Une interview de Benoît XVI


Une "guerre éditoriale" se joue à quelques jours de la sortie mondiale du livre interview avec Peter Seewald. Une biographie sort ces jours-ci en Italie, avec en préamule un entretien de l'auteur avec le Pape émérite (25/8/2016)

 


Une curiosité, et de taille! C'est la Repubblica qui publie, en avant-première et en exclusivité, l'interview de Benoît XVI!!
Le titre du livre est Servitore di Dio e dell'umanità, il est publié par Mondadori.
Voici la présentation du livre, et de l'auteur, sur le site de l'éditeur:

Aimé et contesté à chaque phase de sa vie, Joseph Ratzinger a été l'un des acteurs majeurs de la seconde moitié du XXe siècle et du début du millénaire. Né en Allemagne en 1927, sa vie a été marquée par la montée du nazisme, la guerre, le communisme, comme celle de Jean-Paul II qui, après son élection surprenante, le voulait avec insistance à ses côtés. À son tour élu pape en 2005, Ratzinger a décidé de se faire appeler Benoît XVI pour indiquer le choix de Dieu, le chemin de la paix laborieuse dans le respect des hommes et de toute la création. A l'Église, touchée par les scandales sexuels et financiers, il a proposé un chemin de purification; à l'Europe il a suggéré à de nombreuses reprises de valoriser ses racines chrétiennes; aux religions, il a demandé une attitude de dialogue au service des peuples et des nouvelles urgences de l'humanité. Incompris par beaucoup, en 2013, Benoît XVI a surpris le monde avec la démission de la papauté, un geste dramatique qui semblait pour beaucoup le signe d'un crépuscule du catholicisme. C'était, au contraire, la graine sous la neige, l'étape nécessaire pour ouvrir l'Eglise à une dimension plus universelle, à un renouveau auquel travaille son successeur, François.
Elio Guerriero, qui depuis de nombreuses années a une relation de familiarité avec le pape émérite, a dessiné un portrait à 360° du penseur et de l'homme de l'Eglise que beaucoup ont appris à aimer et à respecter après sa démission. Une biographie d'un grand intérêt à la fois pour les croyants et les laïcs désireux de comprendre le défenseur passionné de Dieu et des hommes, un penseur aussi original qu'incompris. L'ouvrage est enrichie d'une préface de François et d'une interview significative accordée à l'auteur par le pape émérite, dans laquelle, pour la première fois, Ratzinger parle de sa démission et de sa relation avec son successeur.

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Elio Guerriero, théologien et historien, a longtemps été responsable éditoriel de Jaca Book et des Edizioni San Paolo. Parmi ses publications: "Hans Urs von Balthasar" (1991, traduit en 6 langues), "Il sigillo di Pietro" - Le sceau de Pierre (1996), "Il dramma di Dio" (1999), "Il libro dei santi" (2012). Directeur de l' édition italienne de la revue "Communio" pendant plus de 20 ans, il a connu et fréquente Benoît XVI depuis les années quatre-vingt. Il a suivi la traduction en italien de plusieurs de ses œuvres, a édité plusieurs anthologies de ses écrits et discours, il a révisé la traduction italienne de "Jésus de Nazareth" et de "Annonciateurs de la Parole" pour les Opera Omnia, en cours de publication par la Libreria Editrice Vaticana. Enfin, il a publié l'essai "Benoît XVI" pour le livre "Les catholiques et les Églises chrétiennes sous le pontificat de Jean - Paul II", Volume XXVI de L'Histoire de l'Eglise dirigée par A. Fliche et V. Martin (2006).

Interview de Benoît XVI
par elio guerriero


www.repubblica.it
Ma traduction

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A Rome, le ciel est chargé de nuages menaçants, mais quand j'arrive à Mater Ecclesiae, résidence du pape émérite, un rayon de soleil inattendu exalte d'en bas l'harmonie de la coupole de Saint-Pierre et des jardins du Vatican. «Mon paradis», avait commenté Benoît XVI lors d' une visite précédente. Je suis introduit dans la pièce qui est en même temps la bibliothèque privée et je pense naturellement au titre du livre de Jean Leclercq, «L'amour des lettres et le plaisir de Dieu», cité par Benoît XVI dans son fameux discours du Cloître des Bernardins à Paris.

Le Pape arrive au bout de quelques minutes, il salue avec le sourire et la courtoisie de toujours, puis il dit: «J'en suis à quinze». Je ne comprends pas, alors il répète: «J'ai lu quinze chapitres». Je suis franchement surpris. Quelques mois plus tôt, je lui avais envoyé une bonne partie du livre, je ne me serais pas attendu à ce qu'il le lise en entier. Je lui apporte les autres chapitres et je lui dis qu'à présent, il ne m'en manque plus beaucoup. Il est content de ce qu'il a lu et j'ajoute: «Cela vous ennuie si je vous pose quelques questions en guise d'interview». Il répond comme toujours, gentil et pratique: «
Posez-moi les questions, envoyez-moi le tout et nous verrons». Bien sûr, je suis ses indications. Quelque temps après, il m'écrit son consentement à la publication. Il ne me reste qu'à le remercier pour sa confiance.

- Sainteté, alors que vous visitiez l'Allemagne pour la dernière fois, en 2011, vous avez dit: «On ne peut pas renoncer à Dieu». Et encore: «Là où il y a Dieu, il y a le futur». N'avez-vous pas regretté d'avoir dû partir durant l'année de la foi?

«Naturellement, j'avais à coeur de terminer une année de la foi et d'écrire l'encyclique sur la foi qui devait conclure le processus qui a commencé avec l'Encyclique Deus Caritas Est. Comme le dit Dante, l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles, nous pousse, nous conduit dans la présence de Dieu, qui nous donne espérance et futur. Dans une situation de crise, la meilleure attitude est de se mettre devant Dieu avec le désir de retrouver la foi, afin de continuer sur le chemin de la vie. Pour sa part, le Seigneur est heureux d'accueillir notre désir, de nous donner la lumière qui nous guide dans le pèlerinage de la vie. C'est l'expérience des saints, de saint Jean de la Croix ou Sainte Thérèse de l'enfant Jésus. En 2013, cependant, il y avait de nombreux engagements que je ne pensait plus être en mesure de mener à leur terme»

- Quels étaient ces engagements?

«En particulier, la date des Journées mondiales de la jeunesse qui devaient avoir lieu durant l'été 2013 à Rio de Janeiro au Brésil avait déjà été fixée. Or, à cet égard, j'avais deux convictions bien précises. Après l'expérience du voyage au Mexique et à Cuba, je ne me sentais plus en mesure d'accomplir un voyage aussi exigeant. En outre, avec la forme donnée par Jean-Paul II à ces journées, la présence physique du pape était nécessaire. On ne pouvait pas penser à une liaison par la télévision ou à d'autres formes permises par la technologie. Cela aussi fut une circonstance pour laquelle la renonciation était un devoir pour moi. Enfin, j'avais la confiance certaine que même sans ma présence l'année de la foi irait à sa conclusion. La foi, en effet, est une grâce, un don généreux de Dieu aux croyants. J'étais donc fermement convaincu que mon successeur, comme c'est ensuite arrivé, conduirait également à la conclusion voulue par le Seigneur, l'initiative lancée par moi»

- En visitant la basilique de Collemaggio à L'Aquila, vous avez tenu à déposer le pallium sur l'autel de saint Célestin V. Pouvez-vous me dire quand vous êtes arrivé à la décision de devoir renoncer à l'exercice du ministère pétrinien pour le bien de l'Eglise?

«Le voyage au Mexique et à Cuba avait été pour moi beau et émouvant par beaucoup d'aspects. Au Mexique, j'avais été impressionné en rencontrant la foi profonde de beaucoup de jeunes, en faisant l'expérience de leur passion joyeuse pour Dieu. De même, j'atais touché par les grands problèmes de la société mexicaine et l'engagement de l'Eglise à trouver, à partir de la foi, une réponse au défi de la pauvreté et de la violence. Il n'y a en revanche nul besoin de rappeler expressément comment Cuba j'ai été frappé en voyant la façon dont Raul Castro veut mener son pays sur une nouvelle route, sans rompre la continuité avec le passé immédiat. Là aussi, jai été très impressionné par la façon dont mes frères dans l'épiscopat tentent de trouver l'orientation dans ce processus difficile à partir de la foi. En ces jours, cependant, j'ai expérimenté avec une grande force les limites de ma résistance physique. Surtout je me suis rendu compte que je ne serais plus capable à l'avenir de faire face à des vols transocéaniques, en raison du problème du fuseau horaire. Naturellement, j'ai parlé de ces problèmes aussi avec mon médecin, le Dr. Patrizio Polisca. Il est devenu ainsi trè clair que je ne serais plus en mesure de prendre part aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro à l'été 2013, le problème du fuseau horaire s'y opposait clairement. A partir de ce moment, je devais décider, dans un laps de temps relativement court, de la date de ma retraite. "

- Après la renonciation, beaucoup imaginaient des scénarios médiévaux avec portes qui claquent et dénonciations sensationnelles. Au point que les commentateurs eux-mêmes ont été surpris, presque déçus par votre décision de rester dans l'enclos de Saint-Pierre, de monter au monastère Mater Ecclesiae. Comme êtes-vous arrivé à cette décision?

«J'avais visité plusieurs fois le monastère Mater Ecclesiae depuis ses origines. Souvent, je m'y étais rendu pour assister aux Vêpres, pour y célébrer la Sainte Messe pour toutes les religieuses qui s'y étaient succédé. La dernière fois, j'y étais allé à l'occasion de l'anniversaire de la fondation des Sœurs de la Visitation. En son temps, Jean-Paul II avait décidé que la maison, qui avait auparavant servi de résidence du directeur de Radio Vatican, devait devenir à l'avenir un lieu de prière contemplative, comme une fontaine d'eau vive au Vatican. Ayant appris qu'au printemps, les trois ans des Visitantines expireraient, il m'apparut presque naturellement que ce serait l'endroit où je pouvais me retirer pour continuer le service de prière auquel Jean-Paul II avait destiné cette maison».

- Je ne sais pas si vous avez vu vous aussi une photo prise par un correspondant de la BBC qui, le jour de votre démission, montrant le dôme de Saint-Pierre frappé par la foudre (Benoît fait un signe de la tête pour dire qu'il l'a vue). A beaucoup, cette image a suggéré l'idée de la décadence ou même de la fin d'un monde. Aujourd'hui, cependant, j'ai envie de dire: ils s'apprêtaient à pleurer un vaincu, une défaite de l'histoire, mais je vois ici un homme serein et confiant.

«Je suis pleinement d accord. J'aurais vraiment dû m'inquiéter si je n'avais pas été convaincu, comme je l' ai dit au début de mon pontificat, d'être un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. Dès le début j'étais conscient de mes limites, et j'ai accepté, comme j'ai toujours essayé de faire dans ma vie, dans un esprit d'obéissance. Ensuite, il y a eu les difficultés plus ou moins grandes du pontificat, mais il y avait aussi tellement de grâces. Je me rendais compte que tout ce que je devais faire, je ne pouvais pas le faire tout seul et ainsi, j'étais presque contraint de me mettre dans les mains de Dieu, de me confier à Jésus, auquel, au fur et à mesure que j'écrivais mon livre sur lui, je me sentais lié par une amitié ancienne et de plus en plus profonde. Et puis il y avait la mère de Dieu, la mère de l'espérance qui était un soutien sûr dans les difficultés et que je sentais toujours plus proche dans la récitation du saint Rosaire et les visites aux sanctuaires mariaux. Enfin , il y avait les saints, mes compagnons de voyage de toute une vie: saint Augustin et saint Bonaventure, mes maîtres spirituels, mais aussi saint Benoît dont la devise "ne rien préférer au Christ" me devenait de plus en plus familière, et saint François, d'Assise, le premier à deviner que le monde est le miroir de l'amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons».

- Seulement des consolations spirituelles, alors?

«Non. Mon chemin n'a pas été accompagnée seulement d'en haut. Chaque jour, je recevais de nombreuses lettres, non seulement des grands de la terre, mais aussi de personnes humbles et simples qui tenaient à me faire savoir qu'elles m'étaient proches, qu'elles priaient pour moi. De là, même dans les moments difficiles, la confiance et de certitude que l'Eglise est guidée par le Seigneur et que, par conséquent, je pouvais mettre dans ses mains le mandat qu'il m'avait confié le jour de l' élection. Du reste, ce soutien a continué même après ma renonciation, et je ne peux donc être que reconnaissant au Seigneur et à tous ceux qui m'ont exprimé et me manifestent encore leur affection».

- Dans votre discours d'adieu aux cardinaux, le 28 Février 2013, vous avez promis obéissance à votre successeur. En attendant, j'ai l'impression que vous avez également assuré proximité humaine et cordialité au Pape François. Comment est la relation avec votre successeur?

«L'obéissance à mon successeur n'a jamais été en discussion. Mais ensuite, il y a le sentiment de profonde communion et d' amitié. Au moment de son élection, j'ai éprouvé, comme tant d'autres, un sentiment spontané de gratitude à la Providence. Après deux papes provenant de l'Europe Centrale, le Seigneur tournait, pour ainsi dire, son regard vers l'Eglise universelle, et nous invitait à une communion plus large, plus catholique. Personnellement, je suis resté profondément touché dès le premier moment par la disponibilité humaine extraordinaire de François pour moi. Peu après son élection, il a essayé de me joindre au téléphone. N'ayant pas réussi cette tentative, il me téléphona encore une fois immédiatement après la rencontre avec l'Église universelle du balcon de Saint-Pierre et me parla avec une grande cordialité. Depuis lors, il m'a fait don d'une relation merveilleusement paternelle-fraternelle. Souvent m'arrivent ici de petits cadeaux, des lettres écrites personnellement. Avant d'entreprendre de longs voyages, le pape ne manque jamais de me rendre visite. La bienveillance humaine avec laquelle il me traite, est pour moi une grâce spéciale de cette dernière phase de ma viedont je ne peux qu'être reconnaissant. Ce qu'il dit de la disponibilité aux autres hommes, ce ne sont pas seulement des mots. Il le met en pratique avec moi. Que le Seigneur lui fasse à son tour sentir chaque jour sa bienveillance. Pour cela , je prie le Seigneur pour lui».

 

Commentaire


Bien entendu, c'est cette dernière réplique que les médias vont retenir, ou ont déjà retenu. On notera toutefois que le Saint-Père ne fait rien d'autre qu'énoncer des faits pour lui indéniables (en réalité, il est si facile de l'aimer que je ne vois aucun mérite particulier à l'attitude de François envers lui, pour laquelle je ne veux pas imaginer d'arrière-pensées) et ne porte aucun jugement sur le Pontificat. Ce qui est conforme à sa promesse d'obéissance - car Benoît XVI est AUSSI un homme d'honneur. Je trouve à cet égard intéressant ce commentaire de Socci (même si dans le ton de Benoît XVI, il y a certainement autre choses que de l'ironie)

Franchement il me semble qu'il n'y a rien de nouveau. Benoît, avec une ironie raffinée, continue à éluder les questions auxquelles il ne veut pas (ou ne peut pas, pour l'instant) de répondre.
Ainsi, tout comme il y a deux ans, il répondait à Tornielli qu'il était resté pape émérite parce qu'il n'avait pas d'autres vêtements dans son armoire (et Tornielli crut avoir fait un scoop en l'exhibant aux quatre vents), aujourd'hui, Benoît dit qu'il aurait quitté la papauté à cause d'une histoire de fuseau horaire...
Benoît XVI sait très bien que pour la doctrine de l'église la renonciation à la papauté ne peut advenir que pour des raisons très graves, sinon, c'est une grave faute morale. Et bien sûr le fuseau horaire pour le voyage à Rio n'est pas une raison très grave...
Donc ne buvez pas cela.
J'attribue ces splendides boutades à son ironie et à sa prudence. Il me semble que ce qu'il devait dire il l'a fait comprendre à travers la conférence historique de Mgr Gaenswein, son secrétaire, qui a parlé d'une «situation exceptionnelle» qui s'était créée et d'un «Pontificat d'exception» à propos de la papauté émérite.
Ensuite, quand le pape Benoît voudra et pourra, il nous expliquera tout en personne (ndt: cela me surprendrait...).
En attendant, je vois que dans cette interview, la seule question importante ne lui a pas été posée: pourquoi il a décidé d'être "Pape émérite" et pourquoi il a déclaré qu'il renonçait seulement à l'"exercice actif".
Étant donné que son secrétaire Mgr Gaenswein a donné à cette décision une signification historique (pontificat d'exception), je crois qu'il faut seulement attendre....