Benoit-et-moi 2017
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La réforme de la Curie

Très intéressant panorama brossé par un bon connaisseur (19/2/2017)

En cherchant une illustration pour cet article, je suis tombée sur un article publié le 2 janvier dernier dans La Croix, intitulé LE NOUVEAU VISAGE DE LA CURIE DE FRANÇOIS.
Il commence en ces termes:
«Dans les couloirs de la Curie, beaucoup se réjouissent de trouver un sens nouveau à leur travail depuis que le pape François a impulsé sa réforme de la Curie.»

A l'évidence, l'envoyé spécial de la Croix à Rome n'a pas croisé 'dans les couloirs de la Curie' les mêmes hommes que Marco Tosatti.
Ce dernier, en plus de son nouveau blog, <Stilum Curiae> qui remplace celui hébergé par La Stampa <San Pietro e dintorni> collabore désormais à La Bussola (plus en syntonie avec ses idées que La Stampa-Vatican Insider où il travaillait avant!). Il est en train de s'imposer comme l'un des meilleurs connaisseurs, des plus fiables, et surtout des plus honnêtes, des affaires du Vatican, et de la personnalité du Pape.
C'est un des effets Bergoglio - au moins collatéraux. La redistribution des cartes entre les vaticanistes italiens. Pour que les choses soient enfin claires.

La réforme de la Curie? Une Curie parallèle

Marco Tosatti
19 février 2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Le style de gouvernement du Pontife régnant est personnel - c'est le moins qu'on puisse dire. Mais dans ce qui peut paraître au premier abord un désintérêt marqué pour les règles, les procédures et la «machine» du système, on peut entrevoir une stratégie. Peut-être pas élaborée par le pape lui-même, mais par quelque conseiller ou metteur en scène, dont nous sommes enclins à croire qu'il a l'expérience de la Curie et de la diplomatie (?).

D'ailleurs, ce n'est pas un mystère que, contrairement à son prédécesseur, le pape Bergoglio a un faible pour les diplomates en soutane, véritable caste du Saint-Siège. Et au contraire, il ne semble pas avoir le même amour pour les protagonistes, grands ou petits, de la machine centrale. Un résidu d'amertume du temps où il était archevêque de Buenos Aires, et où à Rome on lui refusait certaines promotions, comme celle de recteur de la Catholique [l'Université] de la capitale argentine? Peut-être.

Quoi qu'il en soit, le pape qui a affirmé à plusieurs reprises suivre les conseils et les suggestions émergées des sessions cardinalices de pré-conclave, n'en a pas tenu compte sur au moins deux points.
L'une des demandes présentées par plusieurs voix était une réforme de la Secrétairerie d'Etat, jugée trop puissante. Elle n'a pas eu lieu, et même, comme nous le voyons dans le cas de l'Ordre de Malte, son pouvoir a augmenté. Le délégué du pape est le numéro 2 de la hiérarchie, le Substitut Angelo Becciu.
Le second point-suggestion-requête, lui aussi complètement ignoré, était la reprise des “udienze di cartello”. Autrement dit, le rendez-vous avec le pape des responsables des Congrégations, pour le tenir informé et recevoir des indications; et un échange d'idées. Nous savons de certains Préfets qu'ils ne sont pas reçus, ou presque jamais, et d'autres, même importants, qu'ils doivent attendre des mois pour une audience. Déjà, il s'agit d'une circonstance, et d'un système, qui suscitent le malaise, comme il est facile de le comprendre.

Une observation de la stratégie utilisée pour gérer la Curie nous amène à faire quelques considérations.

Pour certains secteurs, qu'évidemment lui-même ou ceux qui le guident considèrent comme des ganglions vitaux, il y a eu un remplacement brutal et immédiat. Ce fut le cas de la Congrégation pour le Clergé, où le cardinal Piacenza, envoyé à la Pénitencerie, a été remplacé par le diplomate et homme de confiance du Pontife, le cardinal Beniamino Stella. Et de la Signature apostolique, la Cour suprême du Vatican, centrale parce que toutes les causes et les recours arrivent là. Le canoniste et expert juridique Burke a été remplacé par un autre diplomate, Mgr Mamberti. Le cas récent des Franciscaines de l'Immaculée, mises à nouveau sous contrôle d'une commission avec décret papal sans appel justement parce que leur recours contre la désignation de cette commission avait des chances de succès à la Signature explique l'importance de ce tribunal.

Le pape est Roi, mais même lui ne peut tout faire, toujours, en même temps. Il y a des têtes qui en tombant feraient trop de bruit. Dans ce cas, il s'agit de trouver de nouvelles stratégies, tendant toutes à fragiliser le sommet, et à affaiblir de l'intérieur l'unité de direction et de tension de la Congrégation. Ce qui de toute façon, est un objectif pratiqué dans les dicastères, comme le clergé, conquis immédiatement. Le cardinal Mauro Piacenza, ratzingérien déclaré, a été envoyé pour diriger la Pénitencerie. Le secrétaire, l'Espagnol Celso Morga Iruzubieta, des décennies d'expérience à la Congrégation, proche de l'Opus Dei, au bout de trois mois (nécessaires pour trouver un diocèse libre en Espagne) a été envoyé à Merida-Badajoz. Silencieusement, mais en grand nombre, ufficiali et employés sont licenciés ou poussés à renoncer «volontairement».

En même temps que la Congrégation pour le Clergé, ganglion central, qui s'occupe également des séminaires, un autre élément crucial de l'administration, et de la politique du pape est la Congrégation pour les évêques. Le préfet est le cardinal Marc Ouellet, un homme indépendant et avec des idées claires. Le Pape - on le voit aux nominations - désire que soient choisis des évêques progressistes. On peut compter les cas contraires sur les doigts d'une main. Quand je me suis étonné, en discutant avec un expert, de la nomination en Asie d'un prélat de style ecclésial différent, on m'a dit que probablement, il n'y avait tout simplement personne d'autre.

Le problème a été résolu de deux manières. 1. les membres de la Plénière (ndt: qui décide en principe en dernier ressort des choix à proposer au Pape) jugés conservateurs ont été remplacés par des fidèles de la ligne gagnante (comme le Cardinal Baldisseri, Secrétaire du Synode). 2. Mgr Jésus Montanari, l'ami intime de secrétaire personnel du pape, Mgr Pedacchio (qui travaille toujours à la Congrégation pour les évêques, et qui a été pendant des années l'oreille et les yeux du cardinal Bergoglio à Rome [cf. Du cardinal Bergoglio au Pape François]) a été promu, grâce à un bond incroyable, d'un humble rôle dans la congrégation à celui de secrétaire. Le travail est complété avec le remplacement dans la Congrégation des pro-Ratzinger par des personnages du nouveau cours, comme Stella et Baldisseri.
De cette façon, si en séance plénière le candidat voulu ne parvient pas à passer en dépit des efforts, on peut être assuré (c'est arrivé plus d'une fois) que le lendemain, le secrétaire arrive en disant: "Le Pape a choisi celui-là". Et l'affaire est close, même si le numéro un de la terne était vraiment bon, de l'avis de tous, y compris du nonce, et si l'élu ne l'était pas. Il est clair que le rôle du préfet est réduit en substance à une coquille formelle (vide).

Au Culte Divin, le Pontife a placé comme préfet le cardinal Sarah, un ratzingérien. Une démarche rendue nécessaire, dit-on, par le fait qu'il n'y avait pas d'autre poste disponible, après la disparition de Cor Unum absorbé dans un nouvel organisme du fait de la réforme. Sarah prend la place d'Antonio Canizares, surnommé le «petit Ratzinger», lié à la tradition, immédiatement renvoyé en Espagne. Le cardinal guinéen Sarah est en faveur de la «réforme de la réforme», c'est-à-dire un retour à quelques-unes des modalités liturgiques négligées par les innovations post-conciliaires. Ce n'est pas quelque chose que le pape semble voir avec une faveur particulière. Comment "vider" son rôle? Une déclaration de sa part en faveur de la réforme de la réforme est officiellement démentie (même si Sarah dira: mais le pape m'avait donné le feu vert ...).
Mais à l'intérieur [de la Congrégation], le jeu est rendu facile (selon un modèle éprouvé) par le fait que depuis 2012 le Secrétaire de la Congrégation est Mgr Arthur Roche, certes pas conservateur, très proche du cardinal britannique Murphy O'Connor, l'un des grands conseillers discrets et des inspirateurs du Pontife. Et en effet, c'est à lui, en tant que président, et non pas au cardinal Sarah, comme cela aurait pu être envisagé, qu'est confiée la tâche de présider une commission pour examiner les traductions de la liturgie, modifiant l'instruction de 2001 Liturgiam authenticam (De usu linguarum popularium in libris liturgiae Romanae edendis). Sarah - me dit-on - n'était absolument pas au courant de cette décision ...

L'autre secteur crucial est constitué par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. La situation ici est plus complexe. Je crois que le pape a dans le passé sérieusement songé à se débarrasser de Müller, mais qu'il s'est rendu compte qu'une décapitation de ce genre, et sans être en mesure de lui confier un poste adéquat, créerait un grand scandale (cf. Que va devenir le cardinal Müller?). Le quinquennat de Müller expirera en juillet prochain. Sera-t-il confirmé? De toute façon, le problème se pose de la façon de limiter son rôle. Alors, en plus de ne jamais de se référer à lui quand il parle de théologie, préférant Kasper et Schönborn, il met en œuvre la même politique que celle utilisée avec les Évêques et le Culte. C'est-à-dire en vidant de l'intérieur l'appareil lié au Préfet. C'est en ce sens qu'il faut lire à la fois les licenciements des théologiens et des ufficiali, sans aucun motif, et la nomination d'un nouveau secrétaire, très proche du Préfet du Clergé, Mgr Giacomo Morandi. Mgr Morandi est très lié au Préfet du clergé, le cardinal Beniamino Stella, qui pour certains est le véritable master mind de la conquête papale de la Curie. En attendant, la Congrégation est pratiquement au point mort, il y a pénurie de personnel, et le choix des nouveaux collaborateurs ne passe pas par les sommets de la Congrégation elle-même. Dans le cas d'"Amoris Laetitia", les centaines d'observations ponctuelles apportées au texte ont été ignorées. Sans une réponse. Ici aussi, nous assistons au modèle du vide par l'intérieur, laissant la coquille intacte.

C'est la même stratégie que celle utilisée pour la Conférence épiscopale italienne. Puisque le Président, le cardinal Bagnasco, avait clairement exprimé son désir de rester en fonction jusqu'à la fin de son mandat, et de ne pas laisser poliment la place, le pape a nommé Mgr Galantino, l'utilisant comme référent et l'«investissant» de pleins pouvoirs, notamment dans la gestion des médias des évêques, TV2000 et Avvenire . Les nominations des évêques italiens ne sont plus décidées par le nonce en Italie, l'archevêque Bernardini, nonce en Argentine de 2003 à 2011, qu'on dit peu aimé de Bergoglio. Les nouveaux évêques sont décidés par ce qu'on pourrait appeler un «comité de l'ombre» dirigé par le Secrétaire de la CEI, qui réfère au Pontife.

Pour d'autres secteurs de moindre importance, le travail a été plus facile et direct. Ainsi, à l'Académie pontificale pour la Vie, Ignacio Carrasco de Paula évêque espagnol, appartenant à la Prélature de l'Opus Dei a été remplacé le 15 Août 2016 par Mgr Vincenzo Paglia, ancien évêque de Terni, où le diocèse a subi un désastre financier. Paglia, depuis toujours lié à la Communauté de Sant'Egidio, a été nommé président de l'Académie, et Grand Chancelier de l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. Dans le même temps, Mgr Livio Melina de CL, a été remplacé comme recteur par le théologien, écrivain et musicien Pierangelo Sequeri, d'une sensibilité certes très différente de celle de son prédécesseur. À l'heure actuelle, l'Académie n'a pas de membres: tous ceux qui en faisaient partie ont été exclus. Y compris des personnalités de haut niveau et de grande expérience, liées aux lignes directrices inspirées par Jean-Paul II ...