Casuistique jésuite et sœurs congolaises


Comment François, dans la conférence de presse aérienne de retour du Mexique, a relayé la « légende urbaine » de Paul VI autorisant des religieuses en danger de viol à utiliser des contraceptifs. Explications d’Hilary White (22/2/2015)

>>> Sur ce sujet:
¤ Paul VI et les religieuses violées au Congo (Sandro Magister)
¤ Le difficile métier de porte-parole (Riccardo Cascioli)
¤ Le Magistère est-il en sûreté sous François? (Fr Hunwicke)

 

C’est ce dont nous avons parlé hier, après avoir lu un billet du Père Hunwicke, lui-même renvoyant à un article de Father Z (Le Magistère est-il en sûreté sous François?).

Hilary White a fouillé dans des archives de la presse britannique de 1969, et de 1993, et nous livre, un peu en vrac, quelques-uns de ses trouvailles, très intéressantes.

Menteurs, fichus menteurs et Jésuites


Hilary White
18 février 2016
whatisupwiththesynod.com
Traduction d'Anna



Aujourd'hui, tout le monde l'a entendu, on a demandé au Pape, sur son vol de retour du Mexique, si des femmes contaminées par le virus Zika pouvaient utiliser la contraception afin de ne pas transmettre le virus à leurs enfants (ou, peut-être plus exactement, pour éviter d'avoir un enfant à qui le virus puisse être transmis).
Le pape a fait référence au Pape Paul VI qui aurait permis l'usage des contraceptifs aux religieuses en danger d'être violées au Congo belge.

Cette allégation, toutefois, doit faire partie de la légende culturelle jésuite, car pour autant que l'on sache, elle était fondée uniquement sur une allégation, faite dans un article de 1993 d'une revue jésuite, par le Père Giacomo Perico SJ. Dans cet article, le père Perico utilisait cette affirmation pour soutenir qu'une femme bosniaque en danger d'être violée pouvait utiliser licitement des contraceptifs. Le même Perico, dans les années 60, alors que Paul était encore vivant, n'était pas à proprement parler un fervent défenseur d'Humanæ Vitæ (…)

Voici un extrait des archives de The Tablet , daté du 7 juin 1969.

Démenti des rumeurs sur Humanæ Vitæ

L'Osservatore Romano, dans une note non signée du 29 mai, a nié qu'il y eût un fondement quelconque aux rumeurs récemment sorties dans la presse italienne et d’ailleurs que le Pape est sur le point de publier une nouvelle déclaration au sujet d'Humanæ Vitæ (Voir The Tablet, 31 mai). Citant le rapport du journal italien Il Messaggero et l'article du Père Giacomo Perico dans la revue jésuite Aggiornamenti Sociali, la note affirme catégoriquement que « pour l’information de nos lecteurs, nous pouvons et devons affirmer qu'il ne va paraître aucun document ultérieur concernant le sujet traité dans Humanæ Vitæ. En ce qui concerne l'article du Père Perico, non seulement il n'a pas été inspiré par des sources "supérieures", mais il a même été accueilli à ces niveaux par des réserves bien fondées ».

Il apparaît que l'article du Père Perico, affirmant que l'Encyclique n'implique pas nécessairement « un consentement intellectuel sans conditions », a été précédemment rejeté par la revue jésuite romaine Civiltà Cattolica comme étant incompatible avec le point de vue officiel.
Aggiornamenti Sociali, qui est publié à Milan, est beaucoup moins influencé par le Vatican.

Commentant la note de l'Osservatore Romano, le journal français Le Monde rappelait à ses lecteurs la qualification d' «autorisé», de «soigneusement pondéré» de l'article du Père Perico. Henri Fresquet, correspondant du Monde pour les affaires religieuses, concluait qu'alors qu'il était « normal » pour les cercles proches du Pape d'être réservés sur le sujet, le Pape avait lui-même indiqué qu'il pourrait s'exprimer ultérieurement sur l'application pastorale de son enseignement; que celui-ci fût le domaine examiné par le père Perico dans son article pourrait suggérer que l'article était un "pas prudent" vers une réaction du Pape aux conclusions formulées par les conférence épiscopales du monde entier.



Eh bien, nous savons tous comment cela a tourné…

Avançons en accéléré vers 1993, et voici un extrait de The Independent – ce booster de longue date de la théologie morale catholique (ndt: humour?) - sur les Bosniaques victimes de viols…


20 Juillet 1993:

« LE VATICAN a réagi aux viols de masse en Bosnie en relançant une décision selon laquelle les femmes en danger de viol peuvent utiliser des contraceptifs, même si l'interdiction de la contraception en des circonstances normales demeure. L'interdiction de l'avortement reste absolue, bien que les évêques catholiques d'Angleterre et du Pays de Galles aient décidé que la pilule dite du lendemain peut aussi être utilisée par les victimes de viol en certaines circonstances »



Il semble qu'entre 1969 et 1993 - l'année de la crise bosniaque – La Civiltà Cattolica, la revue jésuite "magistérielle" élue par la Curie pour fournir des affirmations doctrinales officiellement approuvées, ait acquis un staff éditorial plus proche des idées du Père Perico. The Independent cite l'article de Perico dans cette revue pour dire que:


… la contraception est une forme légitime d'auto-défense pour une victime de viol. L'auteur, le père Giacomo Perico, affirme que le viol est un acte de violence, auquel ne peuvent pas s'appliquer les règles s'appliquant à un acte dans un mariage.

" 'Dans cette circonstance particulière, il est légitime d'utiliser la contraception afin d'éviter une possible grossesse. Il ne s'agit pas alors du refus d'un acte d'amour, mais d'une forme légitime d'auto-défense.' "


"L'interdiction de l'avortement reste absolue, bien que les évêques Catholiques Romains d'Angleterre et du Galles aient décidé que la pilule dite du lendemain peut aussi être utilisée par les victimes de viol en certaines circonstances."

…"L'interdiction de l'avortement reste absolue."...

Et aujourd'hui nous avons le Pape François SJ qui nous dit: « L'avortement n'est pas un mondre mal, c'est un crime. Prendre la vie de quelqu'un pour en sauver une autre, c’est ce que fait la Mafia. C'est un crime. C'est un mal absolu »

Voici la citation entière:


Paloma Garcia Ovejero, Cadena COPE (Espagne): Saint Père, pendant plusieurs semaines il y'a eu une grande préoccupation en Amérique Latine mais aussi en Europe au sujet du virus Zika. Le plus grand risque serait pour les femmes enceintes. Il y a de l'angoisse. Des responsables ont proposé l'avortement ou autre chose pour éviter la grossesse. Pour éviter une grossesse, sur cette question, l'Église ne peut-elle prendre en considération le concept du "mal mineur entre les deux?"

Pape François: L'avortement n'est pas le moindre entre deux maux. C'est un crime. C'est rejeter quelqu'un pour en sauver un autre. C'est ce que fait la Mafia. C'est un crime, un mal absolu. Quant au 'moindre mal', éviter une grossesse, nous parlons en termes de conflit entre le 5ème et le 6ème commandement. Paul VI, un grand homme, dans une situation difficile en Afrique, a permis aux religieuses d'utiliser des contraceptifs dans les cas de viol.
Ne faites pas de confusion entre le mal d'éviter une grossesse en soi, et l'avortement. L'avortement n'est pas un problème théologique, c'est un problème humain, un problème médical. Vous tuez une personne pour en sauver une autre, dans le meilleur des cas. Ou pour vivre plus confortablement, n'est pas? C'est à l'encontre du serment d'Hippocrate que les médecins doivent prêter. C'est un mal en soi, mais ce n'est pas un mal religieux, au début, non c'est un mal humain. Et évidemment, comme avec tout mal humain, tout meurtre est condamné.

Par contre, éviter une grossesse n'est pas un mal absolu. En certaines circonstances, comme dans celle-ci, comme dans celle que j'ai mentionnée du Bienheureux Paul VI, c'était clair. J'exhorterais aussi les médecins à faire de leur mieux afin de trouver des vaccins contre ces deux moustiques qui portent cette maladie. Sur cela il est nécessaire de travailler.



N’est-il pas curieux, que le journaliste ait posé cette question précise, et que François, habituellement plus ou moins à court d'arguments, ait eu au bout de ses doigts pas toujours très agiles, précisément la rumeur sur Paul VI, lancée par un jésuite il y a 30 ans.

The Independent: "L'article dans La Civiltà Cattolica dit clairement que les religieuses au Congo belge avaient été autorisées à utiliser les contraceptifs en début des années Soixante lorsqu'elles risquaient le viol. L'auteur affirme que ces concessions ne peuvent pas concerner uniquement les religieuses."

Et qu'il ait choisi d'utiliser précisément l'expression: "un mal absolu".

(Bien que personne ne puisse savoir ce qu'il entend par la distinction entre "un mal religieux" et "un mal humain"… Nous pourrions aussi demander au Saint Père de préciser ce qu'il pense être "le conflit entre le 5ème et le 6ème commandement".)