L'Afrique de Benoît l'européen


Le Saint-Père qualifiait en 2009 l'Afrique d'«immense poumon spirituel» de la planète. Excellente et très fine analyse lue sur un site italien, qui fait justice d'une réputation d'eurocentrisme que lui ont faite les médias (12/8/2016)


Aujourd'hui [...], alors que dans les pays de sa grande histoire, le christianisme à bien des égards est devenu fatigué et que certaines branches du grand arbre grandi à partir de la graine de sénevé de l'Évangile sont devenues sèches et tombent sur le sol, de la rencontre avec le Christ des religions en attente vient une nouvelle vie. Là où auparavant, il n'y avait que fatigue, de nouvelles dimensions de la foi se manifestent et apportent la joie .

(21 octobre 2014, "lectio" de Benoît XVI à l'Urbanienne, sur le thème "Religions et missions")


J'avais trouvé ce dessin en mars 2009 sur France Catho lors du lynchage médiatique qui avait suivi les propos du Saint-Père sur le préservatif dans l'avion vers le Cameroun (pages spéciales
ICI)

L'Afrique de Benoît l'européen


11 août 2016
Nico Spuntoni
www.lintellettualedissidente.it

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Parmi les critiques injustes avancées contre Benoît XVI, l'une des plus courantes est d'avoir été un pape eurocentrique.
D'autre part, il est indéniable que Ratzinger, avec ses rappels aux racines chrétiennes et son insistance sur son rôle de berceau du catholicisme, a montré une prédilection particulière pour le Vieux Continent. Mais c'est une affection pleine d'amour, la même que celle d'un père envers son fils aîné qui a pris la mauvaise route. Au cours de son pontificat, ce regard paternel sur l'Europe n'a pas diminué l'importance du reste du monde, contrairement à ces détracteurs qui, l'accusant de négliger les "continents périphériques" ont explicité leur logique fortement eurocentrique. Tout en étant engagé avec ténacité à empêcher l'expulsion du catholicisme de ce qui était autrefois sa maison la plus ancienne, Ratzinger s'est démontré conscient du rôle de premier plan auquel sont inévitablement destinés les autres continents dans l'histoire future de l'Eglise. Ce que confirme l'attention accordée à l'Afrique dans les 8 années de son pontificat. La définition hautement symbolique d'«immense poumon spirituel» [ouverture du Synode pour l'Afrique, 4 octobre 2009 ] photographiait à la perfection une réalité confirmée par les chiffres: entre 1979 et 2013, les catholiques africains sont passés 55 à 206 millions, à un rythme plus élevé que la croissance de la population elle-même.]

Célébrant en 2007 l'anniversaire de Fidei Donum, l'encyclique (de 1957) avec laquelle le pape Pie XII invitait les diocèses européens à envoyer des missionnaires dans les églises africaines encore pauvres en prêtres, Benoît XVI saluait le succès de cette expérience en notant comment la situation était inversée par rapport à celle d'il y a 40 ans: l'Afrique incarne désormais la locomotive entraînant le catholicisme qui au contraire recule sans cesse dans son ancien fief. Préoccupé par la dérive de déchristianisation entreprise par ce qui était autrefois le réservoir mondial des vocations, le Pape théologien a identifié dans le programme de Nouvelle Evangélisation la dernière possibilité de guérison, confiant justement à l'Eglise africaine, si irrésistiblement vivante, la tâche de l'administrer au vieux continent malade. La Nouvelle Evangélisation des peuples d'antique christianisation représente le processus inverse de Fidei donum de Pie XII, un acte de reconnaissance de la part de l'élève qui a réussi à son maître déclinant et l'occasion de mettre en pratique, une fois de plus, la nature missionnaire intrinsèque à l'Eglise.

Démentant un stéréotype occidental qui le réduit à un concentré exotique d'exhibitions folkloriques, Benoît XVI a également exprimé son appréciation pour le style liturgique des Eglises africaines. Des célébrations eucharistiques vécues au cours de ses deux visites sur le continent, Ratzinger a voulu souligner l'ivresse mystique et le sens de la sacralité qui permettent de percevoir au mieux la présence divine constante au milieu de l'humanité. À cet égard, il est significatif que le plus grand interprète de la «réforme de la réforme» inaugurée par Ratzinger, destinée à restaurer l'interprétation authentique du renouveau liturgique conciliaire marquée par la continuité avec la tradition et non par la rupture, soit un cardinal guinéen, Robert Sarah.

Le rapport de Ratzinger avec l'Afrique n'est venu sous les projecteurs des médias occidentaux superficiels que pour les mots sur le préservatif jugé insuffisant pour éradiquer le sida, position par ailleurs en conformité naturelle avec la vision de la morale catholique sur la sexualité. La dénonciation des maux concrets qui affligent le continent noir, attribués à des destinataires nullement génériques - multinationales, politiciens locaux et institutions financières internationales - aurait méritée d'être plus soulignés. Désavouant ceux qui ont essayé de le désigner comme le chef de file du choc des civilisations, Ratzinger a proposé un accord aux dirigeants islamiques, fondée sur la rencontre de la foi et de la raison, contre les ennemis les plus redoutables: le néo-libéralisme, le matérialisme et le relativisme. Toutes «valeurs» qui ont causé la crise culturelle actuelle de l'Occident et que ce dernier, inconsidérément, voudrait exporter dans l'«immense poumon spirituel» de la planète. Avec clarté et franchise, sans cette patine paternaliste typique en revanche des bien-pensants (buonisti) qui parlent du Tiers-Monde, l'européen Ratzinger a exhorté les Africains à prendre conscience du patrimoine dont ils disposent, démographique et vocationnel avant tout, afin de prendre en main non seulement leur propre avenir, mais aussi celui du monde et de l'Eglise.