Notre Père qui es aux Cieux (III)

Le second verset du Notre Père, lu avec Benoît XVI: "Que Ton nom soit sanctifé"

¤ Notre Père qui es aux Cieux (I)
¤ Notre Père qui es aux Cieux (II)

Le Buisson ardent

Botticelli

La prière du Seigneur
II. Que Ton nom soit sanctifié


Jésus de Nazareth. Du Baptême dans le Jourdain à la Transfiguration.

Coll "Champs - Essais", pages 151 et suivantes

Le Buisson ardent

Sébastien Bourdon (1616-1671)


La première demande du Notre Père nous rappelle le deuxième commandement du Décalogue : «Tu n'invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu pour le mal» (Ex 20, 7; cf. Dt 5, 11).
Mais qu'est-ce donc que «le nom de Dieu» ? Quand nous l'évoquons, nous avons devant nous l'image de Moïse, qui voit dans le désert un buisson qui était en feu sans se consumer. Poussé par la curiosité, il s'approche pour voir de plus près ce mystérieux événement, mais alors une voix l'appelle du milieu du buisson, et cette voix lui dit : «Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob» (Ex 3, 6). Ce Dieu le renvoie en Egypte avec la mission de faire sortir d'Egypte le peuple d'Israël et de le conduire vers la Terre promise. Au nom de Dieu, Moïse doit demander au pharaon la délivrance d'Israël.

Mais dans le monde de l'époque, il y avait beaucoup de dieux. Moïse demande donc à Dieu son nom, le nom par lequel ce Dieu pourra justifier de son autorité particulière vis-à-vis des autres dieux. L'idée du nom de Dieu fait donc d'abord partie du monde polythéiste, où ce Dieu doit aussi se donner un nom. Mais le Dieu qui appelle Moïse est vraiment Dieu. Dieu au sens strict et vrai n'existe pas au pluriel. Par nature, Dieu est unique. C'est pourquoi il ne peut pas entrer dans le monde des dieux comme un parmi d'autres, et il ne peut pas avoir un nom parmi d'autres.

Aussi, la réponse de Dieu est-elle à la fois refus et assentiment. Il dit simplement de lui-même: «Je suis celui qui suis.» Il est, un point c'est tout. Cette réponse est à la fois un nom et une absence de nom. Il était donc tout à fait juste qu'en Israël, cette auto-désignation de Dieu, entendue sous le mot YHWH, n'ait pas été prononcée et qu'elle ne se soit pas dégradée pour devenir une sorte de nom idolâtrique. Il n'était donc pas juste que, dans les traductions récentes de la Bible, on écrive comme n'importe quel autre nom ce nom resté toujours mystérieux et imprononçable pour Israël, réduisant ainsi le mystère de Dieu, dont il n'y a ni images ni noms prononçables, et le ramenant dans la banalité d'une histoire générale des religions.

Il n'en reste pas moins que Dieu n'a pas purement et simplement rejeté la demande de Moïse, et, afin de comprendre l'imbrication étrange du nom et de l'absence de nom, nous devons comprendre ce qu'est un nom.
Nous pourrions simplement dire: le nom crée la possibilité de l'invocation, de l'appel. Il crée une relation. Quand Adam nomme les animaux, cela ne signifie pas qu'il exprime leur nature, mais qu'il les intègre dans son univers humain et qu'il fait en sorte de pouvoir les appeler. Partant de là, nous comprenons l'aspect positif du nom de Dieu: Dieu crée une relation entre lui et nous. Il fait en sorte qu'on puisse l'invoquer. Il entre en relation avec nous et il nous permet d'être en relation avec lui. Mais cela signifie qu'il entre, d'une façon ou d'une autre, dans notre monde humain. Il est devenu accessible et par là aussi vulnérable. Il prend le risque de la relation, le risque d'être avec nous.

Ce qui parvient à son accomplissement dans son incarnation s'origine dans le don du nom. Lors de l'étude de la prière sacerdotale de Jésus, nous verrons qu'en effet Jésus se présente alors comme le nouveau Moïse : «J'ai fait connaitre ton nom aux hommes» (Jn 17, 6). Ce qui a commencé avec le Buisson ardent dans le désert du Sinaï s'accomplit avec le Buisson ardent de la croix. En son fils devenu homme, on peut dire que Dieu est désormais devenu vraiment accessible. Il fait partie de notre monde, il s'est en quelque sorte remis entre nos mains.

Nous comprenons alors ce que signifie la demande de sanctifier le nom de Dieu. Désormais, on peut abuser du nom de Dieu et ainsi souiller Dieu lui-même. Le nom de Dieu peut être récupéré, et alors l'image de Dieu est déformée. Plus Dieu se remet entre nos mains, plus nous pouvons obscurcir sa lumière. Plus il est proche, plus notre abus de lui peut le rendre méconnaissable. Martin Buber disait qu'en voyant l'abus honteux qu'on faisait du nom de Dieu, on peut perdre tout courage de le nommer. Mais le taire serait plus encore un refus de son amour qui vient à notre rencontre. Buber affirmait que nous ne pourrions que ramasser, dans le plus grand respect, les lambeaux du nom sali et essayer de les purifier. Mais seuls, nous en sommes incapables. Nous ne pouvons que lui demander de ne pas laisser détruire dans ce monde la lumière de son nom.

Notre demande afin qu'il prenne en charge lui-même la sanctification de son nom, qu'il protège pour nous le merveilleux mystère du fait qu'il nous soit accessible et que ressorte toujours sa véritable identité de la déformation que nous lui causons, une telle demande est cependant toujours aussi pour nous un grand examen de conscience : comment est-ce que je traite le nom sacré de Dieu? Est-ce je me tiens avec une crainte respectueuse devant le mystère du Buisson ardent, devant l'énigme insondable de sa proximité jusqu'à sa présence dans l'Eucharistie, dans laquelle il se met vraiment entre nos mains? Est-ce que je veille à ce que Dieu avec nous, dans sa sainteté, ne soit pas traîné dans la boue, mais qu'il nous élève à la hauteur de sa pureté et de sa sainteté?

 

A suivre...