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La guerre contre le Pape François (III)

Fin de la traduction de l'article-fleuve du "Guardian", avec une rafale d'évidences qu'on apprécie de voir enfin rassemblées noir sur blanc (30/10/2017)

>>> La guerre contre le Pape François (I)
>>> La guerre contre le Pape François (II)

L’article est une sorte d’auberge espagnole, où les bergoliâtres béats trouveront largement de quoi alimenter leur culte.

Evidemment, pour quiconque suit de près (et pas à travers les lentilles déformantes des médias ecclésiaux institutionnels) ce qui se passe dans l’Eglise, l’ensemble de l’article se détruit lui-même par sa critique caricaturale des prétendus « ennemis de François », ses imprécisions et même ses erreurs factuelles, et surtout par sa totale incompréhension de la nature divine de l’Eglise (voir la réponse du cardinal Brandmüller)

Mais il a le mérite de mettre noir sur blanc les évidences que beaucoup de gens refusent encore de voir, et que l’on trouve en rafales dans cette dernière partie.

La guerre contre le pape François
Troisième et dernière partie

Sa modestie et son humilité ont fait de lui une figure populaire dans le monde entier. Mais à l'intérieur de l'Église, ses réformes ont suscité la colère des conservateurs, et déclenché une révolte.

Andrew Brown
27 octobre 2017
www.theguardian.com
Ma traduction

(Photo "The Guardian")

MORALE SEXUELLE

Mais cette bataille a été éclipsée, comme toutes les autres, par les luttes internes sur la morale sexuelle. La bataille pour le divorce et le remariage repose sur deux faits. Premièrement, que la doctrine de l'Église catholique n'a pas changé en près de deux millénaires - le mariage, c'est pour la vie et indissoluble; c'est absolument clair. Mais il en va de même pour le deuxième fait: les catholiques divorcent et se remarient à peu près au même rythme que la population environnante, et lorsqu'ils divorcent et se remarient, ils ne voient rien d'impardonnable dans leurs actions. Les Églises du monde occidental sont donc pleines de couples divorcés et remariés qui communient avec tout le monde, même si eux et leurs prêtres savent très bien que ce n'est pas permis.

Les riches et les puissants ont toujours exploité les failles. Quand ils veulent chasser une femme et se remarier, un bon avocat trouvera un moyen de prouver que le premier mariage était une erreur, pas quelque chose de conforme à l'esprit que l'Église exige, et donc qu'il peut être effacé du dossier - dans le jargon, annulé.
Cela s'applique particulièrement aux conservateurs: Steve Bannon a réussi à divorcer de ses trois épouses, mais l'exemple contemporain le plus scandaleux est peut-être celui de Newt Gingrich, qui a dirigé la prise de pouvoir des Républicains sur le Congrès dans les années 1990 et qui s'est depuis réinventé en tant qu'allié de Trump. Gingrich a rompu avec sa première femme alors qu'elle était soignée pour un cancer, et alors qu'il était marié à sa deuxième femme, il a eu pendant huit ans une liaison avec Callista Bisek, une catholique dévote, avant de l'épouser à l'Église. Elle est sur le point de prendre les fonctions de nouvel ambassadeur de Donald Trump au Vatican.

L'enseignement sur le remariage après le divorce n'est pas la seule façon dont l'enseignement sexuel catholique nie la réalité telle qu'elle est vécue par les laïcs, mais c'est la plus néfaste. L'interdiction de la contraception artificielle est ignorée de tous, partout où elle est légale. L'hostilité envers les homosexuels est minée par le fait généralement reconnu qu'en Occident, une grande partie du clergé est homosexuel, et que certains d'entre eux sont des célibataires bien équilibrés. Le rejet de l'avortement n'est pas un problème là où l'avortement est légal et n'est en tout cas pas propre à l'Église catholique. Mais le refus de reconnaître les deuxièmes mariages, à moins que le couple ne promette de ne jamais avoir de rapports sexuels, met en évidence l'absurdité d'une caste d'hommes célibataires qui régentent la vie des femmes.

En 2015 et en 2016, François convoqua deux grandes conférences (ou synodes) d'évêques du monde entier pour discuter de tout cela. Il savait qu'il ne pouvait pas bouger sans un large consensus. Il se tut lui-même et encouragea les évêques à se disputer. Mais il est vite apparu qu'il était en faveur d'un assouplissement considérable de la discipline autour de la communion après le remariage. Comme c'est ce qui se passe dans la pratique de toute façon, il est difficile pour un étranger de comprendre les passions qu'il suscite.

"Ce qui m'importe, c'est la théorie", dit le prêtre anglais qui confessa sa haine de François. Dans ma paroisse, il y a beaucoup de couples divorcés et remariés, mais beaucoup d'entre eux, s'ils apprenaient que le premier conjoint était mort, se précipiteraient pour obtenir un mariage à l'Église. Je connais beaucoup d'homosexuels qui font toutes sortes de choses mauvaises, mais ils savent qu'ils ne devraient . Nous sommes tous des pécheurs. Mais nous devons maintenir l'intégrité intellectuelle de la foi catholique."

Dans cet état d'esprit, le fait que le monde rejette votre enseignement prouve simplement à quel point il est dans le vrai. "L'Église catholique devrait être contre-culturelle dans le sillage de la révolution sexuelle", dit Ross Douthat. "L'Église catholique est le dernier endroit du monde occidental qui dit que le divorce est mauvais".

UNE CERTAINE NOTE DE BAS DE PAGE

Pour François et ses partisans, tout cela est sans importance. L'Église, dit François, devrait être un hôpital, ou un poste de premiers soins. Les gens qui ont divorcé n'ont pas besoin qu'on leur dise que c'est mal. Ils ont besoin de se rétablir et de reconstruire leur vie. L'Église devrait se tenir à leurs côtés et faire preuve de miséricorde.

Au premier synode des évêques en 2015, cette opinion était encore minoritaire. Un document libéral a été préparé, mais rejeté par la majorité. Un an plus tard, les conservateurs étaient nettement minoritaires, mais très déterminés. François lui-même a écrit un résumé des délibérations dans "La Joie de l'Amour". C'est un document long, réfléchi et soigneusement ambigu. La dynamite est enfouie dans la note 351 du chapitre huit, et a pris une importance immense dans les convulsions qui ont suivi.

La note de bas de page joint en annexe un passage qui vaut la peine d'être cité à la fois pour ce qu'il dit et pour la façon dont il le dit. Ce qu'il dit est clair: certaines personnes qui vivent dans un second mariage (ou un partenariat civil) "peuvent vivre dans la grâce de Dieu, aimer et grandir aussi dans la vie de grâce et de charité, tout en recevant l'aide de l'Église à cette fin".

Même la note de bas de page, qui dit que de tels couples peuvent recevoir la communion s'ils ont confessé leurs péchés, aborde la question avec circonspection: "Dans certains cas, cela peut inclure l'aide des sacrements", d'où "je veux rappeler aux prêtres que le confessionnal ne doit pas être une chambre de torture, mais plutôt une rencontre avec la miséricorde du Seigneur".

"En pensant que tout est noir et blanc", ajoute François, "nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance".

C'est ce minuscule passage qui a rassemblé toutes les autres rébellions contre son autorité. Personne n'a consulté les laïcs pour savoir ce qu'ils en pensent, et de toute façon leurs opinions n'intéressent pas le parti introverti. Mais parmi les évêques, entre un quart et un tiers résistent passivement au changement, et une petite minorité le fait activement.

RUPTURE DÉLIBÉRÉE AVEC L'ENSEIGNEMENT ANTÉRIEUR.

Le chef de cette faction est le grand ennemi de François, le Cardinal Burke. D'abord limogé de son poste à la cour du Vatican, puis de la commission liturgique, il finit par faire partie du conseil de surveillance des Chevaliers de Malte (sic!) - un organisme caritatif dirigé par les anciennes aristocraties catholiques d'Europe. En automne 2016, il licencia le chef de l'ordre pour avoir prétendument autorisé les religieuses à distribuer des préservatifs en Birmanie. C'est quelque chose que les religieuses font assez largement dans le monde en développement pour protéger les femmes vulnérables. L'homme qui avait été limogé fit appel au pape.

Le résultat fut que François rétablit l'homme que Burke avait limogé et qu'il nomma un autre homme pour reprendre l'essentiel des fonctions de Burke. C'était une punition à Burke, pour avoir affirmé à tort que le pape avait été de son côté dans la querelle d'origine.

Pendant ce temps, Burke avait ouvert un nouveau front, qui s'approchait le plus possible d'accuser le pape d'hérésie. Avec trois autres cardinaux, dont deux sont décédés depuis, Burke produisit une liste de quatre questions visant à établir si Amoris Laetitia enfreignait l'enseignement antérieur. Celles-ci ont été envoyées comme une lettre formelle à François, qui l'a ignorée. Après son renvoi, Burke a rendu les questions publiques, et a dit qu'il était prêt à émettre une déclaration formelle selon laquelle le pape était un hérétique s'il ne répondait pas.

Bien sûr, Amoris Laetitia représente une rupture avec l'enseignement antérieur. C'est un exemple de l'apprentissage de l'Eglise par l'expérience. Mais c'est difficile à assimiler pour les conservateurs: historiquement, ces poussées d'apprentissage ne se sont produites que dans des convulsions, à des siècles d'intervalle. Celle-ci n'est arrivée que 60 ans après la dernière explosion de l'extroversion, avec Vatican II, et seulement 16 ans après que Jean-Paul II ait confirmé l'ancienne ligne dure.

"Que signifie pour un pape de contredire un pape précédent?" demande Douthat. Il est remarquable de constater que François était sur le point d'argumenter contre ses prédécesseurs immédiats. Il y a seulement 30 ans, Jean-Paul II a écrit dans Veritatis Splendor une phrase qu'Amoris Laetitia semble contredire."

Le pape François contredit délibérément un homme qu'il a lui-même proclamé saint. Ça ne le dérangera sans doute pas. Mais la mort le pourrait. Plus François change la ligne de ses prédécesseurs, plus il devient facile pour un successeur de renverser la sienne. Bien que l'enseignement catholique change naturellement, il repose pour sa force sur l'illusion qu'il ne change pas. Les pieds peuvent danser sous la soutane, mais la robe elle-même ne doit jamais bouger. Cependant, cela signifie également que les changements qui ont eu lieu peuvent être annulés sans aucun mouvement officiel. C'est ainsi que Jean-Paul II a riposté contre Vatican II.

Pour garantir la pérennité des changements de François, l'Église doit les accepter. C'est une question à laquelle on ne répondra pas de son vivant. Il a maintenant 80 ans et n'a plus qu'un seul poumon. Ses opposants prient peut-être pour sa mort, mais personne ne peut savoir si son successeur tentera de le contredire - et à cette question, l'avenir de l'Église catholique est désormais suspendu.

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