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Deux Papes à l'Université

Hier, François, à Rome III; en 2008, Benoît XVI à La Sapienza. Aldo Maria Valli réagit à la différence (abyssale) dans l'accueil et dans le message (18/2/2017)

Hier, François s'est rendu en visite dans l'une des Universités romaines, accueilli apparemment avec enthousiasme, en particulier par les étudiants.
Selon ce qui est désormais une habitude pour lui, il n'a pas prononcé le discours préparé (qui avait sans doute été écrit dans les Bureaux de la Curie), préférant échanger a braccio avec son jeune public. Dans ce discours "écrit", qu'on peut pour le moment lire seulement en italien sur le site du Vatican, mais qui est disponible en français dans la traduction de Zenit (qui prend bien soin de préciser que le discours a été «écrit par le Pape François»!), le mot "Jésus" apparaissait deux fois. Dans la harangue effectivement prononcée, toute référence à Jésus a disparu. On peut en lire une synthèse (en français) sur le site de Radio Vatican.

La visite ne peut manquer de faire remonter à la mémoire le triste épisode de la visite empêchée de Benoît XVI à la bien mal nomméee Université romaine de La Sapienza en janvier 2008.
On trouvera sur mon site un dossier sur ce lamentable épisode tel que je l'avais vécu "en direct" à l'époque: benoit-et-moi.fr/2008-I .
Et la synthèse que j'avais essayé d'en tirer six ans après, en janvier 2014
¤ benoit-et-moi.fr/2014-II-1/benoit/la-visite-manquee-de-benoit-xvi-a-la-sapienza-i
¤ benoit-et-moi.fr/2014-II-1/benoit/la-visite-manquee-de-benoit-xvi-a-la-sapienza-ii

Si l'on se contente de comparer la forme, c'est-à-dire l'accueil (ou plutôt le "non -accueil" en ce qui concerne Benoît XVI) la différence crève les yeux et devrait définitivement convaincre les aveugles que les choses ont bien changé depuis cette époque.
Mais il n'y a pas que la forme. Il y a aussi le fond, c'est-à-dire le contenu des discours: celui non prononcé de Benoît XVI, et celui improvisé par François (et même celui "officiel" écrit pour lui). Là, on ne peut même plus parler de changement. Il s'agit d'un goufre.

Bravo à Aldo Mario Valli qui, en rappelant le discours de 2008 et ses circonstances, rend un magnifique hommage à Benoît XVI (même si on put trouver son indulgence envers François excessive!). Et conclut, comparant avec celui de 2017:

En repensant à l'interdiction faite à Benoît XVI en 2008, il est difficile de se soustraire à l'impression que l'homme de foi, même quand il est le pape en personne, est aujourd'hui plus apprécié dans le débat public quand il ne traite pas de la question de Dieu et de la vérité. Autrement dit, quand il n'est pas trop pape et pas trop catholique.

Deux papes, deux universités, deux climats différents. Avec une sensation

Aldo Maria Valli
17 février 2017
Ma traduction

* * *

La visite de François à l'Université Rome III, dans une atmosphère de fête et de grande affection pour le pape, m'a fait revenir à la mémoire un épisode très différent.

Comme certains s'en souviendront, en Janvier 2008 le pape Benoît XVI fut invité à prononcer un discours à l'Université La Sapienza de Rome. La visite, prévue pour la journée du 17, fut cependant annulée deux jours avant. C'est le recteur de l'époque, Renato Guarini, qui avait invité le pape pour l'inauguration de l'année académique, bien sûr après avoir consulté avec le Conseil d'Université qui s'était dit heureux de recevoir l'évêque de Rome, comme cela s'était déjà produit avec Paul VI en 1964 et avec Jean-Paul II à Rome III en 2002.

Plusieurs professeurs manifestèrent toutefois leur opposition, d'abord avec un discours du professeur Marcello Cini, publié par «Il Manifesto» (quotidien communiste, ndt), puis avec une lettre signée par quelque soixante-dix professeurs de la Faculté de physique (en fait, soixante-sept enseignants sur un total de 4500) et signée plus tard par sept cents autres professeurs italiens et étrangers de diverses universités.

L'affaire s'enflamma quand le 10 Janvier, la lettre fut relancée par le quotidien "La Repubblica". C'est ainsi que, dans un climat de polémique, Benoît XVI communiqua à contrecoeur sa décision de renoncer à la visite, qui menaçait d'avoir des conséquences graves [en particulier en mettant en danger la sécurité des étudianst fauteurs de troubles, qui était la première préoccupation du Saint-Père, ndt] pour ne pas alimenter un feu. A la veille de l'événement, il y avait eu en effet des manifestations étudiantes d'opposition à l'invitation, culminant avec l'occupation du Siège du Conseil d'Université et du rectorat.

L'auteur de ces lignes a vécu ces jours en tant que journaliste, interviewant les jeunes et les professeurs opposés à la venue du pape, à commencer par Cini (qui devait décéder en 2012 à quatre-vingt-neuf ans), auquel je rendis visite à son domicile. Il me fut donc possible de toucher du doigt le mélange de préjugés, de fureur idéologique et, désolé de le dire, d'ignorance qui avait conduit à la contestation et à l'annulation de la visite.

Pour barrer l'entrée de Ratzinger, on utilisa, entre autres choses, une lecture déformée de la lectio tenue par Benoît XVI en 2006 à l'Université de Regensburg sur «Foi, Raison et Université» (le fameux discours dans lequel le pape affrontait également le problème de la relation entre l'islam et la violence) et la manipulation d'un discours prononcé à La Sapienza par le cardinal Ratzinger en 1990.

L'histoire, aujourd'hui réévoquée dans un livre («Sapienza e libertà. Come e perché papa Ratzinger non parlò all’Università di Roma», écrit par le journaliste Pier Luigi De Lauro), fut très triste à tout point de vue. De fait, l'évêque de Rome fut empêché de s'exprimer à l'université la plus grande et la plus importante de son diocèse, fondée par ailleurs, justement par un pape: Boniface VIII. Même si le recteur, et il faut l'en créditer, voulut ensuite que le discours du pape fût lu lors de la cérémonie, ce fut une occasion manquée, une défaite pour tout le monde.

Dans cette vilaine histoire, les médias ont joué un rôle décisif. Ce fut en grande partie eux qui remontèrent les étudiants et gonflèrent l'affaire. Le premier à l'admettre fut Gianluca Senatore, qui était alors représentant des étudiants. Le refus de Cini et de ses autres collègues, explique aujourd'hui Senatore, n'est en réalité pas née du souci de défendre la laïcité de l'institution universitaire, mais de la peur de se confronter avec un pape théologien qui mettait sérieusement en péril la prétention de domination des sciences naturelles et empiriques sur la connaissance.

Le même Senatore révèle qu'à l'époque, il n'avait rien lu de Ratzinger, mais plus tard il essaya d'en approfondir la connaissance, découvrant des points de convergence inattendus entre les préoccupations du pape et celles du professeur Cini, par exemple à propos des terribles dérives assumées par la science et la technologie au cours du dernier demi-siècle.

Malheureusement, dit Senatore, c'est l'intolérance qui a gagné, mais cette histoire a eu au moins un effet positif: l'étudiant d'alors, en commençant à lire Ratzinger, est arrivé à la conclusion, aujourd'hui confirmée, que le pape allemand a représenté l'un des moments les plus élevés de la tradition culturelle de l'Eglise catholique.

Mais qu'aurait dit Ratzinger s'il avait eu l'opportunité de parler? On rappelle rarement que le pape avait préparé un texte aussi humble dans la forme que de haut niveau dans le contenu, une contribution qui mérite au moins dans les grandes lignes d'être rappelée, tant pour montrer combien les craintes des manifestants étaient non fondées que pour rappeler à la finesse de ce pontife.

* * *

Le discours commençait ainsi: «C'est pour moi un motif de profonde joie de rencontrer la communauté de la "Sapienza - Université de Rome", à l'occasion de l'inauguration de l'Année académique. Depuis des siècles, cette université marque le chemin et la vie de la ville de Rome, faisant fructifier les meilleures énergies intellectuelles dans tous les domaines du savoir».

L'Église, soulignait le Pape, a toujours regardé «avec sympathie et admiration ce centre universitaire, reconnaissant son engagement, parfois difficile et laborieux, dans la recherche et pour la formation des nouvelles générations».

Puis Ratzinger, réaffirmant l'absolue autonomie des universités et se demandant ce que pouvait dire un pape s'adressant à une université d'État de son diocèse, élargissait le discours, se posant deux questions de fond: «Quelle est la nature et la mission de la papauté? Et encore: quelle est la nature et la mission de l'université?».

A la première question Benoît XVI répondait que certes, le pape «ne doit pas essayer d'imposer aux autres de manière autoritaire la foi, qui ne peut être donnée qu'en liberté». Au-delà de son ministère pastoral, il est malgré tout de son devoir, précisait-il «de maintenir vive la sensibilité à la vérité» et «d'inviter toujours à nouveau la raison à se mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu». Et ici, Benoît XVI ne craignait pas de réclamer le «patrimoine de sagesse» dont la communauté des croyants est dépositaire comme gardienne d'«un trésor de connaissances et d'expérience éthique qui est important pour toute l'humanité».

En somme, expliquait Benoît XVI se permettant un soupçon de provocation, «la sagesse des grandes traditions religieuses doit être valorisée comme une réalité que l'on ne peut pas jeter impunément dans le panier (la poubelle) de l'histoire des idées».

Quant à la deuxième question, la réponse préparée par le pape résonnait ainsi: «On peut dire, je pense, que la véritable et profonde origine de l'Université se trouve dans la soif de connaissance qui est le propre de l'homme. Il veut connaître la nature de tout ce qui l'entoure. Il veut la vérité. [...] L'homme veut connaître - il veut la vérité.[...] Mais la vérité signifie davantage que le savoir: la connaissance de la vérité a pour objectif la connaissance du bien. Tel est également le sens de l'interrogation socratique: Quel est le bien qui nous rend vrais?».

* * *

Comme on peut le voir, de la part de Benoît XVI, aucune "invasion de terrain", aucune arrogance. Au contraire, la contribution profonde d'un homme, un professeur, un théologien, sincère quand il propose son propre point de vue (avec la question de la vérité au premier plan), direct quand il demande de méditer sur le fait que la vérité signifie plus que la connaissances et quand il s'interroge sur certaines grandes questions qui, après tout, concernent tout le monde, croyants et non-croyants, et touchent de près surtout ceux qui travaillent dans un sanctuaire de la connaissance comme l'est une université.

Mais à cet homme, à ce professeur, à ce théologien, à ce pape, par un acte inouï de prévarication jacobine, on a barré la route.

Maintenant, le fait qu'un autre pape, François, ait été invité par une autre université à Rome, l'Université Roma Tre, et non seulement ait pu intervenir, mais qu'il ait été reçu avec beaucoup de sympathie et d'enthousiasme, ne peut manquer de plaire à tous les gens qui aiment la libre confrontation des idées.

Cependant, il reste un arrière-goût amer si l'on pense que François, en répondant aux questions de quelques étudiants, n'a touché aucun des principaux problèmes concernant la vérité et la relation entre la raison et la foi. François, en réalité, plus qu'en pape, plus qu'en évêque, plus quen religieux, a choisi de parler en sociologue et en économiste. Il a abordé les questions liées au chômage des jeunes, aux migrations, à la mondialisation. Il a demandé, avec des accents de sincèrité, qu'on recherche l'unité tout en préservant les différences et non l'uniformité (la fameuse image du polyèdre qui est l'un de ses thémes-fétiches, ndt). Questions importantes, bien sûr. Mais on est frappé par le fait que pas une fois il n'a nommé Dieu ou la foi.

Il est pourtant vrai que dans le texte écrit et ensuite non lu, parce que le pape a choisi de répondre aux jeunes en improvisant, il y a un très beau passage où Bergoglio avec humilité mais aussi avec efficacité, dit ceci: «Je me professe chrétien et la transcendance à laquelle je m'ouvre et que je regarde a un nom: Jésus. Je suis convaincu que son Évangile est une force de vrai renouveau personnel et social. Parlant ainsi, je ne vous propose pas des illusions ou des théories philosophiques ou idéologiques, je veux pas non plus faire du prosélytisme. Je vous parle d'une personne qui est venue à ma rencontre quand j'avais plus ou moins votre âge, il m'a ouvert des horizons et a changé ma vie». Il est également vrai que le discours écrit, même non prononcé, reste enregistré (mais le fait qu'il n'ait pas repris ce passage en s'exprimant a braccio me paraît malheureusement très significatif: presque un aveu! ndt). Toutefois, dans la confrontation directe avec les étudiants, et par conséquent dans toutes les chroniques de la journée, les références à la transcendance et la foi en Jésus ont disparu.

Il serait fou de penser que le Pape s'est autocensuré. En choisissant de mettre de côté les remarques préparées à une table, il a certainement voulu être simplement plus proche des jeunes et mieux démontrer, avec une plus grande intensité émotionnelle, sa participation à leurs problèmes, à leurs préoccupations (AM Valli est vraiment très indulgent!! ndt). D'autre part, je suis convaincu que les enseignants et les étudiants de Rome III auraient applaudi même si François avait fait référence à l'expérience religieuse.

Cependant, en observant les éloges et la sympathie réservés à François et en repensant à l'interdiction faite à Benoît XVI en 2008, il est difficile de se soustraire à l'impression que l'homme de foi, même quand il est le pape en personne, est aujourd'hui plus apprécié dans le débat public quand il ne traite pas de la question de Dieu et de la vérité. Autrement dit, quand il n'est pas trop pape et pas trop catholique.