Le Pape s'adresse aux évêques américains

Eh oui, il y en a à qui cela ne va pas plaire, mais il est intéressant de comparer ce que leur disait Benoît XVI en 2008, et ce que leur dit François aujourd'hui...


Le 16 avril 2008, à l'issue des vêpres au Sanctuaire de l'Immaculée Conception à Washington, Benoît XVI rencontrait les évêques américains et répondait à leurs questions (images ici: benoit-et-moi.fr/USA).
On ne peut s'empêcher de comparer son ton paternel et bienveillant, plein d'encouragements, son attention aux thèmes liés à la vie et à la morale, avec les reproches à peine voilés que leur a adressés son successeur dans les mêmes circonstances mercredi dernier...

Deux discours....

Benoît XVI

Vénérés frères dans l'épiscopat,

Ma joie est grande en vous saluant aujourd'hui, au début de ma visite dans ce pays, et je remercie le cardinal George des aimables paroles qu'il m'a adressées en votre nom. Je désire remercier chacun de vous, en particulier les membres de la Conférence épiscopale, pour le travail important qu'a supposé la préparation de ce voyage. Mon appréciation reconnaissante va, en outre, à l'équipe et aux volontaires du sanctuaire national, qui nous ont accueillis ici ce soir. Les catholiques d'Amérique sont connus pour leur réelle dévotion à l'égard du Siège de Pierre. Ma visite pastorale ici est une occasion pour renforcer davantage les liens de communion qui nous unissent. Nous avons commencé par la célébration de la prière du soir dans cette basilique consacrée à l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, sanctuaire possédant une signification spéciale pour les catholiques américains, précisément au cœur de votre capitale. Unis en prière avec Marie, Mère de Jésus, nous confions avec amour à notre Père céleste le Peuple de Dieu dans chaque partie des Etats-Unis.

Pour les communautés catholiques de Boston, New York, Philadelphie et Louisville, il s'agit d'une année de célébrations particulières, étant donné qu'elle marque le bicentenaire de l'érection de ces Eglises locales au rang de diocèses. Je m'unis à vous pour rendre grâce pour les nombreux dons célestes accordés à l'Eglise dans ces lieux au cours des deux derniers siècles. Etant donné que l'année en cours marque également le bicentenaire de l'érection du siège fondateur, Baltimore, au rang d'archidiocèse, cela m'offre l'opportunité de rappeler avec admiration et gratitude la vie et le ministère de John Carroll, premier évêque de Baltimore et digne pasteur de la communauté catholique dans votre nation qui était devenue depuis peu indépendante. Ses efforts inlassables pour diffuser l'Evangile dans le vaste territoire confié à ses soins jetèrent les bases de la vie ecclésiale dans votre pays et permirent à l'Eglise en Amérique de grandir vers la maturité. Aujourd'hui, la communauté catholique que vous servez est l'une des plus vastes du monde et l'une des plus influentes. Il est donc très important de faire en sorte que votre lumière brille devant vos concitoyens et devant le monde, "afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5, 16).

Un grand nombre des personnes auprès desquelles John Carroll et ses confrères évêques exercèrent leur ministère il y a deux siècles venaient de terres lointaines. La diversité de leur provenance se reflète dans la riche variété de la vie ecclésiale de l'Amérique d'aujourd'hui. Chers frères évêques, je désire vous encourager, ainsi que vos communautés, à continuer à accueillir les immigrants qui s'unissent à vous aujourd'hui, à partager leurs joies et leurs espérances, à les soutenir dans leurs souffrances et leurs épreuves, et à les aider à prospérer dans leur nouvelle maison. C'est d'autre part ce que firent vos concitoyens pendant des générations. Dès les débuts, ils ont ouvert leurs portes à ceux qui étaient las, aux pauvres, aux "masses qui se pressaient à la recherche d'un souffle dans la liberté" (cf. Sonnet gravé sur la statue de la liberté). Telles étaient les personnes que l'Amérique a faites siennes.

Parmi ceux qui vinrent ici pour se construire une nouvelle vie, beaucoup furent capables de faire bon usage des ressources et des opportunités qu'ils y trouvèrent, et d'atteindre un haut niveau de prospérité. En vérité, les citoyens de ce pays sont connus pour leur grande vitalité et créativité. Ils sont également connus pour leur générosité. Après l'attaque des tours jumelles, en septembre 2001, et également après l'ouragan Katrina en 2005, les Américains ont montré leur rapidité à venir en aide à leurs frères et sœurs qui étaient dans le besoin. Au niveau international, la contribution offerte par le peuple d'Amérique aux opérations de secours et de sauvetage après le tsunami de décembre 2004 est une démonstration supplémentaire de cette compassion. Permettez-moi d'exprimer mon appréciation particulière pour les innombrables formes d'assistance humanitaire offertes par les catholiques américains à travers les Caritas catholiques et les autres agences. Leur générosité a porté des fruits dans l'attention aux pauvres et aux indigents, ainsi que dans l'énergie manifestée dans la construction du réseau national de paroisses catholiques, d'hôpitaux, d'écoles et d'universités. Tout cela offre de solides raisons pour rendre grâce.

L'Amérique est également une terre de grande foi. Votre peuple est bien connu pour sa ferveur religieuse et il est fier d'appartenir à une communauté de prière. Il a confiance en Dieu et il n'hésite pas à introduire dans les discours publics des raisons morales enracinées dans la foi biblique. Le respect pour la liberté de religion est profondément enraciné dans la conscience américaine; c'est un fait qui a contribué à ce que ce pays attire des générations d'immigrants à la recherche d'une maison où pouvoir librement rendre leur culte à Dieu selon leurs propres convictions religieuses.

Dans ce contexte, je prends volontiers acte de la présence parmi vous d'évêques de toutes les vénérables Eglises orientales en communion avec le Successeur de Pierre: je les salue avec une joie particulière. Chers frères, je vous demande d'assurer vos communautés de ma profonde affection et de ma prière incessante, pour elles comme pour les nombreux frères et sœurs restés dans leur terre d'origine. Votre présence dans ce pays rappelle le courageux témoignage en faveur du Christ de tant de membres de vos communautés, souvent en affrontant de grandes souffrances, dans leurs patries respectives. Cela constitue également un grand enrichissement pour la vie ecclésiale en Amérique, car une expression vivante de la catholicité de l'Eglise et de la variété de ses traditions liturgiques et spirituelles est ainsi offerte.

C'est sur ce sol fertile, nourri par tant de sources différentes, que vous, vénérés frères dans l'épiscopat, êtes appelés aujourd'hui à répandre la semence de l'Evangile. Cela m'amène à me demander comment, au XXI siècle, un évêque peut répondre au mieux à l'appel à "faire chaque chose nouvelle en Jésus Christ, notre espérance"? Comment peut-il conduire son peuple "à la rencontre avec le Dieu vivant?", source de cette espérance qui transforme la vie dont parle l'Evangile? (cf. Spe salvi, n. 4). Peut-être a-t-il tout d'abord besoin d'abattre certaines barrières qui empêchent cette rencontre. Même s'il est vrai que ce pays est marqué par un authentique esprit religieux, l'influence subtile du sécularisme peut toutefois marquer la façon dont les personnes permettent que la foi influence leurs propres comportements. Est-il cohérent de professer notre foi à l'église le dimanche et ensuite, au cours de la semaine, de promouvoir des affaires ou des procédures médicales contraires à cette foi? Est-il cohérent pour les catholiques pratiquants d'ignorer ou d'exploiter les pauvres et les exclus; de promouvoir des comportements sexuels contraires à l'enseignement moral catholique, ou d'adopter des positions qui contredisent le droit à la vie de chaque être humain de sa conception jusqu'à sa mort naturelle?
Il faut résister à toute tendance à considérer la religion comme un fait privé. Ce n'est que lorsque la foi imprègne chaque aspect de leur vie que les chrétiens deviennent vraiment ouverts à la puissance transformatrice de l'Evangile.

Dans une société riche, un obstacle supplémentaire à une rencontre avec le Dieu vivant se trouve dans l'influence subtile du matérialisme, qui peut malheureusement très facilement concentrer l'attention sur le "centuple" promis par Dieu en cette vie, au détriment de la vie éternelle qu'il promet pour le temps à venir (Mc 10, 30). Il est aujourd'hui nécessaire de rappeler aux personnes le but ultime de l'existence. Elles ont besoin de reconnaître qu'elles ont en elles une profonde soif de Dieu. Elles ont besoin d'avoir l'opportunité de puiser à la source de son amour infini. Il est facile d'être subjugués par les possibilités presque illimitées que la science et la technique nous offrent; il est facile de faire l'erreur de penser pouvoir obtenir par nos propres efforts la satisfaction des besoins les plus profonds. Il s'agit d'une illusion. Sans Dieu, qui nous donne ce que nous ne pouvons pas atteindre seuls (cf. Spe salvi, n. 31), nos vies sont en définitive vides. Les personnes ont sans cesse besoin d'être appelées à cultiver une relation avec lui, qui est venu afin que nous ayons la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). Le but de chacune de nos activités pastorales et catéchétiques, l'objet de notre prédication, le centre même de notre ministère sacramentel doit être celui d'aider les personnes à établir et à nourrir une telle relation vitale avec "le Christ Jésus, notre espérance" (1 Tm 1, 1).

Dans une société qui accorde beaucoup de valeur à la liberté personnelle et à l'autonomie, il est facile de perdre de vue notre dépendance des autres, ainsi que les responsabilités que nous avons à leur égard. Cette accentuation de l'individualisme a même influencé l'Eglise (cf. Spe salvi, nn. 13-15), donnant origine à une forme de piété qui souligne parfois notre relation privée avec Dieu au détriment de l'appel à être les membres d'une communauté rachetée. Et pourtant, dès le début, Dieu vit qu'"il n'est pas bon que l'homme soit seul" (Gn 2, 18). Nous avons été créés comme des êtres sociaux qui ne trouvent leur accomplissement que dans l'amour envers Dieu et envers leur prochain. Si nous voulons vraiment garder le regard fixé sur lui, source de notre joie, nous devons le faire comme des membres du Peuple de Dieu (cf. Spe salvi, n. 14). Si cela semblait aller à l'encontre de la culture actuelle, cela ne serait qu'une preuve supplémentaire de l'urgente nécessité d'une évangélisation renouvelée de la culture.

Ici en Amérique, vous avez été bénis par un laïcat catholique d'une considérable variété culturelle, qui place ses dons multiformes au service de l'Eglise et de la société en général. Il se tourne vers vous pour recevoir de l'encouragement, une direction et une orientation. A une époque saturée d'informations, l'importance d'offrir une solide formation de la foi ne risque pas d'être sur-évaluée. Les catholiques américains ont accordé par tradition une grande valeur à l'éducation religieuse, que ce soit dans les écoles ou dans l'ensemble des programmes de formation pour adultes: il faut maintenir et développer cela. Les nombreux hommes et femmes qui se consacrent généreusement aux œuvres caritatives doivent être aidés à renouveler leur engagement à travers une "formation du cœur": une "rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l'amour et qui ouvre leur esprit à autrui" (Deus caritas est, n. 31). A une époque où les progrès dans les sciences médicales apportent de nouvelles espérances à de nombreuses personnes, des défis éthiques auparavant inimaginables peuvent apparaître. D'où la nécessité, plus importante que jamais, d'assurer une solide formation dans les enseignements moraux de l'Eglise aux catholiques qui sont engagés dans le domaine de la santé. Il est nécessaire dans tous ces domaines d'apostolat, de prendre une direction sage, pour qu'ils puissent porter des fruits abondants. S'ils veulent vraiment promouvoir le bien intégral de la personne, ils doivent eux-mêmes être renouvelés dans le Christ notre espérance.

En tant qu'annonciateurs de l'Evangile et guides de la communauté catholique, vous êtes également appelés à participer à l'échange d'idées sur la scène publique, pour aider à façonner des attitudes culturelles adaptées. Dans un contexte où la liberté de parole est appréciée et un débat substantiel et honnête est encouragé, votre voix est une voix respectée qui a beaucoup à offrir au débat sur les questions sociales et morales de l'actualité. En faisant en sorte que l'Evangile soit entendu de façon claire, non seulement vous formez les personnes de votre communauté, mais, dans le cadre du plus vaste auditoire de la communication de masse, vous aidez à diffuser le message de l'espérance chrétienne dans le monde entier.

L'influence de l'Eglise dans le débat public, cela est clair, se déroule à de nombreux niveaux très différents.
Aux Etats-Unis, comme ailleurs, existent actuellement beaucoup de lois déjà en vigueur ou en discussion qui suscitent une préoccupation du point de vue de la moralité et la communauté catholique, sous votre direction, doit offrir un témoignage clair et unanime sur ces matières. L'ouverture graduelle des esprits et des cœurs de la communauté la plus vaste à la vérité morale est toutefois encore plus importante: c'est un domaine dans lequel il y a encore beaucoup à accomplir. Dans ce domaine, le rôle des fidèles laïcs est crucial en agissant comme un "levain" dans la société. Toutefois, on ne doit pas tenir pour acquis que tous les citoyens catholiques pensent selon l'enseignement de l'Eglise à propos des questions éthiques fondamentales d'aujourd'hui. Encore une fois, votre devoir est de faire en sorte que la formation morale offerte à chaque niveau de la vie ecclésiale reflète l'enseignement authentique de l'Evangile de la vie.

A ce propos, un thème profondément préoccupant pour nous tous est la situation de la famille au sein de la société. Il est vrai que le cardinal George a tout d'abord rappelé que vous avez placé le renforcement du mariage et de la vie familiale parmi vos priorités pour les prochaines années. Dans le Message de cette année pour la Journée mondiale de la paix, j'ai parlé de la contribution essentielle qu'une vie familiale saine offre à la paix dans et entre les nations. Dans la maison familiale, nous vivons l'expérience "de certaines composantes fondamentales de la paix: la justice et l'amour entre frères et sœurs, la fonction d'autorité manifestée par les parents, le service affectueux envers les membres les plus faibles parce que petits, malades ou âgés, l'aide mutuelle devant les nécessités de la vie, la disponibilité à accueillir l'autre et, si nécessaire, à lui pardonner" (n. 3). La famille est, en outre, le lieu primordial de l'évangélisation, dans la transmission de la foi, dans l'aide aux jeunes à apprécier l'importance de la pratique religieuse et de l'observance du dimanche. Comment ne pas être déconcertés en observant le rapide déclin de la famille en tant qu'élément fondamental de l'Eglise et de la société? Le divorce et l'infidélité sont en augmentation, et de nombreux jeunes hommes et femmes choisissent de retarder le mariage ou même de l'ignorer complètement. Pour certains jeunes catholiques le lien sacramentel du mariage apparaît peu différent d'un lien civil, ou bien il est carrément perçu comme un simple accord pour vivre avec une autre personne de manière informelle et sans stabilité. En conséquence, on constate une diminution alarmante des mariages catholiques aux Etats-Unis, ainsi qu'une augmentation des cohabitations, dans lesquelles le don réciproque des époux à la manière du Christ, à travers le sceau d'une promesse publique de vivre les exigences d'un engagement indissoluble pendant toute l'existence, est simplement absent. Dans ces circonstances, on nie aux enfants le milieu sûr dont ils ont besoin pour grandir comme des êtres humains, et on nie également à la société ces piliers stables qui sont nécessaires, si l'on veut conserver la cohésion et le centre moral de la communauté.

Comme mon prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, l'enseignait: "Le premier responsable de la pastorale familiale dans le diocèse est l'évêque... il doit lui consacrer intérêt, sollicitude, temps, personnel, ressources: mais par-dessus tout, il doit apporter un appui personnel aux familles et à tous ceux qui... l'assistent dans la pastorale de la famille" (Familiaris consortio, n. 73). Votre tâche est de proclamer avec force les arguments de foi et de raison qui parlent de l'institution du mariage, compris comme engagement pour la vie entre un homme et une femme, ouvert à la transmission de la vie. Ce message devrait retentir au milieu des personnes d'aujourd'hui, car il est essentiellement un "oui" inconditionné et sans réserve à la vie, un "oui" à l'amour et un "oui" aux aspirations du coeur dans notre humanité commune, alors que nous nous efforçons de mener à bien notre profond désir d'intimité avec les autres et avec le Seigneur.

Parmi les signes contraires à l'Evangile de la vie que l'on peut trouver en Amérique, mais également ailleurs, il y en a un qui cause une profonde honte: l'abus sexuel des mineurs. Beaucoup d'entre vous m'ont parlé de l'immense douleur que vos communautés ont ressenti quand des hommes d'Eglise ont trahi leurs obligations et leurs devoirs sacerdotaux avec un tel comportement gravement immoral. Alors que vous cherchez à éliminer ce mal partout où il se trouve, soyez assurés du soutien priant du Peuple de Dieu dans le monde entier. Vous donnez à juste titre la priorité à la manifestation de compassion et de soutien aux victimes: c'est une responsabilité qui vous vient de Dieu, en tant que pasteurs, qui est celle de panser les blessures causées par chaque violation de la confiance, de favoriser la guérison, de promouvoir la réconciliation et d'aller à la rencontre de ceux qui ont été aussi gravement blessés, avec une sollicitude pleine d'amour.

La réponse à une telle situation n'a pas été facile et, comme l'a indiqué le président de votre Conférence épiscopale, elle a "parfois été très mal gérée". Maintenant que la dimension et la gravité du problème sont plus clairement comprises, vous avez pu adopter des mesures disciplinaires et des remèdes plus adaptés et promouvoir un milieu sûr qui offre une plus grande protection aux jeunes. Alors que l'on doit se rappeler que la plus grande majorité des prêtres et des religieux en Amérique accomplissent un excellent travail en apportant le message libérateur de l'Evangile aux personnes confiées à leurs soins pastoraux, il est d'une importance vitale que les sujets vulnérables soient toujours protégés de ceux qui pourraient les blesser. A ce propos, vos efforts pour soulager et protéger portent de nombreux fruits non seulement à l'égard de ceux qui sont directement placés sous votre attention pastorale, mais également de la société tout entière.

Toutefois, si nous voulons qu'elles atteignent pleinement leur but, il faut que les mesures et les stratégies que vous avez adoptées soient placées dans un contexte plus large. Les enfants ont le droit de grandir dans une saine compréhension de la sexualité et du rôle qui lui est propre dans les relations humaines. On devrait leur épargner les manifestations dégradantes et la manipulation vulgaire de la sexualité aujourd'hui si dominante; ils ont le droit d'être éduqués dans les authentiques valeurs morales enracinées dans la dignité de la personne humaine. Cela nous ramène à la considération sur la place centrale de la famille et sur la nécessité de promouvoir l'Evangile de la vie. Que signifie parler de la protection des enfants lorsque la pornographie et la violence peuvent être regardées dans de si nombreuses maisons à travers les mass media largement disponibles aujourd'hui? Nous devons réaffirmer de toute urgence les valeurs qui soutiennent la société, de manière à offrir aux jeunes et aux adultes une solide formation morale. Tous ont un rôle à jouer dans cette tâche, non seulement les parents, les guides religieux, les enseignants et les catéchistes, mais également l'information et l'industrie du spectacle. Oui, chaque membre de la société peut contribuer à ce renouveau moral et en tirer profit. Prendre vraiment soin des jeunes et de l'avenir de notre civilisation signifie reconnaître notre responsabilité de promouvoir et de vivre les valeurs morales authentiques qui sont les seules à rendre la personne humaine capable de se développer. Votre tâche de pasteurs qui ont comme modèle le Christ, Bon Pasteur, est de proclamer de manière forte et claire ce message et donc d'affronter le péché de l'abus dans le contexte plus vaste des comportements sexuels. En outre, en reconnaissant le problème et en l'affrontant lorsqu'il a lieu dans un contexte ecclésial, vous pouvez offrir une orientation aux autres, étant donné que cette plaie ne se trouve pas seulement au sein de vos diocèses, mais dans tous les secteurs de la société. Elle exige une réponse déterminée et collective.

Les prêtres ont eux aussi besoin de votre direction et de votre proximité au cours de cette période difficile. Ils ont vécu l'expérience de la honte à la suite de ce qui est arrivé et un grand nombre d'entre eux se rendent compte qu'ils ont perdu une partie de la confiance qu'ils avaient autrefois. Nombreux sont ceux qui font l'expérience d'une proximité avec le Christ dans sa Passion, alors qu'ils s'efforcent d'affronter les conséquences de la crise actuelle. L'évêque, en tant que père, frère et ami de ses prêtres, peut les aider à tirer du fruit spirituel de cette union avec le Christ, en les rendant conscients de la présence réconfortante du Seigneur au cœur de leurs souffrances, et en les encourageant à marcher avec le Seigneur sur le sentier de l'espérance (cf. Spe salvi, n. 39). Comme l'observait le Pape Jean-Paul II il y a six ans, "nous devons être confiants dans le fait que ce moment d'épreuve apportera une purification de toute la communauté catholique", conduira "à un sacerdoce plus sain, à un épiscopat plus sain et à une Eglise plus sainte" (Message aux cardinaux des Etats-Unis, 23 avril 2002, n. 4). De nombreux signes montrent que, pendant la période successive, cette purification a vraiment eu lieu. La présence constante du Christ au cœur de nos souffrances transforme graduellement nos ténèbres en lumière: chaque chose est faite à nouveau véritablement dans le Christ Jésus, notre espérance.

En ce moment, une partie vitale de votre tâche est de renforcer les relations avec vos prêtres, en particulier dans les cas où une tension est née entre prêtres et évêques à la suite de la crise. Il est important que vous continuiez à démontrer à leur égard votre préoccupation, votre soutien et votre direction à travers l'exemple. Ainsi, vous les aiderez certainement à rencontrer le Dieu vivant et vous les orienterez vers cette espérance qui transforme l'existence dont parle l'Evangile. Si vous vivez vous-mêmes d'une manière qui se configure étroitement au Christ, le Bon Pasteur, qui donna sa vie pour ses brebis, vous inspirerez vos frères prêtres à se consacrer à nouveau au service du troupeau avec la générosité qui caractérisa le Christ. En vérité, une concentration plus claire sur l'imitation du Christ dans la sainteté de vie est nécessaire si nous voulons aller de l'avant. Nous devons redécouvrir la joie de vivre une existence centrée sur le Christ, en cultivant les vertus et en nous plongeant dans la prière. Lorsque les fidèles savent que leur pasteur est un homme qui prie et qui consacre sa vie à leur service, ils répondent avec une chaleur et une affection qui nourrit et soutient la vie de la communauté tout entière.

Le temps passé à prier n'est jamais perdu, même si les devoirs qui nous pressent de toutes parts sont importants. L'adoration du Christ notre Seigneur dans le Très Saint Sacrement prolonge et intensifie cette union avec lui, qui se constitue à travers la célébration eucharistique (cf. Sacramentum caritatis, n. 66). La contemplation des mystères du Rosaire libère toute leur force salvifique en nous conformant, en nous unissant et en nous consacrant à Jésus Christ (cf. Rosarium Virginis Mariae, 11.15). La fidélité à la Liturgie des Heures garantit que notre journée tout entière soit sanctifiée, en nous rappelant sans cesse la nécessité de rester concentrés sur l'accomplissement de l'œuvre de Dieu, malgré toutes les urgences ou les distractions qui peuvent apparaître face aux obligations à accomplir. De cette manière, la dévotion nous aide à parler et à agir in persona Christi, à enseigner, à gouverner et à sanctifier les fidèles au nom de Jésus, en apportant sa réconciliation, sa guérison et son amour à tous ses frères et sœurs bien-aimés. Cette configuration radicale au Christ Bon Pasteur est au centre de notre ministère pastoral et si nous nous ouvrons, à travers la prière, à la puissance de l'Esprit, Il nous accordera les dons dont nous avons besoin pour accomplir notre devoir formidable, au point de ne jamais nous soucier "pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz" (Mt 10, 19).

En concluant ce discours qui vous est adressé ce soir, je confie de manière toute particulière l'Eglise qui est dans votre pays à la sollicitude maternelle et à l'intercession de Marie Immaculée, Patronne des Etats-Unis. Elle qui a porté dans son sein l'espérance de toutes les nations, puisse-t-elle intercéder pour le peuple de cette nation, afin que tous soient renouvelés en Jésus Christ, son Fils. Chers frères évêques, j'assure chacun de vous ici présents de ma profonde amitié et de ma participation à vos préoccupations pastorales. A vous tous, au clergé, aux religieux et aux fidèles laïcs je donne cordialement ma Bénédiction apostolique, gage de joie et de paix dans le Christ Ressuscité.

François

Chers frères dans l’Épiscopat,

Je voudrais, avant tout, envoyer une salutation à la communauté juive, à nos frères juifs, qui aujourd’hui célèbrent la fête du Yom Kippur. Que le Seigneur les bénisse par la paix, et qu’ils les fasse progresser sur la voie de la sainteté, selon ce que nous entendu en ce jour dans sa Parole : « Soyez saints, car moi, je suis saint » (Lv 19, 2).

je suis heureux de vous rencontrer en ce moment de la mission apostolique qui m’a conduit dans votre pays. Je remercie vivement le Cardinal Wuerl et l’Archevêque Kurtz pour les aimables paroles qu’ils m’ont adressées au nom de vous tous. Recevez, s’il vous plaît, ma gratitude pour l’accueil et pour la généreuse disponibilité avec laquelle mon séjour a été programmé et organisé.

En embrassant, par le regard et par le cœur, vos visages de pasteurs, je voudrais étreindre les Églises que vous portez sur les épaules avec amour, et je vous prie d’assurer que ma proximité humaine et spirituelle rejoint, par vous, le Peuple de Dieu tout entier disséminé sur cette vaste terre.

Le cœur du Pape se dilate pour inclure tout un chacun. Élargir le cœur pour témoigner que Dieu est grand dans son amour constitue la substance de la mission du Successeur de Pierre, Vicaire de Celui qui, sur la Croix, a embrassé l’humanité entière. Qu’aucun membre du Corps du Christ et de la nation américaine ne se sente exclu de l’accolade du Pape. Que partout affleure sur les lèvres l’authentique nom de Jésus, que là résonne aussi la voix du Pape pour rassurer : “C’est le Sauveur ”! De vos grandes métropoles de la côte Est aux plaines di Midwest, du Sud profond à l’Ouest immense, partout où votre peuple se réunit en assemblée eucharistique, que le Pape ne soit pas un simple nom prononcé de façon routinière, mais qu’il soit une compagnie tangible visant à soutenir la voix qui s’élève du cœur de l’Épouse : “Viens, Seigneur ” !

Quand une main se tend pour accomplir le bien ou rendre proche la charité du Christ, pour essuyer une larme ou pour tenir compagnie à une solitude, pour indiquer une route à un égaré ou réconforter un cœur désormais meurtri, pour se pencher sur la personne tombée à terre ou enseigner à celle qui a soif de vérité, pour offrir le pardon ou pour conduire à un nouveau départ en Dieu… sachez que le Pape vous accompagne, que le Pape vous soutient, qu’il pose lui aussi sur votre main, la sienne maintenant vieille et rugueuse mais, par la grâce de Dieu, encore capable de soutenir et d’encourager.

Ma première parole est d’action de grâce à Dieu pour le dynamisme de l’Évangile qui a permis la croissance remarquable de l’Église du Christ sur ces terres, ainsi que la contribution généreuse, qu’elle a offerte et continue d’offrir, à la société des États-Unis et au monde. J’apprécie vivement votre générosité et votre solidarité envers le Siège apostolique tout comme pour l’évangélisation dans beaucoup de parties tourmentées du monde, et je vous en remercie avec émotion. Je me réjouis de l’engagement indéfectible de votre Église pour la cause de la vie et de la famille, motif principal de ma présente visite. Je suis avec attention l’effort considérable d’accueil et d’intégration des émigrés qui continuent de regarder l’Amérique de la même manière que les pèlerins qui y ont abordé à la recherche de ses ressources prometteuses de liberté et de prospérité. J’admire l’effort au prix duquel vous poursuivez la mission éducative dans vos écoles à tous les niveaux et l’œuvre de charité de vos nombreuses institutions. Ce sont des activités souvent conduites sans aucune compréhension ni appui et, dans chaque cas, héroïquement maintenues grâce à l’offrande des pauvres, parce que de telles initiatives jaillissent d’une mission surnaturelle à laquelle il n’est pas permis de désobéir. Je suis conscient du courage avec lequel vous avez affronté des moments obscurs dans votre parcours ecclésial sans craindre des autocritiques, ni épargner humiliations et sacrifices, sans céder à la peur de se vider de tout ce qui est secondaire en vue de retrouver l’autorité et la confiance demandée aux ministres du Christ, comme l’attend l’âme de ce peuple unique. Je sais combien est gravée en vous la blessure des dernières années et je vous ai accompagnés dans votre généreux engagement pour guérir les victimes - conscients qu’en guérissant les autres, nous sommes aussi toujours guéris - et pour continuer à œuvrer afin que de tels crimes ne se répètent plus jamais.

Je vous parle comme Évêque de Rome, appelé par Dieu, déjà âgé, d’une terre américaine elle aussi, pour préserver l’unité de l’Église universelle et pour encourager dans la charité le parcours de toutes les Églises particulières, afin qu’elles progressent dans la connaissance, dans la foi et dans l’amour du Christ. Lisant vos prénoms et vos noms, observant vos traits, connaissant le niveau élevé de votre conscience ecclésiale et sachant la dévotion que vous avez toujours réservée au Successeur de Pierre, je dois vous dire que je ne me sens pas parmi vous comme un étranger. Je suis, en effet, originaire d’une terre vaste elle aussi, immense et souvent informe qui, comme la vôtre, a reçu la foi du bagage des missionnaires. Je connais bien le défi de semer l’Évangile dans le cœur d’hommes provenant de mondes différents, et qui souvent se sont endurcis au long de l’âpre chemin parcouru avant d’arriver. Elle ne m’est pas étrangère, l’histoire de l’effort pour implanter l’Église entre plaines, montagnes, villes et banlieues d’un territoire souvent inhospitalier, où les frontières sont toujours provisoires, où les réponses évidentes ne durent pas, et où la clé d’entrée demande de savoir conjuguer l’effort héroïque des pionniers explorateurs avec la sagesse prosaïque et la résistance des sédentaires qui sont déjà installés dans l’espace où l’on arrive. Comme a chanté l’un de vos poètes : “ailes fortes et infatigables”, mais aussi la sagesse de celui qui “connaît les montagnes ”[1].

Je ne vous parle pas tout seul. Ma voix est en continuité avec tout ce que mes Prédécesseurs vous ont donné. En effet, depuis l’aube de la “nation américaine”, quand, au lendemain de la révolution a été créé le premier diocèse à Baltimore, l’Église de Rome vous a toujours été proche et son assistance constante, tout comme son encouragement, ne vous a jamais fait défaut. Au cours des dernières décennies, trois de mes vénérés Prédécesseurs vous ont rendu visite, vous remettant un important patrimoine d’enseignement toujours actuel, que vous avez mis à profit pour orienter les programmes pastoraux clairvoyants, afin de guider cette Église bien-aimée.

Je n’entends pas tracer un programme, ni définir une stratégie. Je ne suis pas venu pour vous juger, ni pour donner des leçons. J’ai pleinement confiance dans la voix de Celui qui “enseigne tout ” (Jn 14, 26). Permettez-moi seulement, avec la liberté de l’amour, de pouvoir parler comme un frère parmi des frères. Je n’ai pas à cœur de vous dire ce qu’il faut faire, parce que nous savons tous ce que nous demande le Seigneur. Je préfère plutôt revenir sur cet effort ­– ancien et toujours nouveau – qui consiste à s’interroger sur les chemins à parcourir, sur les sentiments à nourrir lorsqu’on travaille, sur l’esprit dans lequel agir. Sans la prétention d’être exhaustif, je partage avec vous quelques réflexions que j’estime opportunes pour notre mission.

Nous sommes Évêques de l’Église, constitués pasteurs par Dieu pour paître son troupeau. Notre joie la plus grande est d’être pasteurs, rien d’autre que pasteurs, d’un cœur sans partage et dans un don de soi irréversible. Il faut garder cette joie sans permettre qu’on nous la vole. Le malin rugit comme un lion cherchant à la dévorer, abîmant ainsi ce que nous sommes appelés à être non pour nous-mêmes, mais par don et au service du “Gardien de nos âmes” (1 P 2, 25).

L’essence de notre identité doit se chercher dans la prière assidue, dans la prédication (Ac 1, 4) et dans le fait de paître (Jn 21, 15-17 ; Ac 20, 28-31).

Non pas une prière quelconque, mais l’union familière avec le Christ, où l’on croise chaque jour son regard pour entendre la question qui nous est adressée : “Qui est ma Mère ? qui sont mes frères ?” (Mc 3, 31-34). Et pouvoir lui répondre sereinement : “Seigneur, voici ta Mère, voici tes frères ! Je te les remets, ce sont ceux que tu m’a confiés”. La vie d’un pasteur se nourrit d’une telle familiarité avec le Christ.

Non pas une prédication de doctrines complexes, mais l’annonce joyeuse du Christ, mort et ressuscité pour nous. Que le style de notre mission suscite en tous ceux qui nous écoutent l’expérience du “pour nous” de cette annonce : que la Parole donne sens et plénitude à toute partie de leurs vies, que les Sacrements les nourrissent de cet aliment qu’ils ne peuvent se procurer, que la proximité du pasteur réveille en eux la nostalgie de l’étreinte du Père. Veillez à ce que le troupeau rencontre toujours dans le cœur du pasteur cette réserve d’éternité qu’avec anxiété l’on cherche en vain dans les choses du monde. Qu’ils trouvent toujours sur vos lèvres l’appréciation pour leur capacité d’agir et de construire, dans la liberté et dans la justice, la prospérité dont est prodigue cette terre. Mais que ne fasse pas défaut le courage serein de confesser qu’“il faut travailler non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle” (Jn 6, 27).

Non pas se paître soi-même mais savoir se mettre en retrait, s’abaisser, se décentrer pour nourrir du Christ la famille de Dieu. Veiller sans relâche, se hisser haut pour rejoindre, par le regard de Dieu, le troupeau qui appartient seulement à Lui. S’élever à la hauteur de la croix de son Fils, le seul point de vue qui ouvre au pasteur le cœur de son troupeau.

Non pas regarder vers le bas, enfermés dans l’autoréférentialité, mais toujours vers les horizons de Dieu qui dépassent tout ce que nous sommes capables de prévoir ou de planifier. Veiller aussi à fuir la tentation du narcissisme, qui rend aveugles les yeux du Pasteur, qui rend sa voix méconnaissable et ses gestes stériles. Sur les chemins multiples qui s’ouvrent à votre sollicitude pastorale, rappelez-vous de conserver intact le noyau qui unifie toutes les choses : “c’est à moi que vous l’avez fait ” (Mt 25, 31-45).

Il est certainement utile à l’Évêque de posséder la clairvoyance du leader et l’habileté de l’administrateur, mais survient inexorablement la déchéance lorsque nous échangeons le pouvoir de la force contre la force de l’impuissance, à travers laquelle Dieu nous a sauvés. Il faut à l’Evêque la perception lucide du combat entre la lumière et les ténèbres qui se livre dans ce monde. Malheur à nous, cependant, si nous faisons de la croix un étendard de luttes mondaines, en ignorant que la condition de la victoire durable est de se laisser transpercer et vider de soi-même (Ph 2, 1-11).

Elle ne nous est pas étrangère, l’angoisse des premiers onze, enfermés dans leurs murs, agressés et effarés, habités par la peur des brebis dispersées parce que le Pasteur a été frappé. Mais nous savons que nous a été donné un esprit de courage et non de timidité. Par conséquent, il n’est pas permis de nous laisser paralyser par la peur.

Je sais que les défis auxquels vous êtes confrontés sont nombreux, et que le champ dans lequel vous semez est souvent hostile, et que les tentations sont nombreuses de s’enfermer dans les murs de la peur à se lécher les blessures, se rappelant une époque qui ne reviendra pas et planifiant des réponses dures aux résistances qui sont d’ores et déjà âpres.

Et cependant, nous sommes des partisans de la culture de la rencontre. Nous sommes des sacrements vivants de l’étreinte entre la richesse divine et notre pauvreté. Nous sommes des témoins de l’abaissement et de la condescendance de Dieu qui, dans l’amour, précède aussi notre première réponse.

Le dialogue est notre méthode, non par stratégie habile, mais par fidélité à celui qui ne se fatigue jamais de passer et de repasser sur les places des hommes jusqu’à la onzième heure pour proposer son invitation d’amour (Mt 20, 1-16).

Le chemin, c’est donc le dialogue : le dialogue entre vous, dialogue dans vos presbytères, dialogue avec les laïcs, dialogue avec les familles, dialogue avec la société. Je ne me lasserai pas de vous encourager à dialoguer sans peur. Plus riche est le patrimoine, que vous avez à partager dans la vérité, que plus éloquente soit l’humilité avec laquelle vous l’offrez. N’ayez pas peur d’accomplir l’exode nécessaire à tout dialogue authentique. Autrement, il n’est pas possible de comprendre les raisons de l’autre, ni de comprendre en profondeur que le frère à rejoindre et à racheter - par la force et la proximité de l’amour - compte davantage que toutes les positions que nous jugeons éloignées des nôtres, même si celles-ci sont d’authentiques certitudes. Le langage aigre et belliqueux de la division ne convient pas aux lèvres d’un pasteur, il n’a pas droit de cité dans son cœur et, même s’il semble pour un moment assurer une apparente hégémonie, seul l’attrait durable de la bonté et de l’amour reste vraiment convainquant.

Il faut laisser pour toujours résonner dans notre cœur la parole du Seigneur : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme » (Mt 11, 28-30). Le joug de Jésus est un joug d’amour et donc promesse de repos. Parfois la solitude de nos peines nous pèse, et nous prenons tellement sur nous le joug que nous ne nous souvenons plus de l’avoir reçu du Seigneur. Il semble seulement nôtre, et donc nous nous trainons comme des bœufs fatigués dans le champ aride, menacés par la sensation d’avoir travaillé en vain, oubliant la plénitude du repos indissociablement lié à celui qui nous en a fait la promesse.

Apprendre de Jésus, mieux encore, apprendre Jésus, doux et humble ; entrer dans sa douceur et dans son humilité par la contemplation de son agir. Introduire nos Églises et notre peuple, souvent écrasé par la dure anxiété de la performance, dans la suavité du joug du Seigneur. Se rappeler que l’identité de l’Église de Jésus est assurée non par le feu du ciel qui détruit (cf. Lc 9, 54), mais par la secrète chaleur de l’Esprit qui guérit ce qui est blessé, assouplit ce qui est raide, rend droit ce qui est faussé.

La grande mission que le Seigneur nous confie, nous l’exerçons en communion, de manière collégiale. Le monde est déjà tellement déchiré et divisé, le morcellement a désormais élu domicile partout. Par conséquent, l’Église, ‘‘la tunique sans couture du Seigneur’’, ne peut se laisser déchirer, être mise en morceaux, ou devenir objet de querelles.

Notre mission épiscopale est en premier de cimenter l’unité, dont le contenu est déterminé par la Parole de Dieu et par l’unique Pain du Ciel, par lesquels chacune des Églises qui nous sont confiées reste catholique, parce qu’ouverte et en communion avec toutes les Églises particulières et avec celle de Rome qui ‘‘préside à la charité’’. Il est impératif, par conséquent, de veiller à cette unité, de la garder, de la favoriser, d’en témoigner comme signe et instrument qui, au-delà de toute barrière, unit nations, races, classes, générations.

Que l’Année Sainte de la Miséricorde toute proche, en nous introduisant dans la profondeur inépuisable du cœur divin, dans lequel il n’y a aucune division, soit pour tous une occasion privilégiée pour renforcer la communion, perfectionner l’unité, réconcilier les différences, se pardonner mutuellement et surmonter toute division, de sorte que resplendisse votre lumière comme ‘‘la ville située sur la montagne’’ (Mt 5, 14).

Un tel service à l’unité est particulièrement important pour votre Nation aimée, dont les vastes ressources matérielles et spirituelles, culturelles et politiques, historiques et humaines, scientifiques et technologiques imposent des responsabilités morales non négligeables dans un monde assourdi et qui peine à la recherche de nouveaux équilibres de paix, de prospérité et d’intégration. Offrir aux États-Unis d’Amérique l’humble et puissant levain de la communion est donc une part essentielle de votre mission. Que l’humanité le sache, le fait qu’elle est habitée par le ‘‘sacrement d’unité’’ (LG 1) est la garantie qu’elle n’est pas destinée à l’abandon ni à la désagrégation.

Et un tel témoignage est un phare qui ne peut s’éteindre. En effet, dans l’obscurité dense de la vie, les hommes ont besoin de se laisser guider par sa lumière, pour être certains du port qui les attend, sûrs que leurs barques ne se briseront pas sur les rochers et ne seront pas à la merci des flots. Par conséquent, mes Frères, je vous encourage à affronter les questions de notre temps, qui constituent des défis. Au fond de chacune d’elles, il y a toujours la vie comme don et responsabilité. L’avenir de la liberté et de la dignité de nos sociétés dépend de la manière dont nous saurons répondre à de tels défis.

La victime innocente de l’avortement, les enfants qui meurent de faim ou sous les bombes, les immigrés qui se noient à la recherche d’un lendemain, les personnes âgées ou les malades dont on voudrait se débarrasser, les victimes du terrorisme, des guerres, de la violence et du narcotrafic, l’environnement dévasté par une relation déprédatrice de l’homme avec la nature, en tout cela, est toujours en jeu le don de Dieu dont nous sommes les nobles administrateurs, mais non les maîtres. Il n’est donc pas permis de s’évader ni de se taire. L’annonce de l’Évangile de la famille que j’aurai, lors de l’imminente Journée Mondiale des Familles à Philadelphie, l’occasion de faire retentir avec vous et avec toute l’Église n’est pas moins importante.

Ces aspects de la mission de l’Église, auxquels on ne peut renoncer, appartiennent au noyau de ce qui a été transmis par le Seigneur. Nous avons donc le devoir de les garder et de les communiquer, même lorsque l’esprit du temps rend imperméable et hostile à un tel message (Evangelii gaudium, n. 34-39). Je vous encourage à offrir, avec les moyens et la créativité de l’amour comme avec l’humilité de la vérité, un tel témoignage. Celui-ci a besoin non seulement de proclamation et d’annonces extérieures, mais aussi de conquérir un espace dans le cœur des hommes et dans la conscience de la société.

A cette fin, il est très important que l’Église aux États-Unis soit aussi un foyer humble qui attire les hommes par la splendeur de la lumière et la chaleur de l’amour. Comme pasteurs, nous connaissons bien l’obscurité et le froid qu’il y a encore dans le monde, la solitude et l’abandon de beaucoup – même là où abondent les moyens de communication et les richesses matérielles –, nous connaissons aussi la peur face à la vie, les désespoirs et les multiples évasions qui y sont liées.

Par conséquent, seule une Église qui sait se rassembler autour du foyer demeure capable d’attirer. Certes, pas n’importe quel feu, mais celui qui s’est allumé le matin de Pâques. C’est le Seigneur ressuscité qui continue à interpeller les pasteurs de l’Église à travers la voix timide de tant de frères : ‘‘Avez-vous quelque chose à manger’’ ? Il est nécessaire de reconnaître sa voix comme l’ont fait les Apôtres sur la rive de la mer de Tibériade (Cf. Jn 21, 4-12). Il est encore plus important de s’en remettre à la certitude que les braises de sa présence, allumées au feu de la passion, nous précèdent et ne s’éteignent jamais. Lorsque cette certitude fait défaut, on risque de devenir des amateurs de cendre et non des gardiens et des dispensateurs de la vraie lumière ainsi que de cette chaleur capable de réchauffer le cœur (Lc 24, 32)

Avant de conclure, permettez-moi de vous faire encore deux recommandations qui me tiennent à cœur.
La première se réfère à votre paternité épiscopale. Soyez des pasteurs proches de vos gens, des pasteurs proches et des serviteurs. Que cette proximité s’exprime de façon particulière envers vos prêtres. Accompagnez-les afin qu’ils continuent à servir le Christ d’un cœur sans partage, puisque seule la plénitude comble les ministres du Christ. Je vous en prie, donc, ne les laissez pas se contenter de demi-mesures. Prenez soin de leurs sources spirituelles afin qu’ils ne tombent pas dans la tentation des notaires et des bureaucrates, mais qu’ils soient l’expression de la maternité de l’Église qui engendre et fait grandir ses enfants. Veillez à ce qu’ils ne se fatiguent pas de se lever pour répondre à celui qui frappe à la porte, durant la nuit, même quand on pense avoir déjà droit au repos (Lc 11, 5-8). Entraînez-les pour qu’ils soient prêts à s’arrêter, à se pencher, à verser du baume, à prendre en charge et à se dévouer en faveur de celui qui, “par hasard”, s’est trouvé dépouillé de tout ce qu’il croyait posséder (Lc 10, 29-37).

Ma seconde recommandation se réfère aux immigrés. Je présente des excuses si de quelque façon, je défends presque ma propre cause. L’Église des États-Unis connaît comme peu d’autres les espérances des cœurs des pèlerins. Depuis toujours, vous avez appris leur langue, soutenu leur cause, intégré leurs contributions, défendu leurs droits, promu leur recherche de prospérité, conservé allumée la flamme de leur foi. Encore à présent, aucune institution américaine ne fait davantage pour les immigrés que vos communautés chrétiennes. Maintenant, vous avez cette longue vague d’immigration latine qui investit beaucoup de vos diocèses.

Non seulement comme Évêque de Rome, mais aussi comme pasteur venu du Sud, je sens le besoin de vous remercier et de vous encourager. Il ne sera peut-être pas facile pour vous de lire leur âme, peut-être serez-vous mis au défi par leurs diversités. Sachez, toutefois, qu’ils possèdent aussi des ressources à partager. Accueillez-les donc sans peur. Offrez-leur la chaleur de l’amour du Christ et déchiffrez le mystère de leur cœur. Je suis certain que, encore une fois, ces gens enrichiront l’Amérique et son Église.

Que Dieu vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde ! Merci !

[1] Quand j’étais jeune, / j’avais des ailes fortes et infatigables, / mais je ne connaissais pas les montagnes. / Quand je devins vieux, / je connus les montagnes, / mais les ailes fatiguées ne furent plus en mesure de soutenir la vision. / Le génie est sagesse et jeunesse (Edgard Lee Masters, Anthologie de Spoon River).