"Mon" Ratzinger (II)


Suite et fin de la présentation de la biographie d'Elio Guerriero "Benedetto XVI, Servitore di Dio e dell’umanità" par le Père Lombardi (4/10/2016)

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"Mon" Ratzinger (I)



Dans cette partie, la plus belle de l'exposé, après avoir rappelé la longue et fructueuse collaboration entre les deux "géants" Ratzinger et Wojtyla, le Père Lombardi nous confie quelques souvenirs personnels, couvrant une large période, allant de ses années d'étudiant en théologie en Allemagne à celles de la direction de la Salle de Presse du Saint-Siège.

L'exposé du Père Lombardi (deuxième partie)

Rome, 27 septembre 2016
www.fondazioneratzinger.va


UN FORMIDABLE DUO


Le cardinal Ratzinger a été appelé par le pape Wojtyla à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avec beaucoup de détermination. La résistance de Ratzinger, dûe à son sens des responsabilités pour l'engagement de gouvernement pastoral de l'archidiocèse de Münich reçu peu de temps auparavant de Paul VI, doit se plier à la claire volonté du nouveau pape. Commence ainsi cette très longue collaboration avec Jean Paul II dans la responsabilité de la direction de l'Eglise universelle, près de 24 ans, qui aura un rôle très important dans l'un des plus longs pontificats de l'histoire et qui suggérera au collège des cardinaux le choix naturel pour le nouveau pape justement dans la personne du Préfet de la CDF et doyen du Collège. Même dans les moments de difficulté et de fatigue physique du Préfet, quand à plusieurs reprises fait irruption la pensée de renoncer à la lourde tâche, Jean-Paul II lui fait comprendre qu'il ne prend absolument pas cette possibilité en considération.
La diversité, mais aussi la complémentarité des deux grandes personnalités de Wojtyla et Ratzinger et leur harmonie spirituelle profonde et sans fissures nous suggère de parler d'un «formidable duo». À certains égards, il est difficile de penser à l'un sans l'autre.
Parmi les nombreuses interventions importantes d'orientation doctrinale de l'Église de Jean-Paul II, auxquelles le préfet donna sa contribution, je voudrais en rappeler en particulier deux, parmi les plus discutées, la fameuse Instruction sur la théologie de la libération et la Déclaration Dominus Iesus.
Guerriero nous aide à bien comprendre qu'il n'était pas question ici d'être progressiste ou conservateur, ouvert ou fermé, mais le pape et le Préfet considéraient qu'ils devaient prendre une position claire et forte pour éviter une dérive inacceptable pour la foi de l'Église qui, dans le cas des courants les plus radicaux de la théologie de la libération, risquait d'être dénaturée par la contamination de l'idéologie marxiste matérialiste. Dans le cas de Dominus Iesus, il s'agissait en revanche de réaffirmer sans ambiguïté la foi de l'Église en Jésus le Sauveur, dans le cadre du Grand Jubilé du deuxième millénaire, face au relativisme endémique. Sur cet accord solide entre le Pape et le Préfet, dans ses «Dernières Conversations», récemment publiées, Benoît a raconté un épisode savoureux qui se réfère justement à Dominus Iesus, durement critiquée comme gravement négative pour le dialogue interreligieux et l'œcuménisme. Jean-Paul II, après les critiques et les insinuations sur une divergence de pensée entre le Pape et le Préfet, voulut manifester "sans équivoque" son plein soutien au document, il demanda donc au cardinal de lui préparer un texte dans ce sens, à prononcer lors de l'Angelus dominical, ce que Ratzinger fit, mais sous une forme trop «recherchée», de sorte qu'à la fin, «ils ont tous dit: "Ah, même le Pape a pris ses distances avec le cardinal!" »(p.163).
Guerriero nous rappelle aussi l'indubitable et principal «succès» de nature positive et propositive du service de Ratzinger à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi durant le pontificat de Jean-Paul II avec la publication du Catéchisme de l'Eglise catholique. Vu avec méfiance et critiqué par beaucoup au moment de sa préparation, mais accueilli avec une grande satisfaction et un grand consensus par la grande majorité de la communauté catholique, il est considéré comme un quasi «miracle», une contribution inestimable pour aider la communauté ecclésiale à retrouver la sérénité après la période prolongée de confusion et de désorientation du post-Concile. En passant, nous pouvons rappeler avec quelle décision et naturel François cite le Catéchisme quand il doit indiquer la position de l'Eglise catholique pour discuter des questions actuelles (comme l'homosexualité).

UN TÉMOIGNAGE


A propos de la période de la papauté de Benoît XVI un témoignage un peu plus personnel de ma part est peut-être opportun et souhaité ici. Mais j'insiste que je suis d'autant plus libre d'exprimer quelques impressions personnelles, que je peux les placer sur l'arrière-plan d'une présentation plus large et complète, comme l'est celle de Guerriero, que je partage en substance.
Je rappellerai donc quelques moments du Pontificat qui m'ont fait me sentir plus impliqué personnellement et plus spirituellement proche de Benoît XVI. J'en rappellerai quatre.


¤ Avant tout, la Lettre aux évêques après la levée de l'excommunication des lefebvristes et l'«affaire Williamson».
C'est un document totalement sincère et personnel. Le Secrétaire, Mgr Gänswein, m'en parlait encore avant la publication comme d'un document dans lequel on trouve - dirions-nous - «du pur Ratzinger». Un témoignage d'humilité, prenant acte de ce qui était erroné, mais sans décharger sa responsabilité sur ses collaborateurs. Une défense passionnée de la pureté et du sérieux de ses intentions et de la cohérence de son engagement à long terme, à la fois dans le sens des relations avec le judaïsme, et dans le sens de l'unité visible de l'Eglise. Il était vraiment et spectaculairement injuste d'ignorer ses importantes contributions au dialogue avec le judaïsme au niveau profond et substantiel de la réflexion théologique. Et il était injuste de ne pas lui donner acte de sa gestion rigoureuse de la longue histoire des relations avec les lefebvristes déjà au cours de son service en tant que Préfet, selon les indications de Jean-Paul II. Une réponse courageuse à ceux qui saisissaient l'occasion d'un passage difficile pour renouveler la critique malveillante. J'observe que j'ai toujours été frappé par cette sincérité concrète de Ratzinger en se référant sans crainte à la polémique et à des attaques qu'il considérait injustes contre lui; c'est un aspect qui est également revenu dans les entretiens avec Seewald: je pense que c'est un acte de sincérité cohérent avec sa volonté d'affronter en personne et sans ambiguïté les questions difficiles, à la fois dans le domaine doctrinal et dans celui personnel. Mais dans le rappel final de la lettre, des paroles de saint Paul qui s'adresse aux communautés chrétiennes divisées entre elles, l'esprit de l'appel de l'apôtre résonne avec une totale actualité.
Guerriero note que ce noble «appel» du pape aurait dû recevoir une grande appréciation, mais a en même temps donné le sentiment d'une certaine solitude de Benoît XVI, pas suffisamment aidé par ses collaborateurs à préparer ses décisions avec l'information préalable adéquate, et pris agressivement pour cible lors d'une passe difficile. Mon but ici n'est pas de recommencer une fois de plus à analyser les circonstances dans lesquelles est née l'affaire «Williamson et les lefebvristes» mais de mettre en évidence le courage de s'exposer à la première personne et la qualité morale et évangélique des arguments et de l'auto-défense d'un Pape qui, à la fois dans sa vie précédente, et au temps de son ministère pétrinien, a expérimenté de nombreuses fois la souffrance de la critique et des attaques.


¤ Un autre aspect peut-être moins évident pour le grand public, mais qui à plusieurs reprises m'a profondément impressionné, est la grande attention et la délicatesse envers les personnes, le désir de manifester compréhension, humanité et charité, même dans des situations difficiles, où il est nécessaire d'intervenir avec des décisions désagréables, qui causent de la souffrance. Il faut toujours chercher à guérir les blessures et à inspirer la réconciliation et la paix.
Personnellement, je considère comme un témoignage éminent de cette attitude paternelle un communiqué que je ne peux pas oublier.
Il a été publié en tant que Communiqué de la Salle de presse, mais en réalité, il avait été rédigé du premier au dernier mot par le pape Benoît à l'occasion de l'audience qu'il avait accordée à un évêque démissionnaire, qui avait dû renoncer à la suite d'événements et de tensions graves. Cela avait été un processus particulièrement douloureux, auquel le Pape voulait mettre enfin un terme. Le Communiqué dit donc entre autres choses: «L'évêque X a souligné qu'il avait toujours essayé de remplir son ministère épiscopal de bon gré et de manière consciencieuse. Mais en toute sincérité et humilité, il a aussi confirmé qu'il reconnaissait avoir commis des erreurs et des fautes, qui ont provoqué une perte de confiance et rendu sa démission inévitable. Il a de nouveau demandé pardon pour toutes ses erreurs, mais il demande à juste titre que, face à ses erreurs, on n'oublie pas tout le bien qu'il a fait. Le Saint-Père a exprimé l'espoir que la demande de pardon trouve des oreilles et des cœurs ouverts. Après une période de polémiques souvent hors de mesure, le Pape appelle à la réconciliation, une nouvelle acceptation mutuelle dans l'esprit de miséricorde du Seigneur et dans l'abandon confiant à sa direction. Surtout, aux confrères dans le ministère épiscopal, le Souverain Pontife demande d'offrir à l'évêque X plus que par le passé leur proximité amicale, leur compréhension et leur aide pour trouver le bon chemin». - Le pape ajoute quelques mots pour le diocèse et conclut: - «Dans une période de conflit et d'insécurité, le monde attend des chrétiens le témoignage de concorde que sur la base de leur rencontre avec le Seigneur ressuscité, ils sont en mesure d'offrir et dans lequel ils s'aident les uns les autres ainsi que l'ensemble de la société pour trouver la voie juste vers le futur» [ndt: il s'agit de l'épisode rapporté ICI. On notera qu'à l'époque, en 2010, Magister qualifiait le cardinal Marx de conservateur!]
Au cours des années passées à la Salle de presse, j'ai publié des communiqués de tous genres et de tous niveaux, pansés et écrits par moi, demandés ou reçus de diverses instances du Secrétariat d'Etat ou de Dicastères, etc. Cette fois j'ai publié avec beaucoup d'émotion un communiqué qui a été écrit mot pour mot avec beaucoup de délicatesse et d'attention par le Pape lui-même. Sachant quelle longue et douloureuse histoire l'avait précédé, et comment le Pape s'était personnellement engagé pour y mettre fin sous le signe de la miséricorde et de la réconciliation, je l'ai beaucoup admiré et je ne l'ai jamais oublié.


¤ L'engagement personnel, dans l'humilité et la charité, a encore brillé dans un autre genre de circonstances dont j'ai personnellement été témoin, et ou j'étais profondément impliqué. Il s'agit des rencontres avec les victimes d'abus sexuels commis par des membres du clergé. De cela aussi Guerriero parle dans sa biographie et je pense qu'il est bon de le rappeler expressément.
A l'évidence, la question des abus sexuels a été l'une des réalités les plus douloureuses qui ont marqué le pontificat de Benoît XVI. Guerriero l'appelle «véritable croix» du pontificat, et je pense qu'il a raison. Mais nous devons garder à l'esprit que pour Ratzinger c'est non seulement la croix de la période du pontificat, mais déjà d'une bonne partie de la période passée comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, étant donné qu'une grande partie de cette problèmatique était adressée à la Congrégation, et son préfet, de plus en plus conscient de la gravité et de la complexité de la matière, a joué un rôle clé, avec le Pape Jean-Paul II, dans le transfert de la compétence à la Congrégation de la quasi-totalité des situations les plus graves, de manière à assurer un traitement rigoureux et cohérent, qui ne soit pas dispersé entre les différents Dicastères avec des critères de diversité inévitables et risqués.
Les mérites du cardinal Ratzinger Préfet, puis du pape Benoît XVI, dans l'aide à la communauté de l'Eglise et la conduite de cette communauté afin de faire face aux crises et aux tempêtes liées à la venue à la lumière du fléau de la violence sexuelle, en particulier par des membres du clergé, ont déjà été mis en évidence à plusieurs reprises, à travers les réponses appropriées et documentées qui étaient données à des attaques récurrentes visant paradoxalement à le présenter comme co-responsable de la culture de la dissimulation et de l'hypocrisie dans l'Eglise.
Je n'ai pas l'intention de refaire ici l'histoire de son engagement en rappelant les nouvelles réglementations introduites, les multiples interventions, la fameuse lettre aux catholiques d'Irlande, qui parlait en fait à toute l'Eglise ... Une bonne synthèse de tout cela a été présentée récemment par Roberto Regoli dans son livre sur le pontificat de Benoît XVI (Oltre la crisi della Chiesa, Lindau 2016). Je préfère témoigner de la sincérité de son implication humaine et chrétienne pour trouver des voies appropriées de pénitence, de conversion, de purification, qui donnent leur véritable sens aux procédures et aux dispositions et mesures juridiques de poursuite des délits, et sont le prérequis pour une culture chrétienne renouvelée de prévention des abus.
Dans le cri resté célèbre «combien de saleté dans l'Eglise», qui avait résonné dans la dernière Via Crucis du pontificat wojtylien, se reflétait l'expérience douloureuse du Préfet de la Congrégation auquel arrivait de toutes les parties du monde les informations sur les délits et les crimes les plus graves, contrastant horriblement avec la sainteté à laquelle les chrétiens sont appelés.
Nombreuses ont été les demandes de pardon, moments forts de beaucoup de discours. Mais l'acte le plus typique et expressif de l'attitude d'humilité et de participation personnelle au chemin de conversion a certainement été celui des rencontres personnelles avec les victimes d'abus. Dans un certain sens, cet acte s'imposait pour répondre de manière crédible à la critique, souvent fondée, que les supérieurs ecclésiastiques avaient montré dans le passé plus d'attention aux membres du clergé qu'à la souffrance et à la protection des victimes. Benoît s'en rendit bien compte, et voulut indiquer aux évêques et à l'Eglise que la voie correcte à suivre ne pouvait commencer qu'en écoutant et en partageant les souffrances des victimes. Comme nous le savons, Benoît XVI a été disposé à rencontrer en personne des groupes de victimes dans plusieurs de ses voyages apostoliques. A commencer par Washington (2008), pour continuer avec Sydney (2008), Londres et Malte (2010), Erfurt en Allemagne (2011), dans pratiquement chaque pays où il se rendait, si le problème des abus était vivant dans l'expérience de l'Eglise et de l'opinion publique, le pape était prêt à la rencontre avec les victimes.
Je me souviens bien de l'attente des médias, et de combien il était délicat et important de s'assurer que cette rencontre fût préparée et protégée, de manière à avoir toute sa vérité et son intensité humaine et spirituelle, évitant sa dénaturation et sa réduction à une nouvelle sensationnelle, même si cette nouvelle était inévitable et même utile et nécessaire pour diffuser un message positif.
Je me rappelle bien la simplicité et la délicatesse de l'attitude d'écoute et de l'émotion du Pape, et son invitation à la prière. Ce n'était en rien un acte formel, un élément d'une stratégie de communication pour surmonter la crise. C'était chercher à entrer en syntonie avec la souffrance des victimes pour accompagner conjointement le long et difficile chemin de la guérison intérieure. C'était prendre sur soi la souffrance de la conversion et de l'engagement de purification que Benoît demandait non seulement aux auteurs individuels ou co-responsable des fautes, mais à la communauté de l'Église toute entière. Parce que chaque vraie conversion, chaque passage du mal au bien est douloureux et a un prix à payer. Benoît XVI a payé sa part du prix comme Préfet et comme Pape, et il nous a donné le bon exemple, parce que nous le fassions nous aussi. Ainsi, le chemin de conversion est crédible. Certes, l'image de l'Eglise avait été détruite, mais le problème plus profond n'était pas de nettoyer l'image, ou d'instaurer une nouvelle rigueur et une nouvelle efficacité des procédures, pour nécessaire que cela fût; c'était de renouveler à partir du cœur. Ce n'était pas de reprocher à d'autres d'être aux aussi des pécheurs, mais de reconnaître que nous le sommes et que nous devons nous convertir parce que nous sommes appelés à la sainteté. Sur ce point les mots et les attitudes de Benoît n'ont jamais laissé le moindre doute et c'est pourquoi j'ai toujours pensé que la communication de l'Eglise de Benoît, pour autant qu'elle dépendait de moi, devait s'inspirer des mêmes attitudes intérieures.
Si maintenant l'Église, sous la direction du Pape François peut continuer avec plus de sécurité et de confiance à parcourir le chemin positif de la prévention des délits et de la diffusion toujours plus large de la culture de la prévention et de la protection des mineurs, elle le doit dans une mesure non négligeable à l'effort spirituel personnel de Benoît et à la crédibilité de son action.


¤ Mais il ne serait pas juste que mon témoignage personnel s'entretienne uniquement ou même seulement principalement des aspects qui semblent ou sont douloureux. En réalité, en suivant le pontificat de Benoît XVI mon admiration pour lui a continué à augmenter en particulier pour le ton élevé et élevant de son langage théologique spirituel.
Guerriero dans la très belle page sur les premiers cours de Ratzinger au séminaire de Freising raconte cette histoire à propos de l'un des étudiants du jeune nouveau professeur. Il disait: «Avant tout, sa langue était fascinante. C'était un langage fascinant et complètement nouveau ... Durant les vacances, j'ai littéralement appris par cœur les cours transcrits, juste pour me plonger dans cette langue». Et puis il y avait le cheminement de la pensée, que le même étudiant appelait «méditativo-réflexif», né de sa profonde spiritualité fondée sur l'Ecriture et les Pères. Et il se souvenait encore du cours d'introduction de Ratzinger à Freising sur la vérité. La vérité est une personne, selon Ratzinger, et on rrive à elle avec l'amour (p.57).
Personnellement, jeune étudiant de théologie en Allemagne, j'étais aussi fasciné par l'«Introduction au christianisme», le livre peut-être le plus heureux de Ratzinger, un best-seller extraordinaire, capable de susciter goût et enthousiasme pour la vision chrétienne du monde, de l'histoire, de la vie; je dévorais les tirages de son cours d'ecclésiologie sur l'Eglise et le Royaume de Dieu, qui circulaient largement dans les facultés de théologie, et pendant les vacances, j'avais couru de Francfort à Salzbourg pour entendre une semaine de conférences de Ratzinger dans le cadre du cours estival pour les étudiants de la "Salzburger Hochschulwochen". Ratzinger était alors dans la pleine maturité de son travail universitaire, récemment arrivé à Ratisbonne, et il était certainement l'un des professeurs les plus populaires en Allemagne: salles bondées et attention admirative pour la clarté, la profondeur et la qualité du langage.

Durant le pontificat, il y a eu deux types de magistère de Benoît XVI auxquels on n'a peut-être n'a pas consacré une grande attention, les considérant d'importance mineure, mais pour lesquels j'ai éprouvé à nouveau le sentiment d'admiration qu'avait suscité en moi le brillant professeur d'il y a quelques décennies: les catéchèses du mercredi et les homélies.
A juste titre Guerriero revendique l'importance des catéchèses de Benoît XVI, en particulier du grand cycle sur les Saints. Dans les premières années de son pontificat, en écoutant les catéchèses, je me suis souvent dit qu'elles étaient un service exceptionnel à l'élévation de la culture et de la spiritualité du peuple chrétien, et que c'était un nouveau «Père de l'Église» qui parlait. Mais celles qui m'ont touché et encore plus fasciné, c'étaient les homélies, beaucoup des homélies du Pape Ratzinger à l'occasion des célébrations publiques au Vatican et des voyages à l'étranger. Il me semble que, dans beaucoup d'entre elles, la synthèse vivante de la pensée théologique, de la réflexion sur le mystère représenté dans la célébration liturgique et sur la vie chrétienne et la spiritualité qui en dérive, atteint un niveau que nous pouvons dire à la fois très haut et très profond. Il m'est venu à plusieurs reprises presque naturellement d'utiliser à cet égard le terme «sublime», un mot qui doit être utilisé avec parcimonie et prudence, mais qui dans certains cas d'élévation spirituelle peut être approprié. Je suis très frappé par le fait qu'aujourd'hui encore, comme il ressort des «Dernières conversations», la préparation de l'homélie du dimanche pour la toute petite «famille» du monastère Mater Ecclesiae, est pour Benoît le fruit de la prière et de la méditation de la Parole de Dieu durant toute la semaine.
On touche de la main, on comprend alors que l'attention et l'importance données par Ratzinger à la liturgie, du début de son expérience de croyant jusqu'au stade actuel final de sa vie, de style monastique, «bénédictin», ne concerne pas un ensemble de rites extérieurs, mais l'expérience vivante de la participation au mystère de Jésus, présent au milieu de sa communauté, qui rencontre le Seigneur crucifié et ressuscité en rompant le pain eucharistique. Il le vit précisément comme cela. Ce n'est pas un hasard s'il insiste pour placer la croix au centre.
Et ceci peut nous offrir une clé intérieure et unificatrice de lecture et de compréhension qui s'élargit à d'autres aspects caractéristiques de l'enseignement et de la sensibilité de Ratzinger, comme l'appréciation pour la valeur de l'art et en particulier de la musique dans le contexte de la liturgie mais aussi au-delà. A juste titre, Guerriero consacre à tout cela des pages significatives. La considération de la liturgie, en continuité avec celle de la beauté, est encore une ligne profondément ratzingérienne: «La rencontre avec la beauté peut devenir le coup de la fléche qui blesse l'âme et de cette façon lui ouvre les yeux ...» - affirme le Cardinal préfet dans un message au Meeting de Rimini de 2002 -. Revient à l'esprit la vieille définition de la beauté comme «splendeur de la vérité», Veritatis Splendor. Et encore une fois, dans le même message: «J'ai souvent dit ma conviction que la véritable apologie de la foi chrétienne, la démonstration la plus convaincante de sa vérité contre toute négation, sont d'une part les Saints, de l'autre la beauté que la foi a engendrée».
Un écho de tout cela semblait résonner en écoutant beaucoup des homélies de Benoît XVI.

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Je voudrais terminer ici mon discours-témoignage.
Trop de choses pourraient encore être dites, dont la belle biographie de Guerriero, nous suggérerait de parler. Mais d'autres occasions ne manqueront pas, comme le désormais proche 90e anniversaire de Benoît XVI, ou la prochaine publication de plusieurs volumes des Opera Omnia en italien, celui sur le Concile ou celui sur saint Bonaventure, et ainsi de suite.
La biographie, comme je l'ai dit au début, est une contribution essentielle pour avoir une vue d'ensemble unitaire de la très vaste richesse de pensée et d'orientation que Benoît XVI nous a donnée.

Fin