Un entretien avec Alessandro Gnocchi

Il parle sans concession du voyage récent du Pape aux Etats-Unis et à Cuba, du Synode à venir, du Motu Proprio. Et dessine le portrait d'une Eglise qui, faute de pouvoir combattre le mal, décide de pactiser avec lui

 

Le pape pointe seulement sur le marketing.
L'important pour lui est de faire les titres de tous les journaux

Goffredo Pistelli
Italia Oggi (via www.riscossacristiana.it)
1er octobre 2015
Ma traduction

* * *

Un voyage triomphal, que celui du pape Jorge Bergoglio à Cuba et aux États-Unis. Le consensus, très vaste, suscité par ses discours, surtout celui à l'ONU, où le souverain pontife a demandé «une maison, un travail et une terre pour tous», l'accaparement des applaudissements, surtout médiatiques, par François, suggèrent le contrechant, grave et passionné, d'Alessandro Gnocchi.


Question : Ce voyage américain montre-t-il que François continue à trop plaire?
Réponse : Pour le comprendre, il faut partir d'une nouvelle de samedi dernier.

Allez-y.
- Le Sénat américain a rejeté un projet de loi pour empêcher l'avortement après la vingtième semaine de grossesse. Une disposition qui, selon Life News aurait permis de sauver au moins dix-huit mille enfants chaque année.

Et alors?
- Eh bien, trois jours après avoir applaudi le pape en session conjointe, les représentants du peuple américain ont montré qu'ils ont bien compris combien les questions strictement liées à la doctrine et à la morale catholiques tiennent à cœur à Bergoglio. Après tout, c'est lui qui avait dit que nous ne devrions pas être obsédé par certains sujets.

Qu'est-ce qui a compté, alors, selon vous, dans ce voyage?
- Ce qui compte pour ce pontificat, et pour cette Eglise, c'est d'aller en première page et dans les ouvertures des nouvelles. Parce que, tout compte fait, la pastorale, et en particulier CETTE pastorale, c'est du marketing. Mais il y a un autre aspect de ce voyage sur lequel réfléchir.

Lequel?
- François n'a fait que parler de l'encyclique Laudato si'.

L'encyclique sur l'environnement.
- Je ne sais pas combien l'auront lu, elle est très longue, plus de 200 pages: un aspect bien peu miséricordieux pour les fidèles.

Très drôle, mais continuons.
- Sans parler du cadre théologique, manifestement faux, avec un peu de saupoudrage de doctrine et de morale nommées en vain, pour le reste, avec cette encyclique nous sommes en présence d'une plate-forme de tractations avec le monde et ses pouvoirs. Ce n'est pas par hasard que Laudato si' est le seul document que Bergoglio mentionne et utilise, par exemple pour parler avec Barack Obama et pour aller à l'ONU. En bref, c'est le terrain sur lequel il a l'intention de se mouvoir. Mais d'autre part, il l'a dit dès le premier jour. Une chose qu'on ne peut pas reprocher au pape, c'est de ne pas être clair.

Que signifie dialoguer avec le monde et avec les puissants du monde?
- Puis-je m'expliquer avec une image littéraire ?

Nous sommes un journal laïc, n’ayez crainte.
- Ce que je vois aujourd'hui dans l'Eglise, à travers ce pontificat, c'est la stratégie de Saroumane. Vous avez lui Le Seigneur des Anneaux, non?

Non, Tolkien me manque, et je n’ai même pas vu le film, parce que je n'aime pas le genre fantastique.
- Eh bien Saroumane, le chef religieux de la Terre du Milieu, ayant pris acte que le mal est trop fort, qu'on ne peut pas s'y s'opposer, décide de s'allier avec lui, dans l'illusion de le gouverner. «Une nouvelle Puissance émerge», déclare Saroumane. «Contre elle, les anciens alliés et l'ancienne façon d'agir seraient inutiles. C'est donc ce choix qui s'offre à toi, à nous, s'allier à la Puissance».

Une Eglise qui pactise avec le mal, dites-vous?
- Une Eglise, dans sa composante humaine et visible, qui choisit de jouer le jeu de l'ennemi. D’ailleurs, comme vous le voyez, l'agenda de l'Église est dicté par d'autres. Les problèmes sont ceux de l'environnement, du chômage, des relations avec la politique en termes de pouvoir. Ce pape fait exactement ce que le monde prêche depuis toujours. Par conséquent, le monde le soutient.

En fait, beaucoup ont été frappés que dans son discours au Palais de Verre, en plus de la maison, du travail, de la terre et de la liberté, Jésus-Christ n'a pas été cité, lui qui incarne les besoins des peuples depuis 2000 ans.
- Non, en effet. Le Pape dit mieux, et avec une plus grande autorité que celle que pourrait avoir Ban Ki Moon, les valeurs des Nations Unies. C'est un peu une annonce de pop star, mais Bono de U2 ne saurait pas faire mieux. Je pense qu'une bonne définition de Bergoglio est «Pope Star».

Mais même l'Évangile dit que l'Église doit être le levain dans le monde.
- Oui, mais le levain ne se confond pas avec la pâte, sinon la pâte ne se lèvera pas.

Par ailleurs, au grand consensus de Bergoglio ne correspond pas une conversion au catholicisme. On ne se bat pas pour entrer dans l'Église, il me semble.
- Eventuellement, on se bat pour en sortir. Ou plutôt on se battrait pour en sortir si les églises étaient pleines, mais elles ne le sont pas. L'effet Bergoglio, où est-il? Où sont les grands convertis? Raul Castro, quand il est venu à Rome, a dit: «Si le pape continue, je vais finir par redevenir catholique». Et Al Gore a dit que peut-être il allait y penser. Et puis il y a Pannella et Bonino. Cette Église se contente de l'intention de conversion. Mais juste pour aller sur les premières pages des journaux qui désormais se contentent d'intentions de nouvelles.

C'est un pape de Prix Nobel. Un grand magazine s'est même demandé s'il est catholique. Qu'en pensez-vous?
- La couverture de Newsweek n'est pas tombée du ciel. Et je ne m'intéresse pas aux doutes à propos de son élection, comme ceux de l'écrivain Antonio Socci. Je ne peux pas dire si Bergoglio est pape ou pas parce que, comme un laïc lambda, je n'en ai ni les moyens, ni l'autorité. Cependant, comme tout laïc, je peux dire où et quand il n'est pas catholique: dans presque tous ses actes.

C'est-à-dire?
- La liste est longue, le dernier exemple est le Motu Proprio sur la nullité des mariages.

Autrement dit la mesure par laquelle il invite tribunaux diocésains à assouplir les procédures pour invalider le mariage célébré religieusement.
- Il ne s'agit pas seulement d'assouplissement des procédures. Pour la première fois, noir sur blanc, avec la signature d'un pape, on change quelque chose de fondamental dans un sacrement.

Expliquez-vous.
- Quand on dit que le sacrement est invalide s'il n'y a pas la foi chez ceux qui le célèbrent, en l'occurrence les conjoints, on fait une déclaration au moins proche de l'hérésie.

A ce point…
- Oui, parce que la validité d'un sacrement ne dépend pas de la foi de ceux qui le célèbrent, quand ceux-ci veulent malgré tout faire ce que fait l'Église. Le cas le plus évident réside dans ces miracles eucharistiques, où l'hostie est transformée physiquement dans le corps du Christ, tout en étant bénie par un prêtre qui doute de la présence du Christ sous les espèces du pain et du vin. S'il y a les ministres qui veulent faire ce que fait l'Église, s'il y a la matière et la forme, Dieu opère.

Revenons au Motu Proprio.
- Justement, dans le premier paragraphe de l'article 14, le premier exemple dans la liste des motifs qui permettent de traiter la nullité du mariage est justement le manque de foi. En outre, la liste se termine, je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer, avec un «etc.» dans lequel, à ce stade, il peut y avoir de tout.

Cette option Saroumane, comme vous l'avez définie, il y a un rapport?
- Bien sûr, parce qu'on donne au monde ce qu'il veut avec l'intention de s'en faire un ami, puisqu'on pense qu'on ne peut plus le combattre. Et alors, tout comme Saroumane, on renie «les anciens alliés et l'ancienne manière d'agir». Le sacrement est ordonné aux désirs fous des hommes et non plus aux droits de Dieu. Avec le résultat que l'on dénature un sacrement, c'est-à-dire l'instrument ordinaire avec lequel la Grâce de Dieu atteint les hommes.

Un changement d'époque.
- Bien sûr, l'horizon n'est plus un monde qui dépend de Dieu, mais celui d'une Eglise qui dépend du monde

Certains pensent que ce motu proprio a été le moyen de contourrner le Synode sur la Famille, qui s'ouvre en Octobre, et qui ne semble pas être prêt à de grandes ouvertures sur cette question.
- Avant le Motu proprio, on pensait qu'il ne se passerait rien, à ce Synode, que la ligne serait celle de la doctrine qui ne changerait pas, mais que la pratique pastorale serait substantiellement modifiée. Aujourd'hui, pourtant, nous voyons la doctrine changer, bien avant le Synode fatidique, et de nombreux évêques sont alarmés. On dit que le cardinal Gerhard Muller lui-même, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (nommé par Benoît XVI, ndlr) a fait des remontrances au pape.

Sur le Motu Proprio, comme sur tout le reste, Bergoglio évoque la miséricorde, à laquelle est également consacrée l'Année Sainte qui s'ouvrira le 8 Décembre.
- La miséricorde s'exerce dans ce monde jusqu'au dernier instant de la vie des personnes. Dieu accorde de se convertir, d'embrasser la croix. Jésus-Christ, l'Église. A tout moment, quelqu'un, quoi qu'il ait fait, peut se repentir et changer sa vie, se conforment à la vérité. La miséricorde implique le premier mouvement de Dieu vers le pécheur et sa misère, mais se poursuit avec un mouvement de conversion de la créature vers Dieu.

Et ce n'est la même miséricorde dont parle le pape?
- Non, Dieu nous aime même quand nous faisons des erreurs, mais il nous demande de changer vraiment nos vies par le repentir, la prière et la pénitence. Il ne change pas sa loi, car il ne peut y avoir aucune complaisance avec l'erreur. L'Eglise a toujours distingué le péché et le pécheur, mais ..

Mais?
- Mais elle n'a jamais caressé le pécheur, le confirmant dans son péché, elle n'a jamais défendu un pécheur, elle n'a jamais justifié «les chrétiens qui sont dans l'erreur».

Et elle n'a pas aboli le péché ...
- En effet, la miséricorde opère jusqu'à la dernière seconde de la vie, ensuite il y a le jugement.

Et alors, les tribunaux qui jugent avec miséricorde...?
- Mais qu'est-ce que cela signifie? Les tribunaux doivent juger selon la justice.

L'Année Sainte, à quoi servira-t-elle?
- Comme tous les événements religieux de cette Église, dans laquelle prévaut actuellement l'aspect mondain et médiatique, elle servira à vendre un gadget: elle servira à répandre la miséricorde à prix réduit; à justifier la reddition et l'accord avec le monde. Une tactique habile et intelligente: l'Année Sainte sera déférée aux diocèses et aux paroisses, le message sera ainsi ancré dans le territoire.

Risque-t-on un schisme, comme certains l'ont déjà mentionné?
C'est le cardinal Muller lui-même qui en a évoqué le spectre lors d'une visite en Allemagne. Et cela me semble un scénario plus que réaliste, parce que le schisme existe, il est déjà en acte. Qu'il y ait deux églises, c'est évident. J'attends pour un pasteur qui ait à cœur la véritable Église, celle catholique, apostolique et romaine, et porte à la lumière, avec autorité, ce que les fidèles éprouvent déjà sur leur peau.

Mais dans l'Eglise italienne, quelle est la situation? Au printemps, le Corriere della Sera avait parlé de nombreux évêques, la majorité, qui, dans leur cœur, seraient plutôt opposés à la prédication de François.
- Je n’ai pas d'éléments pour le confirmer. Bien sûr, dans beaucoup de diocèses, ils sont inquiets, mais surtout pour les retombées pratiques de certains actes, comme par exemple pour ce que les tribunaux diocésains devront gérer après ce Motu Proprio dont nous avons parlé. Certainement pas pour ce qu'il y a derrière.

Et dans les paroisses?
- Je trouve beaucoup de prêtres et aussi des religieux de congrégations peu soupçonnables de sympathie pour le traditionalisme, qui ressentent tous le changement radical et douloureux, sur le plan moral, imposé par ce pontificat. Ce sont surtout ceux qui sont beaucoup au confessionnal et sentent ce que cette ouverture provoque parmi les fidèles. Elle a déclenché le pire.