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AL et confusion: voix discordantes d'Autriche

Une étude publiée sur le site de l'archidiocèse de Vienne s'appuie sur AL pour relativiser le Décalogue, tandis qu'un éditorial d'un grand quotidien critique sévèrement la confusion de la même exhortation papale (11/3/2017)

Le cardinal Schönborn, l'un des théologiens de prédilection du Pape, a-t-il donné son aval à l'article publié sur le site de l'archidiocèse qu'il dirige?

Le site de l'archidiocèse de Vienne présente une étude sur l'interprétation du Sixième Commandement, qui prétend que ledit commandement garantit le droit au divorce et n’interdit ni la masturbation, ni la pornographie, ni la prostitution, etc.

La relativisation des textes bibliques est décidément très à la mode dans les milieux proches de François. On retrouve ici les même idées que celles développées récemment par le nouveau général des jésuites, Arturo Sosa (Les dubbia du Pape noir)

Le sixième commandement : tu ne commettras pas d’adultère

www.erzdioezese-wien.at
2/12/2016
Traduction d'Isabelle

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Le sixième commandement : Tu ne commettras pas d’adultère ! Le mariage est un signe précieux de l’amour.

Ce commandement, transmis en Exode 20, 14 et Deutéronome 5, 18, semble, au premier abord, clair et sans équivoque. Il se trouve d’emblée au fondement de la conception catholique du mariage et fournit en même temps un argument irréfutable contre le divorce. Un fait toutefois est ainsi perdu de vue : les dix commandements répondent, comme toutes les règles et les lois, à des défis sociaux précis et sont des produits de leur temps. Pour éclairer l’intention originelle du sixième commandement, il faut considérer le contexte où il est né.

Le contexte social
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La définition de l’adultère en Deutéronome 22, 22 est très instructive : « Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, tous deux mourront : l’homme qui a couché avec la femme et la femme elle-même. » La femme est coupable de l’adultère parce qu’elle a trahi son mariage; l’homme, parce qu’il s’est introduit dans le mariage d’autrui. Si une femme mariée avait une relation sexuelle en dehors de son mariage, elle était toujours adultère. L’homme marié, par contre, ne commettait l’adultère que s’il avait une relation avec une autre femme mariée.

Cette façon de traiter l’homme et de la femme d’une manière qui nous semble injuste est à situer sur l’arrière-fond de l’ordre social et familial patriarcal qui était celui du peuple d’Israël. Puisque la femme mariée était, au sens large du mot, une possession du mari, l’adultère représentait une offense infligée à ce qui relevait de son droit et de sa propriété. De plus, la fidélité sexuelle de l’épouse garantissait à son mari la légitimité de sa descendance. Le sixième commandement représente ainsi d’abord une norme destinée à protéger la perpétuation de la lignée, l’ordre social et l’idée de la justice.


Traduire pour aujourd’hui le sixième commandement.
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Puisque l’organisation sociale du peuple d’Israël est radicalement différente de la nôtre, l’interdiction de l’adultère doit sans cesse être re-traduite pour notre temps, afin de ne pas perdre sa pertinence. Longtemps, la tradition de l’Eglise a rattaché à ce sixième commandement tout ce qui relevait de la sexualité et considéré en bloc comme péchés mortels tous les actes sexuels extérieurs au mariage.

Une telle interprétation ne résiste ni aux résultats de l’exégèse ni à la quête, en éthique théologique, d’une évaluation différenciée.


Pas de dévalorisation de la sexualité
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Dans sa formulation originelle, le sixième commandement n’entend pas prononcer un jugement négatif général sur la sexualité et ne justifie pas non plus une interdiction globale d’actes comme la masturbation, la pornographie, la prostitution etc. Il ne peut même pas servir pour justifier facilement l’indissolubilité du mariage, mais au contraire suppose un droit au divorce qui existait aussi en Israël.


Avoir du respect pour le mariage des autres
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La pertinence actuelle de l’interdiction de l’adultère réside bien plus dans la protection du mariage comme communauté de l’amour fidèle dans une communauté entre homme et femme jouissant de droits égaux.

C’est cette requête qu’il adresse à l’homme et à la femme : d’abord, il rappelle le respect constant qu’il faut avoir pour le mariage des autres, dans lequel il ne faut pas s’immiscer. D’un autre côté, il invite les époux à garder en tête le respect pour leur propre mariage et veut leur éviter de le mettre en jeu à la légère.


Le mariage est un précieux signe d’amour
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Dans un contexte où tout est constamment disponible, le mariage forme un espace d’indisponibilité. « Le mariage est un signe précieux, car lorsqu’un homme et une femme célèbrent le sacrement du mariage, Dieu pour ainsi dire se reflète en eux, imprime en eux ses propres traits et le caractère indissoluble de son amour », comme l’a écrit le pape François dans son exhortation Amoris Laetitia de 2016. Dans le mariage entre homme et femme devient visible l’amour plein de tendresse de Dieu pour les hommes.


Les hommes peuvent-ils aimer comme Dieu ?
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Devant des paroles si fortes, la question se pose : n’est-ce pas trop demander à l’homme ? Les hommes peuvent-ils aimer comme Dieu ? L’homme est certes image de Dieu (cf. Genèse 1, 27), qui est lui-même amour et fidélité, mais l’homme n’est pas le modèle.

Etre homme signifie être imparfait et pouvoir échouer ― aussi dans le mariage ; le contraire de « humain » serait « parfait ». Conscients de ce fait, le pape, les évêques et leurs conseillers théologiques cherchent une solution humaine pour ceux que l’on appelle les divorcés remariés, c’est à dire des personnes qui considèrent leur mariage sacramentel comme un échec et sont engagés dans une liaison avec un autre conjoint, union dont découlent également des obligations.

Les exclure ― comme cela fut fait jusqu’ici ― du sacrement de l’Eucharistie en se référant à Jésus et à sa sollicitude pour les hommes semble très douteux d’un point de vue théologique. Le mariage chrétien est un idéal vers lequel les conjoints sont en marche ensemble, le sixième commandement les guide et l’amour et la fidélité de Dieu leur donnent la motivation pour aller sur ce chemin.

En contrepoint aux délires délétères du diocèse de Vienne, l'article suivant, daté du 7 Mars, est paru dans le journal autrichien Die Presse . Hans Winkler, l'auteur de l'article, est l'ancien vice-président de l'Association des éditeurs autrichiens catholiques (Verband Katholischer Publizistinnen und Publizisten Österreichs), et il a autrefois travaillé comme rédacteur en chef du service politique étrangère du plus grand quotidien régional autrichien, Kleine Zeitung.

François – Populisme “à la catholique”

Quatre années de pontificat de François. L’exhortation sur le mariage et la famille “Amoris Laetitia” comme clé de la stratégie du pape : les principaux points qui font l’objet de discussion sont intentionnellement formulés de manière si confuse que chacun peut y lire ce qu’il veut.

Hanns Winkler
Die Presse (Vienne)
6 mars 2017
Traduction d'Isabelle

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Lundi prochain, le 13 mars, il y aura quatre ans que fut élu un pape qui, à l’étonnement général, se donna le nom de François, nom qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait porté. Ce choix n’est pas exempt d’une certaine d’ironie, car l’apôtre de la pauvreté – puisque c’est ainsi apparemment que François considère celui dont il porte le nom – est tenu dans l’Eglise pour le patron des marchands. Ses successeurs, les moines franciscains ont fondé des banques et accordé des crédits aux indigents – contre intérêt évidemment. Encore de nos jours, ils s’entendent bien aux affaires d’argent et sont de très performants gérants de biens immobiliers.

Quatre années ne constituent certes pas une césure mémorable ; mais la proximité chronologique avec l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis nous force à prendre conscience qu’une autre puissance mondiale – si tant est que nous puissions désigner l’Eglise ainsi – est dirigée par un populiste. Bien sûr, Trump est un populiste de droite et le pape plutôt un radical – et catholique.

Une réaction impertinente
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Ce qui caractérise les populistes modernes, c’est un mépris de la légalité et des lois au nom
d’une justice dont ils donnent eux-mêmes la définition. Le populisme remplace le droit par le volontarisme du leader et de son contact direct avec le “peuple”, auquel il fait entendre que les “élites” l’ont trahi. Dans le cas du pape, les élites sont les hauts dignitaires de l’Eglise et les théologiens qui imposent au peuple des fardeaux, que lui-même lui promet d’enlever. Régulièrement, il chapitre les cardinaux d’une manière agressive et insultante.

A la critique, le populiste ne répond pas sur le fond, mais en fait toujours une affaire de personnes. La réaction insolente du pape aux questions, pourtant conformes aux règles de l’Eglise et aux formes de la courtoisie, posées par quatre cardinaux à propos d’Amoris Laetitia, l’exhortation sur le mariage et la famille, en est un exemple typique. Il se dit que ces questions auraient rendu François “furieux”.

Jusqu’à présent il juge ces cardinaux indignes d’une réponse. Ce n’est pas seulement grossier, cela relève clairement d’une stratégie. Aucun autre dirigeant d’une multinationale ne pourrait se permettre de traiter ainsi ses cadres. Au lieu de cela, il envoie en avant des subalternes, qui en viennent tout de suite aux menaces ou accusent les questionneurs d’hérésie ou d’apostasie de la foi.

En dépit de toutes ses protestations de collégialité, le pape décide de manière tout à fait autoritaire. Devant le synode des évêques, il a revendiqué sa primauté de juridiction telle que l’a définie le premier Concile du Vatican. Sur les chapitres de l’économie et de la protection de l’environnement, le pape fait montre d’une assurance idéologique, qu’il refuse de manifester sur le terrain qui lui est propre, celui de la doctrine de la foi et de la morale.

Ce sont là des domaines où il n’a, de par sa fonction, aucune compétence et pas non plus de connaissance solide. Toute sa compréhension de l’économie se ramène à l’idée que l’on rend les pauvres moins pauvres si l’on rend plus pauvres les riches ; une erreur classique.
“Le capitalisme et l’économie de marché sont les sources de la prospérité. Ils ne tuent pas mais rendent libre et créent de la prospérité”, dit le théologien et professeur d’économie suisse Martin Rhonheimer.

François a des sympathies manifestes pour la forme classique du populisme d’Amérique latine, le péronisme dans sa patrie d’origine. Pour celui-ci, l’économie consiste principalement en actions de bienfaisance et en redistribution. Parce qu’ils ont toujours ces mots à la bouche, les caudillo de gauche d’Amérique du Sud sont très heureux de la faveur publique du pape. Mais, au Vénézuéla, l’effet est proprement désastreux.

Alors que l’archevêque de Caracas parle d’une dictature qui méprise le peuple, le Vatican continue de protéger le régime par une médiation désormais inutile. François est ainsi devenu “pratiquement le sauveur politique du régime Maduro”, écrit le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Ses admirateurs vantent la spontanéité et la simplicité de son discours – sans considération pour ce que le public veut entendre. Cela peut être divertissant, mais d’un pape on devrait attendre qu’il parle de manière consistante et réfléchie et qu’il ne change pas de discours en fonction du public ou de la situation, comme le fait un populiste.

Un exemple parmi d’autres: la politique migratoire. Alors qu’à la fédération luthérienne mondiale à Lund, François déclare qu’aucun pays ne doit accepter plus de migrants qu’il n’en peut assimiler et se prononce ainsi en faveur d’un plafond, il réclame, lors de la réception des diplomates accrédités au Vatican, un droit à l’immigration sans restriction.

Pas d’intérêt pour les réformes
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Récemment, quelques intellectuels de l’Eglise autrichienne ont décerné à ce pape le titre de “Réformateur”. C’est une épithète étonnante. Le C 9 des cardinaux qui doit travailler à une réforme de la curie pontificale n’a jusqu’ici obtenu aucun résultat. François n’a manifestement aucun intérêt pour ces questions structurelles et préfère gouverner “par décret”. Sinon il se serait attaqué à la réforme des désignations épiscopales, en souffrance depuis longtemps, vu que régulièrement des diocèses sont laissés sans direction durant des mois. En tout cas, François ne montre pas la moindre intention de remplir le catalogue bien connu des souhaits des différents réformateurs de l’Eglise.

Si l’on veut définir une sorte de ligne d’un pontificat qui trébuche d’une “spontanéité” à la suivante, le cas d’Amoris Laetitia est exemplaire. Dans l’exhortation, le pape a, de sa propre main, résumé les résultats des deux synodes sur la famille. La question centrale, objet de toutes les controverses – l’admission aux sacrements des “divorcés remariés” – est intentionnellement formulée de manière si confuse que chacun peut en tirer ce qu’il veut. Et c’est ainsi que les choses se passent en réalité : les évêques de Pologne ou d’Afrique en tirent des conséquences différentes de celles de leurs confrères de Malte ou d’Allemagne ; l’archevêque de Philadelphie des conséquences qui s’opposent à celles de son confrère de Chicago.

Une “salutaire décentralisation”
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Il en résulte que les évêques doivent choisir leur propre doctrine sur le mariage et les sacrements. Le pape lui-même appelle cela une “salutaire décentralisation”, qui ne porte pas seulement sur une question pastorale mineure mais sur la doctrine elle-même. Dans la question du mariage, où il ne s’agit tout de même pas seulement de décisions pastorales, il espère pouvoir imposer pratiquement sa ligne “miséricordieuse”.

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller a recensé dans un livre les dangers qu’il voit dans cette attitude et les préoccupations qu’elle engendre de son point de vue : la décentralisation de l’Eglise ne peut pas mener à “des déclarations dogmatiques séparées” qui tendent à relativiser “les structures sacramentelles constitutives”.

Tel est bien l’enjeu. Inutile de dire que, dans la question d’Amoris Laetitia, Müller prend une tout autre position que le pape. Et dit, en conclusion : “On ne sert pas le pape par un culte de la personnalité”.