Le sang syrien est sur tes mains, Europe...


Un article de Maurizio Blondet, dont le titre rend toute présentation superflue (19/5/2016)

 

Je lisais hier sur le blog d’Yves Daoudal que « des évêques, des religieux et religieuses de Syrie ont lancé une pétition Basta sanzioni alla Siria (les sanctions contre la Syrie, ça suffit), adressée "aux parlementaires et aux maires de tous les pays" afin qu’ils fassent connaître "l’iniquité des sanctions contre la Syrie aux citoyens de l’Union européenne" ».
Yves Daoudal précise que « les premiers signataires de la pétition sont Mgr Georges Abou Khazen, vicaire apostolique d’Alep pour les catholiques de rite latin, Mgr Joseph Tobji, archevêque maronite d’Alep, le Père Pierbattista Pizzaballa, Custode de Terre Sainte, Mgr Boutros Marayati, archevêque arménien catholique d’Alep… » et propose une traduction des passages les plus significatifs de la pétition, - en italien (à lire ici).

Deux jours plus tôt, le 16 mai, Maurizio Blondet, sans langue de bois, conformément à son style et à la liberté qu’il revendique et assume depuis très longtemps, et qui lui a coûté une carrière qui aurait pu être brillante (il a été une signature de prestige d’Avvenire), publiait un article sur la situation en Syrie. Une vérité dérangeante pour les gouvernements européens et plus largement occidentaux, Pape compris.

Le sang syrien est sur tes mains, Europe. Et "François"?


16 mai 2016
www.maurizioblondet.it
Traduction d'Anna

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"Aux politiciens européens je dis: si vous avez un peu d'humanité, ne renouvelez pas les sanctions contre la Syrie". Ainsi [parle] l'évêque maronite d'Alep, Mgr Joseph Tobji, interviewé par L'Antidiplomatico.

Quelle différence avec El Papa: "Accueillons-les tous, que l'Europe ouvre ses portes, pardonnez-nous, les immigrés, notre fermeture…". Comme s'ils fuyaient une catastrophe naturelle. Jamais un mot sur la guerre déclenchée - c'est désormais prouvé - par instigation US et française contre un pays inoffensif. Et, surtout, jamais un appel aux pouvoirs forts internationaux afin qu'ils lèvent les sanctions.

Un véritable sixième sens, celui de "François", pour esquiver les thèmes qui pourraient le brouiller avec ce monde qui le couvre d'applaudissements. Il a été invité à parler (chose inouïe) au Congrès USA et en a reçu une standing ovation (maçonnique?): jamais il n’a mentionné les sanctions qui aggravent la tragédie du peuple syrien. Il a été invité à parler en "Europe": silence sur la question.

SANCTIONS? QUELQU'UN A DIT SANCTIONS?
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Sanctions? Vous en a-t-on jamais parlé? L'Europe applique les sanctions contre le gouvernement syrien, en imitation servile des Américains, depuis 2011, lorsqu'on a voulu répondre au fait qu'"Assad gazait son peuple": accusation déjà largement prouvée comme fausse. C’étaient des djihadistes. C'est le prétexte choisi pour une invasion qui en effet ne se produisit pas. Les sanctions sont restées. Avec l'idée que la population se serait rebellée contre le régime d'Assad. Une idée qui s'est déjà largement révélée insensée, de l'embargo de presque un demi-siècle contre les Cubains, à celui contre Saddam, à celui contre l'Iran.


Oui, l'Europe impose des sanctions à la Syrie. Et non pas un embargo sur les armes, ce qui pourrait avoir un sens et laver les consciences (s'il n'était pas à sens unique: les USA et la France envoient armes et hommes-entraineurs aux djihadistes); mais un embargo sur les denrées de première nécessité. L'effet sur la population civile est catastrophique. "Le peuple syrien souffre doublement, à cause des terroristes et à cause des mesures occidentales" a déclaré il y a quelques jours Bouthania Shaaba, conseiller politique du président Assad. "Si l'Occident veut vraiment aider dans la lutte au terrorisme, la première chose à faire est de lever les sanctions".

Le Pape s'est mis à parler de chiens et de chats: "Plutôt que les chiens et les chats, aidez les voisins". À moins que ce ne fût une délicate allusion. Stephen Gowans, un activiste canadien, a montré des documents du Congrès des Usa, démontrant qu'en 2005 le gouvernement américain était déjà activement à l'œuvre contre le régime syrien, utilisant les sanctions dans le but (croyait-on) de renforcer l'opposition interne et de conduire au renversement du régime.

Avant la guerre, la Syrie produisait d'elle-même 95% des médicaments pour ses propres besoins; hormis les médicaments oncologiques et anti-diabétiques, elle était autosuffisante - preuve d'un pays ordonné et bien gouverné, et aussi du choix de l'autarcie, à laquelle elle avait été contrainte par des sanctions précédentes (voulues par Israël et appliquées par nous aveuglément).

Évidemment, "cette industrie s'est effondrée, comme se sont effondrés des dizaines d'hôpitaux et de centres de premier soin sanitaires ", a écrit la revue médicale The Lancet: et les sanctions - qui entre autre ont bloqué les comptes étrangers du gouvernement - empêchent d'acheter les médicaments les plus essentiels.

"Les pertes économiques pour le pays à la fin de 2014 s'élevaient à 142,8 milliards", a écrit The Lancet: "Plus de 80% de la population vit dans la pauvreté, et un tiers (32,6%) dans une pauvreté effrayante et dans l’impossibilité totale d'avoir les denrées de base. Plus de la moitié de la population (52,8%) est déplacée, un tiers est déplacé à l'intérieur. L'espérance de vie, qui était de 75,9 ans en 2010 (l'une des plus hautes de la région) est tombée en 2014 à 55,7 ans, une perte de 20 ans. Le prix des aliments de base a été multiplié par six depuis 2010. Le chômage est passé de 15% en 2011 à 55,7% en 2014; trois millions de personnes avaient perdu leur travail dans les deux premières années du conflit". À cause évidemment de la destruction de milliers de petites industries locales.

Nombre d'entrepreneurs sont partis à l'étranger, surtout depuis le centre industriel d'Alep; les grands capitalistes ont emporté les capitaux, les autres, à la tête de petites et moyennes entreprises, ont tout perdu et ont dû arrêter la production, car les usines sont tombées aux mains des djihadistes.

La modeste production pétrolière (qui était auparavant orientée presque entièrement vers l'UE et représentait 20% des entrées publiques) a été réduite à néant par les sanctions, alors que l'ISIS et les rebelles vendent le pétrole des zones qu'ils ont occupées. La croissance des importations pour compenser les pertes de production des carburants et des engrais agricoles est rendue impossible par le blocus: un blocus commercial énorme car, bien entendu, la Turquie et les Saoudiens avec leurs satellites s'y sont associés. Des emprunts extérieurs, aucun, évidemment. Le déficit commercial et budgétaire est un trou noir.

Tout cela n'affecte en rien le régime ni ses fidèles, approvisionnés par la Russie, l'Iran, le Venezuela, la Chine et même l'Inde; le régime a d'ailleurs montré une grande capacité d'adaptation, grâce aussi à l'expérience considérable acquise avec les sanctions précédentes. Ce n'est que la population civile qui en souffre.

Cela a-t-il aliéné la population civile du régime? Miguel Fernandez, l'envoyé spécial cubain couvrant depuis un an la guerre, dit que non. Les gens voient que "les troupes de l'État Islamiques (ISIS) ou le Front Al-Nosra ne sont composées que de Libyens, Tunisiens, Tchétchènes, Égyptiens, Africains, des personnes provenant des nombreuses ex-républiques soviétiques avec une forte présence musulmane". Ce qui s'est constitué n'est pas une guerre civile, mais contre des étrangers. Le fait de "voir que les personnes ne capitulent pas, qu'elles continuent de rêver d'un pays prospère, est la plus grande leçon que la Syrie m'a donnée." (cf. mundo.sputniknews.com).

Le martyre du peuple ne s'arrête pas là: après la trêve imposée par Moscou, les Usa cherchent la revanche. Ils fournissent de nouvelles armes aux terroristes, surtout les missiles à l'épaule MANPAD pour abattre les avions et hélicoptères russes. Kerry et le ministre des affaires étrangères français Ayrault se sont rencontrés en tête à tête le 9 mai: ce sont les deux puissances occidentales qui ont comploté et subverti depuis le début, chacune avec ses djihadistes préférés: il n'y a pas de doute qu'au lieu d'une trêve nous allons voir une phase encore plus venimeuse et cruelle. À cette barbarie, à cette cruauté sans fin, l'Europe prend part, honteusement, somnambuliquement. Pourquoi? Où est l'intérêt de l'Europe à la déstabilisation de la Syrie? À sa reddition définitive aux égorgeurs mus par une idéologie assassine, auxquels faire cadeau d'un pays et de ses ressources?

Ils ne se posent pas la question, nos gouvernants. Ni à Berlin, ni à Rome ni dans les autres capitales, Encore moins El Papa: "Accueillez-les tous, les pauvres réfugiés". Mais, attention. J'ai vu une photo de syriens ou moyens-orientaux attendant d'entrer en Finlande. Oui, en Finlande. Ce sont tous des hommes, entre 20 et 40 ans. Contrairement à ce que la propagande raconte, il n'y a presque pas de femmes ni d'enfants dans l'exode, 1 ou 2 %. El Papa les appelle "réfugiés", la Boldrini "migrants", Merkel main d'œuvre.


Leur vrai nom est: déserteurs.