Les élites contre le peuple et l'échec de l'Eglise


Celle "de François" n'est pas capable d'accompagner ce peuple dans le processus de changement "par la base" en cours dans tout l'Occident laïcisé, et encore moins de le guider. Après la cuisante défaite de Matteo Renzi, une réflexion du P. Scalese qui vaut aussi pour nous (7/12/2016)



Les gouvernants tous balayés


Le P. Scalese démarre sa réflexion d'articles écrits sur la Bussola en commentaire du résultat du référendum de dimanche dernier en Italie, qui a balayé le "Premier", porte-serviette des élites mondialistes.
Il n'est pas absolument nécessaire d'avoir lu les articles en question, ni de suivre de près la vie politique italienne. Son analyse ne nécessite pas de gros changements - sinon de tenir compte compte du rapport historiquement privilégié de l'Eglise universelle avec l'Italie -, pour être transposée à la France. Il suffit de remplacer Renzi par Hollande (qui certes n'a pas été "balayé" par le suffrage populaire, mais s'est retiré contraint et forcé par ses "amis", et surtout pour s'épargner une humiliation).

A lire abslolument, et à méditer, par nous, français, avant de glisser un bulletin dans l'urne aux pésidentielles d'avril-mai 2017.

Référendum... et accompagnement pastoral


P. Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
7 décembre 2016
Ma traduction

* * *

Il faut reconnaître que La Nuova Bussola Quotidiana constitue, dans le moment de crise actuel, l'un des rares points de référence restants - une "boussole", justement - pour les catholiques italiens. Les commentaires publiés à la suite de la victoire du NON au référendum constitutionnel de dimanche dernier en sont, au cas où cela aurait été nécessaire, une preuve supplémentaire: le commentaire d'Alfredo Mantovano, l'éditorial de Riccardo Cascioli, le "focus" de Marco Berchi.

On peut partager totalement l'analyse de Mantovano: «Le peuple est là. Ce qui manque, ce sont les chefs». Intéressant également, le parallèle historique avec l'inserruction anti-jacobine tyrolienne [1805] qui, dans la désertion généralisées des élites, trouva son chef dans un aubergiste, Andreas Hofer [1805].
Que l'un des problèmes majeurs de la société d'aujourd'hui soit l'absence de leadership est un fait. Ces jours-ci, sur les réseaux sociaux, il est facile de tomber sur des images qui représentent les dirigeants des grandes puissances mondiales, réunis pour un quelconque sommet il y a seulement quelques mois, effacés un par un d'une croix (en attendant de nouveaux développements, seule survit la Merkel).
Qu'est-ce que cela signifie? Que les dirigeants actuels sont des gens totalement inadaptés pour la tâche qu'ils ont été appelés à remplir. Mais il ne faut pas penser que c'est un simple hasard: ils sont choisis pour ce rôle justement parce qu'inadéquats, dès lors que ce ne sont pas eux qui possèdent le pouvoir réel, qui réside ailleurs. D'où la nécessité de trouver un vrai "chef", l'Andreas Hofer (ndt: homonyme du candidat d'"extrême-droite" battu à la présidence de la république autrichienne dimanche) de la situation. Il peut être utile, dans ce contexte, de relire les réflexions de Max Weber à propos de l'"autorité charismatique" . Nous, chrétiens, nous pourrions aussi commencer à prier le bon Dieu pour qu'il nous envoie un saint, qui se mette à notre tête, car nous nous sentons vraiment «comme des brebis sans berger» (Mc 06:34).

Mais peut-être que c'est trop demander; et peut-être qu'il est même pas nécessaire d'être gouvernés par des saints. Il suffirait d'un peu d'habileté et d'honnêteté. La nécessité d'un leadership, en tout cas, demeure.
Dans le passé, même si l'on a pas toujours eu de grands condottieri saints, on le ressentait moins. Pourquoi? Parce que, au moins dans les pays traditionnellement catholiques, il y avait l'Église qui remplissait ce rôle. Pensons à ce que l'Église a fait en Italie à certains moments pas plus faciles que l'actuel, comme lors du Risorgimento ou de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale ou même dans les années proches de nous du pontificat de Wojtyla et de la présidence Ruini à la CEI. À cet égard, les articles d'aujourd'hui sur La Bussola me semblent particulièrement significatifs. Cascioli rappelle que l'Eglise «a vraiment instruit un peuple, là où la foi a profondément façonné la culture»; il déplore que cette même Église, «dans sa forme institutionnelle, a depuis longtemps cessé d'éduquer les catholiques à la foi, et donc aussi au jugement politique qui en résulte»; et il espère qu' «au moins de certains pasteurs, reparte une initiative éducative forte: une foi qui sache engendrer la culture, qui soit capable d'embrasser toute la réalité, de juger le monde».
De son côté, Berchi conclut son analyse extrêmement précise par un appel à l'Eglise italienne:

Le peuple italien a donné un signal impressionnant par sa force et émouvant par son intensité, presque un cri. Si on ne veut qu'il soit recueilli juste par un énième leader en carton - neuf ou repeint - qui conduirait à la énième déception ou à une dictature 2.0, il est temps que ceux qui ont une culture et un enraciment sociaux se remuent. Au premier rang, l'Eglise italienne, avec les modalités appropriées dans toutes ses articulations, de la hiérarchie supérieure au dernier des fidèles. Ce serait un acte de miséricorde, peut-être le plus grand, envers notre pauvre pays.

Souhaits hautement partageables, mais qui risquent malheureusement de rester sur le papier. Oui, parce que l'Église italienne, en ce moment, ne me semble pas en mesure de recueillir le «cri de douleur» qui monte du peuple italien; non pas parce qu'elle n'en a pas la capacité, mais parce qu'elle est bloquée par la situation que vit actuellement l'Eglise universelle.

Que l'Église italienne ait toujours eu une relation privilégiée avec le Saint-Siège ne peut guère être contesté, non seulement comme fait historique, mais aussi comme exigence théologique, étant donné que la Providence a voulu que l'autorité suprême de l'Église établisse son siège en Italie. Le problème est que jusqu'à présent ce lien avait toujours été pour l'Église italienne un stimulant supplémentaire d'un point de vue pastoral; mais aujourd'hui, il semble qu'il soit devenu un obstacle. Je suis profondément convaincu que la grande majorité des évêques et des prêtres italiens est fondamentalement "saine" et remplie d'un authentique zèle pastoral; mais j'ai l'impression que beaucoup d'entre eux sont désorientés par les récents changements introduits dans l'Eglise, ils se sentent inhibés dans leur entreprise pastorale et nous avons même peur de nous exprimer librement. C'est comme s'ils étaient devenus otages d'une minorité, exiguë mais bruyante, qui impose à tous la ligne à suivre, se sentant forte du soutien, réel ou perçu, des dirigeants de l'Église. Le problème, à mon avis, est ici: non pas tant au niveau local qu'au niveau universel. Le problème n'est pas l'Église italienne, qui dépend, pour le meilleur ou pour le pire, du Siège Apostolique; mais du Siège Apostolique lui-même, qui semble soudainement devenu incapable de lire les signes des temps.

Le monde est en train de changer. 2016 devrait avoir désormais fourni des preuves suffisantes de cette transformation: le 10 mai, l'élection de Rodrigo R. Duterte à la présidence des Philippines; le 23 juin le référendum du Royaume-Uni sur le "Brexit"; le 8 novembre la victoire de Donald J. Trump aux élections présidentielles américaines; le 27 novembre, l'affirmation de François Fillon dans la primaire présidentielle des gaullistes en France; le 4 décembre, la victoire du NON au référendum constitutionnel italien et la démission consécutive du Président du Conseil, Matteo Renzi. Ce sont des signaux qui pointent tous dans la même direction: les peuples sont fatigués d'être gouvernés par les élites; ils veulent se réapproprier leur souveraineté.
Il est évident qu'il s'agit, dans tous les cas énumérés ci-dessus, de signaux ambigus, dont il n'est pas permis de tirer des conclusions trop hâtives. Considérons, par exemple, le "patchwork" qui a rendu possible la victoire du NON en Italie: il est clair qu'aucun des groupes qui le composent ne peut revendiquer la victoire comme la sienne. Il est juste, comme le fait la Bussola, de rappeler le rôle joué par "le peuple du Family Day", mais sans se bercer de l'illusion qu'avec le référendum, l'Italie s'est soudainement réveillée catholique. Malheureusement, la laïcisation en cours depuis des années, en Italie et dans le monde, a fait ses dégâts, auxquels il ne sera pas facile de remédier. Mais tout en restant sur terre, ce qu'on attendrait de l'Eglise - non seulement en Italie mais dans le monde - c'est une prise de conscience que quelque chose est en train de changer et que ce changement vient d'en bas, du peuple.
Et au contraire, cette Église qui durant ces années, a eu la bouche pleine de plein de belles paroles, semble incapable, je ne dis pas d'accompagner le processus, mais seulement de le percevoir. Et même, il semblerait que précisément cette Église soit restée l'un des derniers bastions de cet "establishment" que les peuples - les peuples réels, pas ceux imaginaires de l'idéologie - sont en train d'attaquer avec la seule arme qui leur reste en mains, le vote démocratique. L'Église - "l'Église du pape François", comme se plaisent à l'appeler les partisans du "nouveau cours", qui d'ailleurs ne l'est pas [nouveau], en ce qu'il a déjà été dépassé par les événements - s'attarde sur des positions qui faisaient partie de l'agenda de ce système désormais totalement en crise (écologisme, communion pour les divorcés remariés, ouverture aux couples de même sexe, accueil indifférencé des réfugiés, etc..) comme s'il s'agissait des besoins primaires de l'humanité d'aujourd'hui, alors que les priorités des gens sont tout autres. L'Église, qui avait toujours été aux côtés des gens, semble maintenant être aux côtés des élites, avec le risque d'être submergée par la révolution populaire qui les balaiera.

Un dernier mot sur Renzi. Cascioli décrit ainsi l'erreur qu'il a commise:

La grave erreur politique de Renzi a été d'avoir sous-estimé, presque par la raillerie, la tradition culturelle catholique à laquelle évidemment le peuple italien est beaucoup plus lié qu'on ne pense. Soutenu par les grands pouvoirs internationaux, Renzi a au contraire affirmé une conception matérialiste et consumériste redéfinissant la notion de famille, dégradée pour y inclure tout type d'union, le concept de parentalité, en dédouanant des pratiques indignes tels que la maternité de substitution. Il pensait que le pouvoir des élites suffisait pour gagner, pour affonter le peuple, et au contraire, non.

C'est très juste. Mais je pense qu'il ne ne faut pas oublier que Renzi n'est pas l'expression du front laïciste. Renzi est un "catholique"; il provient des rangs du "catholicisme démocratique"; il a été scout de l'AGESCI, et donc il est fils de ce secteur de l'Église qui depuis de nombreuses années s'est positionné dans la dissidence plus ou moins ouverte contre la hiérarchie et qui aujourd'hui a finalement pris le pouvoir dans l'Église.
Cascioli affirme qu'avec Renzi, ce sont Galantino et Paglia qui ont également perdu. J'ajouterais: avec Renzi, c'est l'"L'Église de François" qui a perdu. Je veux dire qu'avec Renzi nous avons pu toucher de la main les résultats de la dérive idéologique de l'Église d'aujourd'hui, enveloppée de "renouveau pastoral": l'alignement sur l'agenda mondialiste, la réduction à l'insignifiance et, pour empirer les choses, la'incapacité à distinguer de vrais changements en cours. Eh bien, c'est aussi à cette dérive que le peuple a dit NON. Dans l'Église, il n'est pas possible de faire un référendum; mais ce que les gens - des Philippines à l'Italie en passant par la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France - tentent d'exprimer à travers leurs choix électoraux, concerne également l'Eglise: c'est un appel pour que l'Eglise se retrouve elle-même, se libère une fois pour toutes des noeuds de l'idéologie et se mette à nouveau aux côtés des peuples dans sa lutte séculaire contre les élites laïques éclairées, qui cherchent à renverser son identité. C'est cela, l'authentique "accompagnement pastoral" que les gens attendent de l'Église.