Un Pape total


Traduction complète du très bel exposé de Georg Gänswein, lors de la présentation au Campo Santo Teutonico du livre de Marco Mancini «Benedetto XVI, un Papa totale» (7/2/2016)

>>> Voir aussi sur ce site:
¤ Reconnaître les mérites du pape Benoît (recension du livre par Luciano Garibaldi sur Riscossa Cristiana)
¤ Benoît XVI pionnier du Web (un article de Marco Mancini)

 

Le 5 février, au Collège pontifical Teutonique, Mgr Gänswein a tenu une conférence de présentation du livre de Marco Mancini « Benedetto XVI, un Papa totale », que l’auteur avait eu l’opportunité de remettre en mains propres au Pape émérite en décembre dernier, dans les jardins du Vatican (cf. benoit-et-moi.fr/2015-II/benot-xvi/un-cadeau-de-noel-special-pour-aci-stampa)
Le secrétaire de Benoît XVI a fait avec brio mais aussi beaucoup de sensibilité, une synthèse du Pontificat, à travers ses thèmes-clés (1) et ses temps forts, jusqu’à la renonciation dont nous célèbrerons – non sans une certaine tristesse - le troisième anniversaire dans quelques jours ; et surtout – c’est peut-être une surprise - il a su laisser parler l’émotion, trouvant les mots justes pour exprimer l’affection, l’admiration, la vénération que Benoît XVI lui inspire, et que beaucoup de personnes, notamment parmi mes lecteurs, partagent.

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(1) Sans tomber dans le piège de la glorification de François en associant artificiellement les deux papes dans le mantra de la continuité, comme c’est pourtant le passage obligé aujourd’hui dans certains milieux ecclésiaux : la seule concession à cette obligation est une allusion à l’Encyclique "Lumen Fidei"…. Et le très beau paragraphe de conclusion, (habile recyclage d'une) citation de circonstance du cardinal Bergoglio dans son discours au collège cardinalice juste après l’élection, et qui dans la bouche du secrétaire résonne avec justesse et émotion.


"BENOÎT XVI - UN PAPE TOTAL"


5 février 2016
Georg Gänswein
www.fondazioneratzinger.va
(Ma traduction)

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L'œuvre de Marco Mancini, Benedetto XVI. Un Papa totale, enrichi d’une préface très personnelle et touchante du cardinal Tarcisio Bertone, parcourt dans les grandes lignes les moments et les points forts du pontificat de Benoît XVI. L'écrit, divisé en 14 chapitres, offre une rétrospective qui fait ressortir la figure d'un pasteur de grande envergure, et qui le reste, même après avoir quitté les rênes du gouvernement de l'Eglise.

Après avoir lu et relu le livre, je voudrais partager avec vous et souligner six fils conducteurs, qui me semble-t-il caractérisent la personnalité du pape Benoît XVI et aident à mieux comprendre ses actes.


PREMIER FIL CONDUCTEUR: LE SERVICE ÉVANGÉLIQUE PÉTRINIEN


Le pontificat de Benoît XVI a été marqué en premier lieu par sa demande vigoureuse et ferme de tout mettre en œuvre afin qu'au centre de la vie de l'Eglise, il y ait à nouveau une réalité dont seule l'Église préserve l'identité: la parole de Dieu!
Celle-ci ne réside certes pas seulement dans un passé lointain, dans un simple souvenir historique; au contraire, la Parole parle à notre présent et nous sollicite dans notre vie personnelle et quotidienne.
Benoît XVI s'est consacré à la parole de Dieu avec la conscience claire que, comme il l'a dit peu de temps après son élection, il ne se fixait aucun programme de gouvernement, du moins pas tel qu'on l'entend communément; à la place il a déclaré sans équivoque: «Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas suivre mes idées, mais de me mettre à l'écoute, avec toute l'Eglise, de la parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de sorte que ce soit Lui-même qui guide l'Église en cette heure de notre histoire » (Benoît XVI, Homélie lors de la messe pour le début du ministère pétrinien de l'évêque de Rome, 24 Avril 2005) .
Puisque Benoît a considéré comme le devoir principal de son ministère de lier l'Eglise toute entière à la parole de Dieu et d'en garantir l'obéissance à cette parole, il était aussi conscient que son premier devoir était de vivre lui-même dans l'obéissance exemplaire. Et puisqu'il a tellement aimé la Sainte Écriture et a conduit les hommes, par l'annonce et la prédication, à la connaissance de l'Évangile, son service pétrinien aurait dû être caractérisé comme un pontificat en tout et pour tout évangélique. C'est pourquoi lors de sa dernière audience générale, dans laquelle il a pris congé comme évêque de Rome, Benoît a pu confesser avec franchise qu'il avait toujours été accompagné dans son ministère comme Successeur de Pierre par la conscience solide «que l'Eglise crée sa vie à partir de la parole de Dieu» (Benoît XVI, Audience générale du 27 Février 2013)

Le Pape Benoît a entendu et conçu son pontificat selon le sens que lui attribuait saint Ignace d'Antioche, qui, dans sa Lettre aux Romains (vers l'an 110), a indiqué et a vécu l'Église romaine comme celle qui a «la présidence dans l'amour», et cela dans la conviction que la présidence dans la foi et dans la doctrine doit être aussi et surtout la présidence dans l'amour. Parce qu'une foi sans amour ne serait pas la foi dans le Dieu de la Bible; la doctrine de l'Église n'atteint le cœur des hommes que si elle conduit à l'amour.
Ici brille la raison la plus profonde pour laquelle dans la pensée et dans les actes de Benoît XVI, vérité et amour ne sont pas des termes contradictoires; au contraire, ils ont besoin l'un de l'autre, et se nourrissent réciproquement, parce que la vérité sans amour peut devenir brutale et l'amour sans vérité peut devenir banal. C’est pour cela que le Pape Benoît a résumé dans leur unité indissoluble la vérité de la foi dans l'amour de Dieu pour l'homme et dans l'amour de l'homme pour Dieu et ses frères, mettant tout son pontificat au service de l'annonce de cette foi.
Puisqu'il a guidé l'Eglise principalement à travers sa doctrine, de son pontificat, à l'avenir, il restera sans nul doute comme héritage son Magistère, qu'il a exercé non seulement avec ses trois encycliques - Deus Caritas Est , Spe Salvi , Caritas in veritate - mais aussi pendant les audiences générales avec ses profondes catéchèses sur les apôtres et surtout sur saint Paul, sur les Pères de l'Eglise et sur les grands théologiens et les grandes théologiennes de l'histoire de l'Église, sur le sacerdoce, sur la prière et sur la foi.

SECOND FIL CONDUCTEUR: LE SERVICE À LA VÉRITÉ, À LA RAISON ET À LA BEAUTÉ DE LA FOI


Benoît, dans son riche magistère, n'a jamais perdu de vue la foi des simples. Il était au contraire convaincu que la vérité de la foi se manifeste en fin de compte aux simples et aux cœurs humbles et ne peut être saisie qu'avec les yeux de la foi, comme il l'a dit lui-même dans son message "Urbi et Orbi" de Noël 2010: «Si la vérité était seulement une formule mathématique, en un certain sens, elle s'imposerait d'elle-même. Mais si la Vérité est Amour, elle requiert la foi, le "oui" de notre cœur» (Benoît XVI, Message "Urbi et Orbi", 25 Décembre 2010).
Pour pouvoir être et rester une foi humaine, la foi chrétienne doit donc constamment rechercher le dialogue avec la raison humaine. Le dialogue entre la foi et la raison a été particulièrement cher à Benoît XVI, parce qu'il était profondément convaincu qu'elles dépendent l'une de l'autre et que ce n'est que dans un dialogue mutuel que peuvent être surmontées les pathologies de la raison et évitées les maladies de la foi. Parce que sans la foi, la raison menace de devenir unilatérale et unidimensionnelle; et sans la raison la foi menace de cacher sa vérité et de devenir fondamentaliste. Ces thèmes ont été constamment mis en avant également au cours de ses plus de vingt voyages apostoliques à l'étranger et en Italie, et en particulier lors de rencontres avec le monde de la culture, de la science et de la politique. Ce faisant, il a offert des points essentiels pour une réflexion profonde sur la foi et sur sa force lumineuse pour la coexistence entre les hommes.
Avec la conviction que la demande de Dieu est d'une importance fondamentale pour les questions relatives à l'avenir de l'humanité, avec son homilétique fondamentale, le pape Benoît a voulu contribuer à garder vivante la question de Dieu dans les sociétés modernes.
Le dialogue entre la foi et la raison, pour Benoît XVI a été essentiel, surtout parce que Dieu lui-même est logos et la création toute entière témoigne de cette raison. Le logos est non seulement une raison mathématique, mais il a aussi un cœur et il est amour. De cela, le pape Ratzinger a tiré la conclusion suivante: «La vérité est belle, vérité et beauté vont de pair: la beauté est le sceau de la vérité» (Benoît XVI, Discours à la clôture des exercices spirituels de la Curie romaine, le 23 Février 2013).
La culture du dialogue avec l'art a vraiment été une exigence du cœur de Benoît XVI, en tant que monde de la beauté, mais aussi et surtout parce qu'il a tout mis en œuvre pour mettre en lumière la beauté de la foi elle-même, de sorte qu'on ne fasse pas que parler de la foi, mais que surtout elle soit célébrée.

TROISIÈME FIL CONDUCTEUR: RÉFORME SILENCIEUSE (À PARTIR) DU CENTRE DE LA FOI


De ce qui précède, nous comprenons la valeur fondamentale qu'a eu la liturgie non seulement dans son ministère pétrinien, mais surtout dans la pensée de ce fin théologien, comme lui-même l'a reconnu: «De même que j’avais appris à comprendre le Nouveau Testament comme l'âme de la théologie, je réalisai que la liturgie était source vitale, sans laquelle elle est vouée au dessèchement» (Joseph Ratzinger, ma vie, ed. Fayard 1998, page 68).

Benoît a tout fait pour que la liturgie soit célébrée dans sa beauté, puisqu'elle est célébration de la présence et de l'œuvre du Dieu vivant, et parce qu'elle veut nous y conduire, c'est-à-dire au et dans le mystère de Dieu. Ceci vaut en particulier pour la célébration de l'Eucharistie, qui pour Benoît est le geste d'adoration le plus élémentaire et le plus grand de Eglise et qui coule continuellement d'elle. C'est pourquoi la Messe n'est pas simplement un événement isolé dans l'Eglise: l'Eglise est dans son essence célébration eucharistique et elle vit dans la communion eucharistique.

Aux yeux du pape Benoît XVI, c'est de la liturgie que doit dériver toute réforme de l'Eglise, parce qu'elle seule peut être un renouvellement de la foi qui parte du centre, parce que dans son sens originel, la réforme est un processus spirituel étroitement liée à la conversion.
En tenant compte de cela, on saisit dans tout son tragique le fait que précisément un pape pour qui comptait non pas l'apparence extérieure mais l'essence intérieure de l'Eglise et son renouvellement, ait dû affronter au cours de son pontificat autant de questions émergées au niveau de l'opinion publique, comme Vatileaks, jusqu'à l'explosion de la plaie particulièrement douloureuse de la pédophilie précisément durant l'année sacerdotale. Tout cela, cependant, nous pouvons le lire selon une clé providentielle si l'on considère que seul un pape dont l'intérêt est le renouvellement intérieur de l'Eglise et qui est également conscient de l'abîme du péché et du mal présent dans l'Eglise elle-même, peut être en mesure de supprimer autant de saleté.

Le Pape Benoît XVI a usé et consommé beaucoup d'énergie au service de cette réforme pour ainsi dire silencieuse, de l'Église. Avec une grande sensibilité, il a pris en compte la situation critique de la foi, en particulier, mais pas seulement, en Europe, et ce faisant, il a acquis la conviction que la réforme de l'Eglise doit commencer par un renouvellement de la foi, qui parte de son noyau. Pour lui, la promotion d'une nouvelle évangélisation dans les sociétés modernes a été un désir fondamental, et en le faisant sien, il a également accueilli l'une des exigences essentielles du Concile Vatican II, auquel il a participé en tant que théologien pour la rédaction des textes, et qui lui a servi de cadre permanent de référence pour son enseignement. Le pape Benoît XVI a été un Pape lié de façon cohérente au Concile Vatican II. Parmi ses grands mérites, et faisant donc aussi partie de l'héritage de son pontificat, on peut compter le fait qu'il se soit occupé intensément de l'interprétation authentique du Concile et de sa réception dans l'Eglise, qu'il l'ait défendu contre les multiples remises en question et, qu'en réponse à ces courants progressistes et traditionaliste qui dans le Concile Vatican II saluent ou déplorent une rupture avec la tradition, il ait soutenu le concept d'herméneutique de la réforme dans la continuité.


QUATRIÈME FIL CONDUCTEUR: DIALOGUE AU SERVICE DE LA PAIX


Avec une fidélité indéfectible au Concile, le pape Benoît XVI a mis l'accent sur ces questions qui ont particulièrement à voir avec le dialogue de l'Eglise avec le monde moderne, c'est-à-dire le devoir œcuménique, le dialogue interreligieux et la liberté religieuse.
Le pape Benoît avait particulièrement à cœur le dialogue œcuménique (2). Bien qu'après près de cinquante ans le mouvement œcuménique dans l'Eglise catholique n'ait pas été en mesure de réaliser l'unité visible des chrétiens, qu'au contraire cet objectif soit entre-temps devenu de moins en moins clair, et que l'œcuménisme soit aujourd'hui dans une situation loin d'être facile, Benoît XVI est resté ferme sur le devoir œcuménique de l'Eglise catholique et s’est préoccupé en particulier du dialogue d'amour. Il a consacré beaucoup de temps à des rencontres avec des représentants d'autres Eglises et communautés ecclésiales, rencontres qui ont été constamment conçues, promues et recherchées, réalisant déjà de cette manière une primauté œcuménique.
Même après sa démission de la papauté, la majorité des voix du monde religieux, dans le grand œcoumène de l'orbe, a exprimé son appréciation et sa gratitude pour son ouverture et a souligné surtout le message clair et limpide de son magistère.
En plus de l'œcuménisme, Benoît XVI a également favorisé le dialogue interreligieux. Ce dernier a trouvé une signification particulière dans la rencontre d'Assise en Octobre 2011, où il a voulu convoquer les Églises chrétiennes, les autres religions et même les agnostiques, afin de sensibiliser tous à l'engagement pour la recherche toujours nouvelle paix dans le monde et, en même temps, témoigner publiquement que la sœur jumelle de la religion est la paix, et au contraire ne peut en aucun cas être la violence.
Jetant un regard rétrospectif, le fait que le dernier voyage apostolique de son pontificat l'ait conduit au Liban, donc au Moyen-Orient, où il a apporté l'espoir à des hommes qui souffrent à cause de la violence et de la terreur, et qu'il se soit dépensé pour la paix dans cette région durement éprouvée, revêt également une belle signification
En ce qui concerne l'intense engagement de pape Benoît pour le respect de la liberté religieuse, il convient de rappeler une initiative qui n'a malheureusement pas trouvé beaucoup de résonance, mais qui est un beau témoignage de sa sollicitude pastorale. Je pense à la puissante lettre pour les catholiques de la République populaire de Chine, écrite par lui dès la troisième année de son pontificat, avec laquelle il a exprimé sa préoccupation pour l'Église dans ce grand pays.
Cet exemple montre combien le Pape Benoît, tout en se définissant volontiers comme l'évêque de Rome et qui en tant que tel a opéré tellement de rencontres dans son diocèse, avait toujours devant les yeux l'universalité de l'Eglise catholique.


CINQUIÈME FIL CONDUCTEUR: UN PONTIFICAT CENTRÉ SUR LE CHRIST


En dépit de toutes ces perspectives, on n'a encore mentionné ici ni le cœur décisif du pontificat de Benoît XVI, ni son plus bel héritage. Il consiste dans le témoignage christocentrique: dans son annonce et dans son action, car la parole de Dieu, à laquelle le pape a dédié son attention particulière, est pour lui, plus que tout, ce qui est écrit. La parole de Dieu est le Christ lui-même qui est et doit être au cœur de l'Église et de sa vie. Considéré sous cette lumière, est chrétien celui qui croit en Jésus-Christ et vit une amitié personnelle avec Lui. En outre, et justement pour ce motif, un Pape ne peut pas précéder le Christ et vouloir établir le chemin que seul le Christ lui-même définit. Comme tout chrétien, le Pape doit plutôt, et même prioritairement suivre le Christ, le faisant passer avant sa propre personne et ses propres intérêts.

Dans cette référence permanente au Christ et à l'annonce christocentrique, on pourra voir la raison la plus profonde pour laquelle le pape Benoît a soustrait au travail quotidien épuisant du service pétrinien, le temps et l'énergie pour écrire son livre en trois volumes sur Jésus de Nazareth. De même qu’alors à Césarée de Philippe, Pierre, au nom de tous les apôtres, a témoigné que le Christ est «le Messie, le Fils du Dieu vivant», de même Benoît, comme successeur de Pierre, a voulu confesser sa profession de foi personnelle dans le Christ, dans la Césarée de Philippe d'aujourd'hui, pour convaincre les hommes de la vérité et de la beauté de la foi chrétienne, pour les introduire dans un rapport personnel avec le Seigneur. Dans le témoignage du Pape pour Jésus-Christ se rendent visibles une fois de plus la signification et la nécessité du service pétrinien dans l'Eglise.

Éclairée par la lumière de la foi, le Ministère Papal apparaît comme don de l'Esprit Saint à l'Eglise, et nous pouvons donc être aussi reconnaissants pour les huit années où Benoît XVI a exercé son service pétrinien.

A quel point François se trouve dans une continuité cohérente avec le Pape Benoît et continue à bâtir sur les fondations du même héritage, ceci est démontré par sa première encyclique Lumen Fidei, dont la version d'origine a été écrite par le Pape Benoît, mais qui par la suite, a été reprise par son successeur. Le fait que les Papes aient la même responsabilité mais la traitent avec des accents différents et d'une manière personnelle, sans vouloir imiter leur prédécesseur, laisse aussi entrevoir une beauté particulière de notre Église catholique.

Même avec le choix du dernier jour de son service, fait avec une sensibilité particulière et pour qu'il puisse célébrer sa dernière messe publique le mercredi des Cendres, Benoît XVI a laissé entendre une fois de plus ce qui était le caractère central de son message: ce qui compte le plus dans la vie ecclésiale, c'est la conversion à Jésus-Christ et se tourner vers Pâques, où le christianisme trouve son sens, ou sinon disparaît.

Pour cette raison, le dernier mot, nous devons l'écouter du pape Benoît lui-même, et c'est celui par lequel il nous a confié son précieux héritage dans le sens le plus spirituel: dans notre recherche sur la figure de Jésus, la résurrection est le point décisif. «Jésus a-t-il seulement existé dans le passé, ou bien existe-t-il aussi dans le présent? L'une ou l'autre réponse dépend de la résurrection. En répondant "oui" ou "non" à cette question, on ne se prononce pas sur un événement spécifique parmi d'autres; on se prononce sur la figure de Jésus en tant que telle » (Joseph Ratzinger, Œuvres complètes, tome 6/1, Jésus de Nazareth. La figure et le message. Cité du Vatican 2013, page 661).


SIXIÈME FIL CONDUCTEUR: LA RENONCIATION AU MINISTÈRE PÉTRINIEN COMME SYMBOLE DU PONTIFICAT TOUT ENTIER


Le 19 Avril 2005, après son élection, le pape Benoît dans son premier salut public s'est présenté comme «un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur».

Le 28 Février 2013, en revanche, il a renoncé à son ministère d'Evêque de Rome, à son office de Successeur de Pierre, parce que ses forces ne lui semblaient plus suffisantes pour exercer de manière adéquate le service pétrinien.

Il a décidé cette renonciation, comme il l'a lui-même dit explicitement, après l'avoir examinée avec sa conscience devant Dieu. Le fait que la renonciation se soit centrée sur une décision de conscience offre déjà un premier indice d'un aspect important de son pontificat, puisque le pape Benoît n'a pas seulement écouté constamment sa conscience, mais s'est également occupé toute sa vie de la thématique et des problématiques de la conscience, en particulier de la relation entre conscience et pouvoir: pour cette raison, il est devenu cette figure de référence qui même dans le silence a pu susciter un effet immense.

Que Benoît XVI, fortement enraciné dans la grande tradition de l'Eglise et profond connaisseur de celle-ci, ait avec sa renonciation à l'office accompli un pas dans l'Église complètement nouveau et à ce jour pas encore totalement discernable, pas même comparable à celui du pape Célestin V, est essentiellement en relation avec sa personne et sa conception de l'office au service de l'Église. Comme Théologien, comme Évêque, comme Cardinal, puis en tant que Pape, il n'a jamais mis sa personne au premier plan, mais au contraire, il se voyait entièrement au service de la tâche qui lui avait été confiée. Ce trait caractéristique motive et nous permet de comprendre comment, au moment où sa personne n'était plus en mesure de percevoir en conscience la diaconie lourde et pesante à laquelle il avait été appelé, il a pu la remettre en d'autres mains; une conviction déjà exprimée dans son interview avec Peter Seewald: «Quand le danger est grand, on ne peut pas fuir. Voilà pourquoi ce n'est certainement pas le moment de se retirer. C'est précisément dans des moments comme celui-là qu'on doit résister et surmonter la situation difficile. On peut démissionner à un moment de sérénité, ou tout simplement lorsqu'on n'en peut plus. Mais on ne peut pas fuir au moment du danger et dire: un autre s'en occupera. Quand un Pape arrive à la conscience claire de ne plus être en mesure physiquement, psychologiquement et mentalement, de mener à bien la tâche qui lui est confiée, alors il a le droit et, dans certains cas même le devoir de se démettre» (Benoît XVI, Lumière du monde. Le pape, l'Église et les signes des temps. Une conversation avec Peter Seewald, 2010).

À la lumière de tout cela, sa démission doit être perçue comme un acte aussi courageux et prophétique qu'humble.

Cependant, voir dans ce geste le véritable héritage de son pontificat serait totalement erroné, limant, réducteur et trompeur. On peut plutôt comprendre sa renonciation uniquement si on la considère dans le contexte de ses presque huit années de pontificat, et sous la lumière que ce geste éclaire et exprime de son service pétrinien tout entier. Vu sous cet angle, et dans cette clé d'interprétation, nous avons devant nous la figure d'un pontificat important, qui marquera certainement l'histoire.

Benoît, l'humble travailleur dans la vigne du Seigneur est resté dans l'enclos de Pierre. Dans le silence, en priant: pour l'Eglise, pour les fidèles, pour le monde et pour Son Successeur.

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Le beau livre de Marco Mancini se termine par une citation significative de François avec laquelle je voudrais moi aussi conclure ma contribution, qui a les notes de l'affection, de la vénération et de la gratitude envers ce grand de l'Eglise de notre siècle:

«Dans ces années de pontificat il a enrichi et revigoré l'Eglise avec Son Magistère, Sa Bonté, Sa Direction, Sa Foi, Son Humilité et Sa Douceur. Ils resteront un héritage spirituel pour tous! Le ministère pétrinien, vécu avec un dévouement total, a eu en Lui un interprète sage et humble, les yeux toujours fixés sur le Christ, le Christ ressuscité, présent et vivant dans l'Eucharistie. Nos ferventes prières, notre incessant souvenir, notre gratitude constante et affectueuse l'accompagneront toujours. Nous sentons que Benoît XVI a allumé au fond de nos cœurs une flamme: elle continuera de brûler, car elle sera alimentée par Sa prière, qui soutiendra encore l'Eglise dans son chemin spirituel et missionnaire» (Pape François, Premier discours au Collège des cardinaux après l'élection comme Pape)

Note de traduction

(2) Au terme de son exposé, Mgr Gänswein a – sans surprise – été interpelé par les journalistes au sujet de l’annonce qui venait d’être faite de la rencontre prochaine à La Havane entre le Pape François et le Patriarche Cyrille.
Selon l’agence ADN Kronos, sa réponse est que « le Pape émérite est très content ».

Le secrétaire du pape émérite a rappelé l'amitié entre le Cardinal Ratzinger et Cyrille que Benoît XVI avait rencontré avant qu'il devînt patriarche. «Étape par étape - a souligné Gänswein - un beau morceau de terrain a été préparé. Celui qui est patient rapporte des fruits à la maison. Avec Benoît XVI, il y a eu des pas en avant et François a marché sur ce chemin. Espérons qu'il ait d'autres fruits... ».