"Dubbia": L'impasse du Pape


Elle explique ses sorties, ses sautes d'humeur et même les "ragots" qu'il se permet contre ses adversaires, à l'encontre de ses propres mises en garde. La réflexion, très personnelle, de Marco Tosatti, renonce aux précautions oratoires d'usage et ose enfin appeler les choses par leur nom (20/11/2016)



L'impasse du pape, les "dubbia" et les ragots.
Et un plan de 2014 ...


Marco Tosatti
19/11/2016
Ma traduction

* * *

Vous souvenez-vous à quel point, périodiquement, le Pape tonnait contre les ragots?
Ces jours-ci, il se peut qu'il court inconsciemment le risque de tomber dans le même comportement; parce qu'il me semble qu'une forme de ragot - de ragot implicite - consiste à nier pleine dignité d'interlocuteur à la personne "rigide, légaliste, etc. etc.", qui a des idées différentes des vôtres, en suggérant que ses critiques sont causées par des problèmes psychologiques. Ou par une forme faussée de conception de son existence ou de sa foi [1] . Au lieu de répondre de manière concrète, et sur les questions de fond soulevées.

Mais ce faisant, on s'expose au risque que l'accusation se retourne: ne se pourrait-il pas que les problèmes psychologiques, d'humeur, soient le fait de celui qui se comporte de cette manière évasive et agressive, que sa réaction soit dans le même temps, le signe d'une mauvaise conscience, et de l'incapacité de sortir d'une impasse, de donner une réponse claire?

Le soupçon de lèse-majesté ne suffit pas. La facilité avec laquelle on est allé toucher, dans la question de l'Eucharistie aux divorcés-remariés, des points centraux de la vie de nombreux catholiques, ne se résout pas par le dénigrement fait en personne ou à travers des hommes de main, hélas aussi des consacrés.

On peut penser que dans ce plan conçu depuis longtemps, on a sous-évalué les problèmes et les réactions ; et qu'on ait tenu peu compte de la valeur centrale de ce qu'on allait toucher; autrement dit le respect de l'Eucharistie, qui est au coeur des "dubia" exprimés par les cardinaux.

Et pourtant, les signaux de résistance à un plan conçu avant même le début du premier synode n'ont pas manqué;
En Septembre 2014, après avoir reçu des informations fiables sur ce que racontait des futurs programmes du Synode une personne qui devait y jouer un rôle central, nous avions écrit sur <San Pietro e dintorni> [traduction ici: benoit-et-moi.fr/2014-II-1]:

Le cardinal Kasper, qui il y a vingt ans, avait déjà sa propre idée sur ce sujet, non acceptée pendant ces deux Pontificats, a vu dans l'avènement de Bergoglio l'opportunité de la reproposer.
En dépit du fait que de Manille à Berlin, de New York à l'Afrique, la grande majorité de ses collègues ont, une fois de plus, réaffirmé la Doctrine de l'Eglise basée, hélas, sur les propos de Jésus.
Un des seuls cas où l'énonciation apparaît nette, claire, définitive et même pas mise en doute par les pinailleurs professionnels de l'exégèse..
Bref, pour Kasper & Co, les choses n'ont pas l'air de prendre une bonne tournure. Mais il y a peut-être un moyen pour l'aider. Et essayer d'empêcher que les voix dérangeantes deviennent trop bruyantes.
Le premier point consiste à demander que les interventions écrites parviennent avec une large avance. Ce qui est fait. Quiconque souhaite intervenir au Synode est tenu à faire parvenir son petit texte avant le 8 septembre.
Deuxième point: lire attentivement toutes les interventions et, au cas où quelques-unes seraient particulièrement épicées, donner la parole á un orateur qui, avant l'intervention épineuse, essaie déjà de répondre, en tout ou en partie, aux problèmes soulevés par l'intervention même.
Troisième point: au cas où quelques interventions paraîtraient vraiment problématiques, dire que malencontreusement il n'y a pas le temps pour accorder la parole à tout le monde, mais que de toute façon le texte a été acquis et versé aux actes et qu'on en tiendra compte lors de l'élaboration finale.

En fait, ce qui importe n'est pas le Synode lui-même, mais la synthèse qui en sera préparée et qui aura la signature du Pape en tant qu’ «Exhortation post-synodale». Il est fort probable que ce ne sera pas un texte clair et définitif, mais basé sur une interprétation "fluctuante". De façon qu'en le lisant chacun puisse le tirer du côté qui lui convient davantage.



Comme nous avons pu le voir, tout s'est déroulé selon le scénario prévu, un scénario déjà préparé au début de 2014. Mais comme l'écrit le poète Burns “The best laid schemes of mice and men”… souvent rencontrent des obstacles [2]; et ce plan-là a rencontré les Dubia.

Aujourd'hui, le Pontife triomphant d'Amoris Laetitia, ne veut pas entendre parler des Dubia et des problèmes connexes, et ceux qui le font, dit-on, courent le risque de subir une réaction de colère, ou un accès de rage.

Mais nous craignons que le problème ne soit pas facile à endormir; et il ne suffit pas de renoncer à la rencontre avec les cardinaux avant le Consistoire pour résoudre la situation. Du reste, les perspectives sont tous perdantes. Répondre aux cardinaux, dire que quelqu'un qui est en état de péché mortel objectif (avec toutes les circonstances atténuantes du monde) peut accéder à l'Eucharistie, c'est rompre avec tout ce que l'Eglise a enseigné jusqu'à présent, et il ne suffit pas de deux petites notes "en douce" ["aum aum", patois napolitain, traduction peu sûre], un peu tordues, pour tout renverser. C'est une petite fouberie, mais qui a les jambe courtes [dans le sens qu'elle ne peut pas aller très loin]. D'ailleurs, comment revenir en arrière? La perspective la plus probable est qu'on laisse l'état de confusion et de division - l'affrontement entre les évêques américains est un signal - se propager et continuer. Mais toujours avec l'épée de Damoclès que, dans une situation ou une autre, les Dubia se présentent à nouveau au pape.
Une belle impasse, Sainteté.


NDT


[1] Dans la dernière interview au P. Spadaro, le Pape dit: "J'essaie toujours de comprendre ce qui se cache derrière les gens qui sont trop jeunes pour avoir connu la liturgie pré-conciliaire et qui pourtant la souhaitent. Parfois , je me suis retrouvé face à une personne très rigide, à une attitude de rigidité. Et je me demande: pourquoi tant de rigidité? Creuser, creuser, cette rigidité cache toujours quelque chose: l'insécurité, parfois même autre chose ..."

[2] La citation entière, qui donne son titre au célèbre roman de John Steinbeck "Des souris et des hommes" est «The best laid schemes o'mice an'men gang aft a-Gley» («Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas»)