Le Magistère est-il en crise?



Suite à la mise au point du Père Lombardi, Fr Hunwicke complète et précise son billet "Le Magistère est-il en sûreté sous François?", abordant deux thèmes objets de polémiques récentes: la contraception, et la peine de mort (26/2/2016).

>>> Le Magistère est-il en sûreté sous François?

>>> Voir aussi: Le Pape en avion, de retour du Mexique (dossier)

 

Le Magistère est-il en crise?


Father Hunwicke
liturgicalnotes.blogspot.fr
25 février 2016
Ma traduction


CONTRACEPTION
-----
Ainsi, le Père Lombardi estime, apparemment, que Papa Bergoglio avait raison: Paul VI a vraiment permis aux religieuses, au Congo, de se prémunir par des moyens contraceptifs contre les conséquences d'un viol.
S'il est prouvé que Montini a fait quelque déclaration à cet effet, nous avons le droit de savoir où la trouver afin que nous puissions la lire. Cela, sans aucun doute, est la raison pour laquelle le Saint-Siège publie ses Acta (Acta Apostolicae Sedis). Si les gens sont tenus de respecter et d'obéir à un Magistère, alors la Justice Naturelle exige qu'ils aient les moyens de se familiariser avec leurs obligations. Sinon, pourquoi décimer les forêts tropicales afin de produire de gros livres interminables?

Si Paul VI a vraiment dit quelque chose qui y ressemble vaguement dans un quelconque contexte Magistériel, les mots précis qu'il a utilisés seraient d'une grande importance. S'il autorisait la suppression de l'ovulation de manière à empêcher des rapports sexuels non désirés ou forcés d'aboutir à la conception ...eh bien, c'est une chose.
Mais le contexte (la prévention, au sein du mariage, de la conception de bébés atteints de microcéphalie) auquel Bergoglio faisait allusion, me semble se référer à une situation morale radicalement différente. Et, bien sûr, il faudrait également aborder la question de savoir si les moyens pharmaceutiques envisagés ont une dimension abortive (1).

Mais la question plus large, qui engendre une anxiété justifiée, est la façon apparemment désinvolte avec laquelle l'orateur implique d'une part, qu'il croit à cette histoire douteuse; et d'autre part, qu'elle aurait une fonction d'autorité et pourrait être appliquée à une situation actuelle.

Si un pape quelconque à l'arrière d'un avion quelconque, dit à des journalistes quelconques que son prédécesseur X a dit Y et Z, alors soit cette affirmation doit être vérifiable, soit elle devrait être retirée. A défaut, ce serait traiter le Magistère avec une irresponsabilité frivole.

*

PEINE CAPITALE
---
L'enseignement traditionnel de l'Eglise n'exclut pas le recours à la peine capitale, si cela est le seul moyen efficace possible de défendre des vies humaines contre un agresseur injuste.
La doctrine se développe, évolue, est nuancée. Mais elle doit toujours être "eodem sensu eademque sententia" (dans le même sens et la même pensée).
Ainsi, sous Jean-Paul II, le Magistère, après avoir rappelé l'enseignement traditionnel, a continué à nous enseigner (CEC §2267 citant Evangelium vitae §56) [*] qu'à notre époque, compte tenu des ressources à la disposition de l'État, de telles occasions sont rares, même très probablement inexistantes.
Comment pourrait-on trouver à redire à ce jugement prudentiel? Ce n'est certainement pas moi qui le ferais.
Récemment, cependant, on nous a dit que la peine capitale est «inadmissible, quelle que soit la gravité du crime commis», et «une offense à l'inviolabilité de la vie et de la dignité de la personne humaine»; que le « 'Tu ne tueras point' a une valeur absolue et s'applique à la fois à l'innocent et au coupable»; et que «même un criminel a le droit inviolable à la vie» (2). Notez «absolu» et «inviolable».
Je ne vois pas comment tout cela est eodem sensu comme l'Enseignement Traditionnel. Je ne vois pas comment c'est un développement eadem sententia du CEC §2267. C'est un roman théologique (theologoumenon) qui est en réalité en contradiction avec la Tradition.

Je considère la peine de mort avec autant de révulsion personnelle que le Saint-Père. Quand je lis des choses sur les couloirs de la mort et les exécutions ratées dans une poignée d'États d'Amérique du Nord; sur la délicatesse avec laquelle les Chinois traitent leurs condamnés pour ne pas endommager les organes qui pourront être profitablement 'récoltés'; Je me sens à la fois très en colère et très mal à l'aise. Mais son dégoût et le mien ne sont pas le sujet.
Peut-être devrait-on prendre en considération le fait que Jorge Bergoglio a passé son âge mûr dans un pays barbare où des milliers de personnes étaient «disparues» et beaucoup d'autres torturées sous une dictature militaire meurtrière et corrompue (à la chute de laquelle mon propre pays a peut-être apporté une petite contribution).
Mais toutes considérations faites, le Magistère n'est pas une arène dans laquelle le Souverain Pontife a le droit de lier le prestige de son office à ses enthousiasmes personnels.

Permettez-moi de conclure en partageant avec vous mon sentiment sur tout cela.
Je ne crois pas, j'en ai peur, que l'Esprit Saint ait été donné à François, ou à tout autre pape, pour que par Sa révélation, ils puissent rendre publique une nouvelle doctrine, mais pour qu'ils puissent (avec l'aide de l'Esprit Saint) garder et exposer la tradition transmise par les Apôtres ... ce que nous appelons le Dépôt de la Foi.

NDT


(1) Dimanche 21 février, lors de la prière d'angélus, François s’est exprimé en faveur de l’abolition de la peine capitale: w2.vatican.va

(...) Le commandement « tu ne tueras point » a une valeur absolue et concerne aussi bien l’innocent que le coupable.
Le jubilé extraordinaire de la miséricorde est une occasion propice pour promouvoir dans le monde des formes toujours plus mûres de respect de la vie et de la dignité de chaque personne. Le criminel conserve lui aussi le droit inviolable à la vie, don de Dieu. Je fais appel à la conscience des gouvernants, afin que l’on parvienne à un consensus international pour l’abolition de la peine de mort. Et je propose à ceux qui parmi eux sont catholiques d’accomplir un geste courageux et exemplaire: qu’aucune condamnation ne soit exécutée en cette année sainte de la miséricorde.
Tous les chrétiens et les hommes de bonne volonté sont appelés aujourd’hui à œuvrer non seulement pour l’abolition de la peine de mort, mais aussi dans le but d’améliorer les conditions de détention, dans le respect de la dignité humaine des personnes privées de la liberté.


(2) L'Abbé Perrenx (docteur en médecine, spécialiste en théologie morale, à laquelle il a consacré une série d'ouvrages, et titulaire d'une thèse sur Evangelium Vitae qui lui a valu entre autre les félicitations du cardinal Ratzinger), m'écrit à ce sujet:

Une étude portant sur la littérature médicale mondiale a été publiée par "Medicina e Morale" (revue du centre de bioéthique de l'Université du S. Coeur de Rome, écrite alors par des Professeurs de médecine sous l'égide du cardinal Sgreccia) en italien il y a une quinzaine d'années: l'argument de départ était la constatation que, puisqu'il y a des naissances sous contraceptifs, et que la nidation est gênée par un des trois effets du contraceptif, il pourrait bien y avoir des avortements inaperçus ( alors mesurés par hormonologie). Le résultat est sans appel: au moins un avortement tous les cinq ans pour une femme sous pilule. A partir de là, l'utilisation des contraceptifs est contraire au 6e commandement (on le savait), mais aussi au cinquième... D'où les propos du Saint-Père Jean-Paul II, si exacts en thélogie, mais aussi en médecine!

Annexe

[*] Evangelium Vitae, sur la peine de mort:

(...) La légitime défense peut être non seulement un droit, mais un grave devoir, pour celui qui est responsable de la vie d'autrui, du bien commun de la famille ou de la cité. Il arrive malheureusement que la nécessité de mettre l'agresseur en condition de ne pas nuire comporte parfois sa suppression. Dans une telle hypothèse, l'issue mortelle doit être attribuée à l'agresseur lui-même qui s'y est exposé par son action, même dans le cas où il ne serait pas moralement responsable par défaut d'usage de sa raison.
Dans cette perspective, se situe aussi la question de la peine de mort, à propos de laquelle on enregistre, dans l'Eglise comme dans la société civile, une tendance croissante à en réclamer une application très limitée voire même une totale abolition. Il faut replacer ce problème dans le cadre d'une justice pénale qui soit toujours plus conforme à la dignité de l'homme et donc, en dernière analyse, au dessein de Dieu sur l'homme et sur la société. En réalité, la peine que la société inflige « a pour premier effet de compenser le désordre introduit par la faute ». Les pouvoirs publics doivent sérvir face à la violation des droits personnels et sociaux, à travers l'imposition au coupable d'une expiation adéquate de la faute, condition pour être réadmis à jouir de sa liberté. En ce sens, l'autorité atteint aussi comme objectif de défendre l'ordre public et la sécurité des personnes, non sans apporter au coupable un stimulant et une aide pour se corriger et pour s'amender.
Précisément pour atteindre toutes ces finalités, il est clair que la mesure et la qualité de la peine doivent être attentivement évaluées et déterminées; elles ne doivent pas conduire à la mesure extrême de la suppression du coupable, si ce n'est en cas de nécessité absolue, lorsque la défense de la société ne peut être possible autrement. Aujourd'hui, cependant, à la suite d'une organisation toujours plus efficiente de l'institution pénale, ces cas sont désormais assez rares, si non même pratiquement inexistants.

Dans tous les cas, le principe indiqué dans le nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique demeure valide, principe selon lequel « si les moyens non sanglants suffisent à défendre les vies humaines contre l'agresseur et à protéger l'ordre public et la sécurité des personnes, l'autorité s'en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine ».