Quand François réhabilite des dissidents


... sans contrepartie, désavouant du même coup ses prédécesseurs. Derniers exemples en date, le théologien argentin Ariel Álvarez Valdés et l'Université Pontificale Catholique du Pérou. Panorama, par Giuseppe Nardi (21/8/2016)




Ce ne sont que de "petits gestes", a priori anodins (qu'y a-t-il de mal à ce qu'un Pape, au nom de la miséricorde qu'il prêche, lève des sanctions que le passage du temps a rendues plus ou moins caduques?), mais qui s'additionnent à une myriade d'autres "petits gestes", à des propos et à des décisions plus importantes, pour dessiner une physionomie de l'Eglise résolument "nouvelle".

Pape François : l’”université rebelle” du Pérou peut à nouveau s’appeler “pontificale” et “catholique”


Giuseppe Nardi
www.katholisches.info
16 août 2016
Traduction d'Isabelle

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(Rome) En Amérique latine, le pape François poursuit la réhabilitation sans contre-partie de personnes et d’institutions, faisant fi des sanctions imposées par le Saint-Siège – particulièrement sous Benoît XVI – pour graves errements en matière de doctrine ou de discipline ecclésiastique.


RÉHABILITATION D’ARIEL ÁLVAREZ VALDÉS
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Voici seulement quelques semaines, le pape a réhabilité son compatriote, le théologien argentin Ariel Álvarez Valdés (cf. www.elliberal.com.ar). Le conflit entre Álvarez Valdés et le Saint-Siège a duré plus de douze ans. Lorsque ce représentant du rationalisme biblique suivant les traces du luthérien Rudolf Bultmann, et qui enseignait alors au Chili, refusa de prendre ses distances vis à vis de thèses hétérodoxes (voir ICI – en espagnol – ce qui lui est reproché) en dépit de demandes répétées, il se vit retirer sa “licentia docendi” (permission d’enseigner). En réaction à cette condamnation, Álvarez renonça à son sacerdoce et se présenta comme “victime” d’une “méthode répressive de persécution” de la part de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Pour sa réhabilitation, Ariel Álvarez Valdés n’a dû corriger aucune de ses neuf thèses incriminées par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. La réhabilitation par le pape François s’est accomplie unilatéralement et sans contre-partie. Sans que soit jamais évoquée une question de fond.


RÉHABILITATION DE CICERO ROMAO BATISTA
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En décembre 2015, le pape François a réhabilité le prêtre brésilien excommunié Cicero Romao Batista (1844-1934) https://fr.wikipedia.org/wiki/Padre_C%C3%ADcero . Romaro Batista avait été excommunié en 1891 pour rébellion contre la discipline ecclésiastique. Dans son évêché d’origine, on lui reprochait d’avoir fabriqué un faux miracle eucharistique. Après son excommunication, social-chrétien convaincu, il s’engagea dans l’action politique et se retrouva impliqué dans la lutte entre libéraux et catholiques. Néanmoins, la vénération que lui vouait le peuple ne cessa de grandir dans sa région d’origine, l’état Ceara au Nord-Est du Brésil. En 1974, il fut déclaré saint par l’ “Eglise Brésilienne Apostolique”, une église schismatique. Dans le cas de Romao Battista, la secrétairerie d’Etat du Vatican informa l’évêque d’une erreur de procédure : le décret d’excommunication de 1891 n’aurait pas été exécuté correctement, de sorte que Romao Battista n’aurait jamais été excommunié. Dans ce cas encore, le pape François a renoncé à toute discussion sur le fond.

A cela s’ajoute une série de signes d’un rapprochement avec la théologie de la libération, comme la visite du pape François, en juillet 2015, sur la tombe du jésuite marxiste Luis Espinal Camps, en Bolivie, et la béatification contestée de l’archevêque Oscar Romero, en mai 2015, à San Salvador. Le pape François a reconnu, comme un martyre in odium fidei, la mort de l’archevêque, assassiné dans son église par un des soldats de la dictature militaire de l’époque. C’est précisément ce point que son prédécesseur Benoît XVI avait mis en doute, suspendant la procédure de béatification.


L’EX “UNIVERSITÉ PONTIFICALE CATHOLIQUE DU PÉROU”
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Vendredi dernier, le 12 août 2016, l’ex “Université Pontificale Catholique” du Pérou, a fait savoir, par un communiqué de presse, qu’elle a de nouveau le droit de s’appeler officiellement “catholique” et de porter le titre honorifique d’université “pontificale”.

La Pontificia Universidad Catolica del Peru (PUCP) est la plus ancienne université privée du pays latino-américain. Environ 25 mille étudiants y sont actuellement inscrits. Elle fut fondée en 1917 par le Père Jorge Dintilhac SSCC (Congrégation des Sacrés Coeurs de Jésus et Marie et de l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement), originaire d’Arnstein, comme université catholique, dans le but délibéré de contrer la pression idéologique libérale de l’état. Dintilhac en fut le recteur-fondateur et marqua l’institution jusqu’à sa mort en 1947. En 1942, le pape Pie XII récompensa son oeuvre par la reconnaissance comme “Université pontificale”. Le grand chancelier en était l’archevêque en titre de Lima.

Depuis les années 60, Gustavo Guttierez, qui a fondé et donné son nom à la théologie marxiste de la libération enseignait à l’université. Des conflits avec l’autorité ecclésiastique éclatèrent du fait de différentes initiatives et de certains enseignants. Sous l’épiscopat de l’archevêque de Lima et primat du Pérou, le cardinal Juan Luis Cipriani Thorne , le conflit se durcit. Le cardinal, en tant que grand chancelier, reprocha à l’université de ne plus se distinguer des universités laïques ni par ses activités ni par son enseignement et la somma de retrouver le profil catholique perdu. Le cardinal renvoyait à Ex corde Ecclesiae, la Constitution sur l’enseignement supérieur, promulguée en 1990 par le pape Jean-Paul II
et demandait son application.


UN PROFIL CATHOLIQUE INSUFFISANT
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Comme le recteur Marcial Antonio Rubio Correa, qui fut ministre de l’enseignement après la destitution du président Alberto Fujimori, faisait la sourde oreille, une enquête fut ouverte par le Vatican. En 2012, le pape Benoît XVI envoya un visiteur apostolique, le cardinal Peter Erdö, archevêque de Eztergom-Budapest. Comme les requêtes de celui-ci n’eurent pas d’effet, le Vatican mit l’université devant un ultimatum, en vue de la mise en application des dipositions de 1990. Après l’expiration de cet ultimatum, l’université se vit retirer sa reconnaissance comme institution d’enseignement supérieur “pontificale” et “catholique”.

Le recteur Rubio Correa persista néanmoins dans la confrontation et déclara qu’il garderait la dénomination complète Pontificia Universidad Católica del Perú parce que c’était là le nom de l’université tel qu’il était reconnu et enregistré par l’Etat péruvien, indépendamment du droit de l’Eglise. Dans les publications catholiques, on faisait, depuis lors, précéder d’un “ex“ le nom de l’université.

Quatre ans plus tard, tout a pris un tour différent. Le pape François a fait savoir à la conférence épiscopale péruvienne, par l’intermédiaire du cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin que l’Université pouvait à nouveau s’appeler “pontificale “ et “catholique”. Les évêques devaient réintégrer les plus hautes instances de l’université. Le 12 août, la Conférence épiscopale a exécuté le souhait du pape. Une délégation officielle a rendu visite au rectorat pour communiquer officiellement la décision pontificale. Le recteur est toujours le juriste Marcial Antonio Rubio Correa.


LE GRAND PERDANT : LE CARDINAL CIPRIANI THORNE
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D’une application de la Constitution Ex corde Ecclesiae de 1990 ou d’un renforcement du profil catholique, il n’est désormais plus question. Avec prise d’effet immédiat, cinq évêques ont occupé un siège avec droit de vote au sein des instances de l’université; parmi eux figure le président de la conférence épiscopale péruvienne, Salvador Piñeiro García-Calderón, archevêque de Ayacucho o Huamanga.

Le recteur Rubio Correa s’est dit “extrêmement heureux” et a diffusé, via le service de presse de l’Université, une photo de lui-même avec les cinq évêques (photo).

En août 2012, les évêques avaient encore défendu le cardinal Cipriani Thorne contre des “accusations non fondées”, répandues par les médias qui soutenaient le combat du rectorat contre l’Eglise. Les évêques déclaraient alors vouloir protéger les étudiants “qui voulaient conserver à l’université leur identité catholique”. Quatre années plus tard, leur “identité catholique” ne semble plus être en danger.

Le grand perdant de ce conflit est, outre la crédibilité de l’Eglise et un profil catholique bien affirmé, le cardinal Cipriani Thorne, que le pape François n’a pas associé à sa décision. Le public a ainsi l’impression que le primat du Pérou, de concert avec Benoît XVI, a provoqué gratuitement un conflit absurde, puisqu’il n’y avait manifestement aucune raison de retirer ses titres à l’université.

Le cardinal Cipriani Thorne, membre de l’Opus Dei, est soumis, depuis l’élection du pape François, à de fortes pressions à l’intérieur de la conférence épiscopale péruvienne. Les nouveaux évêques nommés par François ont, pratiquement sans exception, une vision de l’Eglise différente de la sienne. Par sa personnalité et son intelligence, le cardinal demeure, certes, la figure marquante de l’Eglise catholique de son pays, mais il est est de plus en plus isolé. C’est un secret de polichinelle qu’un groupe de ses confrères dans l’épiscopat aspire à son éméritat. Le cardinal aura 75 ans à la fin du mois de décembre 2018.