Joseph Ratzinger, le masque et le visage

... vus du Japon. Angela Ambrogetti commente joliment le résumé de la biographie de Benoît XVI écrite pas un japonais et présentée ces jours-ci par Sandro Magister.

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Un portrait inédit de Benoît XVI (L'intégralité du résumé, traduit en français)

>>> Ci-dessous: masque de guerrier (japonais)... a priori rien à voir avec Benoît XVI! Mais il faut lire Hajime Konno

[Benoît XVI] ressemble à Lan Ling Wang (Gao Changgong), un prince de la Chine ancienne. Même si celui-ci, sur le champ de bataille, combattait en portant un masque représentant le diable, les traits de son visage, sous ce masque, étaient délicats.

Joseph Ratzinger, le masque et le visage vu du Japon

Angela Ambrogetti
10 Août 2015
www.acistampa.com

Gao Changgong

(wikipedia)

Joseph Ratzinger «ressemble à Lan Ling Wang, un prince de la Chine ancienne. Même si celui-ci, sur le champ de bataille, combattait en portant un masque représentant le diable, les traits de son visage, sous ce masque, étaient délicats. »

La description innsolite et imagée ne vient pas d'Occident, mais d'Orient. Hajime Konno professeur d'études germaniques à l'Université de la préfecture d'Aichi au Japon l'utilise dans sa biographie de Benoît XVI récemment publiée par l'Université de Tokyo.

Hajime Konno, 42 ans, agnostique bien que de famille chrétienne a étudié en Allemagne et a voulu faire revivre la Bavière de Benoît XVI pour écrire ensuite 500 pages d'une biographie sur le Pape qu'il définit «non-conformiste».

Son essai résumé en allemand a été lu par Ratzinger lui-même, qui, comme le rapporte Sandro Magister sur son site Internet, l'a qualifié de «surprenant», car «conçu et rédigé non "par quelqu’un qui fait partie de la communauté de foi, pas non plus selon le point de vue de mes adversaires, mais par quelqu’un qui se trouve en un troisième endroit, à l’extérieur"».

La synthèse du texte publié en italien sur le site chiesa.espresso.repubblica.it est l'occasion de relire la parabole théologique d'un homme qui a su se tenir éloigné de la clameur de la démagogie.

«Benoît - écrit Konno- n’avait pas l’intention de se soumettre à la mode et de se limiter à gouverner avec application. Il voulait décider de ce qui devait être changé et de ce qui ne devait pas l’être, toujours à partir de la position de l’Église et indépendamment de l’esprit du temps. En effet il ne s’est pas du tout voué à l'anti-modernisme. Il voulait simplement préserver les éléments qu’il considérait comme nécessaires à l’Église, sans se préoccuper de savoir s’ils étaient modernes ou bien pré-modernes. Il a fait retirer du blason pontifical la tiare papale, il a renoncé au titre de "patriarche d'Occident", il a abordé avec passion les problèmes d’environnement».

Il est intéressant de voir comment, vu d'Orient, les vicissitudes de l'Eglise en Europe sont plus claires et plus simples.

Le post-Concile vu du Japon devient moins bipolaire, sans division exacerbée entre «progressistes» et «conservateurs», mais plutôt avec une gamme de nuances liées davantage à la nécessité de lutter pour l''Europe chrétienne à un moment où certains voulaient que les valeurs soient déterminées par l'"esprit du temps".

Konno sait mettre en évidence les phases de transition du théologien qui, de jeune "progressiste" au Concile, a été ensuite considéré par ses détracteurs comme un homme effrayé par la modernité, champion d'une église retranchée dans une forteresse. Au contraire, sa réaction à la "démoscopie" (la dictature des sondages et de l'"opinion publique") a été le moyen de permettre à l'Église d'être vraiment libre, d'être elle-même, au-dessus de l'esprit du monde et de rappeler à l'Église européenne qu'il existe des réalités au-delà de l'Occident.

Kenno cite de nombreux écrits de Ratzinger (ndt: en notes dans le résumé publié par Sandro Magister) pour raconter comment la défense de l'Église a toujours été pour le théologien devenu pape le sens de son action.

La défense de «l'Europe chrétienne contre le scientisme, la lutte contre l'individualisme débridé ne sont pas tant des choix "conservateurs" qu'un moyen de ramener l'Eglise au rôle qui est le sien dans la société et dans l'histoire.

«Si l’on tient compte de la position dominante qu’occupent les valeurs modernes - écrit Kenno -, l’Église catholique est une minorité opprimée tandis que ceux qui la critiquent appartiennent à la majorité. » De là, l'auteur explique aussi certaines réactions «autoritaire» du pape Benoît.

En ce sens, Kenno a une vision intéressante de l'Église catholique romaine comme un «Orient de l'Occident», à la merci des vagues des valeurs modernes, avec un désir de la part de certains d'acquérir les valeurs mondaines qui la rendraient certes plus «populaire», mais moins authentique.

Plus encore, historiquement, le catholicisme est la source des valeurs occidentales, mais c'est aussi «la religion de l'antique aire de la Méditerranée [qui] reste attachée à l'image qu'on avait à l'époque de la société et de la famille et aux concepts moraux correspondants. Au cours des deux mille ans de son existence, de nombreux usages, rituels et institutions ont pris graduellement forme dans l'Église, qui sont incontournables pour la piété populaire actuelle. Il est donc assez inévitable que le christianisme - et précisément les Églises anciennes, autant la catholique romaine que l'orthodoxe - ne puissent pas toujours correspondre aux dictats des valeurs modernes, constamment actualisées».

Le texte du professeur japonais offre les perspectives d'études complètement nouvelles par rapport à de nombreux stéréotypes, et même aux images que Kenno donne de Joseph Ratzinger, l'«enfant prodige» du Concile, le «Panzerkardinal» critiqué par les anti-romains, et le libérateur du complexe d'infériorité de la culture européenne face au multiculturalisme.