Ratisbonne: les paroles d'un prophète

Cette fois encore, ce sont les circonstances qui les imposent à notre réflexion. Et le prophète a été réduit au silence...

Choc et aveuglement

Le premier sentiment face à ce qui s'est passé hier à Paris, est l'effroi.
Il est plus facile aux étrangers qu'à nous de commenter. Nous sommes trop proches des faits.
Les sites italiens "amis" le font en rappelant le discours de Ratisbonne.
Comment ne pas penser, en effet, aux paroles prophétiques prononcées il y a 9 ans dans une atmosphère de lynchage général - lynchage "matériel" du monde musulman qui s'était alors embrasé - certes pas spontanément...- confirmant ainsi involontairement l'avertissement du Saint-Père; lynchage virtuel des médias occidentaux unanimes. Les mêmes qui aujourd'hui, une fois passé le sentiment initial de stupeur, vont recommencer leur travail de sape et de détournement des faits au profit de misérables querelles politiciennes (attisées par la proximité des élections régionales dont tout le monde se fiche) et, au nom du "vivre ensemble", de la "laïcité" et de l'"union nationale", nous inonder de commentaires imbéciles (en ce moment, la parole est aux psys, en attendant le défilé des politiques, des "spécialistes de l'islam" et des "intellectuels" et qui sait, un remake de la pantalonnade "je suis Charlie") et de slogans éculés visant au désarmement spirituel et physique des français.
Tous ont une lourde responsabilité.

Donc, le 12 septembre 2006, à l'Université de Ratisbonne, où il avait enseigné durant des années, le Saint-Père, redevenu le Professeur Ratzinger, nous avait lancé un avertissement, accompagné, surtout, d'un défi à l'islam.
Inécouté. Pire, hué.
Depuis lors, dit Antonio Socci, "le prophète a été exilé et baillonné"..

C'est le moment (une fois de plus, hélas à cause des circonstances) de relire ces paroles:

(...) tout récemment, j'ai lu la partie, publiée par le professeur Théodore Khoury (de Münster), du dialogue sur le christianisme et l'islam et sur leur vérité respective, que le savant empereur byzantin Manuel II Paléologue mena avec un érudit perse, sans doute en 1391 durant ses quartiers d’hiver à Ankara.
L'empereur transcrit probablement ce dialogue pendant le siège de Constantinople entre 1394 et 1402. Cela explique que ses propres réflexions sont rendues de manière plus détaillée que celles de son interlocuteur persan.
Le dialogue embrasse tout le domaine de la structure de la foi couvert par la Bible et le Coran ; il s'intéresse en particulier à l'image de Dieu et de l'homme, mais revient nécessairement sans cesse sur le rapport de ce qu'on appelait les « trois Lois » ou les « trois ordres de vie» : Ancien Testament – Nouveau Testament – Coran.
Je ne voudrais pas en faire ici l'objet de cette conférence, mais relever seulement un point – au demeurant marginal dans l'ensemble du dialogue – qui m'a fasciné par rapport au thème ‘foi et raison’, et qui servira de point de départ de mes réflexions sur ce sujet.

Dans le septième entretien publié par le professeur Khoury, l'empereur en vient à parler du thème du djihad, de la guerre sainte.

L'empereur savait certainement que, dans la sourate 2,256, on lit : pas de contrainte en matière de foi – c'est probablement l'une des plus anciennes sourates de la période initiale qui, nous dit une partie des spécialistes, remonte au temps où Mahomet lui-même était encore privé de pouvoir et menacé.

Mais, naturellement, l'empereur connaissait aussi les dispositions – d'origine plus tardive – sur la guerre sainte, retenues par le Coran.

Sans entrer dans des détails, comme le traitement différent des « détenteurs d'Écritures » et des « infidèles », il s'adresse à son interlocuteur d'une manière étonnamment abrupte – abrupte au point d’être pour nous inacceptable (ndlr: ce passage a été rajouté dans l'édition définitive du texte, après les polémiques) –, qui nous surprend et pose tout simplement la question centrale du rapport entre religion et violence en général.

Il dit : « Montre moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain comme ceci, qu'il a prescrit de répandre par l'épée la foi qu'il prêchait ».

Après s'être prononcé de manière si peu amène, l'empereur explique minutieusement pourquoi la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison.
Elle est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l'âme.
« Dieu ne prend pas plaisir au sang, dit-il, et ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. La foi est fruit de l'âme, non pas du corps. Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace... Pour convaincre une âme douée de raison, on n'a pas besoin de son bras, ni d'objets pour frapper, ni d'aucun autre moyen qui menace quelqu'un de mort... ».

L’affirmation décisive de cette argumentation contre la conversion par la force dit : « Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ».

L'éditeur du texte, Théodore Khoury, commente à ce sujet: « Pour l'empereur, byzantin nourri de philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, au contraire, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle qui consiste à être raisonnable ».