Des ponts, pas des murs


Certes. Mais les "catholiques" ne sont pas forcément disposés à suivre les injonctions du Pape. Illustration par Giuseppe Rusconi à travers plusieurs exemples, dont les deux récents référendums, en Hongrie et en Colombie (13/10/2016)



Finalement, "l'effet Bergoglio" ne se voit pas davantage dans les votes populaires, dans les pays "culturellement catholiques", que dans les files aux confessionnaux et la fréquentation de la messe dominicale.
Que les catholiques (les mauvais catholiques, diront certains, à excommunier d'urgence!) ne suivent pas les admonestations du Pape, ce n'est certes pas nouveau. Mais c'est déjà plus surprenant, s'agissant d'un Pape "révolutionnaire" (dans tous les sens du terme) et présenté comme tellement populaire - au moins auprès des médias -, plus enclin à promouvoir les intérêts des pouvoirs mondains que les dogmes de l'Eglise.

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Image ci-dessous:
Le président colombien Juan Manuel Santos (à gauche) et le chef des Farc Rodrigo Londoño (alias Timochenko) signent un accord de paix "historique" le 26 septembre à Carthagène des Indes (Colombie).
Un accord qui a valu au président colombien le Nobel de la Paix, sans doute pour le récompenser d'avoir agi contre la volonté populaire manifestée lors du référendum du 2 octobre.
François s'était pourtant beaucoup investi en faveur de l'accord - contredisant par ailleurs sa réputation de Pape ne s'immisçant pas dans la politique des pays.
Le référendum colombien n'est d'ailleurs que le dernier en date des "revers politiques" essuyés par le Pape depuis un an;

Des ponts, pas des murs:
François propose, beaucoup de catholiques disposent


Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
11 Octobre, 2016
Ma traduction

Données et réflexions sur le comportement de nombreux catholiques quand, en tant que citoyens, ils doivent s'exprimer sur l'immigration et la réconciliation. De la France au canton du Tessin, de l'Italie à la Hongrie et, enfin, à la Colombie de larges decteurs catholiques votent différemment de ce que prêche François.

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Des ponts, pas des murs: une expression qui, chez le pape François est récurrente. Par exemple: «Là où il y a un mur, il y a fermeture du cœur: nous avons besoin de ponts, pas de murs» (Angelus 8 Novembre 2014); «La paix construit des ponts, la haine est le constructeur des murs. Tu dois choisir dans la vie: je fais des ponts ou je fais des murs» (28 Juillet 2016, Cracovie, aux jeunes Italiens). Mais surtout: «Ceux qui ne pensent qu'à faire des murs et non des ponts, ne sont pas chrétiens. Ceci n'est pas dans l'Evangile. Voter pour lui ou pas voter pour lui? Je dis seulement que s'il a parlé ainsi, cet homme n'est pas chrétien» (17 février 2016, conférence de presse en vol de retour du Mexique, se référant aux déclarations de Donald Trump).

Mais demandons-nous: comment se comportent tous ces catholiques quand, en tant que citoyens, ils ont à choisir entre ceux qui, en quelque sorte proposent des 'murs', ou ne parviennent pas à pardonner à ceux qui se sont rendus coupables de crimes et ceux quiconsidèrent comme inéluctable de construire des ponts à outrance, ou la réconciliation tout prix?

Nous allons donc évoquer les situations qui se sont créées ces derniers temps, ou même il y a quelques jours dans 5 pays, quatre européens et un en Amérique latine.

1. France, élections régionales du 6 décembre 2015.
En France, aujourd'hui, la proportion de ceux qui se déclarent catholiques est de 56%. Un sixième des catholiques se déclarent pratiquants, un peu plus de 4% fréquentes régulièrement la messe du dimanche.

Selon un sondage Ifop, commandé par l'hebdomadaire catholique 'Pélerin', 32% des électeurs s'étant déclarés catholiques ont voté pour le Front national (moyenne générale des électeurs: 28,4%), 33% pour la droite modérée. Parmi les catholiques pratiquants, 24% ont voté pour le Front national (+ 15% par rapport aux élections locales de mars 2015).

2. Suisse, canton du Tessin, vote du 25 Septembre 2016 sur l'initiative «D'abord les nôtres» lancée par le centre démocratique (droite modérée) et soutenue par la Ligue des Tessin. L'initiative demandait la préférence pour les citoyens suisses sur le marché du travail. Dans le Tessin, la proportion de ceux qui se déclarent aujourd'hui catholiques est d'environ 75% (les agnostiques, plus de 16%).

L'initiative «D'abord les nôtres» a été approuvé avec 58,3% des voix, avec une participation de 44,9%.

3. Italie, sondage d'opinion de ‘DEMOS-REPUBBLICA’ sur l'attitude des Italiens envers les contrôles aux frontières, publié sur 'La Repubblica' du 26 septembre 2016 . En Italie, la part de ceux qui se déclarent aujourd'hui catholiques est de 75%. Les pratiquants réguliers sont environ un quart de l'ensemble des catholiques.

Sans accorder une valeur absolue aux méthodes des sondages d'opinion (beaucoup dépend de la forme et du contenu des questions et des émotions du moment), il convient de noter l'ampleur en pourcentage des réponses. A la question: «L'accord de Schengen prévoit que les personnes peuvent circuler librement dans 26 pays européens. À votre avis, face au problème de l'immigration et de la sécurité, en ce qui concerne les frontières avec les pays européens, l'Italie devrait ... rétablir les conrôles (48%); rétablir les contrôles, mais seulement dans des circonstances particulières (35%); maintenir la liberté de circulation sans contrôle (15%). 83% des personnes interrogées ont répondu qu'elles étaient favorables à la restauration des contrôles aux frontières italiennes (toujours, ou «dans des circonstances particulières» ... et aujourd'hui, ces «circonstances particulières» semblent évidentes)

4. Hongrie, référendum du 2 Octobre 2016 sur le pouvoir de décision à propos des quotas de migrants (UE ou parlement national ?).
En Hongrie , les catholiques baptisés sont entre 60 et 65% de la population; les protestants (luthériens et calvinistes) autour de 25%.

La question soumise à l'opinion populaire était celle-ci: «Voulez-vous que l'UE prévoit la relocalisation obligatoire des citoyens non-hongrois en Hongrie sans l'approbation du Parlement hongrois?». Il y a eu 1,66% de "OUI", et 98,34% de "NON". Les votants, 43,63%, n'atteignaient pas le seuil de 50% requis pour que le référendum soit juridiquement contraignant.


NOTES COMPLÉMENTAIRES SUR LE RÉFÉRENDUM EN HONGRIE.
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Dans deux des circonscriptions, celles de Györ-Moson-Sopron et de Vas, le quorum a été atteint. Quant à la participation aux référendum, les Hongrois ont toujours montré peu d'enthousiasme: depuis 1998, seul le référendum de 2008 concernant le "ticket sanitaire" et les frais universitaires a dépassé le quorum de 50% (50,40%). En 1997, le référendum sur l' adhésion à l'OTAN a enregistré un taux de participation de 49%, en 2003, celui sur l'adhésion à l'UE de 45,62%; tous deux ont toutefois été considérés comme valides car à cette époque le quorum n'existait pas. Le référendum de 2004 pour bloquer la privatisation des hôpitaux et sur la double citoyenneté a enregistré un taux de participation de 37,49% (non juridiquement contraignant, car le quorum avait déjà été introduit).

Il faut considérer ensuite que l'opposition (conscience d'être en minorité claire et nette) avait invité à déserter les urnes, comme unique possibilité d'éviter que le quorum soit atteint. Même si le quorum avait été atteint [tout laissait présager] une lourde défaite du OUI. A noter également, à propos de participation, que la désaffection générale envers la politique au cours des dernières années a explosé un peu partout en Europe; et la Hongrie ne fait pas exception.

Conclusion : Bien qu'il n'ait pas atteint le quorum pour être juridiquement contraignant, le référendum hongrois a confirmé que le gouvernement Orban jouit d'un consensus certainement et largement majoritaire dans le pays sur la question des migrants.

Postscript : Le portail catholique d'information de la Conférence épiscopale hongroise «Magyar Kurir» a publié - et c'est un fait significatif - quelques jours avant le vote, le 23 Septembre, une très ample interview du Premier ministre Viktor Orban sur l'aide aux chrétiens du Moyen Orient, sur la création d'un bureau pour les chrétiens persécutés dans le monde, sur l'avenir de la Hongrie. Dans les jours précédant le référendum, en revanche, le site paravatican Il Sismografo a pratiqué la politique de la censure envers les nouvelles 'positives' en provenance de la Hongrie, et des jugements insultants envers le même Orban. Apparemment , son Conducator Luis Badilla [avec qui Giuseppe Rusconi a un compte à régler, ndt] fait preuve depuis un certain temps d'un concept très particulier, nous dirions à la sauce chilienne-allendiste, de l'impartialité de l'information. Dans le même temps l'organe de la Conférence épiscopale italienne, le galantinien "Avvenire" [en référence à Galantino], s'est distingué par un éditorial 'curvaiolo' [référence ax supporters de football qui lors des matches occupent les places du virage] du directeur Marco Tarquinio, et par des articles (tous en grande évidence) qu'à juste titre l'Ambassadeur de Hongrie auprès du Saint-Siège a qualifié (en les fustigeant) sur Twitter de «simplistes, une caricature de la Hongrie».
Notons enfin que L'Osservatore Romano a maintenu une sobriété de ton étudiée: le 2 octobre, sur la deuxième page, il a titré «La Hongrie vote» et le lendemain, en bas de la première page «Pas de quorum», suivi de quelques lignes dans lesquelles entre autre il est noté que «les médias mettent en évidence les appels au boycott de l'opposition hongroise, mais aussi la désaffection traditionnelle des hongrois pour les référendums».

5. Colombie, référendum du 2 octobre sur l'accord de paix avec les forces armées revolutionnaires colombiennes (FARC).
En Colombie, les catholiques sont aujourd'hui 75% de la population, les protestants (surtout évangéliques pentecôtistes) autour de 20% (et comprennent beaucoup de baptisés catholiques convertis).

La question soumise à l'opinion populaire était: «Approuvez-vous l'Accord final pour mettre fin au conflit, et la construction d'une paix stable et durable?» Les OUI ont été 49,78% (6.377.482), les NON 50,22% (6.431.376), les votants 37,43% (13 millions sur près de 35). L'accord a été rejeté.


NOTES COMPLÉMENTAIRES SUR LE VOTE COLOMBIEN.
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Selon de nombreux observateurs, le vote colombien a été une surprise, démentant tous les pronostics qui indiquaient une victoire pour le OUI, certains même avaient donné une avance d'une vingtaine de points en pourcentage. L'électeur devait accepter ou rejeter un accord très complexe et détaillé contenu dans 297 pages, divisé en 6 parties principales, atteint à Cuba le 24 août 2016, et solennellement signé à Carthagène des Indes (Colombie), le 26 septembre suivant. L'accord visait à mettre un terme à un conflit commencé il y a 52 ans, exporté de la Cuba castriste comme tant d'autres pour le triomphe de la Revolucion en Amérique latine.

Malheureusement, en Colombie, en 52 ans de guérilla, ce «rêve» (mais en Colombie, la cocaïne avait depuis longtemps remplacé l'idéologie) a provoqué plus de 260 mille morts, plus de 20 mille victimes d'enlèvements, plus de 13 mille victimes des champs de mines, à peu près 7 millions de personnes déplacées et d'innombrablesa destructions (dans tout cela, il y a eu de graves fautes des groupes militaires et paramilitaires). Dans l'Accord, les règles concernant le traitement prévu pour les FARC est rapidement apparu inacceptable pour une grande partie de l'opinion publique colombienne: pardon pour les guérilleros ne s'étant pas rendus coupables de «crimes contre l' humanité»; réductions de peine pour les coupables repentis de crimes contre l'humanité, possibilité de retour dans la vie politique, dix sièges assurés au Parlement jusqu'en 2026, 31 stations de radio FM, un réseau de télévision. L'Accord contenait ensuite d'autres normes qui ont causé le soulèvement de nombreuses communautés chrétiennes, surtout évangéliques: ce sont celles qui "dédouanaienr" l'idéologie scélérate du gender. Ce n'est pas un hasard si le président Santos quelques jours après le vote, a voulu écouter les leaders évangélistes, les invitant à sa résidence.

Et l'Eglise catholique? Ici il faut faire la distinction entre l'attitude de François et celle de l'Eglise colombienne. A de nombreuses reprises, le Pape a encouragé publiquement les efforts visant à parvenir à un accord entre les parties (comme au cours du Voyage à Cuba et sur le vol retour du voyage en Arménie). Et pas seulement: sur le vol Bakou-Rome (le 2 Octobre, avant de connaître les résultats du vote) il a dit qu'il voulait subordonner le voyage en Colombie à l'approbation de l'Accord, de manière à ce qu'on ne puisse plus «revenir en arrière». Le Secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, était en outre présent lors de la signature solennelle à Carthagène, prononçant pour l'occasion un discours dans lequel il évoquait la «grande attention» avec laquelle François avait suivi «les efforts de ces dernières années». Bref, l'implication du Saint-Siège a été significative (comme on peut le voir par les titres des nombreux articles publiés par L'Osservatore Romano).
Et l'Eglise colombienne? Elle a préféré ne pas donner de mot d'ordre, invitant seulement à voter selon sa conscience. Et les évêques n'étaient pas présents à la cérémonie de Carthagène.

Il n'est donc pas étonnant que la première réaction au vote du Conducator de Il Sismografo ait été aussi amère que rageuse (comme l'est son style depuis un certain temps). Luis Badilla a écrit (et émis sa sentence) le 3 octobre : «Dans l'état actuel des choses ce qui semble clair est un fait incontestable: trop de Colombiens étaient tièdes, des Colombiens à qui a manqué le courage de la paix, des Colombiens qui ont été entraînés par des sentiments, peut-être compréhensible, mais totalement anti-historiques». Ajoutant: «Il semblerait que cette attitude ait été très répandue dans une large frange des électeurs catholiques, et c'est un paradoxe». En somme, un désastre: «La voix même du Pape est restée inécoutée». C'est pourquoi l'Église colombienne ne peut s'en tirer à bon compte: «L'Église en Colombie est maintenant appelée à une réflexion profonde et sérieuse. (...) Au moment du référendum, elle n'a pas eu la prévoyance, peut-être à cause de conflits internes, de prendre avec courage et discernement l'unique voie possible, nécessaire et juste: mobiliser les consciences en faveur du OUI».

Sur l'attitude de l'Eglise colombienne Andrea Riccardi s'est également exprimé - dans le Corriere della Sera du 8 Octobre - , sans trop se plaindre, dans une analyse sereine et honnête. Le fondateur de [la Communauté] Sant'Egidio, elle aussi intensément impliquée dans le processus de paix en Colombie, remarque: «En intervenant, forte et populaire comme elle l'est, [l'Eglise colombienne] aurait déterminé la victoire du OUI, mais en se rangeant du côté d'une partie du pays». Les raisons de la renonciation à une intervention en faveur de l'accord sont «multiples, souvent pas différentes de celles de la population». Et encore: «Beaucoup d'évêques étaient perplexes concernant les négociations avec les FARC, soupçonnées de duplicité». Dans l'Accord, il y avait aussi des «questions qui concernaient le 'gender', désagréables à l'Église. Bref: «L'Eglise n'a pas voulu assumer une position impopulaire, que les évêques ne sentaient pas, et qui peut-être leur auraient aliéné une partie du pays». C'est vrai quil s'est manifesté «plus d' enthousiasme pour l'accord de la part du pape que des évêques»; et «la perméabilité de l'épiscopat aux peurs de la société découle également du partage tout relatif du point de vue du Pape».


EN CONCLUSION
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Ceux qui ont eu la constance et la patience de me lire jusqu'au bout, auront noté que dans cinq pays (France, Tessin, Italie, Hongrie et Colombie) où l''humus' catholique est encore très largement répandu (quoique avec une intensité variée et avec les différences que l'on sait entre les catholiques sur le papier, les catholiques «tièdes», les catholiques pratiquants) l'insistance constante de François sur le thème des migrants et sur celui du pardon / réconciliation / miséricorde ne semble pas avoir ces correspondances populaires que Sainte-Marhe (en particulier le groupe compact des thuriféraires) attendrait.
Le Pape parle, les catholiques en prennent connaissance... mais - en tant que citoyens - beaucoup préfèrent ensuite d'autres options.
Certains en France - et il y en a beaucoup - votent pour le Front national; certains, comme dans le Tessin, soutiennent l'initiative protectionniste «Les Nôtres d'abord»; certains, comme en Italie, voudraient rétablir les contrôles aux frontières; et comme en Hongrie, certains demande à être maîtres chez eux et ne pas avoir à dépendre pour les décisions relatives à l' immigration des pouvoirs européens; et certains, comme en Colombie, ne se sentent pas d'user de miséricorde envers ceux qui ont tué tant de compatriotes, et de les récompenser avec des sièges au parlement et un réseau de médias.
La réalité est celle-là, et les fanfares et les encensoirs n'y changeront rien.