Le pouvoir du Pape
Marco Tosatti, dans un article publié en anglais sur le site "First Things" illustre à l'aide d'exemples la "méthode Bergoglio'" pour gouverner l'Eglise et se débarrasser de ceux qui le gênent. Edifiant!!! (9/7/2017)
Parmi les vaticanistes, Marco Tosatti est devenu un "lanceur d'alerte" incontournable, s'étant imposé au fil du temps comme l'un des narrateurs les plus fiables, les plus courageux et les mieux informés de ce Pontificat.
En plus de son blog personnel Stylum Curiae, qui a succèdé en septembre 2016 à celui hébergé par "La Stampa-Vatican Insider" San Pietro e dintorni ("La Stampa" a argué de motifs fallacieux pour fermer les blogs de journalistes, mais je soupçonne que c'est le sien qui était visé, voir ICI), il collabore désormais régulièrement à "La Bussola", et publie des articles en anglais sur des blogs conservateurs, dont "First Things").
Son dernier article sur "First Things" était consacré au "bon soldat", le cardinal Müller et à son "calvaire" (traduit en français ICI)
Parmi des informations très intéressantes, dont certaines inédites (comme la réaction du Pape émérite quand François lui a confié son envie de se débarrasser de son "gardien de la foi"), il y a une anecdote cruelle inexpliquée qui résume parfaitement ce que vivent au quotidien ceux qui n'ont pas l'heur de plaire au prince:
La première étape du Calvaire de Müller a été un épisode déconcertant au milieu de 2013. Le Cardinal célébrait la Messe dans l'église annexée au palais de la congrégation pour un groupe d'étudiants et d’universitaires allemands. Son secrétaire l'a rejoint à l'autel. « Le Pape veut vous parler » « Lui avez-vous dit que je célébrais la Messe ? » demanda Müller . « Oui » a répondu le secrétaire « mais il a dit que ça ne le dérangeait pas, qu’il voulait vous parler tout de même ». Le Cardinal est allé à la sacristie. Le Pape, de très mauvaise humeur, lui a donné des ordres et un dossier concernant l'un de ses amis, un Cardinal. (Il s'agit d'une affaire très délicate. J'ai cherché une explication de l'incident à partir des canaux officiels. Jusqu'à ce que l'explication nous vienne, si jamais elle nous vient, je ne peux pas donner plus de détails ). Evidemment, Muller fut sidéré.
Isabelle a choisi de traduire, toujours sur First Things, le billet du 29 juin:
Le pouvoir du Pape
Marco Tosatti
First Things
29 juin 2017
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Le pape François a été élu avec un mandat : entreprendre la réforme institutionnelle du Vatican. La réforme de la curie s’avérant difficile, François semble en avoir fait un objectif moins prioritaire. Et la corruption et l’inefficacité de la curie ne l’ont pas empêché, entre-temps, de poursuivre d’autres buts plus urgents à ses yeux : de plus en plus, quand il veut parvenir à ses fins, François contourne purement et simplement la curie - pour le meilleur et pour le pire.
En quatre années de pontificat, François a mis en place un régime parfaitement personnel (d’aucuns diraient autocratique), sans précédent de mémoire d’homme. Les papes ont, certes, toujours été, au moins théoriquement, des monarques absolus ; mais, au cours du siècle précédent, ils ont généralement respecté un délicat système d’équilibre et de contre-poids. Dans ce système, porté à sa forme accomplie par Paul VI, le pape évalue les avis des cardinaux de la curie avant de prendre une décision. Le pape François a pratiquement démembré cet outil de fine horlogerie et exerce, dès lors, un pouvoir absolu, inconnu sous ses cinq ou six prédécesseurs immédiats.
L’histoire de ce chambardement au Saint-Siège commence le soir même de l’élection de François. Avant son pontificat, Jorge Mario Bergoglio n’avait jamais fait de longs séjours à Rome et n’avait donc, du gouvernement central de l’Eglise, qu’une connaissance indirecte. Mais il avait envoyé Fabiàn Pedacchio, qui est aujourd’hui son secrétaire particulier, pour travailler à la curie où il serait les yeux et les oreilles de son patron. Il se débrouilla aussi pour se faire quelques bons amis dans le Collège des cardinaux.
Mais les informations qu’il tirait de ces sources ne pouvaient en aucun cas remplacer l’expérience personnelle. Cette frustration explique pourquoi, juste avant le conclave de 2013, Bergoglio a tenu plusieurs réunions avec des membres de la section espagnole de la Secrétairerie d’Etat. Bergoglio était alors le candidat favori des diplomates, conduits par le cardinal Achille Silvestrini, membre du “Groupe saint-Gall”- surnommé “la mafia” par le cardinal Danneels, autre membre de ce groupe, – créé initialement pour porter au pouvoir à Rome, après la mort de Jean-Paul II, un pape “progressiste”. Au cours de ces réunions, ses informateurs espagnols ont donné à Bergoglio une vue de la curie plus exhaustive et détaillée que celle qu’il avait reçue auparavant – une information qui se révéla utile tout de suite après l’élection.
On pouvait facilement prévoir quel serait le premier geste de François après son élection. Au Vatican, le bras droit du pape est le secrétaire d’état. Il jouit d’une immense influence, au point que, en réalité, ce pouvoir excessif était largement critiqué par les cardinaux avant le conclave. Peu après son entrée en charge, François a remplacé la cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’état de Benoît XVI, par l’archevêque Pietro Parolin, un nonce progressiste, lié à la mouvance Silvestrini.
Si puissante que soit devenue la Secrétairerie d’Etat, il y a au moins, au Vatican, deux autres fonctions qui méritent toute l’attention d’un nouveau pape. La première est la charge de préfet de la Congrégation pour le Clergé, qui contrôle non seulement tous les prêtres mais aussi tous les séminaires du monde. Au moment de l’élection de François, c’était le très expérimenté cardinal Mauro Piacenza qui se trouvait à la tête de cette congrégation. François le congédia abruptement et, sans explication, nomma à sa place un autre nonce, Beniamino Stella. Des sources bien informées dans l’enceinte du Vatican rapportent que Stella a placé des fidèles au sein de chaque administration, qui lui font savoir qui est favorable au nouveau régime et qui ne l’est pas.
François s’intéressa ensuite à la Signature Apostolique et, fatalement, au cardinal Burke. La Signature est le plus haut tribunal du Saint-Siège et c’est elle qui a le dernier mot dans les conflits qui opposent les prêtres et les religieux au Vatican. Burke est un expert unanimement respecté en ces matières et, pour cette raison, a toujours été très indépendant. Mais il subit le même sort que Piacenza : il fut sommairement congédié et remplacé par un ancien diplomate, en ce cas précis, le très affable Dominique Mamberti, le ministre des affaires étrangères du Saint-Siège.
François aurait très certainement aimé changer les têtes d’au moins deux autres congrégations, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dirigée par le cardinal Müller, et la Congrégation pour les Evêques, dirigée par le cardinal canadien Ouellet. Pour très raisons trop complexes pour être expliquées ici, il n’a pu le faire. En revanche, il a adopté une nouvelle technique pour priver ces cardinaux de leur pouvoir, la même méthode qu’il a utilisée, avec quelques légères variantes, pour isoler et miner la Congrégation pour le Culte divin où le cardinal Sarah, pourtant nommé par lui, s’était montré, lui aussi, trop indépendant.
En quoi consiste cette nouvelle technique ? Considérons le cas de la Congrégation pour les Evêques. Il se fait qu’un des employés subalternes de cette Congrégation, un prêtre brésilien du nom de Ilson de Jesus Montanari, entretenait depuis longtemps, une relation d’amitié avec Fabiàn Pedacchio, le secrétaire particulier du pape. Brusquement, François nomma Montanari secrétaire de la Congrégation : ainsi Montanari pouvait surveiller Ouellet et tenir le pape au courant de ses activités.
Quand la Congrégation tint, peu après, son assemblée plénière pour discuter et voter sur les nouvelles nominations épiscopales, trois noms furent proposés pour un nouvel évêque auxiliaire dans un diocèse canadien. Le cardinal Ouellet, Canadien lui-même, expliqua que le premier était très bon, et le deuxième aussi, mais que pour le troisième (qu’il connaissait personnellement) il y avait des problèmes. Comme l’aile progressiste de la Congrégation soutenait le troisième, un débat s’ensuivit et on ne prit aucune décision. Le lendemain, Fabiàn Pedacchio rendit visite à la Congrégation et déclara que le pape avait choisi le troisième candidat, mettant ainsi le cardinal Ouellet dans une position très inconfortable.
François nomma aussi, sur les conseils du cardinal Stella, un nouveau sous-secrétaire à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Rétrospectivement, cette nomination semble inutile puisque le pape s’obstine, de toutes façons, à ignorer l’avis théologique de la Congrégation. Ainsi, lorsque François avait soumis à l’examen de la Congrégation une première version d’Amoris Laetitia, Müller l’avait retournée avec pas moins de deux cents corrections et objections. Il n’a jamais reçu de réponse et ses suggestions furent purement et simplement ignorées.
Il y eut ensuite l’affaire des trois prêtres. Voici quelques mois, Müller reçut, de la Secrétairerie d’Etat, une lettre lui demandant de licencier trois prêtres de son personnel. Il hésita, car c’était de bons prêtres et de bons collaborateurs. Mais une seconde lettre suivit la première. Müller demanda alors une audience au pape et, après avoir dû attendre un certain temps (ce qui serait déjà inhabituel en soi, sauf pour ce pape qui préfère ne pas rencontrer les chefs de ses dicastères), il demanda la raison du licenciement. La réponse de François fut sans équivoque : “Je suis le pape et je n’ai à rendre compte à personne de mes décisions. J’ai dit qu’ils devaient partir et ils doivent partir.” Ensuite il se leva et tendit la main pour indiquer que l’audience était terminée. Müller était dans un très grand désarroi. Il semble possible qu’il soit lui aussi congédié et remplacé, cette année encore, par le cardinal Schönborn (NdT : le texte est daté du 29 juin 2017, soit deux jours avant le remplacement de Müller par le P. Ladaria Ferrer).
Un nouveau sous-secrétaire, fidèle du parti au pouvoir, fut aussi nommé à la Congrégation pour le Culte divin. Mais François fit, là, un pas supplémentaire : sans en informer le cardinal Sarah, il nomma une commission spéciale chargée d’étudier la soi-disant “messe œcuménique”, que catholiques et protestants pourraient célébrer ensemble. Officiellement, le cardinal Sarah ignore toujours les activités de la commission qui travaille de manière indépendante et en réfère directement au pape.
Récemment, des bruits ont couru, qui font état d’une autre commission, elle aussi placée sous la supervision directe du pape, chargée d’étudier, à la lumière d’Amoris Laetitia, la possible abrogation de l’encyclique Humanae Vitae. L’archevêque Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la Vie, a déclaré récemment à la Catholic News Agency : “Il n y a pas de commission pontificale instituée pour faire une relecture ou une réinterprétation d’Humanae Vitae. Cependant, nous envisagerions positivement toutes les initiatives, comme celle du Professeur Marengo de l’Institut Jean-Paul II, visant à étudier et approfondir ce texte dans la perspective du cinquantième anniversaire de sa publication”. Paglia semble bien dire à la fois « oui » et « non ».
Puisque ce pape gouverne de manière dictatoriale, outrepassant comme il le fait la loi de la curie, il se peut qu’il n’y ait effectivement pas de commission officielle. Il se pourrait qu’il y ait quelques experts, comme Marengo, qui préparent le travail de fond pour des changements radicaux - que le pape proclamera personnellement.