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A propos des "intentions de prières" du pape

Comment subvertir le message de l'Evangile. Avec sa modération habituelle, le P. Scalese revient sur l'intention pour le mois de novembre. Et témoigne de sa perplexité, en qualité de prêtre, sur le terrain (14/11/2017).

>>> Voir aussi: La nouvelle vidéo du Pape pour novembre 2017
>>> Et le site du Réseau Mondial de prière du Pape.

A propos d'apostolat de la prière

Père Giovanni Scalese CRSP
14 novembre 2017
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

Les Barnabites sont indissolublement liés à l'Apostolat de la Prière. Le mouvement est né en France en 1844, du fait des Jésuites (les Pères Gautrelet et Ramière), mais en Italie, il s'est diffusé grâce aux Barnabites. A partir de 1864, le père Antonio Maresca (1831-1891) et le père Giovanni Battista Vitale (1849-1916) prennent la direction de l'Ordre. Ce sont eux qui ont supervisé l'édition italienne du "Messager du Sacré-Cœur". Au Père Maresca, on doit aussi l'initiative de construire un sanctuaire à Rome en l'honneur du Sacré-Cœur (l'actuelle basilique près de la Stazione Termini), initiative qui a rapidement échoué faute de moyens financiers et qui a pu être achevée grâce à l'intervention de Don Bosco. Après la mort du Père Vitale (1916), la direction de l'Apostolat de la Prière passa, y compris pour l'Italie, non sans résistance, entre les mains des Jésuites.

C'est donc avec un certain déplaisir qu'on constate le déclin progressif d'un mouvement spirituel qui a tant donné à l'Église entre le XIXe et le XXe siècle. Le travail d'aggiornamento de l'Apostolat de la Prière a commencé à l'époque du Concile (il semblait alors que tout devait être révisé selon les nouveaux canons): à cette époque, il se limitait à quelques retouches à l'Offertoire quotidien (l'insertion des expressions "mère de l'Église"; "les joies"; "dans la grâce de l'Esprit Saint"). Rien à redire, la prière s'est enrichie sans rien perdre de son contenu.

Plus récemment (je ne saurais pas dire exactement quelle année) une autre formule de l'offertoire du jour a été introduite:

Dieu notre Père, je t'offre toute ma journée. Je t'offre mes prières, mes pensées, mes paroles, mes actes, mes joies et mes souffrances, en union avec le Cœur de ton Fils Jésus-Christ, qui continue à s'offrir à toi dans l'Eucharistie pour le salut du monde. Que l'Esprit Saint, qui a guidé Jésus, soit mon guide et ma force aujourd'hui, afin que je sois témoin de ton amour. Avec Marie, la mère du Seigneur et de l'Église, je prie spécialement pour les intentions que le Saint-Père recommande à la prière de tous les fidèles en ce mois.....

Cela pourrait apparaître - et c'est effectivement - une belle prière, avec un fondement théologique solide. Cependant, je ne sais pas si vous avez remarqué que toute référence à la réparation, qui est un des éléments caractéristiques de la dévotion au Sacré-Cœur, a disparu.

L'œuvre de renouveau de l'Apostolat de la Prière n'a pas pris fin ici. Récemment (dans le livret de 2016, ce n'était pas encore le cas) est apparu un nouveau nom - dans certains cas à côté de l'ancien libellé, dans d'autres cas pour le remplacer - "Réseau Mondial de Prière du Pape".
Était-ce vraiment nécessaire? Moi, j'aimais beaucoup l'expression "Apostolat de la Prière": la prière peut aussi être une forme d'apostolat; dans certains cas (par exemple, pour les moines et les femmes cloîtrées, ou pour nous qui vivons dans les pays musulmans), l'unique apostolat possible. Pourquoi abandonner une phrase aussi significative en faveur d'un anonyme "Réseau mondial de prière du Pape"?

Il fut un temps où deux intentions étaient proposées: une "générale" et une "missionnaire". Depuis janvier 2017, une seule intention est proposée, alternant mois après mois, "universelle" (qui a remplacé l'intention générale) ou "pour d'évangélisation" (qui a remplacé l'intention missionnaire). A part les nouvelles indications, qui pourraient être discutées, le fait de ne proposer qu'une seule intention, peut être une bonne solution, étant donné la tendance des évêques, des instituts et des mouvements religieux à ajouter des intentions particulières (pour certaines années, la Conférence épiscopale italienne a également proposé son intention mensuelle).

Mais, au-delà de ces changements formels, ce qui est le plus troublant, c'est le contenu des intentions de prière, qui ont progressivement acquis un caractère essentiellement social. Non pas que nous ne devions pas prier pour les problèmes sociaux, mais quand cela semble devenir la seule préoccupation, il ne peut y avoir aucun doute. Alors à présent, des doutes de nature doctrinale commencent aussi à surgir.
Lisons l'intention ("pour l'évangélisation") de novembre:

Pour les chrétiens d'Asie, afin qu'en témoignant l'Evangile par des paroles et des actes, ils puissent favoriser le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle, en particulier avec ceux qui appartiennent à d'autres religions.

Naturellement, je suis heureux que nous priions pour les chrétiens d'Asie, parce que je suis parmi eux avec mon petit troupeau [en Afghanistan].
Cependant, je dois avouer que dès le premier jour de novembre, j'ai ressenti un malaise à réciter cette intention.
Pourquoi?
Lisons-la attentivement. Elle demande deux choses: a) que les chrétiens d'Asie témoignent de l'Evangile; b) qu'ils encouragent le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle.
Évidemment, les deux choses sont bonnes en elles-mêmes: non seulement les chrétiens doivent témoigner de l'Évangile, mais aussi favoriser le dialogue, etc.
Ce n'est pas que les chrétiens d'Asie, parce qu'ils vivent pour la plupart dans des contextes qui ne sont pas chrétiens, doivent désirer l'hostilité, la discorde et les conflits dans leurs pays respectifs. Indépendamment de toute autre considération qui pourrait être faite à cet égard, à moi, ce que le prophète Jérémie a écrit dans sa lettre aux Juifs déportés à Babylone suffit: "Cherchez le bien-être du pays dans lequel je vous ai fait déporter, et priez pour lui le Seigneur, parce que de son bien-être dépend le vôtre" (Jr 29,7).
Le problème est que les deux propositions ne sont pas coordonnées entre elles ("qu'ils témoignent et favorisent"), mais que la première est subordonnée à la seconde en utilisant un gérondif ("en témoignant, qu'ils favorisent"). Ce qui, en italien [et en français!] signifie que la première action est fonctionnelle à la seconde; le témoignage de l'Évangile a pour finalité le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle. Et cela ne me semble pas très correct, car le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle, même s'ils sont des valeurs importantes en soi, ne peuvent être considérés comme des valeurs absolues et l'Évangile ne peut être réduit à un instrument pour atteindre ces objectifs. L'Évangile, nous rappelle saint Paul,"est puissance de Dieu pour le salut de quiconque est devenu croyant, le Juif d’abord, et le païen. Dans cet Évangile se révèle la justice donnée par Dieu, celle qui vient de la foi et conduit à la foi" (Rm 1,16-17). Le témoignage de l'Évangile a pour finalité la foi, parce que c'est seulement dans la foi que les hommes - tous les hommes, juifs et grecs - peuvent trouver le salut. Il est évident que, si le témoignage de l'Évangile ne sert qu'à promouvoir le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle, il se transforme en quelque chose de différent: un simple code éthique qui peut, s'il est mis en œuvre, promouvoir la réalisation de ces valeurs.

Malgré la formulation incorrecte de l'intention, je me suis efforcé d'en donner une interprétation correcte (en coordonnant, comme je l'ai dit, les deux propositions) et j'ai essayé d'excuser ceux qui ont rédigé l'intention, pensant qu'ils avaient exprimé de manière impropre une intention en soi valide. Mais l'autre jour, j'ai vu le clip du Pape qui illustre l'intention de prière, et j'ai dû changer d'avis: l'intention doit être comprise précisément dans la manière dont elle est exprimée. Jetez un coup d'oeil vous aussi (cela ne prend qu'une minute):

Non seulement il est clairement dit que nous devons prier pour que "les chrétiens favorisent le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle, en particulier avec ceux qui appartiennent à d'autres religions", confirmant que c'est là le véritable objectif, mais même, toute référence au témoignage de l'Évangile a disparu. D'un certain point de vue, tout compte fait, peut-être est-ce mieux ainsi, parce que cela évite de subordonner le témoignage de l'Évangile au dialogue, etc. Le témoignage de l'Évangile semblerait être devenu une simple option. Reste le fait que chacun est libre - et personne ne pourra l'empêcher - de prier pour que les chrétiens d'Asie puissent témoigner de l'Evangile, pour ce qu'il est réellement, et en même temps favorisent aussi le dialogue, la paix et la compréhension mutuelle. Ce qui est d'ailleurs ce que les chrétiens ont toujours fait depuis deux mille ans.