la façon dont les Evangiles sont interprétés.
Au final, le rôle des jésuites dans le Synode a été important: le Père Antonio Spadaro, rédacteur en chef de "La Civiltà Cattolica" et l'un des conseillers les plus importants du pape, a préparé le chemin pour le débat synodal avec une série d'articles dans "La Civiltà Cattolica", promouvant l'agenda de la miséricorde; la revue jésuite "América" a publié un interview pour pilonner ceux qui critiquaient certaines procédures synodales, proposant ses propres interprétations du Synode et de ses résultats; le Père Adolfo Nicolas Pachon, membre du comité de rédaction du rapport final du Synode et Supérieur Général des Jésuites, a également eu un impact à travers des interviews aux médias.
POUR ET CONTRE LE RAPPORT FINAL
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Le rapport final a été couronné par le discours de clôture du pape et il va probablement susciter des polémiques. Il réclame un document papal pour tracer les contours du Magistère sur la famille. Ce pourra être une exhortation post-synodale, ou une exhortation: le rapport final n'est pas explicite sur la nature du document. Mais les Pères synodaux voudraient voir le témoignage de Pierre, parce que Pierre, au cours du Synode, s'est constammment présenté comme un garant. Il reste encore à voir dans quelle mesure le document papal adhérera à l'agenda de la miséricorde.
Le document de travail manquait de fondements théologiques. Le rapport à mi-parcours du Synode 2014 a eu le même problème. Donc, ce Rapport final 2015 inclut de nombreuses citations de l'Écriture; il cite entièrement la définition de la famille dans "Gaudium et Spes", comme cela avait été recommandé; il comprend également un long paragraphe sur la pédagogie divine, et il traite de la liturgie.
Cependant, la première partie du document est principalement de la sociologie. C'est un instantané des difficultés familiales, accompagné de la demande aux hommes politiques et à ceux qui sont impliqués dans la société d'un engagement pour la famille, et avec un éloge implicite de l'œuvre de l'Église.
La conversion vient à la fin de la deuxième partie. Là, le consensus diminue. Le devoir d'accompagner les familles blessées comprend des informations sur les procédures pour la déclaration de nullité. Cette section a reçu un peu moins d'unanimité d'approbation de la part des évêques. Le paragraphe 54, concernant l'attention pastorale pour les "nouvelles unions", a reçu encore moins de consensus: les évêques veulent que les définitions et les situations soient écrites avec plus de précision.
Certes, tous les paragraphes ont obtenu le consensus nécessaire d'une majorité des deux tiers. Mais la majorité a été en danger au paragraphe 85, quand la question des divorcés civilement remariés a été abordée. Le paragraphe cite "Familiaris consortio" de saint Jean-Paul II, et parle de la nécessité du discernement au cas par cas, tout en soulignant également le rôle de la conscience. Cependant, il ne mentionne jamais le mot "communion". Le paragraphe 84 a également atteint avec peine la majorité qualifiée. Il demande l'intégration dans la vie de l'Eglise des divorcés civilement remariés. Mais il insiste également sur le fait que les divorcés remariés «doivent éviter toute occasion de scandale».
SYNODE ET COMMUNICATION
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La communication est l'une des principales préoccupations de ce pontificat. Ce fut le cas pendant ce Synode. Beaucoup ont reconnu que ce Synode en particulier a finalement été transparent, et que les Pères synodaux ont enfin pu accorder librement des interviews. Mais ce n'est pas exact. Dans les Synodes précédents aussi, les Pères synodaux ont toujours pu accorder des interviews sans demander la permission. En outre, avant que le cardinal Baldisseri ne prenne le poste de Secrétaire Général du Synode, il y avait non pas pas un seul exposé complet, mais six briefings simultanés en six langues différentes. Pendant les briefings, les discussion synodales étaient rapportées de façon informelle, et donc les journalistes avaient une idée des débats en cours. Avant, il y avait beaucoup plus de mots sur le Synode, et moins de possibilités de manipulation.
Qu'on le veuille ou non, les nouvelles modalités de l'information sur le Synode ont ouvert la voie à une série de rumeurs et de ragots livrés en même temps que l'information officielle du Bureau de presse du Saint-Siège. Le Synode des médias était biaisé parce que les rapports étaient fondés sur ce que les Pères synodaux racontaient, plutôt que sur ce qui avait été effectivement dit dans la Salle du Synode. Ce qui a généré une opinion publique favorable à une série de changements doctrinaux qu'en fait aucun Synode ne peut décider. Aucun ne peut le faire simplement parce que le Synode des Évêques est un organe consultatif, et non pas délibératif.
D'UN SYNODE À L'AUTRE
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Si la communication du Synode est devenue, étape par étape, moins transparente, au moins les Pères synodaux sont-ils devenus plus clairvoyants. Au cours du Synode de 2014, la discussion a semblé se poursuivre de façon positive jusqu'à la publication du rapport de mi-parcours. A ce moment, il est devenu clair - comme le cardinal Wilfrid Fox Napier, archevêque de Durban, l'a expliqué - qu'il y avait un agenda derrière le dos du Synode. Parlant du rapport à mi-parcours, le cardinal Napier a dit: «Nous avons reçu le texte en même temps que les journalistes. Je me suis immédiatement rendu compte qu'il y avait quelques sujets dont seulement 2 ou 3 Pères synodaux avaient parlé».
La publication du rapport de mi-parcours a fait comprendre aux évêques quels étaient les enjeux. Les évêques africains, dont l'église est jeune, raison pour laquelle ils ont encore clairement en tête l'enseignement de l'Eglise, ont fait cause commune. Et ainsi firent les évêques d'Europe de l'Est, préoccupés par la trahison de l'enseignement de saint Jean-Paul II. Là sont les périphéries de l'Église sur lesquelles il faut poser le regard.
LA DISCUSSION
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En fait, la plus forte défense de l'enseignement de l'Eglise est venue de ces périphéries. Ils ne nient pas l'amour ou l'attention pastorale pour les personnes en situation irrégulière ou difficiles. Mais ils proposent toujours l'enseignement de l'Eglise, avec force et rigueur. Ils sont certains que les gens doivent avoir un grand idéal à viser. Ils ne croient pas la foi doive être diluée pour répondre à la faiblesse et à la fragilité des personnes.
Certaines des interventions dans la Salle du Synode nous aident à comprendre le déroulement de la discussion.
Mgr Stanislaw Gadecki, Président de la Conférence épiscopale polonaise, a pris la décision de publier sur le site de la Conférence ses notes sur les discours des Pères synodaux. Cette décision levait le rideau de fumée sur la communication du Synode.
L'archevêque Zbignevs Stankevics de Riga (Lettonie) a demandé aux Pères synodaux de faire une pause pour réfléchir sur la question de la discipline dans l'accès aux sacrements. Il a expliqué que «François a ouvert une brèche de miséricorde dans le mur de la justice» avec la réforme des procédures de déclaration de nullité de mariage, et maintenant il est temps d'arrêter et de réfléchir à la façon dont ils peuvent continuer leur ministère comme évêques. Il a également déclaré que «les arguments en faveur de l'accès à la communion des divorcés remariés, semblent être plus sociologiques, psychologiques et émotionnels que théologiques».
C'est précisément là que réside le problème, et cela se reflétait dans le document de travail du Synode: la sociologie remplaçait la théologie, un instantané de l'époque actuelle venait avant l'annonce de l'idéal évangélique. Ceux qui ont rédigé le document de travail ont peut-être essayé d'être fidèles à la logique de François selon laquelle la réalité est plus que l'idée - comme l'énonce l'Exhortation Apostolique "Evangelii Gaudium".
En fait, la question de l'absence d'une solide formation théologique pouvait être perçue dans la plupart des discussions du Synode. Les évêques allemands ont à un moment donné cherché un terrain solide chez Thomas d'Aquin. A partir des mots de Thomas d'Aquin, ils ont développé le thème du discernement au «cas par cas» pour l'accès à la communion des divorcés civilement remariés. C'est ce qu'on appelle le "foro interno" (for intérieur), autrement dit la confession sacramentelle et une relation spirituelle personnelle avec le prêtre. Mais à ce point, tout devient une question de conscience. Depuis le début, cette question a été identifiée comme le "cheval de Troie" que les "adapteurs" utiliseraient pour ouvrir l'accès à la communion sacramentelle pour toutes les personnes dans des situations conjugales/sexuelles irrégulières, sans l'exigence d'une ferme intention d'amendement. Ce n'est pas par hasard que le Cardinal Reinhard Marx, Président de la Conférence épiscopale allemande, a insisté lors d'une conférence de presse que "dans le Synode, tout le monde est d'accord que le mariage est entre un homme et une femme, pour toujours, et ouvert à la vie. Mais il y a des cas de fragilités et de ruptures, et il est nécessaire que l'Eglise dise à ces personnes vivant dans des situations difficiles: Je suis proche de vous».
DÉCENTRALISATION
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La décentralisation est un autre enjeu. François l'a fortement soulignée dans son discours pour la commémoration du 50e anniversaire du Synode des évêques, et immédiatement certains des évêques ont senti que cette question pourrait être exploitée. Etape par étape, la logique d'une plus grande autonomie pour les conférences épiscopales a progressé. Cette notion était également incluse dans "Evangelii Gaudium", l'exhortation apostolique de François qu'il considère comme fournissant les lignes directrices de son pontificat. "Evangelii Gaudium" proposait également que les conférences épiscopales puissent se voir confier une partie des tâches de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et cela a conduit au soupçon qu'il pourrait démanteler l'ex Saint-Office. En fait, François parle souvent d'une Eglise moins auto-référentielle, mais malgré tout d'une Église hiérarchique. Toutefois, la discussion sur ce point, au Synode, a pris de l'importance. Tandis que tout le monde convenait finalement qu'il s'agissait d'un «synode pastoral», de nombreux Pères synodaux ont souligné que «la décentralisation est déjà en acte, et qu'elle a été favorisée par le motu proprio qui modifie les procédures de déclaration de nullité. Mais une décentralisation saine concerne les questions pastorales, pas les questions doctrinales. L'Église est une et la doctrine est une. Il est impossible qu'un couple puisse recevoir la communion sacramentelle dans un pays, alors que dans un autre pays leur comportement est considéré comme un péché». Le porte-parole de ces préoccupations a été le Cardinal George Pell, préfet du Secrétariat à l'Economie. Il a été l'un des évêques les plus actifs au sein de la Salle du Synode.
LE CHEMIN VERS LE DOCUMENT FINAL
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Les arguments du Cardinal Marx, le 22 Octobre, au Bureau de Presse du Saint-Siège, ont montré qu'il y avait une sorte de "rétropédalage" dans l'agenda de la miséricorde. Mais en réalité, l'agenda a avancé. Les discours tenus à la réunion périodique du 25 mai entre les évêques des Conférences françaises, allemandes et suisses - le soi-disant 'Shadow Synod''- ont montré la volonté de poursuivre le chemin de la miséricorde, en insistant sur les histoires individuelles et en laissant de côté la notion de doctrine unifiée. La même approche a été adoptée dans les trois réunions à huis clos organisée par le Conseil pontifical pour la famille (cf. www.catholicnewsagency.com), dont les résultats sont contenus dans un livre récent.
Néanmoins, l'attitude du cardinal Marx a aidé ces évêques qui voulaient adapter la doctrine aux signes des temps à faire une pause et à trouver un moyen de gagner au moins un bon résultat. Pour parler en termes sportifs, tandis qu'ils perdaient, ils essayaient de terminer la partie avec un score nul
Ainsi, le premier projet du document final était marqué par cette forte dialectique au sein du Synode. Les rapports sur la troisième partie du document de travail (l'ébauche) étaient clairs: presque tous les groupes demandaient une réécriture substantielle du document; certains groupes sont même allés plus loin et ont demandé d'éliminer les paragraphes sur la pastorale pour les homosexuels (la question la plus controversée et la plus discutée découlant du Synode 2014). Un groupe a même demandé de convoquer un synode sur la sexualité. Tous les groupes ont été d'accord pour condamner l'idéologie du gender. Alors que beaucoup ont accepté les propositions pour un chemin de pénitence pour les divorcés civilement remariés, même cette proposition a été décrite surtout comme un chemin de conversion.
La première ébauche du rapport final - présentée et discutée dans l'après-midi du 22 Octobre et le matin du 23 Octobre - a exposé cette notion de "chemin de conversion". Un Père du synode a pris la parole, et a clairement demandé «de quelle sorte de conversion traite le document» étant donné que le document ne précise jamais clairement si nous parlons d'une conversion du péché». Cet évêque a ajouté que «la notion de péché est sous embargo dans ce Synode», et a insisté: «Nous disons toujours: "Ora pro nobis" (priez pour nous). Je préfère dire: "Ora pro nobis peccatoribus" (Priez pour nous, pauvres pécheurs)».
Le texte présenté était certainement meilleur que le document de travail, que la plupart des Pères synodaux considéraient comme mal conçu. Le texte a également été simplifié: 49 pages, soit environ une centaine de paragraphes. La commission des 10 prélats nommés par le Pape pour la rédaction du document - dont deux seulement ont pris part au Synode parce qu'ils avaient été élus par leurs Conférences épiscopales (càd que les autres étaient nommés directement par le Pape, ndt) - voulait rédiger un document «avec toutes les questions, mais sans toutes les réponses», a expliqué le cardinal Oswald Gracias de Mumbai (Inde). Leur espoir était que le discours final du pape serait assez vague pour promouvoir l'agenda pour la miséricorde tout en gardant la doctrine de l'Eglise. Un choix qui a dérangé tout le monde. Mais grâce à ce choix, tout le monde a pu maintenir sa position.
à suivre