Benoit-et-moi 2017
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Comment l'Eglise a fini

Une utopie saisissante d'Aldo Maria Valli (28/12/2017)

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Come la Chiesa finì (www.amazon.it)

Il s'agit du dernier ouvrage du courageux et talentueux vaticaniste italien que mes lecteurs connaissent bien, de plus en plus lucide sur le caractère néfaste du cours engagé par "l'église de François". Il vient de sortir en Italie, et (comme d'habititude pour des livres ne s'inscrivant pas dans le conformisme ecclésial et politique qui dispose actuellement d'un quasi-monopole), l'espoir est mince qu'il soit traduit en français. Cela ne nous empêche pas de prendre connaissance de son contenu, au moins dans les grandes lignes (rien que sa parution, qui serait sans objet si la santé de l'Eglise était florissante et ses pasteurs irréprochables, est un évènement significatif), tout en conseillant sa lecture aux lecteurs familiers avec l'italien (précisons qu'AMV écrit un italien très fluide, et donc très facile à lire).

Voici donc une recension sur la Bussola, suivie (cadeau de l'auteur lui-même), d'un chapitre du livre. Le ton plaisant, qui évoque le cardinal Biffi du "Cinquième évangile", rend la lecture particulièrement agréable.

La Bussola

Comment l'Eglise a fini, l'utopie qui devient réalité

Paolo Gulisano
www.lanuovabq.it
27 décembre 2017
Ma traduction

* * *

Le mot utopie est né en 1516, il y a cinq cents ans, de l'esprit fervent du grand humaniste et saint martyr Thomas More. C'était le titre d'une de ses œuvres littéraires [cf. fr.wikipedia.org/wiki/Utopia ], qui devait non seulement devenir un chef-d'œuvre immortel, mais aussi constituer un véritable paradigme dans le domaine littéraire, philosophique et politique. Le mot Utopie inventé par More il y a cinq siècles est entré dans le vocabulaire courant avec le sens de songe, de projet, d'imaginaire projeté sur le futur. Parfois, ces utopies montrent des scénarios résolument sombres, voire désastreux, et dans ce cas, on les appelle dysopies.

Aldo Maria Valli, le plus important des vaticanistes italiens, auteur de nombreux textes sur l'Eglise et ses protagonistes des trente dernières années, fruit de sa profonde connaissance des Palais Sacrés vaticans, a confié aux presses de l'éditeur Liberilibri une utopie au titre inquiétant: Comment l'Eglise a fini.

Le livre est une sorte de chronique, de journal de l'évolution de l'Église catholique depuis notre époque jusqu'à sa dissolution. Un message dans une bouteille qui vient du futur, d'un obscur chroniqueur dit "Le Chanteur aveugle", un chrétien clandestin et persécuté, qui tire les fils de décennies d'autodémolition de l'Église. Nous sommes dans un futur où le monde vit sous un régime planétaire unique, guidé par une entité mystérieuse et totalitaire: "Ceux qui Aiment". Les religions n'existent plus: à leur place il n' y en a qu'une, la Nouvelle Religion Universelle, la seule reconnue et autorisée par Ceux qui Aiment.

Le scénario rappelle une autre dystopie célèbre, Le Maître du Monde de l'anglais Robert Hugh Benson. Toutefois, le Chanteur aveugle concentre surtout son attention sur le processus qui s'est déroulé au sein de l'Église catholique et qui a mené à l'alignement complet sur l'idéologie mondaine. Dans le flux des événements et des pontificats, le lecteur peut voir la réalisation de toutes les instances progressistes actuelles. L'auteur cite toute une série de documents, d'encycliques (évidemment inventées) aux titres extrêmement significatifs: Delenda Doctrina, Captatio Benevolentiae sur la manière de recueillir l'approbation du monde, Panem et Circenses sur l'Eucharistie pour tous, Gaudeamus Igitur sur le changement de nom d'Église Catholique en "Église Accueillante". A cet égard, l'auteur propose également des extraits du Vocabulaire de l'Église Accueillante, un document publié en annexe de "La Civiltà Cordiale".

La sympathique ironie d'Aldo Maria Valli ne craint pas trop de cacher sa préoccupation pour l'évolution - ou il vaudrait mieux dire l'involution - d'une pensée catholique de plus en plus éloignée de l'Orthodoxie et de l'Orthopraxie. Une Église de la "bi-pensée", de l'ambiguïté, qui commence à faire table rase de la doctrine, de la tradition, de la liturgie. Tout pour plaire au monde. "Le désir de plaire au monde, d'être comme le monde le voulait, de ne pas provoquer de conflits, d'apparaître dialoguante et disponible", avait littéralement fait perdre leurs esprits aux pasteurs. C'est ainsi que l'Église, dirigée par des pontifes qui portèrent tous rigoureusement le nom de François, en mémoire du pape qui avait ouvert le chemin du dialogue, du renouveau et de la révolution de la miséricorde, en vint à devenir une simple copie du monde. Une copie pathétique et médiocre qui n'intéressait plus personne.

Une terrible prophétie? Aldo Maria Valli prophète de malheur? En réalité, ces pages, pleines d'ironie raffinée et d'un certain goût pour le paradoxe au parfum chestertonien, représentent un avertissement passionné. Le scénario décrit par le Chanteur Aveugle est un scénario futuriste, malheureusement très plausible, le scénario d'une Église qui oublie le Christ, qui ne s'emploie qu'à se rendre attrayante au monde, et qui ce faisant finit par se trahir et se remet dans les mains des dominateurs du moment, d'une tyrannie douce qui brandit la bannière de "l'amour" et abolit la vérité et la liberté. L'espoir est qu'il soit encore temps d'empêcher ce futur de se produire. Mais si ces prophéties aussi deviennent réalité, le Chanteur Aveugle nous rappelle que la bonne bataille continuera toujours, et que l'Ennemi ne l'emportera pas tant qu'il reste quelqu'un qui conserve la vraie foi.

Extrait

Comment il advint que l'Église jugea opportun de ne pas juger

Aldo Maria Valli
Ma traduction

* * *

Cher lecteur, je veux maintenant te raconter comment l'Église en vint à imposer aux fidèles de ne pas juger, de ne pas exprimer d'appréciations sur la réalité et sur les personnes.

L'initiative vint du Pape François XVIII, un Brésilien, Neimar Marcelo David Thiago Firmino, qui réunit les cardinaux dans un consistoire extraordinaire, pour leur communiquer la grande décision: «Assez de jugements sur le monde, assez de paroles critiques. Nous voulons être à l'écoute du monde, amicaux envers tout le monde. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons dialoguer avec la culture dans laquelle nous vivons. Sinon, nous serons toujours considérés comme des corps étrangers. Cette séparation doit cesser!»

Le Pape François XVIII avait à l'esprit de demander aux cardinaux de rédiger un document spécifique sur le sujet, afin qu'il puisse avoir une base de travail en vue d'une encyclique. Les cardinaux, d'un commun accord, firent savoir au Pape qu'ils allaient prendre une année sabbatique, et ainsi, cette fois, il n'y eut aucune commission.

Papa Firmino, cependant, ne perdit pas courage. Enfermé dans son bureau, il passa l'été à écrire et en septembre, voilà l'encyclique: De gustibus, dans laquelle l'Église promettait qu'elle n'exprimerait plus jamais un seul jugement sur le monde, parce que la foi signifie prière et non jugement, la foi signifie accueil et non fracture, la foi signifie partage et non séparation.

Comme un célèbre Vaticaniste ouzbek, dans son blog, soulignait que parler d'accueil et de partage était malgré tout déjà un jugement, et que le pape se contredisait donc, le Vatican publia une note, à travers la salle de presse, dans laquelle il soutenait que toute évaluation était la bienvenue: le pape exprimait toute sa miséricorde envers le vaticaniste et priait pour lui. Après cela, on perdit toute trace de ce journaliste.

De gustibus fut accueilli avec beaucoup d'enthousiasme par l'opinion publique. «Enfin!» récitaient les titres des journaux progressistes. «Voilà l'Église que nous aimons!» «Voilà l'Église à visage humain!» «Merci, Papa Firmino!».

Les principaux commentateurs observèrent qu'avec le document pontifical, un terme définitif était mis à l'Inquisition, et qu'à partir de maintenant le dialogue entre la culture moderne et l'Église serait beaucoup plus facile, ouvrant des perspectives de grande croissance pour tous, à l'enseigne de la disponibilité mutuelle et de la collaboration.

Les problèmes à résoudre, selon ces commentateurs, étaient nombreux, à commencer par le refroidissement de la planète (après la phase de réchauffement, on était passé au signe opposé) et par l'extinction de certaines espèces animales, causes pour lesquelles la contribution de l'Église - comme le soulignèrent les associations écologiques - aurait été très utile.

Les quelques fidèles qui, étonnés et désorientés, se rappelaient qu'ils avaient lu quelque part que Jésus, même s'il était miséricordieux, n'avaient jamais renoncé à exprimer un jugement sur la réalité de son temps et sur les gens qu'il rencontrait, et avait toujours exhorté à la conversion du cœur pour adhérer à Dieu, se sentaient encore plus seuls et abandonnés qu'ils ne l'étaient déjà. Certains essayèrent même de réagir, se réunissant en groupes et associations de résistance. Le pape fit rapidement savoir qu'il les saluait avec beaucoup d'affection et de miséricorde. Après cela, toute trace de ces groupes disparut.

«S'il n' y a pas de jugement», disait l'encyclique, «nous n'avons rien à proposer au monde, et c'est justement ce que nous voulons. Nous ne devons pas proposer de messages. La foi n'est pas un jugement, mais une voie de consolation. Nous ne devons pas choisir, décider ce qui est bon et ce qui est mauvais. Le chrétien ne choisit pas, le chrétien accepte. Il faut sortir d'une vision ancienne au goût résolument manichéenne. L'Église est à la disposition de tous et, en ne jugeant pas, accueille tous, de façon que chacun puisse y trouver une parole d'accompagnement, d'adhésion, de sympathie. L'homme de foi ne juge pas. L'homme de foi vit! Il vit avec les autres, au milieu des autres! L'homme de foi accompagne et soutient».

Firmino suggéra aux théologiens à la page de ne pas s'attarder sur l'idée du salut. Il avait l'habitude de dire: «Se sauvent ceux qui aiment, et non ceux qui jugent. Que nos paroles soient entièrement dirigées vers l'amour». Idée qui se rattachait à la vision dialogante qu'il avait de la relation avec les autres religions. «Le catholique», expliquait-il, «ne peut pas prétendre que sa foi est la seule authentique. C'est une absurdité qui empêcherait tout dialogue. Nous, au contraire, nous voulons dialoguer, pas rejeter. Nous voulons construire des ponts, pas des murs.

Dans un discours célèbre adressé à l'Université du Monde Uni à Paris, Papa Firmino soutint que la question sur la vérité de la religion devrait être considérée comme dépassée. «Seule l'intolérant et l'hypocrite», expliqua-t-il «se posent cette question. Nous, qui ne jugeons pas, nous nous employons à faire en sorte que notre foi, dans le désir de rencontrer tout le monde, évite de se transformer en culture. Si elle le faisait, elle deviendrait inévitablement une foi de jugement. Que notre foi soit au contraire accueillante».

Ce jour-là, les applaudissements crépitèrent longuement et Papa Firmino sentit qu'il avait apporté une contribution décisive au tournant dialogant de l'Église.

Mais il ne s'arrêta pas là. Désireux de rendre l'Église encore plus proche du monde, plus miséricordieuse et accueillante, le Pape convoqua à Assise toutes les religions du monde et proposa aux frères et sœurs des autres religions de prier pour la paix. «L'un de nos prédécesseurs anciens», dit-il, se fit déjà le protagoniste d'un geste semblable à celui que nous sommes appelés à renouveler aujourd'hui. Mais à cette époque lointaine, une véritable prière commune n'était pas possible. Chaque foi priait en son nom, pour éviter, disait-on à l'époque, les chevauchements et la confusion. Au contraire, nous voulons que notre unité soit indiscutable aujourd'hui. C'est pourquoi nous prions ensemble, en nous tenant par la main et en priant notre Dieu unique. Que personne ne prétende justifier une présumée supériorité sur l'autre. Les fois sont toutes égales, ou alors ce ne sont pas des fois! La vraie prière est celle qui se déroule dans l'unité visible». Après cela prit place le rite de demande de paix au Dieu unique, selon un schéma plutôt élaboré développé par l'office liturgique du Vatican en collaboration avec les responsables de toutes les autres religions.

La journée fut mémorable et aujourd'hui encore, on en parle comme d'un moment de changement réel. Cette fois, rapportèrent les commentateurs, le chemin œcuménique et interreligieux a fait un pas en avant vraiemnt historique.

J'ajoute qu'aujourd'hui encore, à Assise, on peut admirer un hologramme en souvenir de cette prière. Activé à la demande, il représente Dieu comme chaque croyant veut le voir, de telle sorte, est-il expliqué sur une plaque à côté de lui, de n'offenser personne et de respecter tout le monde.

Les chroniques nous racontent qu'un jour, à Assise, un petit frère, vêtu seulement de l'habit franciscain, s'arrêta devant l'hologramme et cria: «Va-t-en, Satan! Va-t-en, Seigneur du mal!» Plusieurs gardes intervinrent et l'accompagnèrent Au Centre de Reconstruction de la Pensée, où ils s'employèrent à le reprogrammer. Il semble qu'aujourd'hui il soit l'un des plus fervents partisans du polythéisme accueillant et qu'il donne même des conférences sur le thème «L'Église catholique est-elle la vraie foi? Fin d'une prétention insensée».