Un livre qui déconstruit la vieille image du Pape


Traduction de l'exposé de Mgr Gänswein lors de la présentation de "Dernières conversations" avec Peter Seewald le 12 septembre à Münich (15/9/2016)

>>> Ici le reportage d'Angela Ambrogetti:
Benoît XVI, le "petit prince" de Georg Gänswein



Le secrétaire du Pape revisite longuement le contenu du livre.
Le texte original en allemand est ici: de.catholicnewsagency.com.
Il a été traduit en anglais sur le blog d'Edward Pentin.

C'est cette version que je traduis en français ici.
Je précise que ce n'est pas du mot à mot. Je m'arrache les cheveux depuis hier en essayant de traduire du mieux que je peux dans un français présentable (???) l'anglais... quelque peu torturé du traducteur d'Edward Pentin.

Les soulignements sont de moi.

Le discours de Georg Gänswein

Mesdames et Messieurs!

Il y a exactement dix ans aujourd'hui - exactement à cette heure - le pape Benoît XVI prononça le discours du siècle à Ratisbonne, à son ancienne Alma Mater, citant un dialogue de 1391 sur le christianisme, l'islam et la vérité, entre l'empereur byzantin Manuel II et un Persan cultivé. Rétrospectivement, aujourd'hui, le discours semble prophétique à certains, bien qu'il ait aussi provoqué un tollé initial dans le monde islamique, provoquant les moqueries des journalistes occidentaux qui l'ont appelé le «pape professeur."

En fait, aujourd'hui l'Église catholique célèbre encore - comme elle l'a fait il y a dix ans - la fête du Très Saint Nom de Marie. C'est une commémoration de la victoire des armées chrétiennes de l'Europe dans la bataille de Vienne, qui arrêta la progression ottomane dans le monde occidental le 12 Septembre 1683 durant le pontificat du pape Innocent XI.

«En la fête du Nom de Marie, l'été dit amen» dit-on en Allemagne catholique, en particulier dans le pays, d'où je viens et où j'ai grandi et où le 12 Septembre avait également une importance juridique très concrète pendant des siècles. C'était la fin de la récolte et à partir de ce jour-là, les pauvres des environs étaient autorisés à recieillir le grain restant dans les champs récoltés.

Et peut-être ce dernier aspect est-il une occasion presque providentielle pour cette rencontre, où j'ai l'honneur de présenter le livre de Peter Seewald, "Dernières conversations" avec Benoît XVI, que j'ai servi depuis 2003 comme secrétaire privé et qui, après sa démission a révisé personnellement ce livre.

Maintenant une précision initiale peut être utile ici. Ces "Dernières conversations" ne sont pas un "hard talk" agressif dans le style de la BBC, et Peter Seewald n'a pas du tout essayé de "mettre sur le gril" journalistiquement Benoît XVI comme on dit dans le monde anglo-saxon des médias d'aujourd'hui. Au contraire, le livre contient le compte-rendu de conversations amicales avant et après la démission du pape dans une intense quête de souvenirs où deux personnalités très différentes, bien que bavaroises jusq'au bout des ongles - je suis autorisé à dire cela comme quelqu'un qui vient de la Forêt Noire - trouvent un terrain commun dans l'inflexion et le cœur. Peter Seewald a déjà interrogé le cardinal Joseph Ratzinger sur les grandes questions, il y a vingt ans pour "Le sel de la terre" et "Voici quel est notre Dieu", ainsi que le Pape Benoît XVI pour "Lumière du monde" il y a huit ans. Un nouveau livre de conversations, avec une sélection de questions curieuses que Seewald lui-même avait encore à poser, rejoint ces conversations importantes. Ces questions étaient dans un champ qui semblait déjà moissonné. Ce champ est la biographie de Joseph "Benoît" Ratzinger à laquelle Seewald travaille depuis des années, et qu'il se bat pour continuer.

A côté de nombreux détails déjà connus sur sa vie, les réponses du Pape émérite sont donc surprenantes en raison d'une nouvelle et très spéciale intimité qui empoigne le lecteur. Il y a aussi dans ce livre une parole presque rude - comme si nous entendions ici de la bouche du pape retiré quelque chose de la grande bouche de son adversaire, Hans Küng. Ou, surtout aujourd'hui ici sur la Munich Salvatorplatz, comme si nous entendions l'ex-archevêque de Munich et Freising parler sans filtre des «gens de Munich et de leur légère mégalomanie», que, d'après lui, ils «ont» vraiment. Ou lorsque nous voyons soudain de façon inattendue dans une autre séquence parler de la mère de Benoît XVI, née avant le mariage de ses parents, dont ils ont tous deux discuté franchement.

Ce ton décontracté donne à l'ouvrage une fluidité et une joie parfois presque enchanteresses, quand on peut lire entre parenthèses avant les réponses de Benoît XVI: «Il prend une profonde respiration», «Il respire profondément», «Il sourit», «Il rit», «il rit, amusé»... par exemple, à la question de Seewald si Joseph Ratzinger à l'époque du Concile a vraiment participé avec la Commission théologique à des "beuveries" dans le quartier romain du Trastevere.

Ainsi, il nous touche encore plus quand nous lisons de façon inattendue, entre parenthèses, «le pape pleure» avant que le vieil homme ne parle de cette heure du soir du 28 Février 2013, alors qu'il survolait les carillons de tous les clochers de Rome dans l'hélicoptère blanc qui volait vers Castel Gandolfo vers le crépuscule de sa vie. Puis, «J'ai su» dit-il, qu'à ce moment «en planant sur cela et en entendant sonner les cloches de Rome, j'ai su que je devais rendre grâce et que l'heure était à la reconnaissance. Cela m'a profondément ému».

Sur ce vol, j'étais assis à côté de lui et j'étais moi-même très bouleversé, comme le savent tous ceux qui ont suivi ces adieux sur l'écran. Et je sais que lui, contrairement à moi-même, n'a pas pleuré à ce moment, si je suis autorisé à divulguer cela ici, et j'ai encore dans l'oreille les cloches de Rome en dessous de nous lors de ce vol fatidique avant nous n'atterrissions à son aimé bien-aimé Castel Gandolf, où il a dit adieu une dernière fois en tant que pape sur le balcon du palais pontifical avec un "Buona sera" au peuple sur la place et à tous les catholiques du monde.

Pourtant, je dois honnêtement avouer qu'à certains endroits de la lecture, j'aurais pu être ému aux larmes en lisant encore et encore dans ces récits quel randonneur et marcheur passionné le vieux pape a été en son temps. «J'ai toujours bien marché», dit-il à un certain moment. «Je marchais beaucoup», dit-il à un autre. Il me vient à l'esprit - surtout aujourd'hui - que le randonneur fervent en est venu à faire, jour après jour, des pas de plus en plus petits. Après les derniers mois, personne n'a besoin de me prouver la signification positive de sa démission de sa charge si difficile. Parce que je vois chaque jour avec mes propres yeux, ce qu'aucun livre ne peut expliquer à mon esprit.

Ce livre donne-t-il aux lecteurs une nouvelle image de la personne-Benoît XVI?

Ici, je peux et dois me mettre hors course parce comme je le disais, il est tous les jours dans mon esprit, et presque tous les jours je pourrais écrire de nouveaux «derniers testaments» avec lui. Les anecdotes riches de fond des conversations de Seewald sont pour moi juste de la décoration. Mais la perception par le public de la personne-Benoît XVI sera néanmoins enrichie de nombreuses facettes surprenantes et révélatrices - et en fait le ton typiquement bavarois du "bavardage". Sous plus d'un aspect, ce livre complète et corrige la perception par de nombreux lecteurs du premier pontificat du troisième millénaire d'une façon dédétendue, et pourtant peut-être décisive.

Dans ce livre, il y a d'abord le lien entre les origines des raisons et motifs, et les circonstances exactes de la démission énigmatique de Benoît. Deuxièmement, sa relation avec son successeur, François. Troisièmement, son point de vue personnel sur les différentes crises et «scandales» de son pontificat, et, non le moindre aspect, la dimension profondément humaine de celui qui est probablement le dernier des monarques occidentaux au sommet de l'Eglise catholique. Pour lui, le pouvoir n'a jamais eu de signification, et il a qualifié de «temps le plus heureux» de sa vie ces douze mois et quelque après son ordination le 29 Juin 1951, quand il a travaillé pendant un an comme jeune vicaire paroissial à la paroisse du Précieux-Sang à Munich .

Donc, commençons par le premier point:

Peter Seewald n'a jamais posé au Saint-Père la fameuse question 'Quo vadis' - ce légendaire «où vas-tu» que Pierre a demandé au Christ lui-même quand le prince des apôtres et prédécesseur de tous les papes fuyait la capitale en flammes, à laquelle l'empereur Néron venait de mettre le feu, à travers la Via Appia. Seewald n'a pas non plus posé de questions sur ce passage de l'homélie inaugurale de Benoît le 24 Avril 2005, où le pape nouvellement élu demandait aux fidèles «priez pour moi afin que je ne fuie pas les loups!».

Ici, nous voyons pourquoi. Les questions n'auraient eu leur place nulle part. Parce que le Pape émérite l'a précisé une fois de plus: cela n'a pas été une fuite, Rome n'a pas brûlé, aucun loup ne hurlait sous sa fenêtre et sa maison était en ordre quand il a remis le bâton entre les mains du collège des cardinaux .

Ou, pour reprendre ses propres mots: «Je suis convaincu que ce n'était pas une fuite, en tout cas pas devant une pression concrète qui n'existait pas. Il ne faut jamais partir si c'est une fuite. Il ne faut jamais céder à la contrainte. Il ne faut pas fuir au moment de la tempête, mais tenir. Il ne faut pas se retirer si personne ne l'exige. Et personne ne me l'a demandé quand je l'ai fait. Personne. Il était clair pour moi que je devais le faire et que c'était le bon moment. Ce fut une surprise complète pour tout le monde».

Le médecin lui avait dit qu'il ne pourrait plus traverser l'Atlantique. En raison de la Coupe du monde de football, les prochaines Journées Mondiales de la Jeunesse avait été avancées de 2014 à 2013. Sinon, il aurait essayé de s'accrocher jusqu'en 2014. «Mais je savais: je ne peux plus le faire». Et tout était complètement réglé en Février 2013. Il vit alors que le temps était venu «de se détacher des grandes foules pour entrer dans cette plus grande intimité [avec le Seigneur]».

Ce n'était pas, dit-il encore, «une fuite intérieure devant les exigences de la foi, qui conduit l'homme à connaître la croix. Ce n'est pas une fuite, mais une autre façon de rester fidèle à mon ministère».

A-t-il regretté sa démission, même pour une minute?

La réponse est véhémente: «Non Non non. Je vois chaque jour qu'elle était juste». Il n'y a aucun aspect qu'il n'ait pris en considération. Et même, tout a été mieux qu'il n'aurait pu le planifier! D'où cela aussi: «Je ne peux pas me voir comme quelqu'un qui a échoué. J'ai accompli mon ministère pendant huit ans».

 

Et qu'en est-il des nombreuses théories du complot - voulait savoir Seewald - qui n'ont jamais pu être réduites au silence après sa démission. Chantage? Conspiration? Le Pape émérite n'avait qu'une réponse, un réponse sèche, «C'est une absurdité totale» (..) «Le pape n'est pas un surhomme. S'il démissionne, il garde les responsabilités dans un sens intérieur, mais pas le rôle. À cet égard, la papauté n'a rien perdu de sa dimension, même si l'humanité de la charge émerge peut-être plus clairement».

Comme je l'ai dit, puisque je suis en contact quotidien avec Benoît XVI, toutes ces choses ne sont pas nouvelles et je peux seulement les confirmer comme authentiques. Personnellement, je dois cependant dire qu'un autre passage m'a semblé dans ce contexte d'une certaine manière nouveau et remarquable et surtout éclairant, même s'il apparaît à un tout autre endroit du livre.

«Fin avril, début mai 1945», Seewald lui rappelle une affirmation tirée des mémoires de Joseph Ratzinger de 1998, où il dit, «je décidai de rentrer à la maison». Cela sonnait laconique. Joseph Ratzinger avait 17 ans en 1945 et il avait été affecté à l'un des sites anti-aériens à proximité de sa maison. «En réalité, c'était une désertion» lui rappela Seewald, «qui était passible de mort. Etiez-vous conscient de cela?»

Sa réponse: «En regardant en arrière, j'en suis étonné. Je savais que les sentinelles étaient là et qu'on serait immédiatement abattu et que cela pouvait réellement finir mal. Pourquoi je suis rentré chez moi avec une telle désinvolture, en réalité, je ne réussis pas à expliquer le degré de naïveté que j'avais atteint.

Mais cela s'est bien teminé, et non pas mal! Et ici, je dois l'avouer, une sorte d'expérience de 'déja-vu' m'est tombée dessus en lisant cela, mais dans un sens inverse, qui posait la question de savoir si dans cette expérience par définition vitale de la jeunesse de Joseph Ratzinger il y aurait aussi une clé cachée pour pour expliquer sa démarche extraordinaire de la fin de sa vie. Il était si assuré, comme un somnambule contre 1000 agresseurs et à l'été 2012, une deuxième fois, calmement «il a décidé de rentrer à la maison».

Ici, j'en viens à mon deuxième point. Qu'a appris le public mondial à propos de la relation du Pape émérite avec son successeur, François?

Premièrement: il n'avait absolument pas envisagé Jorge Mario Bergoglio. L'archevêque de Buenos Aires fut «une grosse surprise»; Il avait aucune notion de son successeur. Mais comme il a vu après l'élection - à la télévision à Castel Gandolfo - comment le nouveau pape «parlait d'un côté avec Dieu et de l'autre avec le peuple, j'ai été vraiment heureux». Et qu'a-t-il dit en voyant François apparaître sur la Loggia tout en blanc sans la mozette rouge, la cape traditionnelle des papes jusque-là? «Il ne voulait pas porter la mozette. Cela ne m'a absolument pas troublé». Mais «cet aspect de cordialité, d'attention très personnelle, je n'en avais pas fait l'expérience en tant que tel. Ce fut une surprise pour moi!».

Et est-il satisfait du Pontificat de François, jusqu'à ce point? Il a répondu sans détour: «Oui, il y a tout à coup une nouvelle fraîcheur dans l'Eglise, une joie nouvelle, un nouveau charisme qui s'adresse aux personnes, ce qui est quelque chose de beau. Beaucoup sont reconnaissants que le nouveau pape les aborde maintenant dans un nouveau style. Le pape est le pape, peu importe qui il est». Avec ses manières, il n'a «absolument aucun problème. Au contraire, je trouve cela bien, oui». Avec son prore pontificat, il ne voit «aucune brèche nulle part». Il voit «de nouveaux accents oui, mais pas de contradictions. C'est l'homme de la réforme pratique. Et c'est le courage avec lequel il aborde les problèmes et recherche des solutions».

Et plus encore: à certains égards, à travers son successeur il se voit, lui-même et son ministère pétrinien , comme corrigé, ainsi qu'il l'a ouvertement reconnu. Par exemple, «à travers l'attention directe aux gens. Cela est très important. C'est certainement un homme de réflexion. Et une personne réfléchie, mais en même temps quelqu'un qui est habitué à être toujours avec les gens. Et en fait, peut-être que je n'étais pas assez avec les gens».

On trouve une mesure étonnante d'autocritique - teintée d'une certaine auto-ironie - dans les souvenirs que Peter Seewald rappelle de lui et aussi la capacité d'avoir une joie presque enfantine jusqu'à un âge avancé. Lors du Concile, par exemple, auquel il a participé en tant que jeune et prometteur conseiller du cardinal Frings de Cologne, et au sujet des réformes du Concile, il admet cependant sans réticence: «Nous pensions alors trop en théologiens et nous n'avons pas tenu compte de l'image publique que ces choses auraient» et «il y a eu aussi beaucoup de destructions et de déceptions». A ce moment, il se voyait tout compte fait comme un progressiste. D'autres pensaient qu'il était un franc-maçon, et il a été «dénigré à plusieurs reprises». Pourquoi? «Parce que j'étais incapable ou quelque chose comme ça. Et naturellement aussi hérétique et ainsi de suite».

En fait, il est souvent étonné par lui-même, et par sa «naïveté», comme il l'appelle, et par «le culot avec lequel - au moment du Concile - «je parlai», et il se décrit désormais - répondant à une question de Seewald incrédule et surpris - comme un «vrai fan de Jean XXIII» et l'«anticonformisme total» de ce dernier.

Comme archevêque de Munich et Freising, il avait cessé de se déplacer à bicyclette parce qu'il n'osait pas déroger à ce point aux usages. Il n'a jamais été quelqu'un qui rampe devant les gros bonnets et intimide les sous-fifres. Il n'a jamais rampé, ni rampé pour personne. Au contraire, dans son innocence presque proverbiale il a souvent encouragé et protégé ses ennemis et «non-amis», comme peut-être Hans Küng et aussi le Cardinal Kasper. S'il avait démissionné une semaine plus tard, son collègue cardinal souabe - parce qu'il était proche de la limite d'âge pour la participation éventuelle à l'élection du pape - n'aurait pas pu participer à l'élection! En fait de telles pensées, comme tous les jeux de pouvoir tactiques et stratégiques lui étaient toute sa vie étrangers. «Tout le monde savait que je ne faisais pas de politique», dit-il un jour, «et cela freine l'inimitié. On pense: il n'est pas dangereux».

A présent, il écrit des homélies dominicales pour quatre, cinq, parfois huit ou neuf personnes dans son «petit monastère», même s'il avait l'habitude de parler devant des milliers. C'est la même chose pour lui. Les moqueries sur le «pape professeur» sont toutefois bien plus un compliment qu'une diffamation, peut-être à cause de son incapacité à penser cyniquement. Parce que «je suis en réalité davantage un professeur- quelqu'un qui réfléchit et médite sur les choses intellectuelles. Je voulais être un vrai professeur pour toute la vie». C'est ce qu'il était et qu'il est toujours resté: un professeur d'université allemand, qui aimait imiter des voix comme l'accent suisse allemand de Hans Urs von Balthasar, et écrire entièrement ses innombrables discours au crayon dans une écriture sténographique auto-développée afin d'être en mesure de suivre la vitesse de ses pensées. Et même en temps de crise, la nuit, il n'est s'est jamais laissé voler ses sept à huit heures de sommeil nécessaires, pas même ses siestes, qu'il a l'habitude de faire depuis 1963 - depuis ses années romaines du Concile; quelqu'un qui aimait par-dessus tout être assis à son bureau et dont l'instrument indispensable à l'accouchement de ses pensées profondes était un confortable canapé. Citation: «J'ai toujours besoin d'un canapé. Et le calme absolu, si possible».

«La signification politique» de son discours de Ratisbonne et le tumulte international suscité était quelque chose, comme il l'admet ouvertement avec sérénité, qu'il n'a tout simplement «pas évalué correctement». Le grand penseur et écrivain a souvent eu un grand impact, fréquemment involontaire, à l'instar d'un enfant prodige.

Quand il est arrivé à Rome, le 1er Mars 1982, pour prendre le relais comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il savait à peine parler italien et n'a pas eu le temps de prendre des cours. «J'ai appris l'italien uniquement par la conversation. Cela a continué à être mon handicap, bien sûr». Comme au début, il est revenu à la fin - à son discours de démission - en latin, langue qu'il maîtrise avec brio, même aujourd'hui.

Il admet franchement avec une certaine prudence et timidité que sa capacité à juger le caractère d'autrui n'est pas son fort. Il a souvent «été très attentif et prudent parce que», comme il le dit, «j'ai souvent fait l'expérience des limites des autres, et de mon propre jugement sur le caractère des autres».

En Septembre 1991, alors qu'il n'avait jamais fumé ni bu, il a eu une hémorragie cérébrale. «Maintenant, je n'en peux plus», a-t-il dit par la suite à Jean-Paul II, qui a rejeté catégoriquement sa démission. «De 91 à 93, ce fut difficile, des années pénibles» dit-il laconiquement. En 1994, il eut encore une embolie et il lui en resta une tache jaune sur la rétine. Depuis lors, il voyait très mal de l'oeil gauche, des années avant son élection comme successeur de Pierre. Il n'a jamais fait d'histoires à ce sujet. Le pape à demi-aveugle! Qui le savait?!

Peut-être est-ce la raison pour laquelle Benoît XVI n'a jamais été aussi humain pour beaucoup de gens qu'il ne l'est dans ce dernier livre - dans ses grandes forces et dans ses petites faiblesses et infirmités. Il n'a jamais ri autant dans ses autres livres-interviw. Et jamais pleuré (comme il le fait ici, ndt).

J'ai dû lire de nombreuses fois les épreuves (Druckfahnen), et finalement j'ai encore relu le livre, en une nuit. Il y a beaucoup de pages que je pourrai presque citer de mémoire.

Trouverons-nous son testament ou une dernière correction de son testament dans ces dernières déclarations de Benoît XVI? Pas vraiment. Son testament comme pape se trouve dans les neuf volumes des "Insegnamenti" (ndt: recueil de toutes les interventions du Pape durant le Pontificat correspondant au contenu de la section "Benoît XVI" du site du Vatican), qu'il a légués de son pontificat, et surtout dans ses livres sur Jésus qu'il «avait tout simplement écrits parce que l'Église est finie si nous ne connaissons plus Jésus». Et nous trouvons quelques éléments de testament dans "Le sel de la terre", "Voici quel est notre Dieu", et "La lumière du monde", que Peter Seewald a déjà écrits avec lui.

Dans un certain sens, ce livre accomplit de façon familière, sans effet spectaculaire, une déconstruction finale de son ancienne image auprès des amis et des ennemis. Il ne permet nulle part à l'intervieweur de le mettre sur un piédestal. Il rechigne obstinément à toute ébauche d'un monument érigé à lui-même, et il est amusé par toute tentative de le canoniser de son vivant, qu'il sabote le plus aimablement possible. Autrement dit - selon le langage de la critique historique - il se démythologise constamment, même face à Peter Seewald.

Dans l'atmosphère de confiance de ces conversations, Seewald l'interroge parfois avec la même curiosité qu'un enfant qui questionne son grand-père. Mais le plus savant des hommes d'Eglise semble être lui-même ici plus d'une fois dans ses réponses aussi innocent qu'un enfant qui a longtemps été assis sur le trône papal, mystérieux et insondable. Il était comme un enfant du Saint-Esprit, qui entre deux brillantes analyses pouvait parler avec un tel naturel du plaisir qu'il éprouvait à jouer à des jeux «comme 'Mensch ärgere Dich nicht' (ndt: un jeu de société allemand proche du jeu de dada, cf. fr.wikipedia.org/wiki/Parcheesi), et d'autres choses du même genre»; tout en ayant longtemps eu «besoin d'une âme forte pour digérer toute la saleté», qui par exemple lui passa sous les yeux quand il était à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Comme un grand enfant de Dieu avec une douceur désarmante, qui comme saint Augustin, aspire passionément à atteindre enfin ce «toujours», comme il est dit dans le Psaume 105, «cherchant constamment son visage» - et comme un enfant qui a toujours voulu rentrer à la maison «là où ce sera de nouveau aussi beau que c'était chez nous quand nous étions enfants»

Mais aussi comme un homme subtile et au sourire paisible d'une époque lointaine, une «époque quasi-préhistorique», comme il le note lui-même, sur un ton semi-ironique. En dépit de son intelligence et de sa culture exceptionnelle et d'une extrême lucidité, ici, il ne ressemble pas, même de loin, à cet arrogant épris de pouvoir, ce terrible et redoutable inquisiteur comme il a souvent été vu et décrit par ses «non-amis».

Personnellement, je dois admettre que la lecture de ces conversations a plus d'une fois éveillé en moi l'image nostalgique du 'Petit Prince' d'Antoine de Saint-Exupéry - si je peux me permettre de l'emprunter au pilote et poète du ciel français; et pourtant, ce faisant, je dois moi-même sourire: un petit prince papal en chaussures rouges (les chaussures du pêcheur!) tombé, pour notre temps, d'une étoile lointaine comme un messager du ciel; bien que, par une familiarité étroite, je sache peut-être mieux que quiconque qu'on n'épuise dans cette image poétique, ni Joseph Aloisus Ratzinger, ni Benoît XVI

Cela devrait suffire.

Je voudrais conclure avec la sagesse paysane du jour, du début de cette introduction, «A la fête du Saint Nom de Marie, l'été dit amen»

Merci pour votre attention.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention

(Mgr Georg Gänswein, 12 Septembre 2016)