Une faucille et un marteau qui ne passent pas
Alessandro Gnoccchi (*) consacre au repoussant emblème accepté par le pape des mains du président bolivien sa dernière chronique hebdomadaire sur Riscossa Cristiana
(*) J'avais fait un terrible lapsus, comme tous mes lecteurs le savent, Mario Palmaro n'est hélas plus de ce monde!!
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>>> Ci-dessous: le très éloquent (et très beau) dessin de Guareschi (1949) illustrant l'article d'Alessandro Gnoccchi
En lisant la dernière livraison de Fuori Moda, la chronique hebdomadaire d'Alessandro Gnocchi sur Riscossa Cristiana, qui se présente comme une sorte de courrier des lecteurs, j'ai imédiatement pensé à cette phrase d'Alexandre Soljenitsine mise en exergue par Antonio Socci le 12 juillet sur sa page Facebook, et illustrée par l'image ci-contre:
Nous sommes dans l'erreur non pas parce que la vérité est difficile à voir. Elle est visible à l'oeil nu. Nous sommes dans l'erreur parce que le mensonge est plus confortable.
www.riscossacristiana.it/fuori-moda-la-posta-di-alessandro-gnocchi
Cher Alessandro Gnocchi,
On ne peut pas garder le silence sur ce qui est arrivé en Bolivie. Enchâsser le Christ dans la faucille et le marteau et donner cette monstruosité à un pape qui l'accepte avec un sourire est non seulement abominable, mais incroyablement obscène. Je suis hors de moi, non seulement pour l'outrage fait au Rédempteur, le rapprochement avec un symbole qui a fait de la lutte violente sa bannière, mais pour l'acceptation bienveillante du destinataire qui, en inventant une autre religion, s'est mis à tout approuver, claironnant une sorte de «christianisme» si plein de bonté, d'humanité et de miséricorde qu'il enchante et séduit tout le monde.
Marianna
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Chère Marianna
Pour bien comprendre la portée dévastatrice du fait qui vous indigne à si juste titre, il faut partir de l'épilogue. Si vous me permettez la comparaison, nous sommes confrontés à une situation qui rappelle les pancartes des bateleurs d'autrefois, présentant l'habituel «drame en cinq actes» et qui, pour inciter le spectateur réticent à entrer dans la salle, annonçaient: «Une splendide farce suivra».
Nous sommes en plein dans cette situation: après l'horreur du Christ crucifié sur la faucille et le marteau, gracieusement offert par le président bolivien Evo Morales à l'évêque venu du bout du monde et gracieusement accepté par le même évêque venu du bout du monde, a suivi la farce de l'explication donnée par l'évêque venu du bout du monde en personne, pendant le retour en avion du triomphal voyage en Amérique latine. Évidemment, c'est en haute altitude que certains sujets donnent leur meilleur.
Ainsi, démentant tous ceux qui avaient tenté d'amortir le choc, vantant une grimace de surprise chez Bergoglio au moment de recevoir le cadeau de Morales, Bergoglio lui-même a tenu à préciser: «J'ai laissé à la Vierge de Copacabana les deux insignes que m'avait donné le Président parce que je n'accepte jamais les décorations, mais le Christ, je l'emmène avec moi».
Et ensuite, se référant au jésuite théologien la libération qui a créé la sculpture: «J'étais curieux, je ne savais pas cela, et je ne savais pas non plus que le père Espinal était un sculpteur et aussi un poète, je l'ai appris ces jours-ci. Je l'ai vu et pour moi ç'a été une surprise».
Ce crucifix, a-t-il poursuivi, «je pense qu'il peut être défini comme une sorte d'art de protestation. Par exemple, à Buenos Aires, il y a quelques années, il y a eu une exposition d'un bon sculpteur, créatif, un Argentin, aujourd'hui mort, c'était un art de protestation, et je me souviens d'une sculpture qui représentait un christ crucifié sur un bombardier, comme pour dire que le christianisme était allié avec l'impérialisme qui bombarde».
Par ailleurs, le porte-parole, le père Federico Lombardi avait auparavant indiqué que «le Pape François n'a montré aucune réaction particulière pour le cadeau du président Morales».
Donc, il n'y a pas eu de malentendus. Tous savaient de quoi il s'agissait, à commencer par celui qui a pensé à ce cadeau et celui qui l'a gracieusement reçu. Evo Morales a expliqué sur CNN que le Christ crucifié sur la faucille et le marteau «n'est pas mon invention», mais reproduit un «un dessin du jésuite martyr des pauvres, Espinal». Lorsqu'on lui a demandé s'il ne craignait pas de mettre Bergoglio dans une position difficile, le président bolivien a répondu que son invité d'aujourd'hui est «le premier homme politique au monde» sur les fronts tels que «la justice, la paix avec la justice sociale, la dignité. Quand je l'ai rencontré, j'ai immédiatement pensé "maintenant oui, nous avons un pape». Et puis il ajouté à propos du "gracieux" cadeau: «Nous allons en faire une médaille que nous donnerons aux hommes et aux femmes qui promeuvent la religion pour la libération des peuples».
Maintenant, pour votre information, vous devez savoir que sur l'une des deux décorations accrochées par Morales au cou de l'évêque provenant du bout du monde figurait une réplique de la crucifixion du Christ sur la faucille et le marteau. Et écoutez bien, chère Marianna, ce qu'a fait Bergoglio, après avoir décidé de ramener avec lui au Vatican la sculpture hideuse devant laquelle, chaque soir, il se retirera probablement pour méditer sur la profondeur miséricordieuse de la théologie de la libération. L'article est d'Andrea Tornielli, le vaticaniste de La Stampa:
Ce matin - informe une note du porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi - le pape Franços a célébré la messe dans la chapelle de la résidence privée de l'archevêque émérite de Santa Cruz de la Sierra. Au terme de la célébration eucharistique, le Saint-Père a remis à la Vierge de Copacabana, patronne de la Bolivie, les deux décorations conférées mercredi par le président du Pays, Evo Morales, lors de la visite de courtoisie au palais présidentiel à La Paz.
Bergoglio a accompagné son geste par ces mots: «Le président de la nation, en un geste chaleureux, a eu la délicatesse de m'offrir deux distinctions au nom du peuple bolivien. Je remercie l'affection du peuple bolivien et je remercie le Président pour cette délicatesse. Je voudrais laisser ces deux décorations à la Patronne de la Bolivie, à la Mère de cette noble nation, pour qu'elle se souvienne toujours de son peuple et de la Bolivie, du sanctuaire où je voudrais qu'elles soient, qu'elle se souvienne du successeur de Pierre et de toute l'Eglise, et protège la Bolivie».
«Mère de la Bolivie - a conclu le pape en priant - Mère du Sauveur et notre Mère, toi, reine de la Bolivie, du haut de ton sanctuaire de Copacabana, prête attention aux suppliques et aux besoins de tes enfants, surtout les pauvres et les abandonnés, et protège-les. Reçois comme hommage du cœur de la Bolivie et comme signe de mon affection filiale les symboles de proximité et d'affection que m'a donné - au nom du peuple bolivien - avec une affection cordiale et généreuse le Président Evo Morales Ayma, à l'occasion de ce voyage apostolique que j'ai confié à ton intercession ettentive».
«Je te demande que ces disctinctions - a conclu François - que je laisse ici en Bolivie à tes pieds, et qui rappellent la noblesse du vol du condor dans le ciel de la Cordillère des Andes, et la commémoration du sacrifice du Père Luis Espinal, soient un emblème de l'amour éternel et la gratitude persistante du peuple bolivien à ta tendresse forte et zélée. En cet instant, je mets dans ton coeur mes prières pour toutes les requêtes de tes enfants, que j'ai reçues ces derniers jours, les nombreuses requêtes, Mère: Je te supplie de les écouter. Accorde-leur ton souffle et ta protection, et manifeste à toute la Bolivie ta tendresse de femme et de mère de Dieu».
Chère Marianna, il me semble que tout est clair, terriblement clair. On ne peut même pas invoquer une éventuelle pusillanimité d'un Bergoglio qui n'a pas su réagir comme aurait dû le faire le Vicaire du Christ devant le massacre de l'image du Christ. Non: Bergoglio n'a pas réagi comme on pouvait l'attendre d'un Vicaire du Christ, parce que son idée du christianisme est - pour être généreux - inédite. Il est difficile d'imaginer les papes précédents, y compris les papes conciliaires et post-conciliaires, exhiber des pensées, des paroles, des actes et des omissions comme celle exhibées à cette occasion par l'évêque venu du bout du monde. Occasion qui, au moment où j'écris ces lignes, n'est que la dernière en date, mais au moment de la publication sera peut-être déjà l'avant-dernière, ou l'avant-avant-dernière, et ainsi de suite.
Il est évident que quelque chose a changé: et nous ne pouvons nous cacher le fait que quelque chose a changé justement dans l'Eglise catholique. L'idée du Christ n'est plus la même. La contre-preuve réside dans ce que le même Bergoglio a dit lors d'un précédent voyage en avion, à propos du coup de poing qu'il assènerait sur la figure de celui qui offenserait sa mère. Permettez-moi un raisonnement de bas étage, mais c'est vers quoi mène le chef actuel de l'Église catholique: toutes proportions gardées, si à l'offense à sa mère correspond un coup de poing, alors à quoi devrait correspondre l'offense à Dieu? S'il n'y a pas eu de réaction, cela signifie que, selon les intéressés, ce n'était même pas une offense..
Je vois que vous avez saisi le concept de «nouvelle religion» sur lequel j'écris depuis un certain temps. Je pense qu'aujourd'hui, nous nous mesurons avec la manifestation ouverte d'une néo-église qui occupe l'Eglise de toujours. Je répète ce que j'ai dit en d'autres occasions: un nouveau rite, une nouvelle doctrine, une nouvelle théologie, une nouvelle philosophie et une nouvelle morale constituent une «nouvelle religion». Même si ce nouveau sujet, pour des raisons stratégiques, n'a pas l'intention de se manifester en tant que tel; même si la néo-église continue à se présenter comme l'Eglise de toujours.
Certains pensent peut-être que j'exagère, alors je vais approfondir cette considération en montrant que la néo-église est essentiellement une église inversée. Pour m'expliquer, plutôt qu'à des argumentations, je préfère m'en remettre aux faits, et ceux que nous venons de commenter me semblent parler assez clairement. Mais, plus encore, je veux m'en remettre aux symboles, qui sont encore plus explicites et pénètrent au plus profond de l'âme. Je vous invite donc, chère Marianna, à regarder le dessin que Guareschi a publié en 1949 dans «Candido» et qu'il eut l'approbation de Sa Sainteté Pie XII (voir plus haut). Sur le dessin, Notre Seigneur gravit le Calvaire en traînant une croix formée par la faucille et le marteau: loin de se trouver en symbiose avec le symbole d'une idéologie antrichristique, comme dans la sculpture si appréciée par Bergoglio, ici il est écrasé jusqu'au martyre. Il est difficile de nier que, de l'Eglise du pape Pie XII à celle de Bergoglio, il y a eu un renversement.
Pour conclure, un dernier commentaire. La néo-église utilise également un néo-magistère, fait de déclarations de type et d'autorité variés, illustré et apprêté à l'intention du peuple néochrétien à travers l'herméneutique du monde. Une herméneutique qui se moque des tentatives maladroites des soi-disant «voix du Magistère» d'empreinte normaliste, visant à démontrer que rien n'a changé, que tout est sous contrôle, que tout va bien madame la marquise. par exemple, l'herméneutique qui importe, dans le cas présent, est celle de Morales, qui, comme on l'a dit plus haut, a "herméneutisé" le magistère avec l'aval de l'intéressé expliquant que Bergoglio est aujourd'hui «le premier homme politique au monde» sur des questions telles «La justice, la paix avec la justice sociale, la dignité. Quand je l'ai rencontré, j'ai immédiatement pensé "maintenant oui, nous avons un pape». Et personne n'a jamais pensé à le démentir. Tout comme nous attendons en vain le démenti ponctuel de l'article où Eugenio Scalfari crédite Bergoglio de la conception d'une nouvelle religion dans laquelle, comme par hasard, pour Jésus-Christ comme Dieu, deuxième personne de la Trinité, il n'y a pas de place.
Mais, chère Marianne, ces dénégations ne viendront pas, car elles ne représente pas l'herméneutique authentique de la nouvelle religion à laquelle nous sommes confrontés.
Quoi qu'il en soit, comme concluait Guareschi dans son hebdomadaire Giro d'Italie, "No pasaran".
Alessandro Gnocchi